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Les terres de la discorde (I) : la réforme foncière au Burundi

Tant que le gouvernement n’aura pas réformé la gouvernance foncière, les efforts pour consolider une paix durable demeureront insuffisants.

Synthèse

Pays essentiellement rural, le Burundi est confronté à deux problèmes fonciers. Le premier, structurel, concerne la gestion de la terre, cette ressource vitale qui se raréfie sous le coup de la croissance démographique. Le second, héritage de la guerre civile, concerne la situation des réfugiés et des déplacés qui ont été spoliés injustement. Le premier problème génère une violence diffuse dans la société burundaise et nécessite la relance de la réforme de la gouvernance foncière sur de nouvelles bases. Au lieu d’une réforme profonde des systèmes de gestion foncière, c’est une simple révision du code foncier qui a été mise en œuvre. Or en l’absence de véritable changement dans la gouvernance foncière, notamment en matière de règlement des conflits liés à la terre, cette question va continuer à cristalliser le ressentiment des populations qui s’estiment spoliées ou dont l’accès à la terre est limité, rendant ainsi plus probable l’éclatement de conflits futurs.

Le surpeuplement du Burundi met à mal son modèle agraire et alimente une insatisfaction socioéconomique profonde qui a, en grande partie, constitué l’arrière-plan des affrontements passés. Avec une des plus fortes densités du continent (environ 400 habitants par kilomètre carré) et une population vivant de l’agriculture à 90 pour cent, le Burundi devrait être un modèle de gestion foncière. Or la mauvaise gouvernance foncière est profondément enracinée et les anciens mécanismes de régulation dans ce domaine sont tombés en désuétude, générant conflits et tensions sociales ainsi qu’un taux de malnutrition proche de 75 pour cent. Au bout de quatorze ans, l’ambitieuse réforme foncière prévue dans l’accord d’Arusha n’a abouti qu’à une réformette bien en deçà des attentes et des problèmes.

Plusieurs raisons expliquent cet échec : le manque d’encadrement des prérogatives de l’Etat, qui permet des abus et accroit l’insécurité foncière, ainsi qu’un déficit de coordination entre les multiples structures de réforme, entrainant un chevauchement des compétences et réduisant l’efficacité des institutions. A ces problèmes s’ajoutent le manque d’indépendance de la justice à l’égard du pouvoir politique, les inégalités d’accès à la terre (notamment pour les femmes) et la disparition des mécanismes traditionnels de régulation des conflits capables de promouvoir un règlement des litiges à l’amiable.

La résolution du problème foncier demandera bien davantage qu’un simple changement des rapports de force politique entre les partis tutsis qui ont dominé l’appareil d’Etat depuis l’indépendance et la majorité hutu au pouvoir depuis 2005. C’est d’une vision globale tenant compte des contraintes socioéconomiques et permettant de rompre avec la mauvaise gouvernance du passé dont le pays a besoin.

Alors que les élections de 2015 sont déjà en cours de préparation et que la question foncière sera un des enjeux électoraux, plusieurs mesures doivent être mises en œuvre par le gouvernement avec le soutien des partenaires internationaux, dont :

  • l’élaboration d’une nouvelle stratégie de développement rural qui intègre pleinement la politique foncière ;
     
  • l’adoption d’une loi sur les successions consacrant l’égalité des droits entre hommes et femmes, la prise en compte de tous les usagers (femmes et enfants) dans la certification foncière et la possibilité d’enregistrer des partages successoraux par anticipation, c’est-à-dire avant le décès de la personne concernée ;
     
  • le lancement d’une campagne nationale de sensibilisation au règlement pacifique des querelles foncières ; et
     
  • le développement de la médiation et de la conciliation dans les tribunaux ainsi que la pérennisation des services fonciers communaux.

Ce rapport traite de l’épineux problème de la gestion des terres au Burundi. Il a pour but d’analyser les raisons de l’échec de la réforme du système foncier depuis la fin de la guerre civile et l’accord d’Arusha en 2000 et de proposer des pistes de solution pour promouvoir un véritable changement en matière de gouvernance foncière. Un second rapport analysera la question tout aussi complexe de la restitution des terres et propriétés des réfugiés et déplacés de la guerre civile.

Nairobi/Bruxelles, 12 février 2014

 

Executive Summary

Burundi, whose population lives mainly in rural areas, is facing two land problems. The first is structural and due to poor land management, particularly in a context of high population growth, which generates violence and crime. The second is a legacy of the civil war that deprived hundreds of thousands of refugees and displaced people of their properties. Only renewed focus and fresh thinking can help prevent rural criminal violence. However, instead of meaningful reform, only a review of the land code has been implemented. The impact of the absence of a comprehensive change in land governance, especially on conflict resolution, will continue to fuel public resentment, especially for those who have been dispossessed of their properties or have limited access to land ownership. The sense of injustice and the pressing need for land will likely contribute to future conflicts unless the government adopts a new approach.

Burundi’s overcrowded rural population is a challenge to its land management system and is the source of deep socioeconomic resentment that in part fuelled the civil war. With one of the highest population densities on the continent (about 400 people per square kilometre) and 90 per cent of the population dependent on agriculture, Burundi needs to be a good example of land management. On the contrary, however, bad land governance is deeply rooted and old regulation mechanisms are obsolete, thus contributing to conflict, social tensions and a malnutrition rate close to 75 per cent. Fourteen years on, the ambitious land reform provided for in the Arusha agreement has been superficial at best and has not met expectations.

Several shortcomings explain this failure: the absence of tight control over state prerogatives, which generates abuses and increases land insecurity; lack of coordination between reform initiatives, which leads to a duplication of roles and reduces the efficiency of land institutions; lack of independence of the judiciary; inequalities in land access (especially for women); and disappearance of traditional conflict resolution mechanisms.

Resolving land conflicts will require much more than a simple change in the political balance of power between the Tutsi elite, which has dominated the political arena since independence, and the Hutu majority, in power since 2005. Burundi needs a global vision on land that will take into account socio-economic realities and break with bad governance practices of the past.

Preparations for the 2015 elections have started and land issues will be a divisive topic during the campaign. The government should, with the support of international partners, implement the following measures:

  • elaborate a new rural development strategy that fully integrates the land policy;
     
  • pass a law on inheritance to promote gender equality, to include all land users (particularly women and children) in land certification and to allow the advance registration of estates for the purposes of succession (ie, before the concerned person’s death);
     
  • launch a national campaign to promote peaceful land dispute resolution; and
     
  • develop mediation and conciliation within the courts, as well as establish sustainable local land management services.

This report, the first in a two-part series, examines why reform has failed to improve land governance since the 2000 Arusha agreement. It suggests a way forward to relaunch land reform initiatives in a comprehensive and coherent manner. A second report will analyse the complex land restitution policy for refugees and displaced persons.

Nairobi/Brussels, 12 February 2014

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