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BURUNDI: Lever les sanctions, Relancer la transition

Le 25 juillet 1996, l’ancien président du Burundi, le major Pierre Buyoya, reprend le pouvoir avec l’aide de l’armée burundaise, renouant avec 30 ans d’un régime militaire dominé par les Tutsi.

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Synthèse

Le 25 juillet 1996, l’ancien président du Burundi, le major Pierre Buyoya, reprend le pouvoir avec l’aide de l’armée burundaise, renouant avec 30 ans d’un régime militaire dominé par les Tutsi. Le 31 juillet 1996, sous l’impulsion de l’ancien président de la Tanzanie Julius Nyerere, désigné par la communauté internationale pour être le médiateur principal du conflit burundais, les Etats de la région imposent un embargo contre le Burundi. Après plusieurs vaines tentatives de résoudre le conflit burundais, la communauté internationale a massivement porté ses espoirs en ce nouveau leadership régional.

Vingt et un mois plus tard, le processus de médiation des pays de la région est dans une impasse.

Cette impasse est due essentiellement à trois raisons : 1) le maintien des sanctions et l’accroissement des conditions posées suite au refus du gouvernement burundais de participer au sommet d’Arusha du 25 août 1997; 2) la détérioration des relations diplomatiques entre le Burundi et la Tanzanie suite aux échanges de tirs intervenus à la frontiere, entre les armées des deux pays; 3) l’accusation mutuelle de parti pris et de tentative de subversion du processus de paix par le gouvernement burundais et les pays de la région.

Le Burundi, un enjeu politique, économique et de leadership pour la région

En imposant des sanctions, le médiateur a dessiné une ligne politique claire faisant pour la première fois des négociations avec toutes les parties en conflit l’objectif prioritaire du processus de paix. Appliquant l’approche adoptée contre le régime d’apartheid sud-africain, la stratégie régionale était de rendre le coût du pouvoir élevé pour la classe dirigeante politico-militaire dominée par la minorité tutsi pour la forcer à revenir à la légalité constitutionnelle.

Pour les Etats de la région, le Burundi représente un enjeu politique, stratégique et économique. D’abord, le régime militaire burundais fait figure d’archaïsme face à la nouvelle génération de leaders africains. Par le coup d’Etat du 25 juillet, le président Buyoya mettait un terme au court épisode démocratique qu’il avait lui-même initié lors de son premier passage au pouvoir en organisant des élections présidentielles en juin 1993. Ces mêmes élections avaient conduit à sa défaite et l’arrivée au pouvoir du premier président hutu du Burundi, qui, après trois mois de mandat, a été assassiné par des officiers de l’armée. Ensuite, le Burundi est un élément clé de la sécurité régionale: la pression de plus de deux millions de réfugiés et personnes déplacées, la menace militaire représentée par la quinzaine de groupes rebelles ou d’anciennes armées dans la région représentent des facteurs de déstabilisation majeurs. Par son emplacement près du lac Tanganyka, principal accès vers l’Afrique du Sud, et le Kivu, source majeure de richesse de la région, le Burundi a aussi une position centrale au sein de l’espace de libre échange nécessaire au développement de la région. Enfin, après le succès de l’opération militaire collective dans l’ex-Zaïre, la médiation régionale au Burundi est une occasion pour les pays de la région de prouver qu’ils peuvent garantir un modèle de gouvernance stable et la sécurité régionale .

Le régime “Buyoya II” : un début de normalisation fragile

Pour tenter de donner une légitimité à son pouvoir acquis par les armes, le gouvernement burundais a répondu partiellement aux exigences de la région en restaurant les partis et l’Assemblée nationale, en négociant à Rome avec les factions armées, puis en classant les dossiers en justice des anciens présidents Bagaza et Ntibantunganya et du président de l’Assemblée Ngendakumana. Il a d’abord mis en place une politique dont les priorités étaient la restauration de la sécurité par des moyens militaires et les négociations avec les factions armées. Après l’échec des négociations avec le CNDD[fn]Conseil National pour la Défense de la Démocratie.Hide Footnote conduites secrètement à Rome en mai 1997, et constatant l’impasse de la médiation régionale, le gouvernement a fait une priorité du dialogue interne entre les composantes de la nation burundaise. Depuis l’automne 1997, un début de rapprochement a été amorcé entre l’Assemblée, le FRODEBU et le gouvernement. Le processus interne de dialogue prépare une double échéance : juin 1998, qui verra le terme du mandat de l’Assemblée et juillet 1999, date à laquelle le décret de transition suspendant la Constitution prendra fin.

