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Burundi : du boycott électoral à l’impasse politique

Le Burundi risque de perdre une décennie de progrès engrangés depuis la fin de la guerre civile, à moins que le gouvernement ne renoue le dialogue avec l’opposition.

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Synthèse

Six mois après la nouvelle victoire électorale du Conseil national pour la défense de la démocratie et Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), le Burundi s’enfonce dans une impasse politique qui pourrait se transformer en une crise majeure susceptible de remettre en cause dix ans de progrès. En effet, au lieu de consolider la démocratie, les élections communale, parlementaire et présidentielle de 2010 ont abouti à la marginalisation de l’opposition, au passage dans la clandestinité des Forces nationales de libération (FNL) et à l’émer­gence d’une nouvelle rébellion. Combinée à un système de gouvernance faible, cette évolution pourrait conduire à un recul démocratique. Seuls le rétablissement du dialogue politique entre le gouvernement et l’opposition, la sortie de la clandestinité pour les FNL et le renforcement des institutions démocratiques sont de nature à inverser cette dangereuse évolution.

En mai 2010, alors que les principales formations d’op­position étaient confiantes dans leurs chances de battre le parti au pouvoir, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) proclame le CNDD-FDD largement vainqueur avec 64 pour cent des voix aux communales. Les partis d’opposition dénoncent directement des « fraudes massives ». Mais les observateurs nationaux et internationaux, la presse et la société civile reconnaissent à l’unanimité la crédibilité du scrutin en dépit de certaines irrégularités. L’opposition regroupée au sein de l’Alliance des démocrates pour le changement au Burundi (ADC-Ikibiri) conditionne alors sa participation au processus électoral au renvoi de la CENI et à l’annulation du scrutin communal. Ses revendications n’ayant pas été entendues, elle boycotte le reste du cycle électoral, offrant une victoire massive au parti au pouvoir (91 pour cent des voix à la présidentielle, 81 pour cent aux législatives et 94 pour cent aux sénatoriales) qui consolide son contrôle sur presque toutes les institutions.

Prenant pour prétexte de nombreux incidents violents au cours de la campagne présidentielle, les services de sécurité procèdent à des dizaines d’arrestations dans les rangs de l’opposition durant les mois de juin et juillet 2010. De peur d’être appréhendés, les principaux responsables de l’ADC s’exilent ou optent pour la clandestinité. A la suite du retour dans la clandestinité du président des FNL, Agathon Rwasa, la direction de ce mouvement est même renversée par une faction minoritaire avec la complicité des autorités. Depuis lors, des accrochages opposent périodiquement les forces de l’ordre à des hommes en armes dans la partie occidentale du Burundi. Même si ces derniers sont qualifiés de « bandits armés » selon la terminologie officielle, il n’y a plus de doute sur les liens entre ces groupes et certains responsables de l’opposition. Le Burundi n’est pas sur le point de retomber dans la guerre civile mais en misant exclusivement sur la marginalisation et la répression de l’opposition, le pouvoir renforce une rébellion naissante et fait reculer le projet démocratique.

En effet, depuis la fin du cycle électoral, il n’y a plus de communication officielle entre le gouvernement et l’op­po­sition, et le forum permanent des partis politiques est désormais une coquille vide. Simultanément, le nouveau gouvernement hérite de graves problèmes de gouvernance. Une corruption croissante, une justice peu indépendante, des contre-pouvoirs institutionnels faibles et l’enlisement du projet de justice transitionnelle sont autant de risques pour la consolidation démocratique. En outre, l’intégration pleine et entière du Burundi dans l’East African Community (EAC) risque de nécessiter une révision constitutionnelle qui pourra être l’occasion de renforcer ou d’affaiblir les institutions démocratiques. La crise risque de s’étendre à l’Est du Congo où les FNL ont renoué d’anciens liens avec des groupes armés dans la région des Kivus.

