Rwanda's President Paul Kagame (R) and Chairperson of the African Union Commission Moussa Faki Mahamat (L) attend a commemoration ceremony for 23rd anniversary of Rwandan genocide, on April 7, 2017. Jacques Nkinzingabo / ANADOLU AGENCY
Briefing / Africa 18 minutes

Sept priorités pour l’Union africaine en 2018

En 2018, l’Union africaine (UA) et le nouveau président de l’Assemblée de l’UA, le président rwandais Paul Kagame, auront la possibilité de mettre en oeuvre des réformes institutionnelles essentielles. Toutefois, ils ne doivent pas perdre de vue les objectifs de prévention et de résolution des conflits de l'organisation et son rôle d’atténuation des éventuelles violences liées aux élections.

  • Share
  • Enregistrer
  • Imprimer
  • Download PDF Full Report

Que se passe-t-il? Les dirigeants de l’Union africaine (UA) se réunissent à la fin du mois de janvier pour leur sommet bisannuel. Les réformes institutionnelles et financières vitales pour l’organisation seront probablement en tête des priorités de l’UA en 2018, mais elle devra veiller à ce que ces réformes ne lui fassent pas oublier ses objectifs de prévention et de résolution des conflits.

En quoi est-ce significatif? Les conflits africains ont évolué : les nouvelles menaces, telles que le jihadisme transnational et les réseaux criminels, aggravent des conflits plus traditionnels. Les enjeux géopolitiques sont de plus en plus complexes. C’est dans ce contexte que vont se dérouler, sur le continent, dix-huit scrutins électoraux, qui sont souvent déclencheurs de crises politiques et de violence.

Comment agir? L’UA doit se concentrer sur les conflits africains les plus graves et sur les pays dans lesquels elle peut avoir une réelle influence : le Soudan du Sud, la République centrafricaine et la Somalie. La priorité est de faire avancer les préparatifs électoraux en République démocratique du Congo et d’envoyer des équipes d’observateurs en amont au Cameroun, au Mali et au Zimbabwe.

Synthèse

L’année 2018 pourrait apporter des changements majeurs pour l’Union africaine (UA) qui se propose de mettre en œuvre un large programme de réformes institutionnelles et financières. A la fin du mois de janvier, le président du Rwanda Paul Kagame, initiateur et chef d’orchestre de ce processus, reprendra la présidence de l’Assemblée de l’UA, l’organe suprême de décision de l’organisation, ce qui implique que ces réformes seront une des priorités de l’UA. Les changements qui seront opérés sont essentiels pour la santé à long terme de l’organisation, mais leur mise en œuvre ne sera pas une mince affaire. Le président Kagame, qui travaille étroitement avec le président de la Commission Moussa Faki Mahamat, devra veiller à ce que cela ne consume pas toute l’énergie dont l’UA a besoin pour mener ses autres tâches essentielles comme la prévention et la résolution des conflits continentaux.

Moussa Faki lui-même, depuis qu’il a pris ses fonctions en mars 2017, a clairement mis l’accent sur la paix et la sécurité, contrairement à son prédécesseur Nkosazana Dlamini Zuma, qui avait tenté de réorienter l’organisation vers un développement à long terme. Au cours de sa première semaine, Moussa Faki s’est rendu en Somalie, où la force de l’UA lutte encore contre l’insurrection persistante des Chabab. Lors de sa deuxième semaine, il s’est rendu au Soudan du Sud, où se déroule le conflit le plus sanglant du continent. Ces visites, ainsi que son déplacement en République démocratique du Congo (RDC) et dans les pays du G5 Sahel (Burkina Faso, Tchad, Mali, Mauritanie et Niger), donnent une indication des priorités de Faki en matière de paix et de sécurité.

