Opening ceremony of the 39th ordinary session of the executive council of the AU. Addis Ababa, Ethiopia. 14 October 2021. EDUARDO SOTERAS / AFP
Briefing / Africa 20+ minutes

Huit priorités pour l’Union africaine en 2022

L’Union africaine célébrera ses vingt ans cette année, l’occasion de faire le bilan de ses réalisations et de redynamiser son action en faveur de la paix et de la sécurité sur le continent. Dans ce briefing, Crisis Group identifie huit conflits qui demandent une attention urgente de l’organisation.

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Que se passe-t-il ? L’Union africaine tiendra son sommet annuel des chefs d’Etat la première semaine de février avant son vingtième anniversaire en juillet. Cette réunion sera l’occasion pour les Etats membres de l’UA d’évaluer les résultats obtenus à ce jour par l’organisation en tant que principal organe de paix et de sécurité du continent.

En quoi est-ce significatif ? L’année a été mouvementée pour l’Afrique : milliers de victimes des guerres dans la Corne de l’Afrique, prise de pouvoir de régimes militaires, transitions chancelantes et insurrections islamistes. Les institutions de l’UA doivent être en mesure de faire face à ces problèmes, ainsi qu’aux conséquences sécuritaires du changement climatique.

Comment agir ? L’UA doit redoubler d’efforts pour faire face aux crises dans la Corne de l’Afrique, au Sahel et au Mozambique, définir l’avenir de sa mission en Somalie, faire pression pour une transition réussie au Tchad et inscrire la sécurité climatique à l’ordre du jour mondial. Ce briefing définit huit priorités de l’UA pour 2022.

Synthèse

Le mois de juillet 2022 marquera les vingt ans de la création officielle de l’Union africaine (UA) à Durban, Afrique du Sud. L’un des principes fondateurs de l’organisation est de promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent. Les dirigeants africains ont mis sur pied une architecture sur mesure visant à permettre à l’UA de remplir ce mandat. Le vingtième anniversaire de l’organisation est l’occasion pour les Etats membres d’évaluer les résultats obtenus jusqu’à présent et d’examiner le rôle de l’UA face à l’évolution des problèmes de paix et de sécurité en Afrique.

L’année 2021 a été tumultueuse en Afrique. Elle a été marquée par des coups d’Etat au Tchad, en Guinée, au Mali et au Soudan, une prise de pouvoir orchestrée en Tunisie, des combats prolongés en Ethiopie et une menace croissante du militantisme islamiste transnational. La réponse de l’UA à ces crises a été mitigée. Elle a eu du mal à agir sur deux conflits très urgents – la guerre civile en Ethiopie et l’insurrection dans la région de Cabo Delgado au Mozambique – en grande partie parce que les gouvernements ont résisté à ce qu’ils perçoivent comme une ingérence extérieure, insistant sur le fait que leurs crises respectives sont des affaires intérieures. En Libye, l’UA est dans l’ensemble restée spectatrice alors que la transition politique risque de dérailler. Le Tchad et la Somalie ont tous deux rejeté le choix du haut représentant de l’UA, remettant en question l’acceptation par les Etats membres de sa primauté en matière de paix et de sécurité sur le continent.

La réponse incohérente de l’UA à la série de changements anticonstitutionnels de gouvernement a été particulièrement préjudiciable. La norme établie par l’UA consistant à condamner les coups d’Etat, souvent saluée comme une réalisation majeure de ses vingt années d’existence, a subi un coup dur lorsque son Conseil de paix et de sécurité (CPS) a décidé de maintenir l’adhésion du Tchad après la prise du pouvoir par les militaires en avril, à la suite de la mort soudaine du président de longue date. Bien qu’il ait rapidement suspendu la Guinée et le Mali après des prises de pouvoir militaires de septembre et mai, le Conseil était profondément divisé lorsqu’il s’est agi de formuler une réponse au coup d’Etat d’octobre à Khartoum. Toutefois, l’UA a quelque peu rétabli la confiance dans sa volonté de faire respecter ce principe clé lorsque, après d’intenses délibérations, le CPS a décidé de suspendre le Soudan. Plus récemment, le 24 janvier 2022, les militaires burkinabè ont renversé le président Roch Marc Christian Kaboré, une décision que le président de la Commission de l’UA a rapidement condamnée. Le CPS a ensuite suspendu le Burkina Faso le 31 janvier.

L’UA a remporté quelques victoires au cours de l’année écoulée. Elle a joué un rôle positif en veillant à ce que le conflit électoral en Zambie se termine par un transfert de pouvoir pacifique et sans heurts. Elle a persévéré dans sa réponse énergique à la pandémie de Covid-19, en faisant pression pour un accès équitable aux vaccins et un allègement de la dette des pays particulièrement vulnérables dont l’économie est en crise à cause de la pandémie. La crise sanitaire est loin d’être terminée : la plupart des pays du continent sont confrontés à des taux de vaccination excessivement bas, car les systèmes de santé sous-financés peinent à fournir les vaccins disponibles dans les zones rurales, tandis que les messages des gouvernements nationaux n’ont guère contribué à vaincre l’hésitation à se faire vacciner, même parmi le personnel de santé. L’UA a néanmoins soutenu l’acquisition de près de 500 millions de doses de vaccin pour le continent, la Chine s’engageant à fournir un milliard de doses supplémentaires au cours de l’année à venir.

Le sommet de février verra la présidence de la Conférence des chefs d’Etat de l’Union africaine, le plus haut organe décisionnel de l’organisation, passer de la République démocratique du Congo au Sénégal pour un mandat d’un an. Le président sénégalais Macky Sall a déclaré qu’il se concentrerait sur le Covid-19 pendant sa présidence, en s’efforçant notamment de garantir l’accès à davantage de vaccins en provenance de l’étranger et d’accélérer la fabrication de vaccins en Afrique. Ses priorités en matière de paix et de sécurité seront inévitablement déterminées par les événements sur le terrain, mais il devra probablement accorder une attention particulière à la lutte contre le terrorisme, compte tenu de la menace croissante du jihadisme au Sahel.

Le CPS sera également entièrement renouvelé au cours du sommet, puisque les quinze membres arriveront bientôt au terme de leur mandat de deux ou trois ans. Le résultat des élections du Conseil influencera l’orientation de l’UA, en particulier autour de questions litigieuses comme les changements anticonstitutionnels de gouvernement, à un moment où le continent est confronté à de nombreuses crises urgentes. Outre les conflits et les crises déjà en cours, plusieurs élections nécessiteront l’attention de l’UA au cours de l’année 2022, notamment la course à la présidence très tendue au Kenya, les scrutins retardés en Somalie et les élections au Tchad et en Libye qui devraient marquer des étapes importantes dans la transition vers un régime démocratique. Pour sa part, il est peu probable que le gouvernement de transition du Mali respecte son engagement d’organiser des élections en février. Le défi pour l’UA sera de faire en sorte que ces processus suivent leurs cours.

La vingtième année de l’organisation sera également une année importante pour l’engagement multilatéral. Les dirigeants de l’UA et de l’Union européenne doivent se réunir pour leur sommet triennal – reporté depuis 2020 – les 17 et 18 février à Bruxelles. L’Egypte accueillera la COP 27, la prochaine édition de la conférence annuelle des Nations unies sur le changement climatique, ce qui donnera l’occasion à l’UA d’orienter les conversations mondiales sur la façon dont le changement climatique alimente les conflits.

Lorsque les dirigeants africains se réuniront en février, les crises de paix et de sécurité les plus urgentes du continent devraient figurer parmi leurs priorités. Les huit domaines dans lesquels Macky Sall, ses homologues et l’UA au sens large devraient concentrer leur énergie en 2022 sont les suivants :

  1. Maintenir le cap de la transition au Tchad ;
     
  2. Obtenir un cessez-le-feu en Ethiopie ;
     
  3. Elaborer une stratégie pour le retour de Libye des combattants étrangers ;
     
  4. Promouvoir une approche multidimensionnelle de la crise au Cabo Delgado au Mozambique ;
     
  5. Soutenir le dialogue au Sahel ;
     
  6. Réformer la mission de l’UA en Somalie ;
     
  7. Contribuer à restaurer la transition du Soudan ;
     
  8. Inscrire la sécurité climatique à l’ordre du jour international ;


Cette liste n’est certainement pas exhaustive, mais elle met en évidence les opportunités qui pourraient permettre à l’UA de jouer un rôle positif déterminant, d’endiguer les conflits et de sauver des vies au cours de l’année à venir. Alors qu’elle célèbre ses vingt ans, l’organisation devrait chercher à redynamiser son rôle en matière de paix et de sécurité sur le continent et à redoubler d’efforts pour faire face aux crises auxquelles l’Afrique est confrontée.

