A l’intérieur de la crise burundaise (I): Une armée divisée et en perte de repères
A l’intérieur de la crise burundaise (I): Une armée divisée et en perte de repères
Commentary / Africa 5 minutes

A l’intérieur de la crise burundaise (I): Une armée divisée et en perte de repères

Le 11 septembre au matin, sur la route de Rumonge au sud du pays, le chef d’état-major de l’armée burundaise, Prime Niyongabo, échappe de justesse à une tentative d’assassinat. Trois militaires de son escorte n’ont pas cette chance et sont tués sur le coup. Un mois plus tôt, un autre militaire, le général major Adolphe Nshimirimana, chef des services de renseignement, est abattu en plein jour lors d’une embuscade dans la capitale, Bujumbura.

Malgré la disparition des médias indépendants et le black-out informationnel qui en résulte, pour beaucoup de Burundais, les auteurs de ces meurtres ciblés sont des militaires. Seuls des militaires auraient les informations et les armes nécessaires pour organiser deux attaques visant des hauts gradés. Les arrestations de militaires qui ont suivies semblent confirmer ce soupçon.

Considérée il y a peu comme la plus grande réussite de l’accord de paix d’Arusha signé en 2000, l’armée est aujourd’hui une institution dangereusement proche de la rupture. Le silence qu’elle observe depuis la réélection du président Nkurunziza  en juillet dernier contraste avec l’augmentation des violences et de ses divisions internes.

Une institution intégrée mais pas unie

La composition de l’armée burundaise fut un des points-clés des négociations d’Arusha. Dans un pays qui avait une longue tradition de régimes militaires (le capitaine Micombero, le colonel Bagaza et le major Buyoya ont été successivement présidents de 1966 à 1993, à chaque fois à l’issue d’un putsch), l’armée était le principal centre de pouvoir. Son partage prend donc une tournure stratégique pour les parties qui négocièrent l’accord d’Arusha. Au final, l’accord  stipule que l’armée burundaise ne doit plus jouer de rôle politique, doit se composer à égalité de représentants des deux principaux groupes ethniques du pays, les Hutu et les Tutsi, et doit réunir les ennemis d’hier – c’est-à-dire intégrer dans le même corps les soldats de l’ancien régime, dénommés les ex-Forces Armées Burundaises (FAB) majoritairement tutsi, ainsi que les miliciens des groupes armés majoritairement hutu.

L’intégration des « maquisards » dans une armée qui avait lutté contre eux pendant plusieurs années doit en partie sa réussite à une supervision internationale forte résultant d’un engagement important de l’Afrique du Sud et d’autres garants de l’accord d’Arusha (Nations unies, Union africaine, Belgique, France, etc.). La réussite de l’intégration des combattants du Conseil national pour la défense de la démocratie-Force de défense de la démocratie (CNDD-FDD), des Forces nationales de libération (FNL) et autres groupes d’opposition dans l’armée nationale transforma cette institution en symbole du compromis d’Arusha. Perçue par la population et la communauté internationale comme un facteur de stabilité pour le pays et une force désormais apolitique, l’armée bénéficia de l’appui de plusieurs partenaires, dont les Etats-Unis, la France, les Pays-Bas, et les portes des missions de maintien de la paix de l’Union africaine et des Nations unies lui furent ouvertes.

Cependant, durant le second mandat du président Nkurunziza (2010-2015), issu du CNDD-FDDune part d’idéalisation dans l’unité et le caractère apolitique attribué à l’armée burundaise était déjà présente. En effet, bien que sa participation à l’opération de l’Union africaine en Somalie dès 2007 semblait avoir renforcé sa cohésion, les différences et les affiliations partisanes héritées de la guerre civile des années 90 ne s’estompaient pas. Par exemple, un certain favoritisme du pouvoir en place envers ses combattants continuait. Qu’il s’agisse des stages de formation à l’étranger ou des affectations dans les missions de maintien de la paix, les anciens combattants du CNDD-FDD étaient souvent privilégiés par rapport aux ex-FAB. Les militaires avaient leurs propres sigles pour signifier les différences d’affiliation parmi eux : d’un côté les ex-FAB, de l’autre les PMPA (Partis et Mouvements Politiques Armés) qui regroupaient le CNDD-FDD et d’autres anciennes factions rebelles. De même les phénomènes de double commandement en fonction des affiliations partisanes n’étaient pas rares. L’armée était donc une institution intégrée sans pour autant être unie.