En outre, il a œuvré au renforcement des relations avec les deux partenaires stratégiques de l’UA les plus importants – l’Organisation des Nations unies (ONU) et l’Union européenne (UE). En avril, il a signé le Cadre commun ONU-Union africaine pour un partenariat renforcé en matière de paix et de sécurité, qui devrait améliorer la collaboration entre les deux organisations. Faki a joué un rôle majeur dans la restauration des relations avec l’UE, qui avaient atteint leur nadir en 2016, du fait de désaccords relatifs au paiement des salaires des soldats de la mission de l’UA en Somalie (AMISOM). Les discussions qui ont précédé le sommet UA-UE de novembre semblent indiquer qu’un accord similaire à celui qui a été conclu entre l’UA et l’ONU sera adopté en 2018. La création du groupe de travail conjoint sur la migration de l’UA, l’UE et l’ONU, mis en place dans le contexte du choc suscité par les enchères d’esclaves en Libye, est une démarche positive qui pourra se reposer sur les forces de chacune des institutions qui le composent. A l’heure où l’UA réévalue ses partenariats avec d’autres organisations multilatérales et avec des Etats non africains en 2018, elle devrait se baser sur ces récents succès et ne pas négliger ses relations avec l’UE et l’ONU.

Le paysage géopolitique, déjà sombre lorsque Faki a pris ses fonctions en mars, s’est encore obscurci. Les tensions entre les pays du Golfe – en particulier entre l’Arabie saoudite et ses alliés d’un côté et le Qatar de l’autre – se sont étendues à la Corne de l’Afrique, ce qui a renforcé l’instabilité en Somalie et exacerbé les points de friction de part et d’autre du Nil, entre l’Egypte et l’Ethiopie, qui ont pris des positions contraires. Les divisions entre les grandes puissances au sein du Conseil de sécurité rendent la recherche de consensus particulièrement difficile en cas de crises, comme celles qui se déroulent en Afrique. Tandis que le président des Etats-Unis Donald Trump a largement ignoré l’Afrique, les opérations de lutte contre le terrorisme engagées par son administration risquent de compliquer davantage les crises en cours en Somalie et au Sahel si les Etats-Unis ne soutiennent pas davantage les efforts de paix.

Confrontée à de nombreux enjeux de paix et de sécurité, l’UA devrait se concentrer à la fois sur les crises les plus graves de l’Afrique et sur celles dans lesquelles l’organisation continentale a un rôle actif à jouer. Partant de ce postulat, ce briefing revient sur les priorités de l’UA en 2018. Parmi ces priorités figurent les importants efforts de réforme, la nécessité de contenir les frictions entre le Maroc et la République arabe sahraouie démocratique (RASD) pour qu’elles ne perturbent pas les travaux de l’organisation ; aider à résoudre ou à éviter d’éventuelles crises liées aux élections en RDC, au Cameroun, au Mali ou au Zimbabwe et gérer les conflits en République centrafricaine, en Somalie et au Soudan du Sud.

Direction stratégique

I. Etablir un consensus sur les réformes institutionnelles et financières

L’UA a entamé un processus de réforme qui pourrait s’avérer radical et qui, s’il est mis en œuvre dans son intégralité, pourrait avoir la même ampleur que celui qui a permis à l’Union africaine actuelle de renaitre des cendres de l’ancienne Organisation de l’unité africaine. Les réformes actuelles, lancées par Kagame au nom de l’Assemblée, visent à concentrer les travaux de l’organisation sur quatre domaines spécifiques : la paix et la sécurité ; les affaires politiques ; la création d’une zone de libre-échange continentale ; et la représentation de l’organisation dans les affaires mondiales. L’autosuffisance financière fait partie intégrante de ce processus visant à rendre l’organisation plus efficace. En 2012, date à laquelle la dépendance de l’UA vis-à-vis de ses partenaires était la plus marquée, les Etats membres n’ont financé que trois pour cent de ses programmes. En 2017, ce pourcentage était passé à 14 pour cent, mais restait encore très loin de l’engagement pris en juin 2017 de financer 75 pour cent des programmes de l’UA d’ici 2020, 25 pour cent du montant de ses activités de paix et de sécurité et l’ensemble des couts administratifs et opérationnels. Des ressources supplémentaires doivent être obtenues par la taxe de 0,2 pour cent imposée aux importations de « tous les produits éligibles » sur le continent, suivant une proposition de Donald Kaberuka, le haut-représentant chargé du Fonds pour la paix de l’UA.