1. Maintenir le cap de la transition au Tchad

Après la mort du président tchadien de longue date, Idriss Déby Itno, sur le champ de bataille le 20 avril 2021, un groupe de généraux de l’armée a installé son fils de 37 ans, Mahamat Déby, à la tête d’un Conseil militaire de transition composé de quinze membres. En 2000, l’organisation qui a précédé l’UA, l’Organisation de l’unité africaine, a adopté des règles lui permettant de suspendre l’adhésion des Etats ayant orchestré un changement de gouvernement anticonstitutionnel. L’UA a appliqué ces règles par le passé, mais, dans ce cas, elle n’a pas sanctionné le Tchad.[fn]« Déclaration de Lomé sur le cadre pour une réaction de l’Organisation de l’unité africaine aux changements anticonstitutionnels de gouvernement », UA AHG/Decl.5 (XXXVI), juillet 2000.Hide Footnote Aujourd’hui, cependant, tandis qu’elle déploie des effectifs supplémentaires à N’Djamena, l’UA devrait s’atteler à faire en sorte que le conseil militaire tienne les promesses qu’il a faites lorsqu’il a pris le pouvoir : tenue d’un dialogue national, qui doit s’ouvrir à la mi-février, et organisation des élections avant fin 2022.[fn]André Kodmadjingar, «Le dialogue national tchadien repoussé au 15 février », VOA, 4 janvier 2022.Hide Footnote

La nomination de Mahamat Déby a provoqué des débats houleux entre les membres du CPS sur la décision de suspendre ou non le Tchad de l’organisation. Les partisans de la suspension voulaient éviter d’être perçus comme pratiquant une politique de deux poids deux mesures, alors que l’UA avait suspendu l’adhésion de la Guinée et du Mali à la suite de leurs coups d’Etat respectifs.[fn]Certains Etats membres se sont plaints que le fait que le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, soit tchadien influençait les décisions des Etats membres. D’autres ont déclaré que le Tchad avait utilisé son propre siège au CPS pour se protéger. Entretiens en ligne de Crisis Group, diplomates africains et occidentaux et responsables de l’UA, novembre-décembre 2021.Hide Footnote D’autres ont fait valoir que le Tchad devait être épargné parce qu’il fournissait de nombreuses troupes aux missions antiterroristes dans le Sahel et dans le bassin du lac Tchad, et que la suspension pourrait déstabiliser sa politique intérieure. En outre, ces derniers ont estimé que le changement de direction du Tchad était conforme à la constitution, car le président du parlement, le prochain candidat à la présidence selon la constitution, a publiquement soutenu la transition, et parce que le parti au pouvoir est resté à la tête du pays.[fn]« AU balancing act on Chad’s coup sets a disturbing precedent », Institute for Security Studies, 2 juin 2021. Entretiens en ligne de Crisis Group, fonctionnaire de l’UA, décembre 2021.Hide Footnote

Afin de trouver un terrain d’entente, le CPS a décidé de ne pas suspendre le Tchad, mais plutôt de fixer à la junte un certain nombre de règles à respecter.[fn]« Communiqué sur la 996ème réunion du CPS de l’UA sur l’examen du rapport de la mission d’établissement des faits en République du Tchad », UA PSC/BR/COMM. (CMXCVI), 14 mai 2021.Hide Footnote Il exigeait notamment que la junte modifie la charte de transition pour limiter la période de transition à dix-huit mois et interdire à ses dirigeants de se présenter à d’éventuelles élections. Le conseil militaire a rapidement accepté ces conditions, mais il n’a pas encore modifié la charte, affirmant que les révisions seraient un sujet de discussion abordé lors du dialogue national. Le CPS a également demandé la nomination d’un haut représentant, qui travaillerait avec les autorités tchadiennes pour organiser des élections libres et équitables, ainsi que la création d’un mécanisme de soutien dirigé par l’UA – une équipe d’experts électoraux et constitutionnels et de conseillers politiques et militaires soutenant le haut représentant.

Certains observateurs ont perçu la décision de ne pas suspendre le Tchad comme une atteinte à la crédibilité.

La réponse de l’UA au Tchad a soulevé quelques critiques. Certains observateurs ont perçu la décision de ne pas suspendre le Tchad comme une atteinte à la crédibilité de l’organisation.[fn]Entretiens en ligne de Crisis Group, diplomates africains et occidentaux et responsables de l’UA, novembre-décembre 2021.Hide Footnote Début juillet, l’UA a subi un nouveau coup dur lorsque N’Djamena a rejeté le diplomate sénégalais Ibrahima Fall, candidat proposé par l’oganisation au poste de haut représentant, au motif qu’elle n’avait pas consulté la junte au sujet de cette décision – une version des faits que l’UA conteste.[fn]Commentaire de Crisis Group, « Tchad, engager la transition », 30 septembre 2021.Hide Footnote Depuis la mort d’Idriss Déby, les partenaires internationaux de l’UA attendent d’elle qu’elle prenne la direction des opérations au Tchad. Maintenant que le diplomate congolais Basile Ikouébé a été nommé haut représentant et que son mécanisme de soutien est en cours de déploiement, l’UA doit redoubler d’efforts pour s’assurer que la transition tchadienne reste sur les rails.

La transition a fait quelques progrès encourageants. La plupart des parties prenantes tchadiennes ont accepté de se joindre au prochain dialogue national, qui vise, entre autres, à résoudre les questions constitutionnelles et électorales litigieuses. Des consultations locales ont également permis aux citoyens d’exprimer leurs attentes à l’égard du processus.

Toutefois, avant l’ouverture du dialogue, la junte devra s’assurer le soutien de la population. Pour ce faire, l’UA, soutenue par ses partenaires internationaux, devra encourager le conseil militaire à réaffirmer publiquement que la période de transition ne dépassera pas dix-huit mois et que ses membres ne se présenteront pas à l’élection présidentielle.[fn]En mai 2021, l’UA a appelé les autorités tchadiennes à revoir la charte de transition et à mettre en place ces conditions, parmi d’autres. « Communiqué sur la 996ème réunion du CPS de l’UA », op. cit.Hide Footnote L’UA pourrait également apporter son soutien pour aider les participants au dialogue à parvenir à un consensus sur les principales règles électorales. Un tel accord contribuerait à réduire les tensions politiques lors de la phase finale de la transition.

Les autorités ont également pris des mesures pour inclure les groupes armés – connus au Tchad sous le nom de « groupes politico-militaires » – dans le dialogue national. En août, la junte a demandé à un comité dirigé par l’ancien président Goukouni Oueddei de faire l’inventaire des revendications des principaux groupes rebelles. L’une de ces insurrections, principalement basée en Libye, a participé aux combats qui ont conduit à la mort de Déby et, bien qu’affaiblie, elle pourrait lancer une nouvelle offensive si les négociations avec les autorités tchadiennes échouent. Fin 2021, le comité de Oueddei s’est entretenu avec des représentants de groupes armés dans certaines villes en dehors du Tchad, notamment à Paris, Doha et Le Caire. Depuis lors, la junte a accepté certaines des conditions qui, selon les chefs rebelles, doivent être remplies pour qu’ils participent au dialogue, notamment l’amnistie et la restitution des biens.

Les autorités tchadiennes et les groupes armés doivent tenir de nouveaux pourparlers à Doha en février. Les participants discuteront vraisemblablement de questions épineuses telles que le désarmement, lié à d’éventuelles compensations financières, ainsi que l’intégration des combattants rebelles dans l’armée. L’UA devrait soutenir ces pourparlers et faire pression sur les différentes parties prenantes pour qu’elles tiennent leurs engagements à l’issue des négociations.