Face à la dégradation de la situation politique et sécuritaire, les initiatives pour désamorcer une nouvelle crise politique d’envergure sont pour l’instant limitées. Certes, diverses organisations locales et certains partenaires internationaux appellent au dialogue et à la retenue, mais dans l’ensemble, l’attentisme prévaut dans la communauté internationale en dépit de l’influence que lui confère l’aide au développement. Afin d’éviter une régression démocratique au Burundi, le dialogue institutionnel entre tous les acteurs politiques doit reprendre dans le cadre d’un forum permanent des partis politiques reconfiguré de manière consensuelle, et un programme de consolidation de la gouvernance démocratique faisant une large place aux contre-pouvoirs institutionnels et aux initiatives de la société civile doit être défini et mis en œuvre conjointement. Dans le même temps, les leaders religieux, par le biais de la conférence œcuménique, doivent offrir leur médiation au gouvernement et aux FNL afin de rendre possible le retour d’Agathon Rwasa sur la scène politique et la sortie de la clandestinité pour ses partisans.

Nairobi/Bruxelles, 7 février 2011

Executive Summary

Six months after a string of landslide electoral victories by the ruling Conseil National pour la Défense de la Démocratie et Forces de Défense de la Démocratie (CNDD-FDD), Burundi is descending ever deeper into a political impasse that risks reversing a decade’s progress. Instead of strengthening democracy, the 2010 communal, parliamentary and presidential elections ended in the marginalisation of the opposition – a major element of which (the Forces Nationales de Libération, FNL) went underground – and in the emergence of a new rebellion. Combined with a weak governance system, this could lead to a democratic setback. Only resumption of political dialogue between government and opposition, the end of the FNL’s clandestine activities and the strengthening of democratic institutions can reverse the dangerous trend. The international community must encourage these steps before it is too late.

After the Independent National Electoral Commission (CENI) announced in May 2010 the CNDD-FDD had received 64 per cent of the vote in the local elections, the opposition parties, which had been confident of victory, denounced “massive electoral fraud”. However, all national and international observers, the media and civil society recognised the vote as free and fair, despite some irregularities. The opposition responded by forming a coalition (l’Alliance des Démocrates pour le Changement au Burundi, ADC-Ikibiri) and said further involvement in the electoral process depended on dismissal of the CENI and cancellation of the local election. When their demands were rejected, most boycotted the remaining elections, resulting in overwhelming victories for the ruling party – 91 per cent of the vote in the presidential contest and 81 per cent and 94 per cent respectively in those for the lower and upper houses of the legislature – which thereby consolidated its control over all state institutions.

On the pretext that there had been violent incidents during the presidential elections, the security services arrested many members of the opposition in June and July 2010. To avoid arrest, the main ADC leaders left the country or went underground. After the chairman of the FNL, Agathon Rwasa, took the latter course, the leadership of his movement was taken over by a dissident minority with the support of the authorities. There have been frequent clashes since then between the security forces and unidentified armed men in the west of the country. Even though the latter are designated as “armed bandits” by the authorities, there is no doubt about the links between them and some opposition leaders. Burundi is not near a return to full civil war, but by marginalising and repressing the opposition, the CNDD-FDD is in effect reinforcing a nascent rebellion and doing harm to democracy.

Since the elections, there have been no official talks between the opposition parties and the government, and the permanent forum of political parties has become an empty shell. At the same time, the new government has inherited serious governance problems. Growing corruption, lack of an independent justice system, weak oversight institutions and a stalled transitional justice agenda are each immediate threats to democratic consolidation. Moreover, full integration of Burundi into the East African Community (EAC) may require a constitutional review that will be an opportunity to either strengthen or weaken democratic institutions. The crisis risks spilling across the border to the eastern Congo, where FNL fighters appear to have reformed links with armed groups in the Kivu region.

Despite the deteriorating political and security context, attempts to defuse the crisis have been limited. Several local organisations and some international partners have called for dialogue and restraint, but for the most part, the international community has been slow to act, despite the leverage its aid provides. To halt the dangerous trends, the institutional dialogue between all the political actors should be resumed within the framework of a reorganised permanent forum of the political parties. Likewise, a program for consolidation of democratic governance that involves strengthened institutional checks and balances as well as civil society initiatives needs to be jointly defined and implemented. Simultaneously, religious leaders, through the ecumenical conference, should mediate between the FNL and the government in order to bring Rwasa back into politics and end clandestine activities by his supporters.

Nairobi/Brussels, 7 February 2011

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