A member of a civilian vigilante group holds a hunting rifle while a woman pumps water into jerrycans in Kerawa, Cameroon on 16 March 2016. REUTERS/Joe Penney
Report / Africa 20+ minutes

Extrême-Nord du Cameroun : nouveau chapitre dans la lutte contre Boko Haram

Le gouvernement camerounais devrait chercher à encourager les redditions de membres camerounais de Boko Haram. Des travaux communautaires, des confessions publiques, des cérémonies symboliques et des formations professionnelles peuvent permettre la réinsertion de ceux qui ne constituent pas un danger. Le gouvernement doit aussi préparer la démobilisation de certains comités de vigilance.

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Que se passe-t-il ? Alors que le conflit entre les forces de sécurité camerounaises et Boko Haram baisse en intensité dans l’Extrême-Nord du Cameroun, deux enjeux sont essentiels pour une paix durable : le devenir des anciens membres, y compris combattants, du mouvement jihadiste, et celui des comités de vigilance.

En quoi est-ce significatif ? Une politique adéquate à l’égard des anciens membres de Boko Haram pourrait pousser les combattants camerounais encore actifs à se rendre. De leur côté, certains membres des comités de vigilance pourraient se tourner vers des activités criminelles après la fin du conflit s’ils ne sont pas encadrés.

Comment agir ? Le gouvernement camerounais devrait poursuivre en justice les militants les plus dangereux et préparer la réinsertion dans leurs communautés des anciens membres de Boko Haram considérés comme un moindre risque. Il devrait aussi dissoudre certains comités de vigilance et en maintenir d’autres comme auxiliaires des forces de police.

Synthèse

Alors que le conflit contre Boko Haram baisse en intensité dans l’Extrême-Nord du Cameroun, le mouvement constitue toujours une menace et la situation humanitaire reste précaire. Pour construire une paix durable, le gouvernement camerounais doit se saisir de deux enjeux sécuritaires majeurs : le devenir des anciens membres, y compris combattants, du mouvement jihadiste, et celui des comités de vigilance. Pour les anciens membres de Boko Haram, le gouvernement devrait distinguer les militants dangereux, pour lesquels une procédure judiciaire formelle et probablement une incarcération s’imposent, d’autres individus pour lesquels des travaux communautaires et des confessions publiques semblent plus appropriés, et soutenir les communautés prêtes à réintégrer ces derniers. Concernant les comités de vigilance, il devrait mieux assister ceux qui sont encore nécessaires pour lutter contre Boko Haram, intégrer certains au sein de la police municipale et démobiliser les autres. Les membres des comités accusés d’abus devront faire l’objet d’enquêtes et les décisions de justice devront être rendues publiques.

Des milliers de Camerounais ont rejoint Boko Haram entre 2012 et 2016, parfois par conviction idéologique, souvent par opportunisme ou sous la contrainte. Certains ont été tués dans des combats, d’autres arrêtés par les forces de sécurité et un nombre inconnu, sans doute des centaines ou un millier, font encore partie du mouvement jihadiste. Début 2017, quelques-uns ont essayé de se rendre, mais ont été rejetés par leurs communautés ou abattus par les forces de sécurité. Depuis octobre 2017, le gouvernement se montre plus ouvert sur la question de leur retour, mais n’a pas encore défini de politique claire. A ce jour, près de 200 membres du mouvement se sont rendus. Une prise en charge cohérente de ces individus pourrait pousser d’autres membres à se rendre et fragiliser davantage Boko Haram. L’absence de politique ou une politique inadéquate risquent en revanche de provoquer des frustrations parmi les combattants encore en activité et de les conforter dans l’idée que seul le mouvement est en mesure d’assurer leur protection.

Depuis 2014, les comités de vigilance, qui comptent à ce jour environ 14 000 membres à l’Extrême-Nord, jouent un rôle essentiel dans la lutte contre Boko Haram. Ils renseignent les forces de défense et servent d’éclaireurs ou de guides. Ils affrontent parfois directement le mouvement jihadiste et protègent les communautés, notamment contre les attentats-suicides. Toutefois, les autorités publiques les soutiennent peu. Certains comités voient leurs membres se décourager et les quitter. Les comités de vigilance suscitent aussi des critiques. Certains membres officiaient auparavant comme voleurs de bétail, contrebandiers ou coupeurs de route. Plusieurs ont été arrêtés pour collusion avec Boko Haram, tandis que d’autres sont suspectés de violations de droits humains. A mesure que le conflit baisse en intensité, une réflexion sur leur avenir se fait de plus en plus pressante. Sans cela, le risque est élevé que des comités continuent de se déliter hors de tout contrôle, voire que certains membres retournent à leurs activités criminelles passées.

Le gouvernement camerounais devrait élaborer une politique visant à susciter davantage de redditions de membres camerounais de Boko Haram et préparer la démobilisation des comités de vigilance. Pour les premiers, il devrait :

  • Annoncer publiquement que les membres de Boko Haram qui se rendent bénéficieront d’une forme de protection et auront accès à un procès équitable, et qu’il est peu probable que les membres non combattants aillent en prison ; le gouvernement devrait aussi poursuivre ses consultations avec les pays voisins sur les bonnes pratiques en matière de réinsertion des anciens membres combattants ;  
     
  • Elaborer un programme de soutien aux communautés dans lesquelles d’anciens membres de Boko Haram seront réintégrés, comprenant éventuellement un appui aux activités pastorales, agraires et commerciales dans les communautés d’accueil et des subventions aux petites entreprises qui emploient des jeunes ;
     
  • Affiner les procédures pour faire la distinction entre les membres combattants de Boko Haram, ceux qui prônent la violence et ceux qui ont commis des atrocités, d’une part, d’autre part et les membres non combattants, ceux qui ont renoncé à la violence et ceux qui ne sont pas accusés de crimes graves, qu’ils se soient rendus ou qu’ils aient été arrêtés. Pilotées pour le moment par des militaires, les enquêtes pour déterminer le statut de chaque individu devraient davantage associer les policiers, des experts en protection du Comité international de la Croix-Rouge et/ou de l’ONU, et éventuellement des universitaires et chercheurs spécialistes de ce sujet ;
     
  • Adopter une approche sur-mesure afin de tenir pour responsables les anciens membres de Boko Haram, sur la base de ces enquêtes. Pour certains, une procédure judiciaire formelle s’impose, voire, dans certains cas, une incarcération et un suivi rigoureux. Pour d’autres, des travaux communautaires, des confessions publiques, des cérémonies symboliques, et des formations à des métiers porteurs au niveau local semblent plus appropriés. Le gouvernement devrait renforcer les tribunaux de l’Extrême-Nord en ressources humaines et matérielles pour qu’ils puissent rapidement se prononcer sur le cas des anciens militants pour lesquels une procédure judiciaire s’impose ; et,
     
  • Amender la loi antiterroriste de 2014 et le Code pénal pour donner aux juges et aux communautés un degré de flexibilité dans le traitement des anciens membres de Boko Haram. A défaut, le président de la République pourrait signer un décret pour organiser la prise en charge spécifique des individus qui se sont rendus.

Le gouvernement camerounais devrait par ailleurs préparer l’avenir des comités de vigilance après Boko Haram, et pour ce faire :

  • S’abstenir de créer de nouveaux comités de vigilance et se concentrer plutôt sur le développement de réseaux de renseignement et d’alerte précoce pour apporter aux civils la protection de l’Etat en cas de besoin ;
     
  • Dans les localités toujours exposées à Boko Haram, maintenir les comités de vigilance opérationnels, tout en les soutenant et en les encadrant mieux via des systèmes de vérification externe, y compris un contrôle communautaire, et intégrer certains membres dans la police municipale ; proposer à leurs membres des formations sur des compétences pratiques (en matière de renseignement, de premiers secours et de déminage) ;
     
  • Démobiliser les comités dans les zones où Boko Haram n’est plus une menace en recensant les anciens membres possédant une arme à feu et en organisant la réinsertion dans la vie civile des membres démobilisés, soit en les aidant à trouver du travail dans des secteurs porteurs au niveau local, soit en finançant leurs microprojets dans des secteurs tels que le commerce et l’agriculture ; et,
     
  • Mener des enquêtes transparentes sur tous les membres des comités de vigilance accusés d’abus ou de bavures, tenir pour responsables ceux qui ont perpétré des crimes, et rendre publiques les décisions de justice.