2018 est une année cruciale pour ces réformes. A la fin du mois de janvier, Kagame reprendra la présidence de l’Assemblée, succédant au président de la Guinée Alpha Condé, et il est fort probable qu’il tire parti de cette année pour mettre en œuvre les projets qu’il a proposés et qui ont été validés pas ses homologues lors du sommet de l’UA de janvier 2017. Cependant, les Etats membres, la Commission et les communautés économiques régionales (CER) se sont dits déçus par le processus mis en œuvre, indiquant un manque de consultation. Les réformes pourraient être compromises si une approche plus inclusive et collaborative n’était pas adoptée.

En particulier, Kagame doit apaiser les appréhensions de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) qui a établi une liste complète de ses préoccupations qui inclut la faisabilité de la taxe de 0,2 pour cent sur les importations, le rôle réduit du Comité des représentants permanents comprenant les ambassadeurs des Etats membres de l’UA, et la création d’une troïka composée du président actuel de l’Assemblée, de son prédécesseur et de son successeur, chargée de représenter l’UA lors de sommets avec les partenaires de l’UA. Il doit également gagner les faveurs des cinq plus grands contributeurs au budget de l’UA (Algérie, Egypte, Maroc, Nigéria et Afrique du Sud) qui ont de sérieux doutes concernant les réformes financières, notamment. Pour ce faire, Kagame devra créer et mobiliser une coalition d’Etats favorables aux réformes, représentant chacune des sous-régions, pour convaincre les plus sceptiques. Il devra, avec Faki, envisager d’organiser des visites conjointes auprès des secrétariats de chaque CER reconnue par l’UA, ou de se rendre aux sommets organisés par ces CER, afin d’expliquer le bienfondé de ces réformes. Les Etats membres auront besoin de temps pour mener des consultations nationales, en particulier concernant la taxe de 0,2 pour cent sur les importations, qui devra être ratifiée par le parlement ou d’autres autorités locales dans de nombreux pays.

Dans le cadre du processus de réforme, l’UA devrait entamer un examen complet de son architecture africaine de paix et de sécurité (APSA). Les conflits continentaux ont beaucoup évolué depuis la création et la mise en œuvre de cette architecture au début des années 2000. De nouveaux enjeux sont apparus, tels que l’influence croissante d’acteurs non étatiques, en particulier des mouvements jihadistes et des réseaux criminels transfrontaliers qui, le plus souvent, utilisent et aggravent les conflits plus traditionnels. L’UA a appuyé les forces ad hoc que les groupes d’Etats ont mobilisées pour faire face à ces nouvelles menaces (la Force multinationale mixte qui combat Boko Haram dans le bassin du lac Tchad et la Force du G5 Sahel), mais l’organisation supervise assez peu, voire pas, leur mandat ou leurs opérations. Un examen de l’APSA permettrait de décider si ces forces doivent être intégrées dans des structures continentales et, dans l’affirmative, comment cette intégration devrait se dérouler.

II. Limiter les perturbations liées aux frictions entre le Maroc et la RASD

Le Maroc a rejoint l’UA en janvier 2017, après un exil de 33 ans que le pays s’était imposé de lui-même pour manifester son opposition à l’adhésion de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) au sein de l’UA. L’Algérie et de nombreux autres pays se sont fermement opposés au retour de Rabat, affirmant que son « occupation » de la RASD allait à l’encontre des principes de l’UA. Nombre de pays sont convaincus que le Maroc va tenter d’isoler la RASD de l’UA, afin de finir par obtenir son éviction, et craignent que sa présence ne crée des perturbations : avant de rejoindre l’organisation, le Maroc a ostensiblement quitté plusieurs réunions internationales auxquelles participaient des représentants de la RASD. Dans le discours inaugural qu’il a prononcé devant l’Assemblée de l’UA, le Roi Mohamed VI a tenté de rassurer les autres chefs d’Etat. « Nous ne voulons nullement diviser, comme certains voudraient l’insinuer ! (…) [l’action du Royaume] concourra, au contraire, à fédérer et à aller de l’avant. »

Nombre de pays sont convaincus que le Maroc va tenter d’isoler la RASD de l’UA, afin de finir par obtenir son éviction, et craignent que sa présence ne crée des perturbations.

