Réfugiés burundais : fuir la répression
Réfugiés burundais : fuir la répression
Arrivée de nouveaux exilés burundais, Camp de réfugiés de Mtendeli, Tanzanie, Juillet 2016. CRISIS GROUP/Mathilde Boddaert
Arrivée de nouveaux exilés burundais, Camp de réfugiés de Mtendeli, Tanzanie, Juillet 2016. CRISIS GROUP/Mathilde Boddaert
Commentary / Africa 10 minutes

Réfugiés burundais : fuir la répression

Plus de 300 000 Burundais ont fui leur pays depuis avril 2015 pour échapper à la répression du régime de Pierre Nkurunziza. Dans cet article, le premier d’une série de trois, des réfugiés burundais partagent leur histoire douloureuse et tentent ainsi de tirer la sonnette d’alarme sur la violence dans leur pays d'origine.

Depuis avril 2015, plus de 300 000 Burundais ont fui leur pays. La majorité a moins de 18 ans. Cet exode est le résultat de la dérive autoritaire du régime de Bujumbura, qui réprime violemment les opposants au troisième mandat du président Pierre Nkurunziza. L’élimination de toute forme de dissonance politique s’inscrit dans le projet du parti au pouvoir de démanteler l’accord d’Arusha, conclu entre les élites hutu et tutsi en 2000. En ayant recours à un discours ethnicisant et à la violence arbitraire, le régime cherche à diviser les Burundais et à répandre la peur, et mise sur l’enlisement du conflit pour se maintenir au pouvoir.

Cet article, le premier d’une série de trois, donne la parole à des réfugiés burundais[fn]La majorité des exilés burundais sont enregistrés comme réfugiés dans leur pays d’asile à l’arrivée dans les camps. En milieu urbain, on trouve des individus enregistrés comme réfugiés et d’autres pas. Dans cette série d’articles, le terme de réfugié est utilisé de manière générale : il peut se rapporter à des individus enregistrés comme réfugiés et à des exilés non-enregistrés.Hide Footnote  ayant quitté leur pays depuis le début de la crise, afin de comprendre les raisons et les conditions de leur fuite.[fn]Les prénoms ont été modifiés, et certains détails concernant le parcours des réfugiés ont été omis pour des raisons de sécurité.Hide Footnote  Dans les articles suivants, les réfugiés évoquent leur vie en exil et la façon dont ils envisagent l’avenir. Cette enquête unique est le fruit de plus de 50 entretiens menés entre février et août 2016 en Tanzanie, en Ouganda, en Belgique, au Kenya, et au Rwanda. Une préparation minutieuse a été nécessaire pour avoir accès aux camps et rencontrer des réfugiés sans compromettre leur sécurité. Les témoignages sélectionnés illustrent la diversité des parcours des exilés burundais ; ils dévoilent des expériences douloureuses et révèlent leur désir de tirer la sonnette d’alarme face à la violence du conflit qui frappe leur pays.

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Figures depicting the influx of Burundian refugees to bordering countries since 1 April 2015, and to neighbouring Uganda since 1 January 2015. All figures accessed on 14 October 2016. UNHCR

L’impact de la crise sur le capital humain du Burundi est dramatique. Le pays se vide peu à peu de ses forces vives – étudiants, membres de la société civile, journalistes, élite politique et économique, cultivateurs. Prendre en considération le point de vue des réfugiés est essentiel pour enrayer la spirale de la violence.

Yvette

Yvette, 41 ans, fuit le Burundi en 2015 pour échapper aux persécutions et à la violence des hommes du régime. Réfugiée pour la troisième fois de sa vie, la Tanzanie est de nouveau sa terre d’accueil. Yvette et son mari y avaient déjà trouvé refuge en 1996, à cause de la guerre (1993-2005). Contrainte de rentrer au Sud du Burundi en 2012 – la Tanzanie ayant fermé ses derniers camps – elle savait son retour prématuré. Cette cultivatrice et mère de famille explique :

« Depuis plusieurs années, 2010 au moins, les gens qui ne sont pas membres du parti au pouvoir sont pris pour cible dans cette région. C’est encore pire si tu es tutsi comme moi. A l’époque déjà, certains avaient été tués ».