Le soutien international sera essentiel pour relever ces deux défis, étant donnés le manque d’expertise locale et le fait que les finances publiques soient sous tension, avec une élection présidentielle en octobre et la coupe d’Afrique des nations à organiser en janvier 2019. Les partenaires étrangers (en particulier les Etats-Unis, l’Union européenne et le Japon) devraient soutenir l’investissement dans les communautés qui seront amenées à réintégrer les anciens militants de Boko Haram et les initiatives visant à démobiliser les membres des comités de vigilance, et inclure ces derniers comme catégories bénéficiaires dans les projets de développement en cours dans la région. Plusieurs comités de vigilance ne souhaitent pas que les chefs traditionnels ou les autorités administratives locales gèrent seuls le soutien matériel ou financier du gouvernement ou des partenaires internationaux ; des ONG locales devraient donc être associées au déboursement de ces fonds.         

Si les niveaux de violence à l’Extrême-Nord ont diminué, le gouvernement camerounais a encore beaucoup à faire pour trouver des réponses aux causes structurelles qui ont facilité l’implantation de Boko Haram – déficit de légitimité de l’Etat, pauvreté, sentiment de marginalisation de certaines communautés, fractures entre l’élite locale et les jeunes. Cependant, à l’heure actuelle, la priorité est de prendre en charge les combattants qui se rendent ou qui sont arrêtés, et de préparer l’avenir des membres des comités de vigilance. L’éventuelle stabilisation de l’Extrême-Nord dépend de la façon dont le gouvernement traite ces questions. Enfin, la lutte contre Boko Haram en général et la réinsertion des anciens membres en particulier est indissociable du respect des droits humains. Des vidéos ont récemment circulé sur Internet, montrant d’apparentes exécutions sommaires de femmes et d’enfants non armés, accusés d’appartenir à Boko Haram, par des militaires camerounais. De telles exactions ne peuvent que décourager les membres du groupe à se rendre ou encourager les anciens membres à retourner au Cameroun clandestinement.

Nairobi/Bruxelles, 14 août 2018

 

I. Introduction

A l’Extrême-Nord du Cameroun, Boko Haram est affaibli, mais pas encore défait. Certains hauts gradés de l’armée camerounaise envisagent la fin du conflit en 2020.[fn]Entretiens de Crisis Group, hauts gradés de l’armée, Yaoundé et Maroua, septembre 2017.Hide Footnote Cette perspective n’est réaliste que si le chemin vers la stabilisation est minutieusement balisé. La baisse d’intensité du conflit depuis 2016, qui se manifeste par la réduction du nombre d’attaques et l’important taux d’échec des attentats-suicides, ainsi que les redditions de combattants depuis octobre 2017 confirment l’affaiblisse-ment du mouvement jihadiste. La menace reste cependant bien réelle : en 2017, celui-ci a perpétré sur le territoire camerounais environ 80 attaques et enlèvements, et planifié 90 attentats-suicides (dont 51 ont été déjoués ou ont échoué), tuant au moins 210 civils et près de 30 militaires. Depuis janvier 2018, Boko Haram a causé la mort d’au moins 135 civils et dix-huit militaires.[fn]Estimations de Crisis Group à partir de sources ouvertes telles que L’Œil du Sahel et d’entretiens avec les autorités administratives et les forces de défense.Hide Footnote Le risque actuel est celui d’un enlisement des forces armées camerounaises dans ce conflit de basse intensité.

L’histoire de Boko Haram et celle des mouvements jihadistes en général démontrent leur capacité à se mettre en veille avant de réémerger, à se recomposer ou même à s’associer à des groupes armés non islamistes et à des réseaux criminels.[fn]Alexander Thurston, Boko Haram: The History of an African Jihadist Movement (Princeton, 2017) ; « Jihadism in Africa – Local Roots, Regional Expansion, International Alliances », Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP), juin 2015 ; rapport spécial de Crisis Group N°1, Exploiter le chaos : l’Etat islamique et al-Qaeda, 14 mars 2016.Hide Footnote Le gouvernement camerounais doit être vigilant et prendre des mesures sécuritaires, politiques, économiques et sociales pour accélérer la dynamique de sortie du conflit. C’est d’autant plus nécessaire qu’une élection présidentielle est prévue à l’automne 2018. Si le contexte n’est pas stabilisé d’ici là, le risque de troubles dans la région sera élevé.

Ce rapport s’inscrit dans une série de publications de Crisis Group sur la menace que représente Boko Haram dans le bassin du lac Tchad.[fn]Voir les rapports de Crisis Group sur Boko Haram, www.crisisgroup.org/boko-haram-insurgency.Hide Footnote Il s’appuie sur des sources documentaires et sur environ 150 entretiens menés entre août 2017 et mars 2018 dans la capitale camerounaise, Yaoundé, la capitale tchadienne, N’Djamena, et dans l’Extrême-Nord du Cameroun, avec les autorités administratives, des membres des forces de sécurité, des chefs traditionnels et religieux, des membres de comités de vigilance, des universitaires, des diplomates occidentaux, des salariés d’ONG locales et d’anciens membres de Boko Haram détenus à la prison de Maroua, chef-lieu de la région de l’Extrême-Nord. Ce rapport examine la dynamique du conflit de 2017 à mi-2018 et propose des solutions à deux des défis sécuritaires immédiats : le traitement des anciens membres combattants et l’avenir des comités de vigilance.

Plusieurs problèmes politiques, sociaux et économiques de fond expliquent la vulnérabilité de l’Extrême-Nord et l’instabilité causée par Boko Haram dans la région, et ont déjà fait l’objet de publications de Crisis Group. Ce rapport ne répète donc pas les réponses d’ensemble devant être apportées par le gouvernement face à Boko Haram, mais se focalise sur les enjeux sécuritaires immédiats, car ils détermineront le passage à la phase de stabilisation.

II. Etat des lieux de la situation à l’Extrême-Nord

A. Boko Haram : un mouvement affaibli, mais toujours dangereux

Dans l’Extrême-Nord du Cameroun, Boko Haram est aujourd’hui un mouvement affaibli. Il conserve néanmoins une capacité de nuisance, y compris contre de petites cibles militaires, en exploitant les vulnérabilités du dispositif sécuritaire et la complicité de certaines catégories sociales.

1. Une présence déclinante à l’Extrême-Nord

La capacité de Boko Haram de mener des opérations armées d’envergure à l’Extrême-Nord du Cameroun semble aujourd’hui restreinte. Ses opérations se limitent de plus en plus à des attaques de basse intensité, à la pose d’engins explosifs et à des attentats-suicides, qui échouent la plupart du temps. Il ne parvient plus à recruter autrement que par des enlèvements. Plus d’un millier de membres présumés de Boko Haram ont été capturés ou arrêtés depuis 2014 et environ 200 membres se sont rendus entre octobre et décembre 2017. En 2017, le nombre de victimes (civiles et militaires) de Boko Haram a diminué d’environ 20 pour cent par rapport à 2016, et de 40 pour cent par rapport à la période 2014-2015.[fn]Estimations de Crisis Group à partir de centaines d’entretiens menés dans la région et de sources documentaires.Hide Footnote La pression de l’armée nigériane et des autres pays du bassin du lac Tchad a affaibli le mouvement jihadiste, tout comme les divisions en son sein, qui ont suscité des accrochages violents entre différentes factions.[fn]Des affrontements auraient eu lieu sur le lac Tchad et dans l’état nigérian du Borno entre les deux factions de Boko Haram d’octobre 2016 à juillet 2017. Entretiens de Crisis Group, officiers de renseignements et de la Force multinationale mixte, habitants de Darak et élus du Logone et Chari, Mora, Kolofata et Logone et Chari, septembre-octobre 2017. Voir Hans de Marie Heungoup, « Boko Haram’s Shifting Tactics in Cameroon: What Does the Data Tell us ? », Africa Research Institute, 14 février 2017.Hide Footnote

Dans les principales villes de l’Extrême-Nord, la situation semble graduellement revenir à la normale. Les mesures sécuritaires instaurées par les autorités régionales en juillet 2015, telles que l’interdiction de circulation des motos et le couvre-feu ne sont plus appliquées, bien qu’il n’y ait pas eu de levée officielle.[fn]Entretien de Crisis Group, sous-préfet, Maroua, septembre 2017.Hide Footnote Les femmes portent à nouveau le voile intégral (soudaré), autrefois interdit. Les frontières avec le Nigéria à Amchidé et Fotokol, fermées en 2014, ont progressivement rouvert à partir de 2017 et le commerce a repris. Les habitants ont intégré et banalisé la menace liée à Boko Haram.[fn]Entretiens de Crisis Group, sous-préfets, enseignants d’université, présidente d’une association de femmes musulmanes et lamido (chef traditionnel) de Maroua, Extrême-Nord, septembre 2017.Hide Footnote

La majorité des attaques de Boko Haram depuis 2017 se concentrent dans les départements du Mayo-Sava et du Mayo-Tsanaga, frontaliers du Nigéria, et surtout dans les arrondissements de Kolofata et du Mayo-Moskota.[fn]Entretiens de Crisis Group, officiers du Bataillon d’intervention rapide (BIR) et de la Force multinationale mixte, autorités administratives, Maroua et Mora, février 2018.Hide Footnote Un regain est toutefois observé dans le Logone et Chari depuis mars 2018.

