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Reconstruire le Nord du Sri Lanka sous le joug militaire (II)

Le contrôle exercé par l’armée sri-lankaise sur la vie économique et politique dans la Province du Nord aggrave l’aliénation et la colère ressenties par la population tamoule du Nord et mence la paix et la stabilité à long terme.

Synthèse

L’armée sri-lankaise domine le processus de reconstruction de la Province du Nord, nuisant aux efforts humanitaires internationaux et attisant les tensions avec la majorité ethnique tamoule. Depuis la fin de la guerre en 2009, des centaines de millions de dollars ont été versés, mais les populations locales, laissées dans le plus grand dénuement, n’ont connu qu’une amélioration très relative de leurs conditions de vie. L’armée, au lieu de s’effacer au profit d’un développement équitable et responsable, intervient dans la vie économique, contrôle des terres, et semble établir une présence occupante permanente. Ces politiques, qui s’ajoutent à ce que les Tamouls perçoivent comme une tentative d’imposition de la culture cinghalaise et bouddhiste à travers le Sri Lanka, ainsi que l’incapacité à résoudre les problèmes sociaux caractéristiques d’une société post-conflit, risquent de raviver la violence des décennies passées. Un gouvernement responsable, les besoins des populations de retour dans leurs villages, et l’essor d’un rôle politique pour la minorité tamoule doivent être au cœur des politiques d’aide des bailleurs de fonds, au risque de favoriser la résurgence de l’extrémisme ethnique.

Le poids de la militarisation de la Province, censée empêcher un réveil du militantisme, aggrave en réalité la colère et l’aliénation ressenties par les Tamouls du Nord, réduisant les chances d’instaurer une paix durable. La mise en place d’imposantes bases militaires nécessite l’accaparement de vastes étendues de terres privées et publiques, entrainant à nouveau le déplacement de dizaines de milliers d’habitants. L’ingérence croissante de l’armée dans les activités agricoles et commerciales place un nouvel obstacle sur le chemin de la relance économique pour les fermiers et les commerces du Nord. Lorsqu’elle est critiquée au cours de rassemblements populaires, l’armée ne fait preuve d’aucune retenue pour s’attaquer aux manifestants. Par ailleurs, des accusations plausibles dénoncent son implication dans des disparitions forcées et autres punitions extrajudiciaires.

Le gouvernement considère les nouvelles routes, la croissance économique rapide et les projets d’infrastructures comme autant de signes d’un « printemps post-conflit » au Nord. Pourtant, la majorité des 430 000 individus qui sont revenus dans leurs villages n’en a que peu profité ces deux dernières années. Les habitants de la région de Vanni, le territoire continental de la Province, ont retrouvé des terres dévastées par les derniers combats : quasiment toutes les maisons et tous les bâtiments ont été détruits et les effets personnels des habitants ont presque tous été endommagés, pillés ou ont disparu. La plupart des personnes de retour vivent toujours dans des abris de fortune inadaptés à leurs besoins et peinent à se nourrir, dans un contexte où les emplois, les opportunités et les économies personnelles manquent cruellement. Peu d’écoles et de centres médicaux ont été reconstruits. Les femmes du Nord se trouvent dans une situation particulièrement difficile : à la tête de familles dont beaucoup ne bénéficient ni d’un refuge permanent ni d’un revenu régulier, elles sont extrêmement vulnérables face à la domination d’une armée masculine et cinghalaise.

La violence à l’encontre des femmes et la « cinghalisation » de la Province du Nord à travers des transformations culturelles et démographiques font l’objet des deux dernières publications de Crisis Group sur le Sri Lanka, dont la plus récente est le tome I du présent rapport. Celui-ci étudie l’hégémonie de l’armée au sein du processus de reconstruction d’une région presque entièrement détruite par des décennies de guerre civile. Il examine comment les impératifs militaires influencent, voire déterminent, la réponse du gouvernement et de la communauté internationale au désarroi de la population locale. La priorité accordée à la construction d’infrastructures matérielles aux dépens de l’édification d’une société ouverte et du rétablissement de la confiance en son sein confère un avantage – financier et autre – à l’armée et aux élites politiques, au détriment de la majorité de la population de la Province.

Les restrictions imposées par le gouvernement à l’aide humanitaire et aux projets de première reconstruction, souvent exécutées par les responsables militaires locaux, ont empêché la fourniture de nombreux services aux populations, dont un soutien psychosocial régulier aux familles traumatisées par la mort et la disparition de leurs proches. L’influence de l’armée sur les politiques de développement du Nord – à travers le Groupe de travail sur la réinstallation, la reconstruction et la sécurité dans la Province du Nord (Presidential Task Force on Resettlement, Reconstruction and Security in the Northern Province, PTF) et au niveau des districts – a marginalisé l’administration civile majoritairement tamoule, favorisant une reconstruction « ethnique » par ailleurs peu efficace. L’importance des projets de grande envergure au sein des efforts de reconstruction détourne les ressources et l’énergie nécessaires à la satisfaction des besoins urgents. Les donateurs et les agences humanitaires et de développement n’ont pas condamné assez fermement ces politiques, alors qu’elles entravent le retour et la « guérison » des populations affectées par le conflit.