Elle et son mari n’ont jamais adhéré au Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), le parti au pouvoir au Burundi depuis 2005. En 2015, tandis que s’organise la mobilisation contre la candidature du président Nkurunziza à un troisième mandat, ils sont pourchassés par les Imbonerakure, la ligue des jeunes du parti, devenue une véritable milice. « Nous avons dû vivre dans la forêt », confie-t-elle. Mais les miliciens retrouvent le couple. « Parce que tu es tutsi, on commencera par toi ! », lancent-ils à Yvette. Tenue captive par les hommes de main du régime dont des Imbonerakure, elle subit des mauvais traitements physiques et psychologiques, avant d’être libérée grâce à l’intervention d’une organisation de la société civile.

« Le problème ethnique demeure au Burundi », estime-t-elle. « On m’a parfois demandé comment je pouvais être encore en vie alors qu’on pensait nous avoir “tous” tués en 1972 [pendant les massacres de Tutsi à Rumonge, dans le Sud du pays] ».

Cette année-là, ses parents s’étaient réfugiés dans l’actuelle République démocratique du Congo, où Yvette a grandi.

En mai 2015, Yvette apprend que les Burundais peuvent à nouveau obtenir l’asile en Tanzanie et décide de fuir. La menace la suit jusqu’à ce qu’elle quitte le Burundi : « A la frontière, la police et les Imbonerakure ont voulu m’arrêter. L’armée s’est interposée et ils se sont disputés… ». Yvette dit « avoir vu » des femmes subir des violences physiques et sexuelles à la frontière, et avoir couru pour y échapper.[fn]Louise, 40 ans, cultivatrice réfugiée en Tanzanie depuis juin 2016 à la suite de l’assassinat de son mari, témoigne aussi des exactions commises aux frontières burundaises depuis 2015 : « A la frontière il y a des Imbonerakure ; s’ils t’attrapent et qu’ils te savent en fuite, ils te tuent ». Béatrice, trentenaire qui a fui en mai 2015, raconte que « si tu croisais les militaires burundais, on te frappait… Et on te faisait retourner. Aujourd’hui on peut même te tuer en pleine journée ».Hide Footnote  Elle arrive le 20 mai au camp de Nyarugusu.

Son mari, resté au Burundi, continue d’être menacé et la rejoint. « On lui a dit que s’il revenait au pays, on le tuerait », rapporte Yvette. Le couple vit avec deux de ses enfants au camp de Mtendeli, où ils ont été transférés le 22 mai 2016. Leurs autres enfants sont restés chez des proches au Burundi.

Béatrice, trentenaire qui a fui en mai 2015, raconte que « si tu croisais les militaires burundais, on te frappait… Et on te faisait retourner. Aujourd’hui on peut même te tuer en pleine journée ».

Vital Nshimirimana

Figure majeure du mouvement de contestation du troisième mandat du président Nkurunziza, Vital Nshimirimana quitte le Burundi fin mai 2015.

Dès le début des manifestations contre le troisième mandat, en avril, Vital, délégué général du Forum pour le renforcement de la société civile au Burundi (Forsc) et président du mouvement citoyen Halte au troisième mandat, est « pris pour cible » et reçoit « plusieurs avertissements ». Fin avril, il annule un voyage à Arusha en Tanzanie, par peur de ne plus pouvoir rentrer au Burundi. Il se résout à fuir le pays quelques semaines après le coup d’Etat manqué du 13 mai et la fermeture consécutive des médias indépendants, « qui a aggravé la peur ». Sa famille part le 24 mai malgré la confiscation de leurs passeports par la Police de l’air, des frontières et des étrangers (PAFE, l’autorité de l’immigration), et grâce à un document de voyage valable dans la région des Grands Lacs. Il les suit clandestinement une semaine plus tard. Vital et ses proches s’installent à Kigali au Rwanda, avec le soutien temporaire d’organisations d’aide aux défenseurs des droits humains.