Boko Haram opère désormais au Cameroun par petits groupes de trois à dix combattants. Ils se réunissent à la dernière minute lors de rares grosses attaques, puis se dispersent. Les Camerounais seraient surtout présents au sein de la faction d’Abubakar Shekau, déployée le long de la frontière entre le Cameroun et le Nigéria, et peu au sein de celle d’Abu Musab al-Barnawi (plus connu des services camerounais sous le nom de Habib Yusuf), plutôt concentrée sur le Nord de l’état du Borno et sur le lac Tchad.[fn]Boko Haram a prêté allégeance à l’Etat islamique en mars 2015. Mais en août 2016, le mouvement s’est scindé du fait des divergences internes portant entre autres sur l’idéologie, la stratégie et l’administration du « califat ». Deux groupes existent désormais : la faction de Shekau (Boko Haram) et celle de Barnawi, reconnue par l’Etat islamique et rebaptisée Etat islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP). Voir le briefing Afrique de Crisis Group N°120, Boko Haram sur la défensive ?, 4 mai 2016.Hide Footnote Selon certaines sources, Shekau aurait tenté de dissuader ses partisans camerounais de se rendre ou de rallier Barnawi, notamment parce qu’ils sont essentiels pour ses approvisionnements. Il aurait pour cela promu certains combattants camerounais et renforcé la surveillance et les sanctions contre les fugitifs.[fn]En mars 2017, Shekau a pour la première fois donné la parole à des combattants camerounais dans une vidéo officielle du groupe. Ils s’exprimaient en français et en fulfulde. Entretiens de Crisis Group, hauts gradés de l’armée et policier, expert militaire occidental, chercheurs, journalistes et anciens membres de Boko Haram, Yaoundé, Maroua et Kolofata, septembre-décembre 2017. D’autres sources soulignent plutôt que Shekau aurait incité les Camerounais à former des groupes autonomes le long de la frontière. Entretiens de Crisis Group, députés, membres des comités de vigilance, chefs traditionnels et anciens membres Boko Haram, Mora, Kolofata, septembre-décembre 2017. Sur le rôle des Camerounais au sein de la faction de Shekau, voir également l’explication de Fulan Nasrullah, « Strategic Thinking Behind Ongoing Insurgent Offensive Operations in Northeast Nigeria », Conflict and Analysis Project, 4 août 2018.Hide Footnote

2. Une persistance aux causes multiples

La persistance des activités de Boko Haram au Cameroun tient à plusieurs facteurs. D’abord, le dispositif militaire a évolué. A la suite de plusieurs attaques contre les postes militaires avancés, l’armée a réduit leur nombre au profit de la consolidation de grandes bases. Si ce nouveau dispositif est efficace pour protéger les militaires, il rend les populations civiles plus vulnérables.[fn]Le lendemain du démantèlement des postes militaires de Ldamang et Ldobam dans le département du Mayo-Tsanaga en août 2017, plus de 100 combattants ont attaqué ces localités puis le village de Vizik. Entretiens de Crisis Group, membres de comités de vigilance, Mokolo, Koza et Mozogo, septembre 2017.Hide Footnote Par ailleurs, les militaires exècrent le combat de nuit, qu’ils trouvent plus pénible. Bien informé, le groupe lance la majorité de ses attaques de nuit, et fait rarement face à une intervention de l’armée.[fn]Entretien de Crisis Group, autorité administrative, Mora, septembre 2017. Certains observateurs estiment même que les militaires ont abandonné la lutte contre Boko Haram aux comités de vigilance. Entretiens de Crisis Group, attaché de défense occidental et diplomates occidentaux, Yaoundé, 31 août 2017.Hide Footnote

Par ailleurs, le moral des troupes semble bas, en particulier au sein des unités régulières. La fatigue et l’usure de la guerre, les problèmes logistiques et le sentiment d’être injustement traitées par la hiérarchie, en particulier concernant les promotions, créent des frustrations. Cela se traduit par un certain relâchement, et même par des incidents : en octobre 2017, par exemple, un militaire du rang a retourné son arme contre son commandant.[fn]« Cameroun : un soldat tue son chef et se suicide », BBC, 5 octobre 2017. Les conditions de vie dans les postes avancés sont difficiles. Beaucoup de soldats ont été tués par des engins explosifs improvisés, alors qu’ils allaient se ravitailler à moto. Entretiens de Crisis Group, militaire du rang et sous-officier de l’opération de l’armée camerounaise Emergence 4, Maroua, septembre 2017.Hide Footnote

Le moral des soldats n’est pas meilleur au sein du contingent camerounais de la Force multinationale mixte (FMM) – force sous-régionale réactivée et reconstituée en 2015 par la Commission du bassin du lac Tchad pour lutter contre Boko Haram – basé à Mora dans le Mayo-Sava. L’octroi des primes créé frustrations et frictions. Beaucoup de soldats pensaient qu’en rejoignant la FMM, ils auraient un statut de salarié d’une force internationale, comme c’est le cas pour les soldats de la composante camerounaise de la mission des Nations unies en Centrafrique. Or la FMM n’est pas une mission onusienne et les contingents sont payés et équipés par chaque pays. Certains sont persuadés à tort que leurs supposées primes « internationales » sont détournées. Il est vrai néanmoins qu’entre 2014 et 2017, les primes mensuelles allouées à tout soldat à l’Extrême-Nord par le ministère de la Défense ont parfois été versées en retard. Des soldats ont accusé les hauts gradés de détourner ces primes.[fn]« Cameroun : un soldat tue son chef et se suicide », BBC, 5 octobre 2017. Les conditions de vie dans les postes avancés sont difficiles. Beaucoup de soldats ont été tués par des engins explosifs improvisés, alors qu’ils allaient se ravitailler à moto. Entretiens de Crisis Group, militaire du rang et sous-officier de l’opération de l’armée camerounaise Emergence 4, Maroua, septembre 2017.Hide Footnote

L’interruption des opérations militaires du Cameroun au Nigéria pourrait également expliquer la persistance de Boko Haram.

