People walk on the N'Gueli bridge, marking the border between Chad and Cameroon near N'Djamena, 4 April 2015. AFP PHOTO/PHILIPPE DESMAZES
People walk on the N'Gueli bridge, marking the border between Chad and Cameroon near N'Djamena, 4 April 2015. AFP PHOTO/PHILIPPE DESMAZES
Report / Africa 3 minutes

Tchad: entre ambitions 
et fragilités

A la veille du scrutin présidentiel du 10 avril, la grogne sociale monte alors que le pays est confronté à une crise économique majeure, une fragilisation du modèle religieux, et des attaques violentes de Boko Haram. Le régime, qui ambitionne de prendre les commandes de la lutte antiterroriste dans la région, risque de faire face à l’émergence de toutes sortes d’acteurs violents si des institutions légitimes et un contrat social ne sont pas mis en place.

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Synthèse

Alors que le Tchad est devenu un partenaire privilégié des pays occidentaux dans la lutte contre le jihadisme dans l’espace sahélo-saharien, les vulnérabilités du régime s’accentuent rapidement et l’année 2016 s’annonce difficile. En plus d’un contexte très tendu avant le scrutin présidentiel du 10 avril et d’une montée de la grogne sociale, le pays fait face à une crise économique majeure, à une fragilisation du modèle religieux et aux attaques violentes de Boko Haram, même si le groupe est affaibli. L’approche principalement militaire, au détriment de l’engagement politique et social de l’Etat dans les zones affectées par la violence jihadiste, risque d’exacerber les tensions. Enfin, à la veille d’une élection qui, sauf surprise, devrait voir le président  Idriss Déby reconduit pour un cinquième mandat, de nombreux Tchadiens perçoivent l’absence d’alternance démocratique ou de plan de succession comme les germes d’une crise violente. Il est urgent d’ouvrir l’espace politique et de créer des institutions étatiques susceptibles de recevoir l’appui de la population et de durer. Cela exigera un changement d’approche à la fois des autorités nationales et de leurs partenaires. 

Jusqu’à récemment, le Tchad était considéré comme un pays pauvre, sans influence et constamment sous la menace de rébellions. Mais la donne a changé : le Tchad a normalisé ses relations avec le Soudan en 2010, est devenu un producteur de pétrole et un acteur militaire incontournable, tout particulièrement dans la bande sahélo-saharienne mais également plus au sud en République centrafricaine (RCA). En déployant ses soldats sur différents fronts : en RCA dans une intervention très critiquée, au Mali et plus récemment dans la région du lac Tchad pour lutter contre Boko Haram, le régime joue la carte de la diplomatie militaire et ambitionne de prendre les commandes de la lutte antiterroriste dans la région. Ce faisant, le Tchad consolide ses alliances avec les Occidentaux dans un partenariat fondé sur la lutte contre des ennemis communs, mais perçu par une partie des Tchadiens comme une garantie pour un régime en mal de légitimité. Ce partenariat, qui s’inscrit dans une longue histoire de proximité avec les Occidentaux, comporte ainsi des risques politiques et démocratiques importants.

Le Tchad demeure très fragile à l’intérieur de ses frontières et fait face à une situation sécuritaire inédite. Habitué aux rébellions à base ethnico-régionale, le pays est aujourd’hui engagé dans un nouveau combat, asymétrique, contre le mouvement violent jihadiste Boko Haram. Bien que ce dernier n’ait pas constitué de véritable base sociale au Tchad, des combattants tchadiens sont présents dans ses rangs. Après un premier choc frontal au début de l’année 2015, l’appareil sécuritaire tchadien doit prévenir les attentats dans la capitale et faire face à une guérilla dans la zone du lac Tchad. Les populations du lac sont ainsi confrontées aux attentats-suicides de Boko Haram et aux fréquents pillages de villages qui font de nombreuses victimes et engendrent des déplacements massifs de populations. Si le groupe est aujourd’hui affaibli par les opérations militaires des pays de la région, la menace demeure. Parallèlement, l’instabilité en Libye continue à susciter de fortes inquiétudes à N’Djamena. 

Craignant de nouvelles attaques sur le sol tchadien, y compris à N’Djamena, le gouvernement a pris une série de mesures pour renforcer le dispositif sécuritaire, adapter l’arsenal législatif aux nouvelles menaces et contrôler davantage l’espace religieux. Si beaucoup de Tchadiens, notamment dans la capitale, adhèrent à cette politique antiterroriste, des voix s’élèvent pour dénoncer les dérives des forces de sécurité lors de contrôles, mais aussi les arrestations et convocations arbitraires. 

Le pays traverse également une crise économique majeure liée à la fois à la régionalisation des attaques de Boko Haram, qui perturbe fortement ses échanges commerciaux avec le Nigéria et le Cameroun, et à la baisse du cours du pétrole, qui frappe de plein fouet une économie devenue très dépendante des revenus de l’or noir. Ces difficultés contraignent le gouvernement à une politique d’austérité. A l’approche de l’élection, la grogne sociale prend de l’ampleur. Plusieurs thèmes sont mobilisateurs : cherté de la vie, austérité budgétaire, corruption, impunité, et les manifestations prennent même une couleur plus politique avec la dénonciation de la candidature du président Déby à un cinquième mandat. Le climat politique et social est très tendu et la répression des manifestations ainsi que l’arrestation des membres de la société civile pourraient encore exacerber ces tensions.   