Malgré cette affirmation, les tensions entre le Maroc et la RASD ont déjà perturbé les travaux de l’UA, retardant ou rendant impossible des réunions internes et des rencontres avec des partenaires externes. En août 2017, au cours d’une réunion ministérielle de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique tenue à Maputo, Mozambique, le ministre des Affaires étrangères marocain a reçu l’interdiction d’accéder à la salle de réunion après avoir protesté contre la présence de représentants de la RASD, un conflit qui en est venu aux mains. Au cours des préparatifs du sommet UA-UE de novembre, il a fallu consacrer du temps et de nombreux efforts pour convaincre le Maroc d’occuper son siège, même si le roi a finalement participé pleinement au sommet, en grande partie du fait de l’importance que le partenariat avec l’UE revêt pour le Maroc et pour l’Afrique dans son ensemble.

Les Etats membres et le personnel de la Commission de l’UA perdent progressivement patience vis-à-vis des deux parties ; ils devront faire preuve d’une grande diplomatie pour apaiser les tensions. Faki devra travailler avec ses alliés parmi les Etats membres pour convaincre le Maroc, la RASD et leurs soutiens respectifs de ne pas mettre en péril les travaux de l’UA. L’amélioration des relations entre Pretoria et Rabat pourrait lui faciliter la tâche ; les deux pays ont accepté un échange d’ambassadeurs après la rencontre qui a eu lieu entre le roi Mohammed VI et le président Jacob Zuma, aux marges du sommet UA-UE.

Transitions contestées

III. Aider la RDC à préparer ses élections

En 2017, le président Joseph Kabila a étendu son mandat au moins jusqu’à la fin 2018, en dépit de l’Accord de la Saint-Sylvestre qui prévoyait la tenue d’élections en décembre 2017. Dans l’attente des élections, l’opposition et la société civile font tout leur possible pour constituer un mouvement populaire crédible malgré une répression constante. Kabila garde la main sur tout, il contrôle le gouvernement, les forces de sécurité et la commission électorale. A ce jour, aucune garantie n’a été donnée, ni aucun engagement prononcé, concernant la tenue des prochaines élections. La violence exercée à l’encontre des manifestants du 31 décembre montre que la répression politique se poursuit et laisse penser que les préparatifs électoraux sont un écran de fumée.

Néanmoins, l’économie congolaise est en crise, et l’autorité du gouvernement est affaiblie dans de nombreuses régions du pays. Nombre de provinces sont ébranlées par des insurrections ou par des conflits intercommunautaires, qui donnent lieu à l’une des pires crises humanitaires du monde. Le risque que la violence s’intensifie encore reste élevé : l’expérience du Kasaï, où la politisation de la mise en place d’un chef coutumier a déclenché un conflit qui a touché plusieurs provinces montre à quelle vitesse l’instabilité peut se propager. L’assassinat récent de quinze Casques bleus à Béni est un rappel cinglant des dangereuses dynamiques à l’œuvre dans l’Est de la RDC.

Political Blockage and Rising Violence in DR Congo

Crisis Group’s Central Africa Project Director Richard Moncrieff describes the political blockage that is fuelling popular frustration and the spread of violence in DRC. CRISIS GROUP

L’engagement international s’est avéré médiocre et incohérent, même lorsque Kabila a délibérément violé les dispositions de l’accord de la Saint-Sylvestre. Les Etats-Unis et l’UE ont été plus critiques, imposant des sanctions ciblées à certains responsables. Néanmoins, l’UA, comme la plupart de ses Etats membres, dénonce les sanctions. Certains dirigeants africains expriment en privé leur frustration vis-à-vis de Kabila tout en le soutenant en public, ce qui a donné une grande marge de manœuvre à son gouvernement.

La commission électorale a reporté les élections présidentielles, législatives et provinciales au 23 décembre 2018. Cela donne à la diplomatie occidentale et africaine la possibilité de mener une action concertée et coordonnée, fondée sur un nouveau calendrier, un vote crédible, l’ouverture de l’espace politique et la garantie que la Constitution ne sera pas amendée pour permettre à Kabila de renouveler son mandat. L’opposition devrait participer activement à ce processus électoral.