L’interruption des opérations militaires du Cameroun au Nigéria pourrait également expliquer la persistance de Boko Haram. Depuis 2015, l’armée camerounaise mène des offensives contre les bases du mouvement jihadiste près des frontières du Cameroun et participe à des opérations bilatérales avec l’armée nigériane et sous-régionales dans le cadre de la FMM. Ces initiatives ont eu une certaine efficacité. Mais de février à décembre 2017, l’armée camerounaise n’a mené aucune intervention extérieure, ce qui a permis à Boko Haram de réinstaller des cellules le long de la frontière. Si les raisons de cette interruption sont multiples, les hauts gradés de l’armée et les diplomates camerounais avancent surtout le coût financier élevé des interventions militaires et la réticence du Nigéria à laisser les soldats camerounais mener des opérations de façon autonome sur le territoire nigérian.[fn]En janvier 2018, un millier de soldats camerounais ont participé à l’opération Deep Punch 2 aux côtés de l’armée nigériane dans la forêt de Sambisa, dans l’état du Borno. Entretiens de Crisis Group, forces de défense, diplomates et autorité administrative, Maroua, septembre-octobre 2017.Hide Footnote

Par ailleurs, des réseaux de complicités et de ravitaillement de Boko Haram subsistent. Dans l’arrondissement du Mayo-Moskota, le groupe disposerait encore de points de passage pour se ravitailler. Des biens pillés par Boko Haram au Nigéria seraient revendus sur les marchés de la zone.[fn]Entretiens de Crisis Group, maire et membres des comités de vigilance, Mokolo, Mozogo et Tourou, septembre 2017.Hide Footnote Il continuerait aussi de lever des fonds au Cameroun en taxant les cultivateurs du Mayo-Tsanaga qui vont et viennent au Nigéria ainsi que des pêcheurs autour du lac Tchad et en enlevant des civils camerounais pour obtenir des petites rançons.[fn]Entretiens de Crisis Group, élus locaux, universitaires et ONG humanitaires, Maroua, Mokolo, Mora, Kousseri et Fotokol, septembre-décembre 2017.Hide Footnote

La persistance des attaques résulte enfin de la baisse de moral des comités de vigilance, due au faible soutien matériel du gouvernement et aux rumeurs qui circulent sur son détournement par les autorités administratives locales et des chefs traditionnels. Selon les présidents de certains comités de vigilance, distinctions et récompenses seraient parfois remises aux proches des chefs traditionnels, y compris des individus ne faisant pas partie des comités, plutôt qu’aux membres les plus engagés.[fn]Entretiens de Crisis Group, présidents de comités de vigilance du Mayo-Sava, Mora, septembre 2017.Hide Footnote Beaucoup de membres des comités sont lassés et certains quittent les rangs.

B. Une situation humanitaire et sociale très précaire

En dépit de l’affaiblissement de Boko Haram au Cameroun, la situation humanitaire ne s’améliore pas dans l’Extrême-Nord. Au contraire, le nombre de réfugiés et déplacés y a augmenté en 2017. En mai 2018, la région comptait 96 000 réfugiés nigérians (dont 65 000 dans le camp de Minawao) et 238 000 déplacés camerounais. Sur les quatre millions d’habitants que compte la région, 2,1 millions avaient besoin d’assistance humanitaire en janvier 2018.[fn]« Cameroun : aperçu des besoins humanitaires 2018 », Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), janvier 2018 ; et« Cameroon factsheet », HCR, mai 2018. Plusieurs publications récentes de Crisis Group se penchent sur cette situation humanitaire dramatique : voir le briefing Afrique de Crisis Group N°133, Extrême-Nord du Cameroun : le casse-tête de la reconstruction en période de conflit, 25 octobre 2017 ; et Hans de Marie Heungoup, « The Humanitarian Fallout from Cameroon’s Struggle against Boko Haram », commentaire de Crisis Group, 21 février 2017.Hide Footnote Mais les niveaux de financement de l’aide humanitaire sont faibles, tandis que l’insécurité dans la zone et la réticence du gouvernement à fournir des escortes aux acteurs humanitaires rendent difficile l’accès aux personnes vulnérables.[fn]Entretien de Crisis Group, haut fonctionnaire du HCR au Cameroun, Yaoundé, septembre 2017. Voir « Enquête par grappes à indicateurs multiples (MICS5) 2014 Cameroun », Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), 2014.Hide Footnote La situation des réfugiés nigérians et des déplacés camerounais reste donc précaire.

La question du retour volontaire des réfugiés nigérians du camp de Minawao et celle de l’expulsion de ceux établis hors camp sont au cœur des discussions entre l’agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et le gouvernement camerounais. Depuis 2015, le Cameroun a expulsé vers le Nigéria plus de 120 000 réfugiés établis hors camp, officiellement pour des raisons de sécurité.[fn]Human Rights Watch (HRW) a documenté les refoulements et les abus commis par les forces de défense camerounaises (tortures, viols, traitements inhumains ou dégradants) contre les réfugiés hors camp. « Cameroun : expulsions massives de réfugiés nigérians », HRW, 27 septembre 2017.Hide Footnote Le HCR a protesté et proposé aux autorités l’établissement de centres de tri aux frontières.[fn]

Entretiens de Crisis Group, cadres du HCR, Yaoundé, mars 2018.

Hide Footnote

Mais le gouvernement camerounais s’y oppose, craignant que cela n’encourage un afflux de Nigérians sur son sol, car les réfugiés à Minawao sont bien mieux pris en charge et protégés que les déplacés dans les camps nigérians.[fn]Entretiens de Crisis Group, responsables du HCR, Yaoundé et Maroua, septembre 2017.Hide Footnote En mars 2017, le Cameroun, le Nigéria et le HCR ont signé un accord tripartite, encadrant le retour volontaire des réfugiés par voie terrestre. Mais les premiers retours, prévus en janvier 2018, ont été reportés sine die. En réalité, de moins en moins de réfugiés sont prêts à retourner au Nigéria et le Cameroun pourrait être contraint d’accueillir durablement plusieurs dizaines de milliers de personnes.[fn]« Cameroon, Nigeria and UNHCR signed a tripartite agreement on the returns of Nigerian refugees living in Cameroon », agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 2 mars 2017.Hide Footnote

De même, la plupart des 238 000 Camerounais déplacés dans l’Extrême-Nord, dont la plupart viennent des zones frontalières avec le Nigéria, souhaitent s’installer dans leurs nouvelles localités.

De même, la plupart des 238 000 Camerounais déplacés dans l’Extrême-Nord, dont la plupart viennent des zones frontalières avec le Nigéria, souhaitent s’installer dans leurs nouvelles localités. L’économie du Borno nigérian, dont ils dépendaient, est asphyxiée, leurs maisons ou villages ont été détruits. Ils ont donc peu de raisons de retourner chez eux, d’autant plus que l’insécurité persiste dans les territoires ruraux proches de la frontière.[fn]Entretiens de Crisis Group, responsable départemental d’une ONG humanitaire et déplacés, Kousseri, septembre 2017.Hide Footnote La présence des déplacés modifie les équilibres ethniques, religieux et de genre dans les localités d’accueil, et elle est susceptible de générer des conflits sociaux.

Entre 2014 et 2017, les partenaires internationaux ont substantiellement accru leur soutien aux réfugiés et aux déplacés, avec un effort plus marqué depuis le sommet d’Oslo de février 2017, dont le but était de renforcer l’assistance humanitaire et l’aide au développement aux pays du bassin du lac Tchad. Mais leur contribution ne suffit pas à couvrir les besoins.[fn]Les Occidentaux semblent donner la priorité au Sahel. Entretiens de Crisis Group, diplomates européens, Bruxelles, novembre 2017.Hide Footnote Le gouvernement camerounais participe également à la prise en charge des réfugiés nigérians depuis 2015, mais très peu, voire pas du tout à celle des déplacés. Il a lancé deux plans d’urgence très modestes pour la région, qui bénéficie toujours d’une très faible part du budget d’investissement public national, même si elle est en augmentation depuis 2014.[fn]Pour une analyse plus détaillée, voir le briefing de Crisis Group, Extrême-Nord du Cameroun : le casse-tête de la reconstruction en période de conflit, op. cit. En 2017, le budget d’investissement public national était de 1 873 milliards de FCFA (3,5 milliards de dollars), dont seulement 53 milliards de FCFA (100 millions de dollars) pour l’Extrême-Nord. « Cameroun : BIP 2017 – le journal des projets », ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire, Yaoundé, 3 janvier 2017.Hide Footnote Ces efforts restent donc en deçà des besoins estimés par l’ONU et l’élite locale.[fn]« Cameroun : aperçu des besoins humanitaires en 2018 », OCHA, janvier 2018. En 2014, l’élite locale a estimé les besoins en développement des trois régions de la partie septentrionale du pays à 1 600 milliards de FCFA (3 milliards de dollars). « Plan d’urgence du grand Nord : les fausses promesses du gouvernement », L’Œil du Sahel, 20 décembre 2014.Hide Footnote