Enfin, la volonté du gouvernement de policer et de contrôler l’espace religieux, qui se manifeste notamment par l’interdiction de la burqa et la promotion d’un islam « tchadien », sous-entendu soufi, est plébiscitée mais rencontre aussi des résistances. Celles-ci révèlent des antagonismes profonds entre courants majoritaires soufis et minorités fondamentalistes, dans un contexte de forte expansion du wahhabisme, notamment chez les jeunes. Si ces tensions intramusulmanes ne constituent pas une menace immédiate, elles sont un facteur de délitement du tissu social sur le moyen terme. 

Face à ces défis en cascades, les autorités tchadiennes doivent avant tout éviter les politiques d’exclusion géographique ou religieuse. La menace la plus importante pour la stabilité du Tchad sur le long terme n’est pas Boko Haram, bien qu’il faille combattre ce groupe avec détermination, mais une crise politique nationale qui créerait un terreau fertile pour l’émergence de toutes sortes d’acteurs violents, y compris jihadistes. Pour éviter cela, les autorités tchadiennes doivent à tout prix ouvrir l’espace politique et bâtir des institutions légitimes capables de survivre au régime actuel. 

Nairobi/Bruxelles, 30 mars 2016

Executive Summary

Chad has become an important partner of the West in the fight against jihadism in the Sahel, but the regime’s stress points are quickly growing and 2016 is proving to be a challenging year. In addition to mounting tensions ahead of the 10 April presidential election and growing social discontent, the country is facing a major economic crisis, growing intra-religious tensions and deadly Boko Haram attacks, even as the movement weakens. The government’s predominantly military approach, pursued at the expense of political and social engagement in areas affected by jihadist violence, risks exacerbating tensions. Meanwhile, as an election approaches that is likely to see President Idriss Déby win a fifth term, many Chadians believe that the absence of democratic change or a viable succession plan could lead to a violent crisis. It is imperative to open political space and create sustainable state institutions capable of gaining the people’s support. This will require a shift in strategy by both national authorities and their international partners.

Until recently, Chad was considered a poor country, lacking in influence and facing the constant threat of its rebellions. But this has changed: Chad normalised relations with Sudan in 2010, began producing oil and became a critical military power in the Sahel-Saharan strip in particular, but also further south, in the Central African Republic (CAR). By deploying its soldiers on multiple fronts, including in a heavily-criticised intervention in CAR, as well as in Mali and more recently in the Lake Chad basin to fight Boko Haram, the regime is pursuing a strategy of military diplomacy, hoping to lead the fight against terrorism in the region. In so doing, Chad has consolidated its alliances with Western countries founded on fighting a common enemy, but which some Chadians view as an insurance policy for a regime that lacks legitimacy. The nature of this partnership, rooted in a long history of close relations with the West, carries significant political and democratic risks.

Chad remains domestically fragile and is facing an unprecedented security threat. The country, which has traditionally experienced ethno-regional rebellions, is today engaged in a new kind of fight: an asymmetric battle against the violent jihadist movement Boko Haram. Even though the group has not built a constituency in Chadian society, there are undeniably Chadian nationals in Boko Haram’s ranks. After suffering a first attack at the beginning of 2015, Chad’s security apparatus must both prevent terrorist attacks in the capital and tackle a guerrilla-style insurgency in the Lake Chad area. Those living in the Lake Chad region are facing deadly Boko Haram suicide attacks and frequent raids, resulting in deaths and massive population displacements. Though military operations by the countries of the region have weakened the group, it remains a serious threat. Meanwhile, instability in Libya continues to be of great concern in N’Djamena. 

The government, fearing further attacks on Chadian soil including in N’Djamena, has adopted a series of measures to strengthen security, adapt the laws at its disposal to address the new threats and further police religious space. While many Chadians, especially in the capital, support these counter-terrorism policies, voices denouncing abuses by security forces during routine checks, as well as arbitrary arrests and summons, are growing louder. 

The country is also facing a major economic crisis due to both the regional spread of Boko Haram attacks, which have hindered trade with Nigeria and Cameroon, and the drop in oil price, particularly damaging given the economy’s strong dependence on oil revenue. As a result, the government has been forced to make budget cuts. Social discontent is growing as the election nears, and many issues have the potential to mobilise the population, including the cost of living, budgetary austerity, corruption and impunity. Protests have taken a more political hue with protesters denouncing President Déby’s candidacy for a fifth term. The political and social climate remains very tense and the state’s repression of demonstrations and harassment of civil society could aggravate it further. 

Finally, the government’s desire to police and control religious space, including banning the burqa and promoting a “Chadian” Sufi Islam, is widely supported but has also met some resistance. This resistance has revealed the strong antagonism between mainstream Sufi currents and fundamentalist minorities against a backdrop of a significant Wahhabi expansion, especially among the youth. While these intra-Muslim tensions are not an immediate threat, in the medium-term they could weaken the country’s social fabric. 

In the face of these accumulating challenges, Chadian authorities must avoid the politics of religious or geographic exclusion. The greatest threat to stability in Chad in the long-term is not Boko Haram – though the determined fight against the group must continue – but a national political crisis, which would create fertile ground for all sorts of violent actors, including jihadists. To avoid this, the Chadian state must open political space and build legitimate and sustainable institutions, capable of outlasting the current regime.

Nairobi/Brussels, 30 March 2016

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