2. Obtenir un cessez-le-feu en Ethiopie

Au cours des quatorze derniers mois, la guerre civile en Ethiopie a fait des dizaines de milliers de morts et déplacé environ deux millions de personnes. Elle menace désormais plus de neuf millions de personnes d’une grave insécurité alimentaire. Des rapports ont également fait état de violences sexuelles et sexistes généralisées, utilisées comme armes de guerre par les deux parties. La coalition fédérale, qui inclut l’armée érythréenne, et les forces de la région du Tigré ont pris l’avantage à tour de rôle, mais en décembre, la retraite des forces du Tigré dans leur région d’origine et l’appel de leurs dirigeants à des pourparlers ont créé une opportunité de paix. Même si les combats se sont poursuivis aux frontières du Tigré, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il n’irait pas plus loin dans la région. Il a libéré les dirigeants de l’opposition début janvier.[fn]« Ethiopia says its army will not advance further into Tigray », Africa News, 24 décembre 2021; Dawit Endeshaw, « Ethiopia frees opposition leaders from prison, announces political dialogue », Reuters, 8 janvier 2022.Hide Footnote Les parties doivent saisir cette occasion pour éviter la perte d’innombrables vies éthiopiennes supplémentaires. L’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo, haut représentant de l’UA pour la Corne de l’Afrique, devrait continuer à travailler en étroite collaboration avec ses homologues américains et européens, ainsi qu’avec le secrétaire général des Nations unies et les responsables kenyans – qui ont tous tenté d’endiguer la crise – afin de lancer un processus susceptible de mettre fin aux hostilités.

L’UA a été critiquée pour son inaction depuis le début des affrontements armés en novembre 2020. En effet, l’oganisation a eu du mal à exercer son influence sur le conflit du Tigré, en partie parce que le gouvernement fédéral le présente comme un problème intérieur. Le fait que la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, abrite le siège de l’UA complique encore les choses. Le siège de l’Ethiopie au CPS de l’UA a également entravé les efforts visant à inscrire la crise à l’ordre du jour du Conseil. Le mandat du pays au sein du CPS se termine toutefois en 2022 et, à moins qu’il n’obtienne un deuxième mandat, son absence du conseil pourrait permettre des discussions plus soutenues et des actions plus fermes.

Malgré ces obstacles, l’UA a tenté de jouer un rôle en Ethiopie. En novembre 2020, le président de la Conférence de l’UA, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, a dépêché trois émissaires de haut niveau à Addis-Abeba. Le Premier ministre Abiy Ahmed a repoussé leurs appels au dialogue et rejeté leurs demandes d’accès au Tigré. Il a ensuite fallu attendre août 2021 pour que le président de la commission de l’UA nomme Olusegun Obasanjo en tant qu’envoyé.[fn]« Le président de la Commission de l’UA nomme l’ancien président S.E. Olusegun Obasanjo du Nigeria au poste de haut représentant pour la Corne de l’Afrique », communiqué de presse, UA, 26 août 2021.Hide Footnote Bien que le mandat d’Obasanjo couvre la quasi-totalité de la région – à l’exception de la Somalie et du Grand barrage de la renaissance éthiopienne – il était communément entendu qu’il se concentrerait principalement sur la crise au Tigré.[fn]Entretiens en ligne de Crisis Group, diplomates africains et occidentaux et responsables de l’UA, novembre-décembre 2021.Hide Footnote Néanmoins, pour mener les négociations en faveur d’un cessez-le-feu officiel, Obasanjo aura besoin d’un soutien plus tangible de l’UA. La Commission et les Etats membres de l’UA doivent veiller à ce qu’il dispose des ressources et de l’autorité nécessaires pour embaucher le personnel spécialisé requis, y compris, si nécessaire, les personnes détachées par des partenaires extérieurs.

Avec une équipe solide en place, Obasanjo devrait, avec ses homologues internationaux, tenter de persuader les autorités fédérales et les dirigeants du Tigré de cesser officiellement les hostilités avant d’entamer des discussions sur les modalités détaillées du cessez-le-feu et, idéalement, sur un règlement politique. Il devrait insister auprès du gouvernement pour obtenir une levée des restrictions à l’acheminement de l’aide humanitaire vers le Tigré, frappé par la famine, et un rétablissement des services. Si les pourparlers sont engagés, les deux parties doivent d’abord reconnaître la légitimité de l’autre et échanger les prisonniers de guerre afin d’instaurer la confiance. L’UA, aux côtés d’autres acteurs extérieurs, devrait soutenir les plans du gouvernement fédéral visant à faciliter un dialogue national, en faisant pression pour un processus pleinement inclusif. Le dialogue devrait être précédé d’une amnistie – qui s’appuiera sur les libérations de début janvier 2022 – pour toutes les figures de l’opposition qui font l’objet d’un procès pour terrorisme et autres délits présumés. L’équipe d’Obasanjo devrait donc plaider en faveur de cette amnistie dans le cadre de son action en faveur d’un dialogue inclusif. Elle devrait également demander la libération de milliers de civils, principalement tigréens et oromos, détenus sans inculpation en vertu des lois d’urgence introduites en novembre.

L’UA et ses partenaires devraient ... soutenir les enquêtes internationales et régionales en cours sur les violations des droits humains.

Pour soutenir les efforts d’Obasanjo, l’UA pourrait proposer une consolidation de l’engagement bilatéral du président kenyan Uhuru Kenyatta et faire appel à d’autres chefs d’Etat africains pour constituer un groupe de cinq médiateurs, un pour chacune des régions géographiques de l’UA. Une telle initiative permettrait de renforcer les chances de succès d’Obasanjo, particulièrement si elle peut convaincre l’Erythrée de jouer un rôle moins destructeur. L’UA a déjà entrepris des efforts de médiation similaires. Tant Uhuru Kenyatta, qui a régulièrement discuté de la crise avec Abiy Ahmed et a déjà tenté de réunir les représentants des parties en conflit, que Macky Sall, le nouveau président de l’UA, sont bien placés pour mener une telle initiative (même si Uhuru Kenyatta pourrait être occupé par des élections tendues dans son pays en août). En outre, le CPS de l’UA, qui a tenu sa première réunion indépendante sur l’Ethiopie le 8 novembre 2020, devrait se réunir régulièrement pour soutenir le travail d’Obasanjo dans cette crise et faire pression pour l’adoption des mesures mentionnées ci-dessus.[fn]« Communiqué de la 1045ème réunion du CPS », AU PSC/PR/COMM.1045 (2021), 8 novembre 2021. Bien que le communiqué de cette session n’apporte pas grand-chose de nouveau à la position de l’UA, le simple fait de l’inscrire à l’ordre du jour du CPS indique que les Etats membres de l’UA surveillent la situation.Hide Footnote Etant donné les graves allégations de violences sexuelles et sexistes perpétrées pendant la guerre civile, l’UA et ses partenaires devraient également soutenir les enquêtes internationales et régionales en cours sur les violations des droits humains.

3. Elaborer une stratégie pour le retour de Libye des combattants étrangers

Le processus de paix en Libye progresse lentement, mais sa transition politique pourrait dérailler après l’annulation à la dernière minute de l’élection présidentielle prévue pour décembre 2021. Le pays doit organiser un scrutin en 2022. Mais certaines factions, y compris des responsables politiques au pouvoir, continuent de faire pression pour reporter ces élections indéfiniment. Ces factions veulent reporter les élections législatives qui doivent avoir lieu quelques mois après l’élection présidentielle. L’UA n’exerce qu’une influence très limitée sur la politique interne de la Libye et devrait plutôt soutenir la médiation politique menée par les Nations unies en vue de l’élaboration d’une nouvelle feuille de route. Mais l’UA pourrait jouer un rôle important en facilitant le retrait des combattants tchadiens et soudanais opérant en Libye.