L’UA, qui a renforcé ses efforts de diplomatie en RDC au cours des derniers mois, pourrait utiliser le nouveau calendrier électoral pour planifier son engagement durable à surmonter les différends entre l’Afrique et l’Occident. En partenariat avec les acteurs régionaux (en particulier la RASD, l’Afrique du Sud et l’Angola) et l’ensemble de la communauté internationale, l’UA devrait suivre les progrès de la commission électorale pour éviter des retards supplémentaires et garantir le respect des principes de l’Accord de la Saint-Sylvestre.

Un petit groupe de représentants issus de nations et d’organisations occidentales et africaines, y compris l’UA, pourrait contribuer à forger un consensus international et limiter les risques que Kabila s’adresse au plus offrant. Ce groupe devrait établir et effectuer un suivi des objectifs du processus électoral et faire le lien entre les différentes initiatives menées aux niveaux local, régional et international. Enfin, l’UA devrait utiliser sa propre influence et légitimité, et en particulier celle du Conseil de paix et de sécurité, pour encourager l’administration Kabila à aller vers la transition et l’opposition à participer au processus électoral.

IV. Déployer des équipes d’observation bien avant la tenue de nouvelles élections cruciales

En dehors de la RDC, dix-sept pays ont prévu de tenir des élections présidentielles, parlementaires ou locales en 2018. Parmi ces pays, au moins treize traversent ou sortent d’une situation de conflit ou sont sujets à des conflits en période électorale. Les scrutins irréguliers ou marqués par la violence, ou encore une série d’élections aboutissant à des crises politiques pourraient avoir un impact significatif pour la démocratie et la stabilité sur le continent tandis que certains pays connaissent déjà des reculs dans ce domaine.

Le département des Affaires politiques de l’UA, régulièrement sous-financé et en sous-effectif, ne peut pas suivre efficacement toutes ces élections ; il devrait concentrer ses efforts sur les scrutins les plus complexes. En plus des équipes chargées de surveiller ponctuellement le vote et le comptage des voix, l’UA devrait envoyer des observateurs de long terme, idéalement six mois à l’avance, pour examiner les conditions dans lesquelles sont organisées les élections et la campagne, étant donné que les irrégularités apparaissent souvent bien avant les scrutins. L’UA devrait également envisager de combiner ses opérations d’observation avec celles des communautés économiques régionales.

En dehors de la RDC, trois scrutins méritent une attention particulière en 2018 :

Le Cameroun est confronté à une crise anglophone croissante dans le Sud-Est, que le gouvernement, déjà mobilisé par la lutte contre Boko Haram dans l’Extrême-Nord et contre les milices de la République centrafricaine à l’Est, semble peu à même de désamorcer. Les troubles dans les régions anglophones sont les symptômes d’une insurrection naissante qui pourrait déclencher une crise politique plus large risquant de perturber les élections prévues au mois d’octobre. L’UA et les autres acteurs internationaux devraient encourager le gouvernement et les militants anglophones à s’engager sur la voie du dialogue et à créer les conditions propices à un vote crédible.

Les élections présidentielles, parlementaires et régionales doivent avoir lieu au Mali, mais la mise en œuvre de l’accord de paix de juin 2015 facilité par l’Algérie reste lente. Les groupes armés ont proliféré ; ils entrent plus souvent en conflit avec les forces armées et internationales. Le gouvernement reste largement absent dans le Nord et les groupes jihadistes renforcent leur contrôle sur de nombreuses zones rurales. Le centre du Mali, longtemps négligé par l’Etat, a également connu une augmentation de l’instabilité. Dans ces conditions, il sera difficile d’organiser un vote crédible en 2018. Pourtant, les élections doivent avoir lieu, car la population est très mécontente de l’administration actuelle. Toute tentative de reporter les élections, et en particulier le scrutin présidentiel, pourrait déclencher des manifestations, surtout à Bamako, la capitale. L’UA devrait aider les autorités maliennes dans leurs préparatifs électoraux, y compris en encourageant l’ONU et l’UE à soutenir un audit du registre électoral.