La prise en charge des déplacés pose également un problème politique. Le scrutin d’octobre 2018 représente un double défi : d’une part, il sera difficile d’organiser une élection sereine dans les localités frontalières ; d’autre part, le vote des déplacés et des potentiels apatrides représente un casse-tête.[fn]Selon des ONG et des acteurs humanitaires, il pourrait y avoir plus de 200 000 apatrides. « Apatridie : la face cachée de la guerre contre Boko Haram », Jeune Afrique, 2 janvier 2018. Entretiens de Crisis Group, responsables du HCR, ONG, autorités administratives et déplacés, Extrême-Nord et Yaoundé, février-mars 2018.Hide Footnote Cela dit, l’organe chargé d’organiser le scrutin (Elections Cameroun, Elecam) relativise ces difficultés : les trois-quarts des déplacés seraient déjà inscrits sur les listes électorales et les personnes sans documents d’identité et dont la reconnaissance de la nationalité s’avère difficile ne seraient que quelques milliers.[fn]Les responsables d’Elecam indiquent que la plupart des déplacés étaient déjà inscrits sur les listes électorales avant le conflit, et ceux qui ne l’étaient pas ont été systématiquement identifiés et inscrits lorsque les ONG et agences onusiennes les ont répertoriés pour l’assistance humanitaire. Entretiens de Crisis Group, délégation régionale et délégation départementale d’Elecam, maires et députés du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir, Kousseri et Maroua, février 2018.Hide Footnote Mais le pourcentage des trois-quarts semble peu probable, car cela impliquerait que la proportion des déplacés inscrits soit supérieure à celle des résidents de l’Extrême-Nord ou même des villes comme Yaoundé et Douala, où l’inscription est à priori plus facile.[fn]« Statistiques d’inscriptions du 2 janvier au 20 juin 2018 », Elecam, 22 juin 2018.Hide Footnote

III. Deux problèmes majeurs : anciens membres de Boko Haram et comités de vigilance

La politique menée à l’égard des anciens membres de Boko Haram sera déterminante pour stabiliser l’Extrême-Nord. Tandis qu’une politique avisée de réinsertion pourrait inciter ses combattants à quitter le mouvement, une approche inadéquate risquerait de renforcer leur détermination, ou au moins leur offrir peu de raisons de se rendre. L’affaiblissement du mouvement jihadiste et la perspective de la fin du conflit posent aussi la question du devenir des forces auxiliaires que constituent les comités de vigilance.

A. Anciens membres et captifs de Boko Haram : l’équation difficile de la justice et de la réinsertion

1. Les anciens membres de Boko Haram

Depuis que l’armée camerounaise s’est engagée contre le mouvement jihadiste, en 2014, plus d’un millier de personnes ont été arrêtées et incarcérées au Cameroun pour leur appartenance ou leur collaboration présumée avec Boko Haram. Certains individus ont été faits prisonniers au cours des combats, d’autres ont été arrêtés à leur domicile ou tandis qu’ils s’apprêtaient à ravitailler le mouvement. Plus de 400 personnes ont depuis été acquittées et/ou libérées. En septembre 2017, environ 600 personnes demeuraient incarcérées, dont un grand nombre dans l’attente d’un procès. Ceci accentue la surpopulation carcérale dans les prisons principales de Maroua et de Yaoundé, ainsi que la saturation des tribunaux.[fn]Entretiens de Crisis Group, personnel pénitentiaire et magistrats, Yaoundé et Maroua, septembre 2017.Hide Footnote

Depuis octobre 2017, des membres de Boko Haram se sont rendus aux autorités camerounaises. C’est l’occasion pour ces dernières d’élaborer une politique de prise en charge de ces individus, en particulier pour encourager davantage de redditions. L’incarcération ne saurait être la seule réponse, surtout dans un contexte de forte surpopulation carcérale à Maroua, mais aussi dans le reste du pays. Leur réinsertion s’avère néanmoins difficile, notamment en raison de la suspicion dont ils font l’objet de la part de la population locale.

Depuis 2015, des rumeurs circulaient dans l’Extrême-Nord sur la volonté de certains membres de Boko Haram de se rendre. En décembre 2016 et janvier 2017, quelques-uns ont approché des chefs traditionnels, des membres des comités de vigilance ou leurs familles d’origine pour discuter des conditions d’une reddition. Ils se disaient désillusionnés, déçus par l’absence de prise en charge matérielle et de mise à disposition d’armes à feu par le mouvement jihadiste, et inquiets de la contre-offensive des Etats du lac Tchad.[fn]Entretiens de Crisis Group, autorités administratives, comités de vigilance et chefs traditionnels, Mokolo, Mozogo et Tourou, janvier-septembre 2017.Hide Footnote Mais compte tenu de la violence inédite de Boko Haram à travers la région, dont certains membres ont commis des tueries dans leurs propres communautés et dans leurs propres familles, leur accueil pose problème aux habitants, aux chefs traditionnels, à l’armée et aux comités de vigilance.[fn]Entretiens de Crisis Group, membres des comités de vigilance, forces de sécurité et autorités administratives, Mokolo et Mora, septembre 2017. Selon une enquête du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en 2017, toutes les catégories de la population étaient fortement opposées au retour des anciens membres de Boko Haram ; la majorité des personnes interrogées estimait même qu’il fallait les tuer. Entretiens de Crisis Group, enquêteurs du PNUD, Maroua, septembre 2017.Hide Footnote

Ces premiers contacts ont échoué. A deux reprises au cours du premier semestre 2017, des membres de Boko Haram tentant de se rendre auraient été tués par des militaires dans la zone de Kolofata ; d’autres se seraient retrouvés bloqués entre le Cameroun et le Nigéria, ne pouvant ni réintégrer Boko Haram, ni rejoindre le Cameroun.[fn]Entretiens de Crisis Group, autorités administratives, militaires et policiers, Maroua et Mora, septembre-octobre 2017.Hide Footnote Face au rejet des communautés, des militants auraient lancé des raids punitifs. Ainsi, en août 2017, un ancien conseiller municipal de l’arrondissement du Mayo-Moskota, à la tête d’un groupe d’une centaine de combattants de Boko Haram, aurait contacté les chefs traditionnels de cet arrondissement pour négocier une reddition et une réinsertion dans la communauté. Mais les populations s’y seraient opposées. Quelques jours plus tard, il aurait mené une attaque contre plusieurs localités de l’arrondissement, dont son propre village de Kamjiji.[fn]

Entretiens de Crisis Group, autorités administratives et chefs de villages, Mokolo et Mozogo, septembre 2017.
 

Hide Footnote

A partir de septembre 2017, la position du gouvernement camerounais sur les redditions a évolué sous l’influence de plusieurs facteurs : la participation de représentants camerounais à des réunions internationales sur le sujet ; les exemples de redditions dans les pays voisins ; et le plaidoyer de hauts gradés de l’armée camerounaise qui auraient convaincu la présidence que l’accueil d’anciens membres combattants de Boko Haram pouvait aider à vider le mouvement de ses forces vives et à améliorer le renseignement.[fn]Entretiens de Crisis Group, salarié d’ONG locale et sous-préfet, Mora, janvier 2018.Hide Footnote

Les chefs traditionnels ont alors transmis l’accord des autorités aux membres de Boko Haram, via les comités de vigilance d’une part, et les familles des combattants restées au Cameroun d’autre part. L’armée a donné aux militants jusqu’au 31 décembre 2017 pour se rendre, avant une nouvelle offensive de l’armée nigériane, Deep Punch 2, à laquelle un millier de soldats camerounais ont participé.[fn]Entretiens de Crisis Group, officiers supérieurs de l’armée camerounaise, Maroua et Mora, janvier 2018.Hide Footnote Entre octobre et décembre 2017, près de 200 membres du mouvement jihadiste se sont rendus. Certains ont quitté Boko Haram juste avant de se rendre, d’autres n’étaient plus sous la surveillance ou en contact avec la hiérarchie du mouvement depuis plusieurs mois. La situation au Nigéria, où Boko Haram est sous pression et divisé, explique aussi cette vague de redditions.