Selon cette figure de la société civile, le président Nkurunziza préparait sa reconduction au pouvoir « depuis longtemps ». Vital décrit l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire par le régime, la manipulation de l’électorat hutu et, depuis 2011, la destruction de l’espace politique.

« Dès 2005, Pierre Nkurunziza a installé une petite clique autour de lui, avec des généraux radicaux à qui il offre des avantages colossaux, qui sont devenus ultra puissants et se sont substitués à la loi et aux institutions », rapporte-t-il.

Président du Conseil supérieur de la magistrature, Nkurunziza « nomme tous les magistrats ». Selon Vital, « le président accorde des privilèges à ceux qui le servent, mais ceux qui servent la justice sont pourchassés ».

L’activiste estime que le président burundais « manipule la question ethnique pour créer une diversion sur la question centrale, qui reste d’ordre politique, afin de se maintenir au pouvoir et de faire avancer son projet de vengeance ».

Le conflit « prend une allure ethnique contre les Tutsi » depuis octobre-novembre 2015 et « vise davantage l’armée », affirme Vital. « La population n’est pas totalement acquise à cette politique. Tous ceux qui se sont sentis exclus, persécutés, sont davantage soudés. Ça a renforcé la cohésion entre les communautés hutu, tutsi, musulmanes, chrétiennes… » Il n’en est pas moins inquiet pour l’avenir.

« Nkurunziza a mobilisé ceux qui pourraient massacrer des gens en peu de temps. Les Imbonerakure, qui sont entrainés et payés, sont ceux qui sèment la terreur. »

Vital précise toutefois que « certains Imbonerakure sont pris en otage : ils voudraient quitter le groupe, mais ne le font pas par manque de moyens ».

Selon le délégué général du Forsc, la persécution des prétendus opposants s’organise au cas par cas lors de réunions rassemblant les responsables du régime. « Ça occasionne des fuites. Des membres du Service national de renseignement (SNR) – qui ne sont pas toujours bien payés – fournissent des informations contre une certaine rétribution ; ou parfois gratuitement. Ça a sauvé des vies. »

Robert

Etudiant de 29 ans, Robert trouve refuge en Ouganda « pour être loin du Burundi et échapper aux menaces » après l’attaque de camps militaires et les répressions meurtrières du 11 décembre 2015 à Bujumbura.  

Originaire de l’intérieur du pays, il vivait depuis plusieurs années à Musaga, un quartier de la capitale dominé par l’opposition. Quand les manifestations contre la candidature du président à un troisième mandat commencent, en avril 2015, l’étudiant y participe.

« Les Imbonerakure ont vite établi une présence dans le quartier, dit contestataire ; mais à partir du 12 décembre, le niveau de violence a augmenté ; ils portaient gourdins et machettes. La vie à Musaga est devenue très difficile. Il y avait des coups de feu tout le temps. Dès qu’on voyait un jeune, on lui tirait dessus ! Des Imbonerakure et des policiers défonçaient les portails, entraient dans les maisons pour tuer les gens. »

Personnellement pris pour cible, Robert « trouve un passeport clandestinement » et quitte le pays. Juste à temps. « Des policiers et Imbonerakure sont venus me chercher chez moi, mais j’étais déjà parti ». « On nous accusait d’avoir été parmi ceux qui avaient attaqué les camps militaires », explique-t-il. Plusieurs de ses amis, étudiants comme lui, sont emprisonnés. « On leur a coupé les doigts, on les a tabassés, on leur a mis du sel dans les yeux, on les a frappés avec des fibres optiques ou des fils de fer », raconte-t-il.

« C’est le troisième mandat qui a entrainé la crise », explique Robert. Les gens se sont levés parce que « le soi-disant président voulait violer l’accord d’Arusha et la Constitution ». « Face à la contestation, le gouvernement a persécuté les innocents. » Selon lui, « il y avait des signes avant-coureurs » de cette crise.

