Côte d’Ivoire : Les trois inconnues du scrutin
Côte d’Ivoire : Les trois inconnues du scrutin
Retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire : une nouvelle occasion de réconciliation
Retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire : une nouvelle occasion de réconciliation
Commentary / Africa 4 minutes

Côte d’Ivoire : Les trois inconnues du scrutin

La présidentielle ivoirienne, dont le premier tour doit se dérouler le dimanche 31 octobre, comporte toujours d’importants risques de violences et la Côte d’Ivoire se trouve, plus que jamais coincée entre l’ espoir d’une sortie de crise et la crainte d’un retour à une situation de conflit.

Depuis le début du mois de septembre, une relative détente s’est installée dans le jeu politique. Après plusieurs mois de disputes et de blocages, les trois grands partis (FPI, RDR et PDCI) se sont accordés sur une liste définitive de 5,7 millions d’électeurs. Validée par l’ONU, cette liste a aussi été acceptée par l’ex-rébellion des Forces Nouvelles. Ce consensus a constitué une avancée majeure et historique qui rend maintenant possible la tenue d’un scrutin reporté à six reprises.

De plus, les Forces Nouvelles ont consenti à quelques efforts pour garantir les conditions d’un désarmement a minima. En procédant à l’encasernement de plusieurs milliers de ses combattants, elle a rassuré le parti au pouvoir et levé le dernier obstacle à l’organisation de la présidentielle du 31 octobre.

Officiellement ouverte depuis le 15 septembre, la campagne électorale s’est déroulée sans incidents majeurs. A quelques rares exceptions près, les candidats et les journaux qui les soutiennent n’ont pas eu recours à l’insulte et à l’invective. Pour la première fois, ils respectent le code de bonne conduite qu’ils ont signé en avril 2008.

La question n’est donc plus désormais de savoir si l’élection va avoir lieu mais dans quelles circonstances elle va se dérouler.

Sur le terrain, deux attitudes prévalent. D’un côté, la communauté internationale et les états-majors des grands partis se montrent optimistes et estiment que le plus dur a été fait avec l’adoption de la liste définitive. De l’autre, la grande majorité de la population et une partie de la société civile sont inquiètes et sceptiques.

Ce sentiment d’angoisse n’est pas seulement le fruit du doute qui s’est installé dans les esprits autour d’une élection en forme de mirage et de la peur héritée d’un début d’année chaotique, marqué par des manifestations violentes en février dernier. Il se fonde sur trois grandes inconnues qui entourent encore le vote de dimanche prochain.

Tout d’abord, la logistique électorale pose encore de sérieux problèmes. A moins d’une semaine du vote, la formation et la mise en place de plusieurs milliers de scrutateurs qui doivent surveiller les bureaux de vote sont inachevées. La distribution des cartes d’électeurs et d’identité a pris du retard. Il reste quelques jours aux Ivoiriens et à ses partenaires internationaux pour minimiser ces imperfections techniques. Ce travail est crucial car de la qualité technique de l’élection dépendra le degré de contestations de la validité du résultat par les perdants.

Ensuite, l’attitude des candidats après le premier tour représente encore une sérieuse inconnue de ce scrutin. Comment réagira le candidat qui sera éliminé au premier tour? Que se passera-t-il si - hypothèse peu probable mais possible - l’un des trois ténors de la vie politique ivoirienne l’emporte dès la première manche?

Pour le moment, tous tiennent un langage aussi rassurant que contradictoire. Ils s’engagent bien sûr à respecter le verdict des urnes si celui-ci est l’expression honnête du suffrage universel. Mais chacun réaffirme aussi sa conviction d’être élu avant même l’ouverture des bureaux de vote.

Le président Gbagbo a pu ainsi affirmer à la une d’un hebdomadaire panafricain : « J’y suis, j’y reste ». Le responsable de la jeunesse du PDCI a lancé fin octobre : « le président Bédié a déjà gagné ». On peut mettre ce genre de déclarations sur le compte de la propension des hommes politiques à la surenchère et à l’utilisation du « parler fort », typique du discours public ivoirien. Mais on peut aussi s’inquiéter des répercutions d’un tel langage sur les électeurs car il donne un caractère absolu au message politique. Il fixe dans l’esprit des militants qu’une défaite est impossible autrement que par la manipulation et la tricherie du camp adverse.

Enfin, de sérieux doutes subsistent sur la sécurisation d’un vote qui s’effectuera dans un pays toujours instable et armé. Au nord, le désarmement ne fait que commencer. L’ouest reste une zone à hauts risques. Dans les régions frontalières du Liberia, des milliers d’anciens miliciens pro-gouvernementaux frustrés n’ont pas déposé leurs fusils et n’obéissent plus au pouvoir central.

Côté ivoirien, le plan de sécurisation n’a pas été mis en place comme prévu. Une force mixte de 8000 hommes, provenant pour une moitié de l’armée régulière et pour l’autre des Forces Nouvelles, devait constituer le noyau dur de la sécurisation. Les forces impartiales (ONUCI et Licorne) devaient jouer un rôle de « second rideau » et n’intervenir qu’en cas de nécessité.

Finalement, une petite partie seulement de la force mixte est opérationnelle et son commandement manque toujours de moyens. Cette force mixte ne sera pas en mesure d’assurer pleinement sa mission.

Pour combler ce vide, les autorités ivoiriennes feront appel à la Compagnie républicaine de sécurité et au Commandement des opérations de sécurité (Cecos), une unité d’élite des Forces de défense et de sécurité ivoirienne créée en juillet 2005 par le président Gbagbo. Or, le Cecos pose problème car il n’est ni impartial, ni approprié. Il est dirigé par un fidèle du président, le général Guai Bi Point, et n’a pas vocation à sécuriser un scrutin électoral. Cette force de 800 hommes a en effet été conçue pour lutter contre le grand banditisme et la criminalité à Abidjan.

Les autorités ivoiriennes ont donc mal préparé le plan de sécurisation du vote et seraient vraisemblablement incapables de ramener l’ordre en cas de troubles graves. L’ONUCI serait alors confronté à un dilemme : intervenir ou pas, sachant qu’elle n’a pas pour mandat de se substituer aux forces ivoiriennes mais seulement de leur prêter assistance.

Il appartient bien entendu aux leaders politiques ivoiriens d’éviter que des troubles ne se produisent. Il est du devoir des responsables de la communauté internationale, qui se pressent actuellement à Abidjan, de leur rappeler qu’ils ont l’obligation de respecter le verdict des urnes et de ne pas s’ingérer dans le processus de vote. Ceux qui ne respecteraient pas ces principes seront tenus pour responsables des violences que pourrait impliquer leur choix.

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