Seule une petite partie des milliers de Camerounais recrutés par Boko Haram entre 2012 et 2016 s’est néanmoins rendue. Il est difficile de savoir si cela est dû aux mesures prises par le mouvement pour empêcher les départs, aux pertes subies lors des combats ou au manque de confiance quant à la politique d’accueil au Cameroun.[fn]Entretiens de Crisis Group, autorités administratives et hauts gradés de la police et de l’armée, Mora et Maroua, février 2018.Hide Footnote

La dernière hypothèse semble plus plausible car de nombreux Camerounais de Boko Haram pensent qu’ils seront tués s’ils se rendent. Leur crainte est fondée puisque les militaires camerounais continuent d’être accusés d’agir avec brutalité à l’Extrême-Nord, même contre la population civile, sans que les auteurs d’abus soient systématiquement sanctionnés.[fn]« Cameroun : torture et crimes de guerre dans la lutte contre Boko Haram », Amnesty International, 20 juillet 2017.  « Cameroun : accusé de déstabiliser le Cameroun, Amnesty International dément », Cameroon-info.net, 2 août 2017.Hide Footnote En juillet 2018, une vidéo effroyable dans laquelle des soldats camerounais semblent exécuter deux femmes non armées, qu’ils accusent d’appartenir à Boko Haram, et deux enfants a circulé sur Internet.[fn]« Au Cameroun, une vidéo montre des femmes et des enfants exécutés par des hommes en tenue militaire », Le Monde, 19 juillet 2018.Hide Footnote Après avoir, dans un premier temps, qualifié la vidéo de « fake news » (fausse information), le gouvernement a ouvert une enquête, et a annoncé le 11 août l’arrestation de sept soldats.[fn]« Cameroun : sept militaires arrêtés après la diffusion d’une vidéo sur les exactions de l’armée », Jeune Afrique, 11 août 2018. Le communiqué du gouvernement fait part de « la volonté du chef de l’État (Paul Biya) de veiller à ce que les exactions qui peuvent être perpétrées par quelques soldats égarés fassent l’objet systématiquement d’enquêtes et aboutissent, le cas échéant, à des sanctions appropriées ».Hide Footnote Le fait que les militaires semblent commettre de telles exactions devant les populations et les filmer eux-mêmes indique que ces crimes pourraient être routiniers à l’Extrême-Nord. Une dizaine d’autres vidéos qui semblent montrer des exactions du même registre de l’armée camerounaise contre les populations civiles à l’Extrême-Nord circulent d’ailleurs sur Internet.

Les individus qui se rendent sont très majoritairement des jeunes hommes, natifs de l’arrondissement de Kolofata et appartenant à l’ethnie kanuri, la plus représentée au sein de Boko Haram. Un nombre important d’entre eux ont combattu au sein du mouvement, mais d’autres avaient des fonctions logistiques. Certains déclarent avoir été enlevés, d’autres étaient des recrues volontaires et avaient – et ont parfois encore – une motivation idéologique. Plusieurs parmi ces derniers, notamment des combattants ayant tué des proches, par exemple leur père ou le chef de leur village, se disent toujours prêts à mener une lutte violente si on leur en donne les moyens.[fn]La hiérarchie du mouvement jihadiste leur demandait apparemment de tuer des proches pour disposer d’une arme de façon permanente. Entretiens de Crisis Group, membres des forces de sécurité et ancien membre de Boko Haram, Mora, février 2018.Hide Footnote D’autres encore ont rejoint Boko Haram pour des raisons socioéconomiques ou simplement par goût de l’aventure. Généralement, plusieurs de ces motivations coexistent.[fn]Voir le rapport Afrique de Crisis Group N°241, Cameroun : faire face à Boko Haram, 16 novembre 2016, p. 13-15.Hide Footnote La plupart de ces individus ont fait partie du mouvement jihadiste pendant plus de deux ans, et la grande majorité a reçu une formation au maniement des armes.

Très peu de Camerounais semblent avoir dirigé des unités de Boko Haram ou intégré la choura (conseil de gouvernement) d’Abubakar Shekau, la plupart étant visiblement confinés à des tâches subalternes. Entre novembre 2017 et janvier 2018, Crisis Group a rencontré dix individus qui se sont rendus ; ils disent tous ne pas avoir été en contact direct avec Shekau ou avec un dirigeant clé de Boko Haram.[fn]Entretiens de Crisis Group, forces de sécurité, autorités administratives et anciens membres combattants de Boko Haram, Mora, décembre 2017-février 2018.Hide Footnote Leur espoir de revaloriser leur statut social en rejoignant le mouvement jihadiste semble donc avoir été déçu. Cela dit, il est difficile de tirer des conclusions définitives sur la position des Camerounais au sein du mouvement ou sur leur niveau d’endoctrinement et de propension à la violence à partir des quelque 200 individus interrogés par les militaires, ou des dix individus rencontrés par Crisis Group, qui ne sont pas nécessairement représentatifs des Camerounais ayant rejoint Boko Haram.[fn]La question des motivations des membres de groupes jihadistes violents, de leurs parcours et de la façon de traiter l’endoctrinement des anciens membres (souvent décrite comme un processus de « déradicalisation ») fait l’objet d’un large débat. Les causes de l’engagement des individus dans des groupes jihadistes sont souvent politiques, socioéconomiques et ethniques plutôt que religieuses, et ces motivations sont susceptibles d’évoluer dès qu’un individu se trouve au sein d’un groupe. Le concept de radicalisation explique donc mal les processus d’enrôlement dans les groupes jihadistes. Pourtant, des programmes de désendoctrinement idéologique ou religieux pour les anciens membres des groupes jihadistes pourraient dans certains cas décourager le soutien au jihad violent. Voir Xavier Crettiez, « Penser la radicalisation. Une sociologie processuelle des variables de l’engagement violent », Revue française de science politique, vol. 66, n°5, 2006, p. 709-727 ; Andrea Brigaglia, « The Volatility of Salafi Political Theology, the War on Terror and the Genesis of Boko Haram », Diritto e questioni pubbliche, 2015, p. 174-201 ; et Peter Neumann, « The Trouble with Radicalization », International Affairs, vol. 89, n°4, 2013, p. 873-893.Hide Footnote

Aucun des combattants camerounais ne s’est rendu avec ses armes, mais des militaires et membres des comités de vigilance pensent que plusieurs auraient caché leurs armes avant de se rendre.

Aucun des combattants camerounais ne s’est rendu avec ses armes, mais des militaires et membres des comités de vigilance pensent que plusieurs auraient caché leurs armes avant de se rendre. Les anciens membres combattants affirment qu’ils ne disposaient d’armes que durant les opérations et qu’ils les remettaient à leurs chefs dès qu’elles prenaient fin. Selon l’expression d’un haut gradé de l’armée camerounaise, « il y a des sanguinaires dans ce groupe, mais à vrai dire, je n’ai vu aucun cerveau. Les cerveaux camerounais ou nigérians courent toujours ».[fn]Entretiens de Crisis Group, officier supérieur de la Force multinationale mixte, militaires du rang et membres de comités de vigilance, Mora, février 2018.Hide Footnote

Le Cameroun ayant opté tardivement pour l’accueil des anciens membres combattants, son dispositif de prise en charge était inexistant jusqu’en octobre 2017. Jusqu’à présent, le gouvernement n’a pas défini de politique claire les concernant : pas, ou peu, de réflexion sur une possible justice dite restauratrice – privilégiant non pas la sanction et l’emprisonnement, mais la reconstruction des communautés et la réinsertion –, pas de mécanisme abouti de réinsertion, pas de discussions officielles entre le gouvernement et ses partenaires sur de possibles financements. Un groupe interministériel sur la « déradicalisation » a été créé début 2018, sous la supervision du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation.[fn]Entretiens de Crisis Group, hauts fonctionnaires, Yaoundé, mars 2018.Hide Footnote Les militaires mènent généralement une enquête sur les individus qui se rendent, en y associant parfois les policiers. Ce sont les militaires qui séparent les membres combattants des non-combattants, les individus qui continuent de soutenir la violence jihadiste, et sont donc considérés comme représentant un risque élevé, d’autres qui représentent un moindre risque.

Les anciens membres non combattants s’étant rendus (une trentaine de jeunes hommes et une cinquantaine de femmes et enfants) ont été envoyés en octobre et novembre 2017 dans leurs villages d’origine après avoir juré publiquement sur le Coran qu’ils ne rejoindraient plus Boko Haram. Ces retours ont suscité l’inquiétude des habitants, car dans un premier temps en octobre 2017, anciens membres combattants et non combattants étaient indistinctement renvoyés dans leurs villages, à l’exception d’une vingtaine de combattants directement transférés sur la base de la Force multinationale mixte à Mora. Ce n’est qu’en décembre que tous les anciens membres combattants ont été déplacés des villages vers la base de la Force multinationale de Mora.