« Dès 2014, les Imbonerakure, d’autres militants du CNDD-FDD et les élus disaient aux gens que s’ils refusaient le troisième mandat, ils seraient tués. A l’époque déjà, le gouvernement a ciblé Musaga comme quartier contestataire. Les Imbonerakure apposaient des signes rouges sur les maisons des opposants… »

Le jeune homme rapporte qu’« on a creusé des fosses communes destinées “à ceux qu’on allait tuer” dans les provinces de Ruyigi, de Cibitoke et ailleurs… Du coup, les gens ont eu peur de dire ce qu’ils pensaient » de la candidature du président Nkurunziza.

Robert, lui-même tutsi, relate la tournure ethnique que prend la répression « depuis décembre 2015 : à la suite des attaques des camps militaires, on réserve un traitement différent aux Hutu et aux Tutsi arrêtés. Les Hutu sont incarcérés ; les Tutsi, on les tue. Mais la crise n’est pas ethnique. C’est politique ».

Comme ce fut souvent le cas dans le Burundi postindépendance, « la division ethnique n’est qu’une stratégie du régime pour se maintenir au pouvoir », affirme Robert.

Thomas

Thomas, 40 ans, fuit le Burundi en juin 2015. « Quand j’ai compris que Nkurunziza voulait un troisième mandat, j’ai su qu’il ne voulait pas la paix », déclare ce père de famille hutu, membre d’un parti d’opposition.

Il dénonce la persécution des autres mouvements politiques par le pouvoir burundais : « on empêche les meetings des autres partis depuis 2010 » dans la province méridionale où il vivait. « En mai 2015, les Imbonerakure ont commencé à terroriser les habitants qui n’étaient pas membres du CNDD-FDD. Ils étaient de plus en plus nombreux et des renforts arrivaient de Bujumbura. Je savais que ces derniers avaient l’habitude de tuer et que j’allais être visé en tant que membre de l’opposition ; alors j’ai fui au plus vite »

Thomas explique que « les Imbonerakure quadrillent les frontières et les principaux axes du pays. Ils arrêtent les gens sur le chemin de l’exil ». Il a été contraint de verser 150 000 francs burundais (environ 80 euros) pour permettre à ses deux épouses et ses dix enfants de passer en Tanzanie, en mai 2015. Néanmoins l’argent n’a  pas permis à ce militant d’opposition d’acheter sa liberté : Thomas a été empêché de traverser la frontière.

« J’ai dû retourner chez moi », raconte-t-il. « Un ami policier m’a alors averti qu’on avait payé pour mon assassinat. Il fallait que je parvienne à quitter le pays. J’ai fui de nuit en juin 2015 ».

Thomas retrouve sa famille un mois plus tard au camp de réfugiés de Nyarugusu en Tanzanie. Retour à une vie de réfugié que l’homme connait bien. « Je suis né dans un camp de réfugiés, de parents réfugiés. J’ai grandi réfugié. J’ai fui trois fois le Burundi, je me suis marié dans un camp... Il n’y a jamais eu la paix dans mon pays. »

En plus d’être déracinés, nombre d’exilés burundais arrivent blessés, traumatisés ou démunis dans leur pays d’accueil.

Caractéristiques du sort des réfugiés burundais, ces quatre récits témoignent de la stratégie de terreur généralisée du parti au pouvoir, le CNDD-FDD, et de la peur grandissante face à la violence des Imbonerakure, de la police et du SNR. Sur le chemin de l’exil, le danger demeure. Les individus traqués pour leurs choix politiques ont des difficultés à quitter le territoire. Les points de contrôle et les frontières sont devenus des filtres à opposants, mais aussi le théâtre d’abus de pouvoir et de violence indiscriminée par les agents du régime. Partir de nuit, soudoyer les autorités, voyager léger ou se métamorphoser pour dissimuler sa fuite – autant de stratagèmes que des citoyens burundais ont dû adopter pour avoir une chance de quitter leur pays. En plus d’être déracinés, nombre d’exilés burundais arrivent blessés, traumatisés ou démunis dans leur pays d’accueil.

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