Les parties libyennes et les puissances extérieures s’accordent à dire que la stabilité future de la Libye est subordonnée au départ des combattants étrangers, comme le prévoit le cessez-le-feu d’octobre 2020. L’UA et ses Etats membres ont toutefois exprimé de graves inquiétudes quant au retrait forcé des groupes armés tchadiens et soudanais du sol libyen, craignant les conséquences d’une telle mesure. Ils redoutent à juste titre que ces combattants, qui opèrent en Libye en tant que mercenaires mais appartiennent à des groupes rebelles opposés aux autorités de leur pays d’origine, ne menacent la stabilité de la région s’ils sont contraints de quitter la Libye contre leur gré. Alors qu’une grande partie du débat sur la Libye se concentre sur les dynamiques internes du pays, l’UA devrait consulter les Etats africains qui seront directement touchés par la mesure et faire pression en leur nom, afin de contribuer à minimiser l’impact potentiellement négatif du retour des combattants.[fn]« Ministerial session on the consideration of the projected impact of withdrawal of foreign forces and mercenaries from Libya on the Sahel and the rest of Africa », Amani Africa, 30 septembre 2021.Hide Footnote

“Ministerial session on the consideration of the projected impact of withdrawal of foreign forces and mercenaries from Libya on the Sahel and the rest of Africa”, Amani Africa, 30 September 2021.Hide Footnote

L’UA devrait faire pression sur la Libye, les partenaires de la Libye et les pays d’accueil pour qu’ils élaborent une stratégie claire de réinstallation des combattants [étrangers].

L’UA, dont le CPS s’est réuni à plusieurs reprises pour discuter de la question, doit s’efforcer d’encourager un processus de retrait en douceur. Lors de sa dernière réunion, le 30 septembre, le CPS a souligné que les combattants étrangers devaient se retirer de manière « ordonnée, coordonnée et progressive ». L’UA devrait faire pression sur la Libye, les partenaires de la Libye et les pays d’accueil pour qu’ils élaborent une stratégie claire de réinstallation des combattants, axée sur le désarmement et la réintégration.

L’UA, qui s’était longtemps sentie exclue du rétablissement de la paix en Libye, s’implique désormais davantage. La question de la Libye a provoqué un grand malaise pour beaucoup au sein de l’UA depuis 2011, lorsque les appels de l’organisation au dialogue politique ont été ignorés au profit de l’intervention militaire dirigée par l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) pour chasser Mouammar Kadhafi. Depuis lors, l’UA est restée en marge du processus de paix en Libye. Si certains pays occidentaux reconnaissent que l’UA doit jouer un rôle dans les discussions sur la Libye, ils se plaignent que, lorsqu’elle dispose d’une possibilité d’intervenir, l’UA ne participe pas ou ne profite pas de l’occasion.[fn]Briefing Afrique de Crisis Group N°166, Huit priorités pour l’Union africaine en 2021, 3 février 2021.Hide Footnote Cependant, l’UA a récemment renforcé son engagement en faveur de la Libye, notamment grâce à la visite de membres du département des affaires politiques, de la paix et de la sécurité de l’UA pour procéder à une évaluation des besoins avec les parties prenantes dans le pays.

Afin de renforcer encore son engagement, l’UA devrait mieux organiser la multitude d’initiatives qu’elle a mises en place. Il s’agit notamment du Comité ad hoc de haut niveau, de l’envoyé spécial du président de la Commission de l’UA et du bureau de liaison de l’UA en Libye. L’UA doit clarifier la répartition des tâches entre ces initiatives, dont la plupart des mandats se chevauchent. En outre, l’UA doit donner suite à la décision prise en 2020 de porter son bureau de liaison dans le pays au rang de mission et de le doter des capacités politiques, diplomatiques et militaires requises. Le renforcement de la présence de l’UA en Libye pourrait également accroître sa capacité à consulter les pays voisins lors des discussions sur le retrait des combattants étrangers.

4. Promouvoir une approche multidimensionnelle de la crise au Cabo Delgado au Mozambique

Une insurrection dans la province du Cabo Delgado, la plus septentrionale du Mozambique, a tué plus de 3 000 personnes et en a déplacé plus de 750 000.[fn]Rapport Afrique de Crisis Group N°303, Stemming the Insurrection in Mozambique’s Cabo Delgado, 11 juin 2021.Hide Footnote Les forces du Rwanda et de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) ont réussi à chasser les insurgés de leurs principaux bastions, mais les insurgés se sont divisés en petits groupes pour lancer des attaques éclair contre les soldats et les civils. Certains groupes se sont déployés dans la province voisine de Niassa.[fn]« Cabo Ligado Weekly : 29 November-5 December », Cabo Ligado, décembre 2021; Joseph Hanlon, « Mozambique : War spreads to Niassa », All Africa, 2 décembre 2021.Hide Footnote Si l’intervention militaire internationale a porté un coup significatif aux insurgés, la résolution de la crise nécessitera des mesures supplémentaires pour s’attaquer à ses causes sous-jacentes. L’UA devrait pousser le gouvernement mozambicain à envisager des moyens de répondre aux griefs des insurgés, et en particulier leur volonté que la population de la province bénéficie davantage de l’exploitation des minéraux et des hydrocarbures. Bien qu’ils soient désormais dans une position désavantageuse, les insurgés pourraient facilement rebondir et reconquérir des territoires si les partenaires de Maputo se retiraient prématurément.

Il sera d’abord crucial pour l’UA de trouver des moyens de soutenir la mission de la SADC au Mozambique. Selon des responsables de la SADC et du Rwanda, l’armée mozambicaine pourrait avoir besoin de douze mois pour acquérir les capacités dont elle a besoin pour faire face seule à la crise au Cabo Delgado.[fn]Entretiens de Crisis Group, fonctionnaires de la SADC et du Rwanda, Pemba, décembre 2021.Hide Footnote Certains responsables mozambicains affirment que la mise à niveau pourrait prendre encore plus de temps, peut-être plusieurs années.[fn]Entretien de Crisis Group, fonctionnaire de la défense mozambicaine, Maputo, décembre 2021.Hide Footnote Lors d’une réunion de la SADC à Pretoria en décembre, plusieurs responsables se sont demandé si la mission au Mozambique était en mesure de garantir son financement à l’avenir, craignant que Maputo ne lui demande de rester sur le terrain pendant une période beaucoup plus longue.[fn]Entretiens de Crisis Group, sources proches des pourparlers, y compris des responsables de la SADC, Pretoria, décembre 2021.Hide Footnote

L’UA pourrait aider à identifier d’autres sources de financement pour la mission de la SADC. L’Union européenne (UE) a signalé qu’elle serait disposée à utiliser son nouveau mécanisme de financement, la Facilité européenne pour la paix, pour soutenir la mission.[fn]Entretiens en ligne de Crisis Group, diplomates de l’UE, Addis-Abeba et Maputo, novembre-décembre 2021.Hide Footnote Toutefois, Bruxelles ne couvrira pas l’intégralité du coût de l’opération, car elle veut éviter de répéter l’expérience de la mission de l’UA en Somalie, que l’UE finance depuis quatorze ans.[fn]Entretiens en ligne de Crisis Group, diplomates de l’UE, Addis-Abeba, novembre 2021.Hide Footnote

[L’UA] devrait ... encourager Maputo à ouvrir un dialogue direct avec les insurgés.

Au-delà de l’avenir de la mission de la SADC, l’UA devrait faire pression sur Maputo pour qu’elle réponde aux demandes fondamentales des insurgés. Alors que de nombreux dirigeants de l’insurrection – dont certains sont des étrangers, principalement des Tanzaniens – semblent être des jihadistes endurcis, la base du groupe est composée de Mozambicains, motivés moins par l’idéologie que par des frustrations liées à l’exclusion politique et économique qu’ils considèrent subir. L’exploitation des vastes gisements de minéraux et d’hydrocarbures du Cabo Delgado, en particulier le projet de gaz liquéfié de la société française Total, qui représente plusieurs milliards de dollars, a aggravé ces griefs. L’UA doit pousser Maputo à redoubler les efforts de développement dans la province afin de regagner la confiance des jeunes déçus qui pourraient sinon être tentés de rejoindre l’insurrection. Elle devrait également encourager Maputo à ouvrir un dialogue direct avec les insurgés, afin de les persuader de se rendre en leur garantissant qu’ils pourront le faire en toute sécurité. Les autorités devraient aussi financer un programme de démobilisation permettant aux combattants de quitter l’insurrection et de se préparer au retour à la vie civile.