Les sous-préfets et les chefs traditionnels ayant sensibilisé les communautés à la va-vite en septembre 2017, à la suite du changement subit de posture du Cameroun, la majorité des habitants des localités frontalières reste opposée à l’accueil et la réinsertion des anciens membres de Boko Haram, même non combattants. Certains considèrent l’attention qui leur est accordée comme une injustice. Ils ne les acceptent que de mauvais gré, sous la pression de l’Etat. Par conséquent, certains anciens membres du mouvement renvoyés dans leurs villages sont marginalisés et vivent dans la peur de la vengeance.[fn]Entretiens de Crisis Group, habitants, ancien membre de Boko Haram, chefs de villages, délégation régionale des affaires sociales, Maroua, Mora, Tolkomari et Kerawa, janvier 2018.Hide Footnote

Les anciens membres combattants s’étant rendus, une centaine environ, sont détenus depuis décembre 2017 sur la base de Mora, d’où ils peuvent sortir sous surveillance. Ils bénéficiaient même au départ d’une relative liberté, dans l’espoir qu’ils incitent d’autres combattants à se rendre. Sur la base, ils auraient eu accès à des téléphones, pour faciliter leurs communications avec les combattants restés au Nigéria. Le transfert à Mémé, dans le Mayo-Sava, de la plupart des combattants qui se sont rendus était prévu mi-2018. Mais ce projet tarde à se concrétiser, car le site n’est pas encore construit. En attendant, les autorités prévoiraient aussi de transférer certains d’entre eux à la prison secondaire de Meri pour décongestionner la base de Mora.[fn]« Le Cameroun face au pari des désengagés de Boko Haram », Le Monde, 23 mai 2018.Hide Footnote Des habitants soulignent par ailleurs que Mémé abrite le plus important camp de déplacés du Mayo-Sava. Faire cohabiter les victimes et les bourreaux pourrait s’avérer risqué, même si les deux camps ne seront pas strictement côte à côte.[fn]Entretiens de Crisis Group, membres des comités de vigilance, forces de sécurité, autorités administratives et population, Mora, janvier-février 2018.Hide Footnote

Outre les redditions officielles, d’anciens membres de Boko Haram reviennent clandestinement au Cameroun. Le phénomène est connu des autorités depuis 2015. Selon un préfet, « nous savons qu’il y a des réinsertions clandestines d’ex-Boko Haram partout. Mais on n’en connait pas l’ampleur. Ils s’infiltrent dans la société et à terme ça peut constituer une gangrène ».[fn]Entretien de Crisis Group, préfet, Extrême-Nord, septembre 2017.Hide Footnote Ces individus sont surtout d’anciens logisticiens ou collaborateurs occasionnels. Certains vivraient à Mora et ailleurs dans le Mayo-Sava. D’autres se seraient installés à Maroua, Garoua (chef-lieu de la région du Nord) et Ngaoundéré (chef-lieu de la région de l’Adamaoua). En novembre 2015, trois anciens membres de Boko Haram originaires d’Amchidé auraient été arrêtés dans le Mayo-Louti (région du Nord) où ils s’étaient établis depuis plusieurs mois. En août 2017, deux anciens membres vivant à Garoua depuis plusieurs mois auraient été interpellés.[fn]Entretiens de Crisis Group, universitaire, sous-préfet, diplomates et officiers des renseignements, Extrême-Nord, Garoua et Yaoundé, septembre 2017 et février-mars 2018.Hide Footnote Depuis juin 2018, des redditions clandestines sont à nouveau observées dans le Mayo-Sava.[fn]Courriels de Crisis Group, expert des Nations unies, juillet 2018.Hide Footnote

2. Les anciens captifs de Boko Haram

Environ 410 Camerounais retenus captifs par Boko Haram ou ayant vécu dans les territoires nigérians sous son contrôle, dont 230 enfants, sont retournés au Cameroun depuis début 2017. Leur situation est particulière et ils sont traités comme des déplacés.

Début février 2017, les comités de vigilance du Mayo-Tsanaga recueillent une famille de quatorze enfants, quatre femmes et un homme en provenance du Nigéria. Il s’agit du premier retour conséquent de captifs camerounais du mouvement jihadiste. En mars, une cinquantaine d’anciens captifs reviennent à Zelevet, dans l’arron-dissement du Mayo-Moskota.[fn]Entretiens de Crisis Group, élus locaux et habitants, Mozogo, septembre 2017.Hide Footnote La gendarmerie mène une enquête qui corrobore les dires des premiers anciens captifs. Sur cette base, le gouverneur de l’Extrême-Nord décide de les accueillir à partir d’avril, et 300 personnes arrivent au cours des mois suivants, tous dans l’arrondissement du Mayo-Moskota.[fn]Installés au début sur un site près de la mairie de Mozogo, ils étaient plutôt libres de leurs mouvements. Certains pouvaient aller et venir jusqu’à Koza. Cela a suscité les inquiétudes de la population qui a souhaité qu’ils soient installés ailleurs. A la suite de ces complaintes, les anciens captifs ont été transférés en décembre sur un site aménagé à Zamai, non loin du camp de réfugiés de Minawao. Entretiens de Crisis Group, élus locaux et autorités administratives, Mokolo et Maroua, février 2018.Hide Footnote Les anciens captifs sont pris en charge par le ministère des Affaires sociales, le Programme alimentaire mondial, la Croix-Rouge et le mouvement catholique Civitas. La plupart ont profité des opérations de l’armée nigériane pour s’échapper, d’autres de l’inattention de leurs ravisseurs.

La prise en charge des anciens captifs pose un problème à la fois social et sécuritaire. En dépit des efforts de sensibilisation par les chefs traditionnels, la population locale continue de douter de leur innocence et certaines familles peinent à accepter leur retour dans la communauté. Les enfants, pour la plupart nés en captivité, ont souvent perdu leur père voire leurs deux parents. Ils sont stigmatisés et leur accueil dans des familles s’avère difficile.[fn]Entretiens de Crisis Group, acteurs humanitaires et gendarmes, Maroua et Mokolo, septembre 2017 et janvier 2018.Hide Footnote Par ailleurs, la gendarmerie soupçonne une trentaine d’anciens captifs d’avoir combattu ou collaboré avec Boko Haram, mais sans parvenir à le prouver. Quelques-unes des personnes soupçonnées sont d’ailleurs retournées au Nigéria et ont peut-être rejoint le mouvement jihadiste.[fn]Entretiens de Crisis Group, gendarmes, Mokolo, septembre 2017.Hide Footnote

La distinction entre anciens captifs, personnes ayant vécu dans les territoires sous contrôle de Boko Haram, collaborateurs passifs ou occasionnels et anciens membres ou combattants n’est pas toujours aisée. Certains anciens captifs, sans faire partie de la trentaine de personnes soupçonnées de complicité avec le mouvement jihadiste, ont probablement été des collaborateurs occasionnels. Cela dit, aucun de ces 410 individus ne reconnait avoir collaboré avec Boko Haram. Les forces de sécurité et les ONG humanitaires estiment que la très grande majorité d’entre elles n’étaient que des captifs ou des personnes vivant dans des territoires sous contrôle du groupe.[fn]Entretiens de Crisis Group, forces de sécurité et ONG humanitaires, Maroua et Yaoundé, février-mars 2018.Hide Footnote

B. Les comités de vigilance : une nécessaire évolution

Des groupes d’autodéfense se sont constitués au Cameroun dès les années 1960. A l’Extrême-Nord, des groupes ont été réactivés ou créés en 2014, sous l’appella-tion « comités de vigilance », généralement par les autorités administratives et militaires, mais parfois aussi à l’initiative des populations.[fn]« Arrêté régional portant création des comités locaux de vigilance dans la région de l’Extrême-Nord », juin 2014.Hide Footnote Ils se sont multipliés après les premiers attentats-suicides de Boko Haram sur le sol camerounais, en juillet 2015. Placés sous l’autorité des sous-préfets et des chefs traditionnels, ils travaillent en étroite collaboration avec les militaires.