Toutefois, le gouvernement burundais doit faire face à plusieurs défis pour mettre en place une politique de négociations et de réformes : une base politique étroite et la radicalisation d’éléments de son camp; la fragmentation de l’opposition; l’absence d’une société civile forte capable d’accompagner le processus de paix; la menace d’une rébellion active; et la crise sociale et économique qui menace le fonctionnement de l’Etat et des institutions.

L’embargo, un obstacle au processus de paix

Aujourd’hui l’embargo est devenu inopérant politiquement, voire contreproductif.

  • Le major Buyoya est resté au pouvoir et la solution militaire prévaut toujours.
     
  • L’embargo a considérablement appauvri le pays et a eu des effets humanitaires désastreux.
     
  • Grâce au développement de stratégies de contournement et d’une économie informelle, le Burundi n’a pas été étranglé économiquement.
     
  • L’embargo n’a affaibli ni la classe dirigeante ni l’armée, ni modifié la donne politique burundaise. En réalité, l’embargo a rendu les riches plus riches et les pauvres plus pauvres.
     
  • Le maintien des sanctions a même des effets pervers. En ne reconnaissant pas les efforts de dialogue interne, il décrédibilise le processus de paix, marginalise les forces modérées du pays et donne prise aux discours extrémistes, remettant à l’ordre du jour la possibilité d’une sérieuse déstabilisation du pays.
     
  • En ne faisant pression que sur le gouvernement burundais pour négocier, il appuie de facto les revendications des opposants au gouvernement et a promu une approche de vainqueur-vaincu.
     
  • Il a également contribué à déplacer le problème, en focalisant les discussions sur le processus et non sur le contenu des négociations.

La transition dans l’impasse

Au bout de vingt et un mois d’embargo, la médiation des pays de la région présente un bilan contesté.

  • La contradiction la plus frappante est certainement que les pays ayant imposé les sanctions sur le Burundi ont été les premiers à les violer. Les plus gros bénéficiaires de l’embargo appartiennent aux pays de la région même.
     
  • De plus, les leaders de la région qui ont condamné le changement à la tête de l’Etat burundais par la force et demandé la restauration de l’Assemblée nationale et des partis politiques sont pour la plupart arrivés au pouvoir par les armes, se sont maintenus au pouvoir par la force et viennent seulement récemment d’introduire le multipartisme dans leur pays.
     
  • Troisième observation : le froid des relations entre la Tanzanie et le Burundi ne crée pas les conditions propices au dialogue. D’une part, une partie du territoire tanzanien semble être utilisée comme «sanctuaire» par la rébellion burundaise, abritée dans les camps de réfugiés. D’autre part la Tanzanie, comme la plupart des pays de la région à l’exception du Rwanda et de la République Démocratique du Congo, n’a pas d’ambassade au Burundi et ne reconnaît pas le régime de Pierre Buyoya.

Quatrième contradiction, la participation des pays médiateurs au système de sanctions est contradictoire avec le principe même de neutralité de toute médiation. L’embargo semble être devenue une affaire personnelle pour les deux chefs de file de la région, le président Nyerere et le président Museveni. Une levée de l’embargo signifierait la fin du processus d’Arusha et de facto la fin du mandat des pays de la région. Pour des grands leaders comme le président Nyerere - qui bénéficie d’un prestige immense - et le président Museveni - qui a réussi la reconversion de l’Ouganda déchiré par la dictature et la guerre en un pays stable et en un bon élève des institutions financières internationales - l’échec de la médiation est inacceptable.

Bujumbura/Burundi, 28 april 1998

Executive Summary

Burundi has spent the most part of the past five years embroiled in a vicious civil war that has so far claimed more than 200,000 lives and triggered massive movements of refugees and displaced persons and which continues to add to instability throughout the Great Lakes region.  Since July 1996, the country has been largely cut off from the outside world, following the decision by neighbouring countries in the region to impose harsh economic sanctions in response to the overthrow of Burundi’s coalition government by the Tutsi-dominated military.

The swift response of regional leaders to the Burundi coup in July 1996 and their show of resolve to force the military government, led by Major Pierre Buyoya, to restore multiparty democracy and enter into all-party talks on the future of the country is undeniably impressive.  Meeting within five days of the military’s seizure of power, the leaders of Tanzania, Kenya, Uganda, Rwanda, Zaire and Ethiopia agreed to impose uniform sanctions on Burundi, issued a list of specific demands that the Burundian government would have to meet for the sanctions to be lifted and gave their full backing to former Tanzanian president Julius Nyerere’s efforts to mediate a settlement to the crisis.