Au Zimbabwe, l’euphorie qui a suivi l’éviction du président Robert Mugabe est retombée quand son remplaçant, Emmerson Mnangagwa, a consolidé le pouvoir du ZANU-Front patriotique (ZANU-PF) et de l’armée, nommant un cabinet composé principalement de ses soutiens et de cadres de l’armée plutôt que chercher à construire une coalition plus large. Lors de son investiture, le président Mnangagwa a promis que les élections, qui doivent se tenir avant septembre 2018, seraient libres et régulières, mais il n’a pas fait mention des réformes nécessaires pour s’assurer d’un vote crédible. L’UA, de concert avec la SADC, devrait pousser le gouvernement à nettoyer les listes électorales, à prévoir un mécanisme de contrôle indépendant de la Commission électorale zimbabwéenne et à créer un environnement politique dénué de violence, d’intimidation et de propagande. Le Conseil consultatif électoral de la SADC devrait entreprendre une évaluation des conditions électorales et l’UA devrait envoyer immédiatement des observateurs de long terme. Les deux institutions devraient également insister auprès du gouvernement zimbabwéen pour que les groupes régionaux et internationaux aient l’autorisation d’observer les élections. Le ZANU-PF et Mnangagwa ont intérêt à autoriser les observateurs à superviser les élections : sans cette supervision, le nouveau gouvernement aura des difficultés à prouver qu’il est légitime et à convaincre les bailleurs et les institutions financières internationales d’appuyer la relance économique du Zimbabwe.

Crises majeures

V. Mettre en œuvre la nouvelle feuille de route en République centrafricaine

La crise en République centrafricaine (RCA) s’est durcie en 2017, et les violences ont fait de nombreuses victimes civiles et sont à l’origine de déplacements massifs de population. En dehors de la capitale, Bangui, la majeure partie du pays est entre les mains de groupes armés, qui se battent pour les ressources et dont les alliances sont fluctuantes. Dans le Nord-Ouest, la violence est la conséquence des rivalités entre groupes armés et de conflits récurrents concernant les mouvements du bétail, tandis qu’au centre et à l’est, les groupes mènent une guérilla pour prendre le contrôle de certaines zones et ressources. Il est peu probable que la situation se stabilise sur le court terme et encore moins probable que l’armée prenne le dessus sur ces groupes armés. L’éventualité de la reprise d’une guerre civile ne peut pas être exclue.

Le dialogue ne suffira pas à mener une médiation efficace entre les groupes armés et l’Etat, il faudra également augmenter la pression.

A ce jour, le gouvernement et ses partenaires internationaux n’ont pas été en mesure d’apaiser les tensions ou de trouver des solutions durables à la violence généralisée. Le dialogue ne suffira pas à mener une médiation efficace entre les groupes armés et l’Etat, il faudra également augmenter la pression, notamment en limitant les sources de revenus et en augmentant les moyens militaires de dissuasion, par exemple en interdisant les armes dans certaines villes et en arrêtant les responsables d’attaques importantes. Les autorités nationales doivent également reconstruire la confiance dans les zones périphériques, y compris en répondant aux préoccupations de certaines communautés concernant leur citoyenneté.

De nombreuses organisations ou acteurs, internationaux et régionaux, ont lancé des efforts parallèles de médiation en 2016 et au cours de la première moitié de 2017. Cependant, les intentions divergentes, les rivalités institutionnelles et la différence d’approches les ont empêchés de parler d’une seule voix, notamment concernant la question de l’amnistie pour les responsables de groupes rebelles, de l’intégration des combattants dans l’armée, et du retour des anciens présidents de la RCA. Bien que l’UA ait pris les devants en élaborant une nouvelle feuille de route pour la paix et la réconciliation en juillet 2017, dont l’objectif était de promouvoir le dialogue et de mettre en œuvre un accord relatif au désarmement des combattants, peu de progrès ont été réalisés depuis lors. Pour que cette initiative aboutisse à des résultats concrets, la Commission de l’UA, le Conseil de paix et de sécurité et le représentant spécial de l’UA, Bédializoun Moussa Nébié, ainsi que les voisins de la RCA doivent consolider leur engagement, notamment en exhortant les responsables de groupes armés et le gouvernement à entamer une négociation. L’UA devra également s’engager à fournir les ressources financières et humaines nécessaires, et veiller à ce que son bureau de liaison dispose du personnel et des équipements nécessaires.

