Un coup d’Etat orchestré dans les coulisses du pouvoir
Un coup d’Etat orchestré dans les coulisses du pouvoir
Commentary / Africa 4 minutes

Un coup d’Etat orchestré dans les coulisses du pouvoir

Le général burundais Godefroid Niyombaré a déclaré destituer le président Pierre Nkurunziza de ses fonctions présidentielles le 13 mai 2015 car ce dernier était candidat pour un troisième mandat en violation de la Constitution. Bien que l’entourage de Nkurunziza ait initialement nié qu’un putsch avait lieu, le major général Niyombaré a dit préparer un gouvernement de transition avec la société civile. Nous avons discuté avec Thierry Vircoulon, directeur du projet Afrique centrale, à propos des derniers développements survenus au Burundi.

Crisis Group : Pourquoi un coup d’Etat a-t-il été orchestré maintenant ? Qu’en est-il de la situation sur le terrain ?

Thierry Vircoulon : Les auteurs du coup ont profité du fait que le président Nkurunziza se rende dans la ville tanzanienne de Dar es Salaam pour participer au sommet de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est. Paradoxalement, cette réunion spéciale a été organisée par les présidents de la région pour discuter de la crise actuelle après trois semaines de manifestations dans la capitale contre la candidature du président Nkurunziza pour un troisième mandat.

La situation sur le terrain est très fluide et incertaine. Il y a eu des signes de joie dans le centre de Bujumbura cet après-midi, des personnes dansant et fraternisant avec les militaires dans la rue. Néanmoins, il y aurait également des négociations en cours entre les forces de sécurité loyales au président Nkurunziza et les putschistes. La situation en dehors de la capitale reste floue.

Qui est derrière le coup d’Etat au Burundi ? L’armée ? Une révolte populaire ?

Le coup a été orchestré par le major général Godefroid Niyombaré, ancien chef d’état-major de l’armée, qui fut également ambassadeur au Kenya et chef des services nationaux de renseignement. Le général Niyombaré est la figure la plus connue parmi l’élite sécuritaire du parti au pouvoir insatisfaite de la façon de gouverner du président Nkurunziza. Il n’était pas le seul général mécontent mais il était le plus visible après avoir été démis de ses fonctions par le président en février 2015. Il a été remercié par le président pour une note personnelle qu’il lui a envoyée lui conseillant de ne pas briguer un troisième mandat. Ce coup d’Etat vient du centre du parti au pouvoir.

Le général Godefroid Niyombaré a mentionné l’accord d’Arusha dans sa déclaration. L’accord a-t-il réellement été bafoué ? Pourquoi est-il important de le préserver ?

L’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi signé en 2000 a permis de mettre fin à une longue guerre civile marquée par un discours et des massacres ethniques. Nkurunziza et l’élite au pouvoir ont bloqué la mise en place de dispositions clés de l’accord d’Arusha – par exemple la justice transitionnelle – et ont mal mené l’indispensable réforme foncière. Ils ont également créé une opposition de façade afin de préserver l’apparence d’un système institutionnel de partage de pouvoir. En fait, ils n’ont pas fait mystère de leur aversion pour l’accord d’Arusha et de leur intention d’amender l’un de ses principaux succès, la Constitution burundaise. Cette dernière fait référence à l’accord d’Arusha, n’autorise que deux mandats présidentiels et rend obligatoire une majorité parlementaire de deux tiers pour faire voter une loi. L’échec de leur tentative de révision de la Constitution en 2014 n’a tenu qu’à une voix.

L’accord d’Arusha est largement considéré comme la pierre angulaire de la paix au Burundi. Il a créé le système de partage de pouvoir en place qui est perçu par la plupart des Burundais comme le meilleur système institutionnel disponible, capable de concilier les différents intérêts politiques et de rendre la coexistence pacifique possible après une longue guerre civile qui a coûté la vie à 300 000 individus.

L’armée bénéficie-t-elle aujourd’hui d’un soutien populaire plus important que le président sortant ?

L’armée a une bonne image publique à la fois dans le pays et sur la scène internationale, mais un contre-putsch est possible. L’action du major général Niyombaré devrait être soutenue par l’opposition, mais les ténors de l’opposition vont également demander le retour à un gouvernement civil aussi rapide que possible.

Quelles doléances sous-jacentes motivent les manifestants ?

La principale doléance des manifestants était le fait que le président Nkurunziza soit candidat à l’élection présidentielle prévue le 26 juin prochain. Des milliers de Burundais ont déjà fui le pays, craignant un climat de violence s’il persévérait dans cette voie. Ils étaient inquiets du retour de l’autoritarisme qui a marqué le second mandat du président, du manque de développement social et économique et de l’essor de la corruption.

Que compte faire l’armée burundaise pour remettre le pouvoir aux civils ?

L’histoire du Burundi a été marquée par plusieurs coups militaires qui se sont déroulés sans effusion de sang. Ce n’est pas la première fois qu’un président burundais est renversé par un coup d’Etat alors qu’il se trouve à l’étranger. En 1976, le président Jean-Baptiste Bagaza a pris le pouvoir par un coup d’Etat ne faisant aucune victime, puis il a lui-même été renversé par un coup d’Etat sans effusion de sang en 1987. Le président Pierre Buyoya a même organisé deux coups à la suite desquels il est resté au pouvoir pendant plusieurs années (entre 1987 et 1993, puis entre 1996 et 2003).

Comment l’Afrique réagit-elle ?

La plupart des pays africains attendent de voir comment la situation va évoluer avant de réagir formellement. Néanmoins, après leur réunion à Dar es Salaam, les chefs d’Etats des pays membres de la Communauté d’Afrique de l’Est ont condamné le coup d’Etat par la voix du président tanzanien Jakaya Kikwete. C’est avant tout un problème interne, le dernier exemple en date sur le continent de la façon dont une mobilisation populaire et une crise peuvent être provoquées par des présidents qui tentent de conserver le pouvoir.

Que devrait dire et faire la communauté internationale ?

Les partenaires internationaux du Burundi devraient insister pour le retour à un régime civil à travers l’organisation d’élections pacifiques cette année. Tous les éléments techniques sont en place pour la reprise du processus électoral et il est important de recréer les conditions politiques pour des élections pacifiques. Si cela se fait, les bailleurs pourront reconsidérer la récente suspension de leur assistance électorale.

Les acteurs internationaux devraient prendre note du fait que le major général Niyombaré dit souhaiter la reprise du processus électoral et travailler avec la société civile, les chefs religieux et la classe politique.

Le Conseil de sécurité des Nations unies devrait confier à l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour la région des Grands Lacs, qui a facilité le dialogue entre l’opposition et le parti au pouvoir, la tâche d’organiser rapidement une table ronde entre acteurs politiques burundais. Enfin, les acteurs internationaux devraient demander la libération des nombreuses personnes arrêtées pour avoir pris part aux manifestations qui se sont déroulées au cours des semaines passées.

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