De la crise électorale à la crise de l’armée

Après le début de la crise électorale en avril, et face aux manifestations quotidiennes à Bujumbura contre la candidature de Nkurunziza, un certain malaise est apparu dans les rangs de l’armée. A plusieurs reprises en avril et mai dernier, des militaires se sont interposés entre les policiers et les manifestants. Ces tentatives d’apaisement, bien qu’en apparence positive, aboutissent à au moins deux « incidents » mortels entre policiers et militaires (dans les deux cas, des militaires ont été tués) accentuant les tensions entre ces deux institutions sécuritaires. Face à la contestation de la rue, les militaires sont partagés : pour certains, l’apolitisme de l’armée signifie qu’elle ne doit pas se mêler de ce qui était une « lutte politique » ; pour d’autres, elle ne doit pas laisser se développer un mouvement remettant en cause le pouvoir en place.

Organisé par le général Niyombaré durant l’absence du président parti assister à un sommet de la Communauté d’Afrique de l’Est, le putsch avorté du 13 mai change la donne.

Le malaise a fait place à la peur. En révélant des failles de loyauté dans le commandement, la tentative de coup d’Etat conduit à une répression dans l’ombre. Des militaires du camp Para commando et de la Brigade logistique, communément appelée Base, sont  enlevés par des agents de police et du service national de renseignement (SNR). Certains réapparaitront, d’autres pas. Certains officiers désertent même – les derniers en date étant le lieutenant-colonel Edouard Nshimirimana et le major Ndayikeza, commandant en second du camp de Muha. Peu après le putsch manqué, le ministre de la Défense d’alors, l’ex-FAB général major Pontien Gaciyubwenge, se réfugie en Belgique et la règle non-dite qui voulait que le ministre et le chef d’état-major représentent chacun une des composantes de l’armée (les ex-FAB et les PMPA) a été remise en cause. En effet, le nouveau ministre de la Défense Emmanuel Ntahomvukiye, qui a d’ailleurs lancé un appel à la cohésion de l’armée dès sa prise de fonction en mai, n’est pas issu de l’ancienne garde militaire. A cette modification des équilibres politiques dans l’armée s’ajoute aussi un manque de régularité dans le paiement des militaires engagés dans des opérations de maintien de la paix.

La chasse aux putschistes ?

Des positions militaires étant attaquées depuis le mois de juillet par des éléments armés non-identifiés et des tirs d’armes lourdes ayant visé le palais présidentiel à la fin du mois de septembre, le pouvoir a pris des mesures anti-putsch qui visent surtout les ex-FAB. Des officiers tutsi ont ainsi été retirés de leur poste de commandement et mutés dans des unités reculés après la tentative de putsch en mai. Les militaires issus de l’ancienne rébellion FNL n’ont pas été épargnés. Selon certaines sources, de nombreux militaires tutsi appartenant à la Brigade spéciale de protection des institutions (BSPI) ont été remplacés par leurs collègues issus du CNDD-FDD.

Par ailleurs, selon une source crédible, « Les militaires qui viennent de la mission de maintien de la paix [des Nations unies] en Centrafrique ont laissé toutes leurs armes à ceux qui sont allés assurer la relève. Arrivés à Bujumbura, les ex-FAB ont reçu un fusil avec un seul chargeur garni. Mais les PMPA ont eu un fusil avec deux ou trois chargeurs garnis, ce qui a choqué les ex-FAB. » Enfin, les militaires n’échappent pas aux perquisitions de la police qui se sont multipliées ces dernières semaines : « Quand les policiers arrivent au domicile d’un militaire, ils demandent si c’est un PMPA ou un ex-FAB. Chez un PMPA, ils n’entrent pas ou entrent et font semblant de fouiller. Mais chez un ex-FAB, ils fouillent partout, même sous le matelas ou dans le plafond. »

En ce début de troisième mandat, chaque nouvelle désertion et chaque nouveau meurtre accentuent la rupture entre le régime et l’armée. Le régime doute de l’armée et l’armée doute du régime. Dans l’équation politique et sécuritaire burundaise, elle fait aujourd’hui figure de facteur X et son mécontentement présage d’autres défections, d’autres violences et sans doute d’autres tentatives de putsch.

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