L’UA devra également aplanir les points de désaccord – notamment concernant les amnisties et la nomination de chefs rebelles à des postes lucratifs de l’Etat – entre les partenaires internationaux de la RCA, qui se sont, dans l’ensemble, montrés favorables à l’initiative récente de l’UA. Tout accord final entre le gouvernement et les groupes armés devra être garanti par des représentants d’Etats africains et occidentaux, des organisations continentales et régionales et l’ONU. Il est également essentiel de mettre en place un cadre à travers lequel les bailleurs et les autres parties prenantes puissent apporter leur soutien politique et financier. Il serait utile d’examiner les possibilités en amont. Par ailleurs, il est fondamental que ce processus reste entre les mains de la RCA si l’on veut qu’il aboutisse ; l’UA devra donc veiller à ce que le gouvernement adhère davantage à ce processus.

VI. Eviter un retrait précipité de la Somalie

2017 était une année difficile pour la Somalie. Après l’euphorie et l’optimisme qui ont marqué l’élection à la présidence de Mohammed Abdullahi « Farmajo » en février, le pays a subi l’attaque terroriste la plus sanglante de son histoire avec l’explosion de deux camions piégés à Mogadiscio qui a fait au moins 500 morts en octobre. Cet attentat montre que l’administration de Farmajo a de nombreux défis à relever : les forces de sécurité sont affaiblies alors que l’insurrection des Chabab reste puissante et résiliente et a récemment regagné du territoire en dehors de Mogadiscio. Farmajo doit également faire face à des différends claniques de longue date et aux tensions croissantes entre son gouvernement et les Etats fédéraux, exacerbées par la crise du Golfe. Son administration n’est pas non plus parvenue à combler le déficit chronique de gouvernance qui est au cœur de l’instabilité du pays.

La Commission de l’UA pourrait envisager de convoquer un sommet au début de 2018 [...] en vue d’améliorer la coopération, en particulier en matière de formation et d’assistance des forces de sécurité.

Malgré la montée en puissance de l’offensive militaire de l’AMISOM dans le sud de la Somalie, appuyée par des frappes aériennes, les Chabab ne semblent pas prêts d’être vaincus. Le moral des troupes de la mission de l’UA, sous-financée, est au plus bas, et la mission doit s’achever à la fin de 2020. Cette date crée un énorme dilemme pour l’UA et pour les autres partenaires étrangers de la Somalie. La diminution progressive des effectifs, qui a commencé en décembre 2017 avec le départ de 1 000 soldats issus de l’ensemble des pays fournisseurs de contingents, est un impératif politique. Néanmoins, un retrait précipité pourrait laisser la voie libre aux Chabab qui seraient alors en mesure de reprendre le contrôle de Mogadiscio, étant donné la faiblesse chronique et le niveau de corruption élevé de l’Armée nationale somalienne. La Commission de l’UA pourrait envisager de convoquer un sommet au début de 2018 pour réunir les pays fournisseurs de contingents, les bailleurs, les organes régionaux et l’ONU en vue d’améliorer la coopération, en particulier en matière de formation et d’assistance des forces de sécurité. Il est essentiel de ne pas précipiter le retrait des troupes de l’AMISOM et de travailler en collaboration avec le gouvernement et les alliés de la Somalie impliqués dans la réforme du secteur de la sécurité.

La perspective de ce retrait est évoquée à une période de tensions accrues entre Mogadiscio et les régions fédérales du pays. Au cours de la crise du Golfe de 2017, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont exercé une forte pression sur Farmajo pour qu’il choisisse son camp et qu’il rompe ses relations diplomatiques avec le Qatar. Ses tentatives de maintenir une position neutre – en vue de ne pas perdre le soutien précieux de l’Arabie saoudite, des Emirats, du Qatar et de la Turquie, le principal allié international du Qatar – ont amené les Émirats arabes unis à accroitre leur soutien et à faire directement appel aux gouvernements fédéraux, en guise de contrepoids à Mogadiscio, aggravant ainsi les frictions entre ces gouvernements et Farmajo et alimentant le sectarisme politique.