L’UA peut également contribuer aux efforts visant à s’attaquer aux contacts transfrontaliers des insurgés. Les insurgés s’appuient, pour leur formation et le financement, ainsi que pour certains recrutements, sur des réseaux qui remontent la côte swahilie jusqu’en Somalie, et peut-être même vers l’ouest jusqu’en République démocratique du Congo, ainsi que sur des cellules basées en Afrique du Sud. L’UA pourrait encourager la collaboration entre les organismes régionaux confrontés à la menace jihadiste transnationale – l’Autorité intergouvernementale pour le développement, la Communauté d’Afrique de l’Est et la SADC. Elle pourrait, par exemple, encourager les Etats membres concernés à renforcer la coopération en matière de renseignement et d’application de la loi, en se concentrant sur les enquêtes relatives aux réseaux financiers transnationaux qui soutiennent l’insurrection et en limitant le mouvement des jihadistes qui tentent de rejoindre les combats au Cabo Delgado.[fn]Entretiens de Crisis Group, sources de sécurité sud-africaines suivant la piste financière de l’EI dans la région de la SADC, Johannesbourg, décembre 2021. Notamment, les Forces démocratiques alliées – un groupe rebelle qui a émergé en Ouganda au début des années 1990 et s’est ensuite réfugié dans l’est de la République démocratique du Congo – ont depuis 2018 absorbé davantage de combattants étrangers, notamment du Burundi, du Rwanda, de la Tanzanie et du Kenya, et ont également assuré une formation au combat à des insurgés du Cabo Delgado dès cette année-là. Pour plus de détails, voir Dino Mahtani, « Les attentats de Kampala et leurs implications régionales », commentaire de Crisis Group, 19 novembre 2021.Hide Footnote L’UA pourrait également aider le centre de coopération antiterroriste de la SADC, en cours de création en Tanzanie, en coordonnant les informations pertinentes issues d’autres régions et de son propre centre de lutte contre le terrorisme.

5. Soutenir le dialogue au Sahel

Les turbulences au Sahel continuent de s’amplifier, avec une fin d’année 2021 particulièrement sanglante. La coalition qui tente d’endiguer le chaos depuis près de dix ans – un patchwork de forces locales, régionales, françaises, européennes et onusiennes – vacille à mesure que les insurgés jihadistes renforcent leur détermination à imposer la Charia dans les zones qu’ils contrôlent et que la discorde politique au Mali prend de l’ampleur. Après avoir reconnu les limites de son approche privilégiant l’intervention militaire, la France a commencé à retirer ses troupes du Sahel, confiant la responsabilité de la campagne anti-insurrectionnelle qu’elle dirigeait à une force opérationnelle européenne. Les autorités de transition maliennes ont déclaré vouloir une coopération plus étroite avec la Russie, tandis que le Groupe Wagner, une entreprise militaire privée russe, aurait commencé à envoyer des mercenaires pour soutenir la lutte contre le jihadisme.[fn]Environ 450 mercenaires sont déjà arrivés au Mali, selon des sources militaires françaises citées par Radio France Internationals. Les autorités maliennes nient cependant avoir fait appel au Groupe Wagner et déclarent qu’elles collaborent avec des instructeurs russes. « Mali : 200 mercenaires du groupe Wagner à Ségou dans le nord-est du pays », RFI, 10 janvier 2022.Hide Footnote Les efforts visant à stabiliser le Sahel entrant donc de facto dans une nouvelle phase, l’UA devrait redéfinir son approche de la crise en identifiant les domaines dans lesquels son aide serait la plus utile. Elle devrait également soutenir les efforts de dialogue et les tentatives régionales de maintien ou de retour à l’ordre constitutionnel.

La violence jihadiste et les conflits intercommunautaires ont fait des milliers de morts ces dernières années, alimentant le sentiment que les gouvernements sahéliens sont incapables de protéger leurs citoyens. La grogne enfle, tout comme le sentiment anti-français. En mai, des officiers maliens ont orchestré un deuxième coup d’Etat en moins d’un an, détournant l’attention de la crise sécuritaire vers les intrigues politiques à Bamako. Au Burkina Faso, le tollé suscité par l’attaque jihadiste la plus meurtrière à ce jour contre les forces de sécurité a conduit à la chute du gouvernement en décembre. Peu après, le 24 janvier, les forces armées ont évincé le président Kaboré, immédiatement soutenues par une partie de la population qui considère qu’un militaire sera plus à même de mettre un terme à la violence jihadiste qu’un civil démocratiquement élu. Bien qu’apparemment plus stable que ses voisins, le Niger est également confronté à des attaques persistantes des insurgés dans sa partie occidentale. Les autorités ont déjoué une tentative de coup d’Etat deux jours avant l’entrée en fonction du président Mohamed Bazoum, le 2 avril 2021, et l’insécurité persistante pourrait laisser présager des incidents similaires à l’avenir.

L’impasse a poussé certains gouvernements sahéliens à engager le dialogue avec les insurgés, souvent de manière indirecte. Les initiatives de dialogue au Mali et au Burkina Faso ont permis des cessez-le-feu locaux et des accalmies au moins temporaires dans la violence. Si les gouvernements doivent continuer à soutenir le dialogue local, les négociations de haut niveau avec les principaux chefs jihadistes méritent d’être explorées comme une option qui pourrait offrir des perspectives de paix plus solides. Les autorités de transition du Mali ont déclaré qu’elles envisageaient d’entamer de tels pourparlers, mais le Burkina Faso et le Niger restent officiellement opposés à cette idée.

L’UA, dont la dernière publication portant sur une stratégie de stabilisation pour le Sahel date de 2014, doit recentrer ses efforts. Bien que l’approche privilégiant l’intervention militaire n’ait pas réussi à réduire les effusions de sang, la Commission de l’UA et certains Etats membres semblent réfléchir à une proposition avancée fin 2020 visant à déployer 3 000 soldats de l’UA au Sahel. Plusieurs autres Etats membres s’opposent à ce plan, qui ne repose pas sur une source de financement durable et manque de clarté quant aux pays qui fourniraient des troupes ou au fonctionnement du commandement et du contrôle. Même si l’UA résout ces questions, il reste difficile de saisir comment l’envoi de soldats supplémentaires au Sahel pourrait être bénéfique au dispositif de sécurité existant. L’UA devrait envisager d’abandonner cette initiative chronophage et se consacrer à nouveau à la diplomatie.

L’UA devrait apporter son soutien aux efforts de médiation [entre gouvernements sahéliens et les insurgés].

L’UA devrait apporter son soutien aux efforts de médiation, même s’il s’agit encore de perspectives lointaines. Si un gouvernement élu de la région avance vers l’idée de discussions de haut niveau avec les chefs jihadistes, l’UA pourrait, seule ou de concert avec la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), aider des équipes de médiation à préparer le terrain pour de telles discussions. Pour aider au mieux les Etats sahéliens à explorer l’option du dialogue, l’UA doit renforcer sa mission en cours au Mali et au Sahel, connue sous le nom de MISAHEL. L’organisation a récemment élargi le mandat de la mission pour y inclure le soutien à la transition de la Guinée, mais la MISAHEL dispose de si peu d’argent qu’elle peut à peine remplir ses fonctions.[fn]À la suite d’un coup d’Etat qui a vu les forces spéciales guinéennes arrêter le président Alpha Condé le 5 septembre, l’UA a suspendu la Guinée de toutes ses activités. « Communiqué de la 1030ème réunion du CPS de l’UA sur la situation en République de Guinée », AU PSC/PR/COMM./1030 (2021), 10 septembre 2021.Hide Footnote L’UA devrait envisager de nommer du personnel dédié à chaque pays couvert par la MISAHEL et ajouter à l’équipe de la mission du personnel spécialisé dans la médiation, pour soutenir les capacités actuelles de médiation. Elle pourrait ensuite renforcer ces efforts en s’appuyant sur les connaissances des groupes de réflexion et des universitaires locaux.