The wider international community, including the United States and key European states, greeted the efforts of regional leaders to impose a solution on Burundi through a combination of economic pressure and negotiations with barely disguised relief.  Western governments, still haunted by their failure to do more to prevent the Rwanda genocide of 1994 in which almost a million people lost their lives, lent strong political and financial support to the regional leaders and, specifically, to former president Nyerere as the regional peace-broker.  At the time, the speed and unity of the regional response to events in the Burundian capital, Bujumbura, seemed to auger well for the future.  It became common to hear US and European politicians arguing that the determination of leaders in the Great Lakes region to impose a peace process on Burundi was evidence that Africans were increasingly taking on responsibility for solving their own problems.

20 months on, the situation remains far from resolved.  While the swift response of regional leaders to the coup in Burundi undoubtedly had an immediate and positive impact on the political situation inside Burundi – leading within weeks to a lifting of the ban on political parties and the restoration of the country’s Parliament – the main objectives of regional and international policy have yet to be achieved.  Burundi’s military government remains in place; violence continues, albeit at a lower rate than before the coup; and while there is evidence of a limited rapprochement between key parties within Burundi, including between the Government and the Parliament, genuine peace talks have yet to begin.  Meanwhile, Nyerere’s regional peace process remains at a standstill against a backdrop of mutual recriminations and allegations that the mediator’s neutrality has been compromised by his support for punitive sanctions on Burundi.  The embargo, originally intended as a regional policy, has evolved into a personal feud between the former Tanzanian president and the president of Uganda on the one hand and Buyoya on the other.  As hopes of a breakthrough fade, Burundi’s neighbours have become increasingly divided on what measures to take to break the deadlock.

The present report, compiled by an ICG field analyst based in Bujumbura, provides an assessment of the current situation in Burundi and the region.  In particular it examines the key changes during the 20 months since the 1996 coup.  It  weighs up the performance of the Buyoya military government in restoring security and opening up dialogue between Burundi’s factions and looks in detail at the impact of the economic embargo on the peace process, both within the country and in the region.

The report catalogues a number of serious obstacles that reduce the Burundi government’s room for manoeuvre and limit the chances of progress towards productive all-party negotiations on the country’s future.  These include:

  • a radicalisation of some elements of the army and Tutsi community who fear pressure from the region may force the government into making concessions that compromise the security of the Tutsi minority;
     
  • fragmentation of the government’s political base, with deep divisions within the Tutsi-dominated UPRONA party
     
  • splits in the opposition, within the Hutu-dominated FRODEBU party and between the political opposition parties and armed elements;
     
  • the threat of an active rebellion, and
     
  • a crisis of confidence in the country’s judicial system, making it impossible for those guilty of past atrocities to be tried and the culture of impunity to be tackled.

The report criticises the refusal of regional leaders not to consider changing tack in the face of mounting evidence that their emphasis on economic sanctions as a means of forcing Burundi’s parties into an open, regionally-brokered peace process has failed to deliver the desired results.  As the report points out, the sanctions policy has:

  • not removed the president from power;
     
  • made Burundi’s poor poorer – by inflicting widespread human suffering and economic squalor on the most vulnerable and deprived sections of Burundian society; and made the rich richer – by creating opportunities for extortion rackets, corruption and highly-profitable black market economic activities;
     
  • failed to exert significant economic hardship on members and supporters of the government and the military, who can by and large afford inflated prices;
     
  • not strangled the Burundian economy which still functions, albeit unreliably, by virtue of illegal smuggling, corruption and a thriving black market;
     
  • narrowed Buyoya’s political base, marginalising moderates and radicalising certain elements within the army and the minority Tutsi community by adding to their sense of persecution and vulnerability;
     
  • undermined the regional peace process by seriously damaging the relationship between Burundi and the other countries of the region;
     
  • made compromise less not more likely by forcing the Burundi government to choose between caving into regional demands, and therefore losing all face, or standing firm and handling the crisis internally (a winner/loser scenario); and
     
  • shifted the focus of peace-making efforts away from the content of negotiations and instead onto the nature of the negotiating process – tying the lifting of the embargo to the start of a regionally-led external peace process.

Bujumbura/ Burundi, 28 April 1998

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