Le rétablissement d’une gouvernance civile et démocratique au Nord et la fin de l’emprise militaire sur le processus de développement doivent constituer les priorités des acteurs internationaux engagés dans la reconstruction du Sri Lanka. Les bailleurs de fonds, notamment les agences multilatérales, la Chine, l’Inde et le Japon, doivent s’assurer que leurs programmes répondent aux besoins des 430 000 personnes de retour dans le respect des principes de transparence et de responsabilité. Ils doivent réclamer la levée des restrictions gouvernementales handicapant la livraison et le suivi de l’aide. Les agences des Nations unies et les organisations non gouvernementales (ONG) doivent, avec le soutien de leurs donateurs, s’opposer fermement aux contrôles étroits sur leurs opérations, défendre avec vigueur les principes humanitaires, et faire pression en faveur du rétablissement de l’autorité civile au Nord. Au-delà des formalités ordinaires de suivi des projets, la communauté internationale ne doit pas tolérer que la reconstruction finance la culture de la corruption et l’érosion de la démocratie, qui ont empiré malgré la fin de la guerre.

Colombo/Bruxelles, 16 mars 2012

Executive Summary

Sri Lanka’s military is dominating the reconstruction of the Northern Province, weakening international humanitarian efforts and worsening tensions with the ethnic Tamil majority. Since the war ended in 2009, hundreds of millions of dollars have poured into the province, but the local populations, mostly left destitute by the conflict, have seen only slight improvements in their lives. Instead of giving way to a process of inclusive, accountable development, the military is increasing its economic role, controlling land and seemingly establishing itself as a permanent, occupying presence. Combined with what many Tamils see as an effort to impose Sinhala and Buddhist culture across the whole of Sri Lanka and a failure to address many social aspects of rebuilding a society after conflict, these policies risk reviving the violence of past decades. Donors should put government accountability, the needs of returnees and the expansion of a democratic political role for the Tamil minority at the heart of their aid policies or risk contributing to a revival of ethnic extremism.

The heavy militarisation of the province, ostensibly designed to protect against the renewal of violent militancy, is in fact deepening the alienation and anger of northern Tamils and threatening sustainable peace. Major new military bases require the seizure of large amounts of public and private land and the continued displacement of tens of thousands. The growing involvement of the military in agricultural and commercial activities has placed further obstacles on the difficult road to economic recovery for northern farmers and businesses. When challenged by public protest, the military has shown itself willing to physically attack demonstrators and is credibly accused of involvement in enforced disappearances and other extrajudicial punishments.

The government points to the many new roads, rapid economic growth and numerous new infrastructure projects as signs of a post-war “northern spring”. For most of the more than 430,000 people who have returned to their lands and villages over the past two years, however, there has been little benefit. Residents of the Vanni region – the mainland of the Northern Province – returned to a land devastated by the final years of war: almost all homes and buildings were destroyed; most personal property was lost, damaged or looted. Most returnees remain in makeshift and inadequate shelters and many struggle to afford food, with few jobs or economic opportunities and little or no savings. Few schools and medical centres have been rebuilt. Women in the north face particularly difficult situations: female-headed households, many without permanent shelter or regular income, in the context of domination by a male, Sinhalese military are extremely vulnerable.

Gender-based violence and the Sinhalisation of the Northern Province through cultural and demographic changes have been addressed in Crisis Group’s two most recent papers on Sri Lanka, the latter a companion report to this one. This report examines the dominance of the military in the reconstruction of a region that was almost completely destroyed during decades of war. It also looks at the ways in which military priorities have shaped the government’s and the international community’s response to the deprivations of the local population. A focus on physical infrastructure over the rebuilding of a confident, open society benefits the military and the political elite – financially and otherwise – at the expense of the majority of the province’s population.

Government restrictions on aid and early recovery activities, often enforced by local military commanders, have prevented the effective delivery of many social services, including systematic and effective trauma counselling and other psycho-social support to families struggling to cope with the deaths and disappearance of tens of thousands of relatives. The military’s influential role over northern development policy – through the Presidential Task Force on Resettlement, Reconstruction and Security in the Northern Province (PTF) and at the district level – has marginalised the largely Tamil civil administration and led to ineffective and ethnically biased rebuilding. More generally, the government’s emphasis on large-scale development projects has diverted resources and energies away from the more immediate needs of returnees. Donors and development and aid agencies have done too little to speak out about or effectively challenge these policies, even as they undermine the prospects for sustainable return and recovery.

International engagement with Sri Lanka should prioritise the reestablishment of civilian and democratic governance in the north, and the end of the military control over development activities. Donors, particularly the multilateral agencies, China, India and Japan, should insist that their programs address the pressing needs of the more than 430,000 returnees in a manner that is transparent and accountable to the local population. They should press the government to lift onerous restrictions on the delivery and monitoring of assistance. UN agencies and non-gov­ern­men­tal organisations (NGOs), with the support of their donors, should more actively resist the government’s tight controls over their operations, better defend humanitarian principles, and push for the restoration of civilian authority throughout the north. Monitoring of projects must go beyond platitudes to ensure that reconstruction money does not fuel the culture of corruption and the erosion of democracy that have worsened despite the end of the war.

Colombo/Brussels, 16 March 2012

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