Plus présente au Sahel, l’UA serait également mieux placée pour mettre en garde contre les changements anticonstitutionnels de gouvernement et contribuer à dissuader les militaires mécontents de prendre des mesures répressives en réponse au malaise populaire. Au Mali, la junte est en train de revenir sur la promesse qu’elle avait faite et déclare son intention de rester au pouvoir bien au-delà de 2022, au lieu de se retirer après avoir organisé des élections en février – le dernier calendrier proposé prévoyait des élections en décembre 2025. En réponse, la Cédéao a imposé des sanctions supplémentaires aux autorités de transition.[fn]« 4e Sommet extraordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cédéao sur la situation politique au Mali », communiqué, Cédéao, 9 janvier 2022.Hide Footnote L’UA a approuvé cette décision, mais n’est pas allée jusqu’à suspendre l’adhésion du Mali, appelant plutôt à un retour à l’ordre constitutionnel dans les seize mois.[fn]« Communiqué adopté par le CPS de l’UA, lors de sa 1057ème réunion tenue le 14 janvier 2022, sur la situation au Mali », AU PSC/PR/COMM.1/1057(2022), 14 janvier 2022.Hide Footnote Une pression internationale coordonnée sera nécessaire pour inciter la junte à organiser des élections au plus tôt. La récente proposition de l’UA de servir de médiatrice entre Bamako et la Cédéao est un pas dans la bonne direction.

Néanmoins, l’engagement au Sahel pourrait devenir plus compliqué après le coup d’Etat au Burkina Faso, qui menace de bouleverser l’équilibre des pouvoirs dans la région. Les événements au Burkina Faso, ainsi que les coups d’Etat en Guinée et au Mali en 2021, impliquent que les dirigeants militaires dirigent désormais un cinquième des Etats membres de la Cédéao. Il existe un risque que les trois pays forment une alliance pour résister aux pressions de la Cédéao, de l’UA et d’autres partenaires internationaux. En effet, la décision du chef de la junte guinéenne, Mamadi Doumbouya, de ne pas fermer la frontière de son pays avec le Mali malgré un embargo de la Cédéao est un premier signe. Le fait que la nouvelle junte de Ouagadougou bénéficie d’un certain soutien populaire complique encore les choses. L’UA doit continuer à condamner le coup d’Etat, comme l’a fait le président de la Commission de l’UA le 24 janvier. Après avoir suspendu le Burkina Faso, l’UA devra maintenant œuvrer à soutenir toute tentative nationale ou régionale de rétablir l’ordre constitutionnel.

6. Réformer la mission de l’UA en Somalie

Le mandat des Nations unies pour la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) devait expirer le 31 décembre 2021, mais après de nombreuses discussions, le Conseil de sécurité des Nations unies a prolongé le mandat de trois mois, donnant ainsi aux partenaires un délai supplémentaire pour négocier un plan pour l’avenir de la mission, bien qu’il s’agisse d’une fenêtre courte qui se refermera bientôt. Des questions subsistent cependant quant à l’avenir de la mission, y compris sur son financement et sa stratégie de départ. L’UA et les cinq pays contributeurs de troupes de l’AMISOM recherchent un financement fiable pour proroger la mission. Or l’UE, qui est le principal bailleur de fonds de la mission et verse la solde des militaires de l’UA, est de plus en plus lasse de financer une intervention couteuse sans savoir quand elle prendra fin. Elle a annoncé de nouvelles réductions de financement en 2022. Comme d’autres acteurs extérieurs, Bruxelles estime que la mission présente de moins en moins d’avantages par rapport à ce qu’elle coûte.

Il existe un consensus général sur le fait que la mission de l’UA doit changer, mais pas sur la façon de procéder à ce changement. Lorsqu’elle a été déployée il y a près de quinze ans, l’AMISOM était principalement une mission offensive, mais elle agit aujourd’hui davantage comme une force d’interposition empêchant les rebelles d’Al-Shabaab de reprendre les zones qu’elle a réussi à débarrasser des insurgés. Le gouvernement souhaite que les troupes somaliennes assument la responsabilité de la sécurité de l’AMISOM, mais l’armée nationale est actuellement trop faible et trop divisée pour tenir Al-Shabaab en échec. Les tensions entre Mogadiscio et les régions de la Somalie, ou Etats membres de la fédération, sont en effet telles que ces dernières sont réticentes à envoyer des troupes locales pour intégrer l’armée fédérale. Al-Shabaab étant actuellement résiliente, les bailleurs de fonds hésitent à liquider l’AMISOM maintenant. Mais si les bailleurs de fonds et les partenaires reconnaissent que l’AMISOM nécessite de toute urgence des changements majeurs, l’UA, les Nations unies et le gouvernement somalien ont exprimé des désaccords majeurs quant à la manière de réformer la mission.

L’insistance du [Conseil de paix et de sécurité] à poursuivre l’idée d’une mission hybride [UA-Nations unies] a détérioré les liens déjà fragilisés avec Mogadiscio.

En 2021, la querelle entre l’UA et les Nations unies a atteint son paroxysme à propos de la composition d’une équipe d’évaluation indépendante, chargée par le Conseil de sécurité des Nations unies d’étudier l’avenir de l’AMISOM. Se voyant refuser la direction conjointe de l’équipe, l’UA a mis en place une enquête rivale et a demandé à son personnel, y compris celui de l’AMISOM, de ne pas coopérer avec l’enquête des Nations unies.[fn]Entretiens en ligne de Crisis Group, fonctionnaires de l’UA et des Nations unies, novembre-décembre 2021.Hide Footnote Les deux organismes ont ensuite publié des évaluations distinctes, avec des conclusions bien différentes. Pour compliquer encore les choses, le CPS de l’UA a insisté sur la transformation de l’AMISOM en une mission hybride UA-Nations unies – l’une des quatre options présentées dans le rapport de l’UA – en partie parce qu’elle s’appuierait sur les contributions obligatoires des Nations unies, offrant ainsi un financement plus fiable que celui dont elle bénéficie actuellement. Cette proposition est cependant vouée à l’échec. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni s’opposent au financement de l’AMISOM par les contributions obligatoires des Nations unies, tandis que le gouvernement somalien rejette l’idée d’une mission hybride. L’insistance du CPS à poursuivre l’idée d’une mission hybride a détérioré les liens déjà fragilisés avec Mogadiscio.[fn]Aggrey Mutambo, « Ghana ex-president Mahama quits as African Union Envoy to Somalia », The East African, 21 mai 2021. A la mi-2021, l’UA a nommé l’ancien président ghanéen John Mahama comme envoyé pour aider à la médiation dans l’impasse politique en Somalie, mais le gouvernement somalien l’a rejeté en invoquant sa partialité. Le 4 novembre, Mogadiscio a déclaré le chef adjoint de l’AMISOM persona non grata et lui a ordonné de quitter le pays, déclarant que ses activités étaient incompatibles à la fois avec le mandat de l’AMISOM et avec la stratégie de sécurité de la Somalie.Hide Footnote

Fin janvier, les parties ont pris des mesures positives. Un comité technique composé de représentants de l’Union africaine et du gouvernement fédéral de Somalie a présenté un plan sommaire qui contourne la proposition d’une mission hybride – bien qu’il laisse sans réponse les questions relatives au financement et à la taille de la mission. Ce plan n’a cependant pas encore été présenté au CPS.

Afin de rétablir les relations avec les Nations unies et le gouvernement somalien, et de faire avancer le débat complexe concernant l’avenir de l’AMISOM, le CPS doit approuver officiellement l’option d’une mission de l’UA reconfigurée. Le Conseil de sécurité des Nations unies devrait quant à lui s’engager à aider l’UA à trouver un financement fiable. Une fois qu’un compromis aura été trouvé, toutes les parties pourront alors se concentrer sur les détails techniques de la structure de la nouvelle mission. D’autre part, fixer un calendrier clair pour la fin de la mission reconfigurée permettra une meilleure planification et rassurera les bailleurs de fonds, pour autant que cela corresponde à la réalité sur le terrain. Le gouvernement fédéral insiste sur une transition d’ici à la fin de 2023, mais un horizon plus lointain pourrait être plus réaliste afin de donner aux dirigeants somaliens le temps de résoudre les tensions politiques avec les Etats membres du gouvernement fédéral et de renforcer l’armée.