VII. Contribuer à la reformulation de la stratégie de stabilisation du Soudan du Sud

L’échec de la trêve de Noël au Soudan du Sud rappelle à quel point les conflits qui touchent le pays restent inextricables. Bien que les combats se soient calmés depuis début 2014, qui a marqué le pic du conflit, la violence demeure endémique. Les forces du gouvernement ont pris militairement le dessus, mais bien que de moins en moins de régions soient touchées par les combats, l’ensemble du pays oscille encore entre la guerre et la paix ; la pauvreté, la violence et les déplacements font encore partie du quotidien.

En 2017, le gouvernement de transition, dirigé par le président Salva Kiir, a mené une stratégie de stabilisation décousue dont les objectifs étaient : la modification en sa faveur de l’accord de paix de 2015 obtenu à la suite d’une médiation régionale ; le lancement de négociations discrètes avec les groupes rebelles, conjuguées à une pression militaire visant à les convaincre d’accepter la paix selon les termes imposés par Djouba et l’organisation d’un dialogue national. Grâce à cette stratégie, Kiir est parvenu à passer d’une approche supervisée par la communauté internationale à une approche nationale, menée par le gouvernement, débarrassée de tout contrôle externe. Les pays voisins ont apporté un soutien discret, cessant d’appuyer les groupes armés, mais les gouvernements occidentaux restent opposés à ce qu’ils considèrent comme une volonté d’imposer la paix des vainqueurs.

Cette stratégie peu fructueuse, qui incluait de conclure des accords de paix avec plus de 10 000 rebelles armés, est aujourd’hui en péril. Sous la pression de la Troïka (Norvège, Royaume-Uni et Etats-Unis), l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD, l’organe sous-régional qui a facilité l’accord de 2015) a lancé un forum de revitalisation visant à ressusciter la paix en appliquant un nouveau cessez-le-feu et en modifiant le calendrier initial, en particulier en reportant les élections prévues en 2018. Le gouvernement a répondu à la pression internationale en promouvant dans ses rangs des personnalités moins consensuelles et plus belliqueuses. Il reste possible de préserver les rares progrès effectués et d’éviter que la situation ne se dégrade davantage, mais cela nécessitera un engagement politique fort.

Quels que soient les autres facteurs en jeu, le gouvernement de transition contrôle la majeure partie du pays et doit être encouragé à promouvoir la paix et à améliorer les conditions de vie. Néanmoins, les gouvernements occidentaux se sont montrés réticents à laisser Kiir participer à ce processus et l’IGAD s’est concentrée sur la prévention du conflit régional. L’UA pourrait ici avoir la possibilité de soutenir, de formuler, et de transmettre des messages que le gouvernement a du mal à entendre, notamment concernant le réexamen de sa stratégie de stabilisation et la mise en œuvre d’un calendrier électoral réaliste. Alpha Oumar Konaré, le haut représentant de l’UA, est perçu comme neutre, il entretient de bonnes relations avec Kiir et peut lui dire des vérités qui fâchent, mais qui pourraient l’engager sur une voie plus modérée. Toutefois, Konaré s’est impliqué de façon assez irrégulière. Un engagement soutenu, comprenant des visites plus fréquentes à Djouba, lui permettrait d’influencer davantage le cours des évènements au Soudan du Sud.

L’UA remet actuellement sur pied le Comité ad hoc de haut niveau pour le Soudan du Sud, autrement connu sous le nom de « UA5 », qui comprend l’Algérie, le Tchad, le Nigéria, le Rwanda et l’Afrique du Sud. L’UA5 devrait travailler étroitement avec les voisins du Soudan du Sud, au cours de négociations entre les dirigeants de ces pays, afin d’apaiser les tensions régionales tout en soutenant le processus de paix au Soudan du Sud. L’UA5 et Konaré devraient également envisager d’évaluer avec Kiir la stratégie de son gouvernement. Il faudra, pour ce faire, rétablir le lien entre les négociations de haut niveau menées à l’étranger et les discussions menées à l’échelle locale. Konaré et l’UA5 devront donc prévoir du personnel à plein temps qui se rendra régulièrement au Soudan du Sud.

Addis Abeba/Nairobi/Bruxelles, 17 janvier 2018

Annexe A: Carte des priorités de l’Union africaine en 2018

Subscribe to Crisis Group’s Email Updates

Receive the best source of conflict analysis right in your inbox.