L’UA peut prendre des mesures claires pour redynamiser l’AMISOM. Il s’agit notamment d’élargir le nombre de pays qui fournissent des contingents à la mission, ce qui permettrait d’ajouter de nouvelles capacités et de réduire la domination des cinq pays du voisinage immédiat de la Somalie qui occupent le terrain – et dont certains poursuivent leurs propres visées politiques en Somalie. L’AMISOM devrait également commencer à fermer les bases reculées qui ont peu d’utilité stratégique, ce qui libérerait des troupes et permettrait à la mission d’entreprendre des opérations plus offensives.[fn]Pour plus de détails sur ces étapes, voir le rapport Afrique de Crisis Group N°176, Reforming the AU Mission in Somalia, 15 novembre 2021.Hide Footnote

L’UA devrait essayer de solliciter de nouveaux bailleurs de fonds bilatéraux pour [la Mission de l’Union africaine en Somalie].

Pour combler le déficit de financement que provoqueront les réductions de contributions annoncées par l’UE, l’UA devrait essayer de solliciter de nouveaux bailleurs de fonds bilatéraux pour l’AMISOM, par exemple en approchant à nouveau des pays qui ont un intérêt à la stabilité en Somalie, notamment la Chine, la Turquie et les monarchies arabes du Golfe. (L’UA a essayé d’obtenir des financements de ces pays en 2018, au moment où l’UE avait déjà réduit sa contribution à l’AMISOM, en vain.) En outre, l’UA, qui invoque le soutien en nature qu’elle fournit et dont les soldats ont déjà payé le prix fort au combat, devrait revoir ses propres capacités de financement. Elle pourrait, par exemple, prélever un petit montant sur le Fonds pour la paix de l’UA. Bien que ce geste soit largement symbolique, étant donné les faibles sommes disponibles dans le fonds, il pourrait renforcer la relation de l’UA avec les bailleurs de fonds actuels et potentiels de l’AMISOM.[fn]S’il est très peu probable que le Conseil de sécurité accepte d’utiliser les contributions obligatoires des Nations unies, l’organisation pourrait plutôt chercher des moyens créatifs d’augmenter le financement de son bureau d’appui en Somalie et appeler les Etats membres à alimenter le fonds d’affectation spéciale de l’AMISOM.Hide Footnote

While it is highly unlikely that the Security Council will agree to using UN assessed contributions, the UN could instead look at creative ways of increasing financing to its support office in Somalia and call on member states to add to AMISOM’s trust fund.Hide Footnote

7. Contribuer à restaurer la transition du Soudan

Le 25 octobre 2021, les chefs militaires soudanais ont annoncé l’Etat d’urgence et dissous le Conseil souverain, l’organe exécutif civilo-militaire qui pilotait la transition après l’éviction d’Omar el-Béchir en avril 2019. Un mois plus tard, les efforts de médiation menés par le Soudan ont abouti à un accord rétablissant le Premier ministre déchu Abdalla Hamdok. Cet accord a fait l’objet de vives critiques de la part de nombreux hommes, femmes et jeunes Soudanais, qui sont descendus dans la rue par milliers pour protester contre ce coup de force. Il n’a pas non plus reçu le soutien des responsables civils qui avaient signé l’accord de 2019 avec les militaires. Le 2 janvier, Hamdok a démissionné, frustré d’avoir échoué à persuader les généraux d’honorer leurs engagements. L’UA et d’autres puissances extérieures devraient faire pression sur les hauts responsables soudanais pour qu’ils engagent le dialogue avec les représentants du mouvement de protestation et conviennent d’une feuille de route pour le rétablissement d’un régime civil, afin d’éviter que le pays ne s’enfonce davantage et sur le long terme dans des troubles sanglants.

L’UA, avec l’Ethiopie, a joué un rôle déterminant dans la négociation de l’accord de partage du pouvoir entre civils et militaires de 2019, qui a établi une feuille de route claire pour la transition du Soudan vers un régime démocratique. Elle a, depuis, pris du recul par rapport à ce rôle de garant et de garde-fou. Elle a pourtant joué un rôle important dans la réponse au coup d’Etat d’octobre. Malgré d’importantes divisions entre ses membres, le CPS a suspendu l’adhésion du Soudan à l’UA jusqu’à ce que l’autorité de transition dirigée par des civils soit restaurée.[fn]« Communiqué de la 1041ème réunion du CPS sur la situation au Soudan », UA PSC/PR/COMM.1041 (2021), 26 octobre 2021. La décision a été vivement débattue : des membres du CPS, notamment l’Algérie et l’Egypte, auraient voulu envoyer une mission d’enquête du CPS avant de prendre une décision sur la suspension. Entretiens en ligne de Crisis Group, diplomates africains, Addis-Abeba, novembre-décembre 2021.Hide Footnote Depuis lors, malheureusement, l’UA est restée largement en touche.[fn]Bien qu’Obasanjo, le nouveau haut représentant de l’UA pour la corne de l’Afrique, se soit brièvement rendu à Khartoum le 3 novembre, le CPS n’a pas entrepris de mission au Soudan pour rencontrer les parties prenantes et le président de l’UA n’a pas encore envoyé d’émissaire, comme le prévoyait le communiqué du CPS du 26 octobre 2021.Hide Footnote

L’impasse politique du Soudan présente une opportunité pour l’UA de prendre la tête de la médiation, comme elle l’a fait en 2019. Pour être plus efficace, l’UA devrait nommer une ou un envoyé de haut niveau mandaté uniquement au Soudan et basé à Khartoum pour permettre un engagement cohérent et soutenu. Il ou elle pourrait faire partie d’un panel mené par le haut représentant de l’UA pour la Corne de l’Afrique ou être autonome. Dans les deux cas, la répartition des tâches entre les deux envoyés devrait être claire. L’envoyé auprès du Soudan devrait être soutenu par les représentants de l’UA déjà présents dans la capitale soudanaise.

L’UA doit, avec le concours d’autres acteurs extérieurs, faire pression sur les militaires pour qu’ils rencontrent les représentants du mouvement de protestation soudanais afin de tracer la voie d’un retour à une transition dirigée par des civils. Largement mobilisé par des comités de quartier – des entités populaires informelles – ce mouvement exige que l’armée se retire de la scène politique. Mais étant donné le coup d’État et la domination des généraux depuis des décennies, il est inévitable que les militaires gardent un certain rôle.

Si les généraux [du Soudan] refusent de faire des compromis, l’UA devrait imposer des sanctions individuelles à tous ceux qui entravent les progrès.

Une solution intermédiaire pourrait être le rétablissement de la situation antérieure, avec un premier ministre civil désigné par le mouvement de protestation et mandaté pour nommer un cabinet, et une feuille de route consensuelle vers des élections libres et un régime civil complet. Les chefs militaires craignent d’être inculpés pour les crimes commis sous l’ère Bachir et de perdre les grandes parties des secteurs agricole et industriel soudanais qu’ils contrôlent. Ces craintes peuvent influer sur leurs décisions et doivent être prises en compte lors des négociations. Si les généraux refusent de faire des compromis, l’UA devrait imposer des sanctions individuelles à tous ceux qui entravent les progrès, comme elle l’a fait en 2009 contre la junte guinéenne.[fn]« Communiqué de la 207ème réunion du CPS de l’UA sur la situation en République de Guinée », AU PSC/AHG/COMM.2(207), 29 octobre 2009.Hide Footnote

Il est essentiel que l’UA reste engagée. C’est le peu d’attention – de la part de l’UA et d’autres acteurs – qui a privé les anciens dirigeants civils de soutien, ce qui a permis aux généraux d’entrer dans la brèche et de les évincer. Le CPS doit montrer qu’il a pris la situation en mains en tenant de fréquentes réunions consacrées au Soudan pour suivre les progrès de la transition. En outre, la Commission devrait s’attacher à renforcer les capacités de son bureau de liaison à Khartoum, une mesure qu’elle a prévue depuis longtemps mais qu’elle n’a pas encore réellement mise en place. Une pression constante sur les dirigeants de la transition sera nécessaire non seulement jusqu’à la date des élections, mais également par la suite.

8. Inscrire la sécurité climatique à l’ordre du jour international

En novembre 2022, la Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP) revient en Afrique, l’Egypte accueillant sa 27e édition. Alors que la COP et d’autres forums internationaux, dont le Conseil de sécurité des Nations unies, ont eu du mal à aborder les répercussions du changement climatique sur la paix et la sécurité, l’UA et ses Etats membres ont déjà reconnu les risques que le changement climatique fait peser sur le continent.[fn]« Communiqué de la 984ème réunion du CPS de l’UA au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement sur “Paix durable en Afrique : Le dérèglement climatique et ses effets sur la paix et la sécurité sur le continent” », AU PSC/AHG/COMM.1 (984), 9 mars 2021 ; « Communiqué de la 1051ème réunion du CPS de l’UA sur “Le changement climatique, la paix et la sécurité : Nécessité d’un lien climat-sécurité-développement documenté pour l’Afrique” », PSC/PR/COMM.1051 (2021), 26 novembre 2021.Hide Footnote Tous les regards étant braqués sur l’Afrique en 2022, l’UA devrait saisir l’occasion de mettre la sécurité climatique au premier plan.

Jusqu’à présent, la sécurité climatique n’a pas été inscrite à l’ordre du jour officiel de la COP et il est probable que cette question passe après d’autres points de cette conférence, en partie parce que les participants estiment qu’elle pourrait s’avérer trop conflictuelle pour un forum qui recherche des solutions apolitiques communes. L’UA, les Nations unies et la Banque mondiale ont néanmoins fait des efforts pour inclure la sécurité climatique à l’ordre du jour de la COP27.[fn]Entre autres, l’Initiative pour la mobilité climatique en Afrique – une collaboration entre les Nations unies, la Commission de l’UA et la Banque mondiale, lancée le 28 septembre 2021 – vise à soutenir les efforts de la Commission et des nations africaines pour exploiter le potentiel de la mobilité – y compris les migrations, les relocalisations planifiées et les déplacements forcés – dans le contexte de la crise climatique, ainsi que pour faire face aux déplacements et aux migrations dus au climat.Hide Footnote Même si cette question en reste exclue, toute proposition d’adaptation climatique avancée lors de la COP devra tenir compte des risques de conflit, de peur que les mesures ne finissent sinon par nuire aux personnes qu’elles sont supposées aider. Une alternative à l’inscription de la sécurité climatique à l’ordre du jour lui-même serait d’organiser une conférence annuelle de haut niveau sur la question, en marge de la COP. Un tel événement pourrait contribuer à garantir que les négociateurs de la COP ne négligent pas la dynamique des conflits dans le cadre de leurs délibérations. L’Egypte, en tant qu’hôte, devrait envisager d’en organiser une lors de la COP27.

La COP n’est pas une exception parmi les instances qui ne discutent pas suffisamment de la sécurité climatique – le Conseil de sécurité des Nations unies a également eu du mal à aborder directement la question. Le changement climatique est souvent décrit, à juste titre, comme un « multiplicateur de menaces », mais de nombreux membres en tirent la conclusion que le Conseil de sécurité ne devrait discuter que des dangers exacerbés par les bouleversements climatiques – tels que les tensions politiques et socioéconomiques – et non du changement climatique en tant que tel. En décembre 2021, la Russie a opposé son veto à un projet de résolution appelant à un renforcement des efforts internationaux pour répondre aux implications du changement climatique pour la paix et la sécurité. L’Inde s’est opposée à ce texte pour des raisons similaires à celles de la Russie et la Chine s’est abstenue.[fn]« Russia vetoes UN security council resolution linking climate crisis to international peace », The Guardian, 13 décembre 2021. « How UN Member States Divided Over Climate Security », commentaire de Crisis Group, 22 décembre 2021.Hide Footnote

“Russia vetoes UN Security Council resolution linking climate crisis to international peace”, The Guardian, 13 December 2021; Crisis Group Commentary, “How UN Member States Divided Over Climate Security”, 22 December 2021.Hide Footnote

[l'Afrique] risque d’être l’un des plus touchés par le réchauffement de la planète et qu’il con-naît déjà des violences liées au climat.

En revanche, le CPS de l’UA s’est réuni à de nombreuses reprises pour discuter des défis sécuritaires liés au climat.[fn]« Communiqué de la 984ème réunion de l’UA », op. cit. ; « Communiqué de la 1051ème réunion du CPS de l’UA », op. cit.Hide Footnote Il n’est pas surprenant que les pays africains reconnaissent l’importance d’aborder cette question, étant donné que le continent risque d’être l’un des plus touchés par le réchauffement de la planète et qu’il connaît déjà des violences liées au climat. Le Soudan du Sud n’est qu’un exemple parmi d’autres. Dans ce pays, plusieurs années d’inondations catastrophiques ont entraîné le déplacement de centaines de milliers de personnes, dont des éleveurs de l’ethnie dinka qui ont fui vers le sud, dans la région d’Equatoria. Cette migration forcée a encore tendu les relations entre élites d’Equatoria et dinkas, aggravant les griefs déjà présents et les tensions intercommunautaires concernant les terres et le pouvoir, tout en exacerbant la dynamique de conflits dans la région.[fn]Pour en savoir plus, voir Briefing Afrique de Crisis Group N°169, South Sudan’s Other War : Resolving the Insurgency in Equatoria, 25 février 2021.Hide Footnote

De nombreux pays fragiles sur le plan climatique sont également confrontés à des conflits et à une mauvaise gouvernance, qui tendent à retarder les mesures d’adaptation et d’atténuation visant à lutter contre le changement climatique. Au Sahel, la détresse climatique a entraîné la mise en péril des accords traditionnels sur l’utilisation des terres, enflammant les conflits entre agriculteurs et éleveurs et déracinant des centaines de milliers de personnes, comme au Soudan du Sud. Dans certaines régions du Sahel, l’absence de réglementation de l’utilisation des terres a contribué à la montée des groupes jihadistes et d’autodéfense.[fn]Ulrich Eberle et Andrew Ciacci, « Getting Conflict into the Global Climate Conversation », commentaire de Crisis Group, 5 novembre 2021.Hide Footnote

Parallèlement, le CPS de l’UA a pris plusieurs mesures donnant la priorité à la sécurité climatique. En mai 2018, il a demandé au président de la Commission de l’UA de nommer un envoyé pour le changement climatique. Deux ans plus tard, lors d’une réunion de chefs d’Etat, le CPS a réitéré son souhait de nommer un envoyé, a appelé à une position africaine commune et a créé un fonds spécial de l’UA pour le changement climatique.[fn]« Communiqué de la 984ème réunion de l’UA », op. cit. ; « Communiqué de la 1051ème réunion du CPS de l’UA », op. cit. Lors de sa réunion du 26 novembre 2021, le CPS a précisé que ce fonds soutiendrait les mesures visant à lutter contre l’impact négatif du changement climatique, ainsi que la capacité civile continentale de préparation et de réaction aux catastrophes.Hide Footnote Il a également demandé une étude d’évaluation des risques sécuritaires liés au climat, qui jettera probablement les bases de la réponse de l’UA en matière de sécurité climatique, et il continue de faire pression sur les Etats membres pour qu’ils adoptent une position commune sur la question.[fn]« Communiqué de la 1051ème réunion du CPS de l’UA », op. cit.Hide Footnote

L’UA devrait donner suite à ces engagements. Les dirigeants africains devraient tenir leur promesse d’élaborer une position continentale commune. La Commission doit s’efforcer de terminer l’évaluation des risques, tandis que son président devrait nommer une envoyée ou un envoyé ayant un poids politique suffisant pour faire pression sur les acteurs internationaux afin qu’ils soutiennent les efforts de prévention des conflits liés au climat et qu’ils élaborent des normes sur la manière d’éviter d’aggraver les conflits locaux lors de l’utilisation des fonds d’adaptation au climat. En outre, la Commission devrait renforcer la coopération entre les différents départements qui travaillent sur le changement climatique, notamment l’agriculture, le développement rural, l’économie bleue et l’environnement durable, les infrastructures et l’énergie, ainsi que les affaires politiques, la paix et la sécurité.

Nairobi/Bruxelles, 1er février 2022

Annexe A : Priorités de l’Union africaine en 2022

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