A ce jour, les comités de vigilance comptent environ 14 000 membres dans l’Extrême-Nord. La plupart d’entre eux ne disposent que d’armes rudimentaires (flèches empoisonnées, lances, machettes et fusils traditionnels, etc.), et seuls quelques-uns ont des armes à feu modernes. Les comités jouent un rôle essentiel dans la lutte contre Boko Haram.[fn]Voir le rapport Afrique de Crisis Group N°244, Gardiens du lac Tchad : les groupes d’autodéfense face à Boko Haram, 23 février 2017.Hide Footnote Ils renseignent et guident les forces camerounaises, repèrent des suspects, font office de traducteurs lors des interrogatoires. Ils protègent leurs villages, en particulier en l’absence des militaires, et il leur arrive de pourchasser les combattants du mouvement jihadiste, parfois jusqu’en territoire nigérian. Ils auraient ainsi permis d’éviter plus de 80 attentats-suicides en trois ans.[fn]« Limani : 70 membres des comités de vigilance attaquent Boko Haram au Nigéria », L’Œil du Sahel, 3 mai 2016 ; « Au Cameroun : les soldats de l’ombre oubliés de la lutte contre Boko Haram », Le Monde, 30 mars 2016.Hide Footnote Ils ont payé le prix fort pour leur engagement : plus de 200 de leurs membres auraient été tués depuis 2015.[fn]Estimation de Crisis Group à partir de sources ouvertes et d’entretiens dans l’Extrême-Nord.Hide Footnote

Cependant, certains membres des comités commettent des abus contre les habitants ou contre les détenus, et se rendent coupables de dénonciations calomnieuses. D’autres collaborent avec les combattants de Boko Haram, en leur monnayant des renseignements, en revendant pour leur compte du bétail volé ou en leur fournissant du carburant et des denrées alimentaires.[fn]Entretiens de Crisis Group, membres de comités de vigilance d’Amchidé, Kerawa et Mora, Mora, septembre 2017.Hide Footnote Un comité de vigilance est soupçonné de couvrir l’utilisation du marché d’une localité du Mayo-Sava pour le recel et la vente de biens pillés par Boko Haram, au point que les autres comités sont réticents à coopérer avec lui.[fn]Ibid.Hide Footnote Certains comités laisseraient également Boko Haram entrer sur le territoire camerounais moyennant un paiement.[fn]Ibid.Hide Footnote

Cette situation pose la question de l’encadrement des comités de vigilance, devenus un élément clé du dispositif sécuritaire, et celle de leur devenir, y compris dans une éventuelle perspective de fin de conflit. Les accointances avec Boko Haram et les soupçons envers certains membres au passé criminel montrent que le recours à ces groupes dans la lutte contre les jihadistes pourrait présenter des risques sécuritaires sur le long terme, s’ils ne sont pas mieux soutenus et encadrés par l’Etat. Habitués à la violence et disposant d’armes parfois modernes prises au mouvement jihadiste, certains membres des comités risquent de se tourner vers le banditisme et le crime organisé ou d’alimenter les violences communautaires après le conflit. C’est d’autant plus probable que, de l’aveu des forces de sécurité et des autorités administratives, la sélection initiale des membres des comités de vigilance n’a pas été faite de façon méticuleuse ; ils comptent dans leurs rangs d’anciens voleurs de bétail et coupeurs de route.

IV. Poser les jalons d’une paix durable

Le conflit à l’Extrême-Nord du Cameroun a été dévastateur pour les populations et les communautés locales, et a accentué les difficultés liées au manque de développement et à la mauvaise gouvernance locale.[fn]Rapport de Crisis Group, Cameroun : faire face à Boko Haram, op. cit.Hide Footnote Depuis 2016, il baisse en intensité. A mesure que cette tendance se confirme, en dépit d’attaques sporadiques de Boko Haram, le gouvernement et ses partenaires internationaux évoquent la stabilisation et la reconstruction post-conflit. La fin effective des violences est la condition essentielle pour atteindre ces objectifs. Dans cette perspective, le gouvernement camerounais devrait annoncer publiquement que les membres de Boko Haram qui se rendent bénéficieront d’une forme de protection et auront accès à un procès équitable, et qu’il est peu probable que les membres non combattants aillent en prison. De même, définir le rôle des comités de vigilance dans le futur contexte post-conflit sera déterminant pour l’établissement d’une paix durable. Sans une politique de démobilisation et de réinsertion, certains de leurs membres pourraient alimenter de nouveaux foyers d’insécurité.

Malgré des discussions interministérielles en cours, le gouvernement n’a pas encore adopté de politique claire sur ces deux questions et dit manquer de moyens.[fn]Entretiens de Crisis Group, haut fonctionnaire à la présidence, autorités administratives et forces de sécurité, Extrême-Nord et Yaoundé, février-mars 2018.Hide Footnote Les partenaires internationaux devraient soutenir le gouvernement sur le plan technique et financier dans la formulation et la mise en

A. Justice et réinsertion pour les anciens membres de Boko Haram

Mettre sur pied un programme de réinsertion pour les anciens membres et captifs de Boko Haram requiert de résoudre plusieurs problèmes connexes, entre autres :

  1. Quelle justice pour les anciens membres, en fonction de leur statut (combattants ou simples logisticiens, auteurs de crimes graves ou non, têtes pensantes ou exécutants, etc.) ? La réponse doit tenir compte de la surpopulation carcérale, des lenteurs du système judiciaire et de la saturation des tribunaux, qui doivent encore juger des centaines de présumés membres de Boko Haram détenus à la prison de Maroua.
     
  2. Quels anciens membres doivent participer à un processus de désendoctrinement, qui pourrait mettre l’accent sur la tolérance religieuse et la non-violence ?
     
  3. Quels anciens membres peuvent être réintégrés dans leur communauté et par quel processus, selon les différents statuts ?

Des centaines, voire un millier de Camerounais feraient encore partie de Boko Haram. Sur les 200 membres qui se sont rendus, près d’une centaine (composée d’enfants, d’individus non combattants et non endoctrinés) pourraient directement être réintégrés dans leurs communautés, sans nécessairement passer par une procédure judiciaire formelle, mais en utilisant des mécanismes de justice et de réparation communautaires.[fn]Entretiens de Crisis Group, ONG locales, autorités administratives et chefs traditionnels, Mora et Kolofata, février-mars 2018.Hide Footnote De la même façon, la réintégration des 410 anciens captifs passera par la sensibilisation et des cérémonies symboliques de retour dans les communautés.

Parmi la centaine de personnes restante, composée d’anciens membres combattants, la petite minorité d’individus endoctrinés pourrait faire l’objet d’un suivi rigoureux et d’un programme de désendoctrinement, y compris en prison. Ceux suspectés d’avoir commis des atrocités – y compris une partie des individus endoctrinés – devraient passer par un processus judiciaire formel, tandis que ceux qui ne sont pas accusés de crimes graves pourraient être réintégrés après avoir purgé des peines d’emprisonnement limitées et/ou réalisé des travaux communautaires.

Pilotées pour le moment par des militaires, les enquêtes visant à déterminer le statut de chaque individu qui se rend sont des enquêtes préliminaires concernant des actes criminels, mais elles sont aussi une première étape dans le traitement des anciens membres de Boko Haram qui ne sont à priori pas coupables d’actes de violence, et ne devraient pas passer par le système judicaire formel. Ces enquêtes devraient donc mieux associer les policiers, des experts en protection du Comité international de la Croix-Rouge et/ou de l’ONU et des universitaires et chercheurs spécialistes de la question.

Le gouvernement devrait mieux sensibiliser les communautés, dont l’acceptation est essentielle au succès de la réinsertion, aux stratégies de mobilisation du mouvement jihadiste, notamment en soulignant que les recrutements de force ou de survie ont été bien plus nombreux que les recrutements idéologiques. Les médias, en particulier les radios communautaires, peuvent participer à cette sensibilisation, par exemple en diffusant des témoignages de combattants repentis. Le gouvernement devrait fournir un soutien adéquat aux communautés d’accueil, et négocier avec elles les conditions sous lesquelles elles seraient prêtes à réintégrer les anciens membres de Boko Haram.

Sans une prise en compte des aspirations locales, les communautés risquent de rejeter les anciens membres de Boko Haram, ce qui pourrait générer à moyen terme un nouveau type de tensions sociales.

Sans une prise en compte des aspirations locales, les communautés risquent de rejeter les anciens membres de Boko Haram, ce qui pourrait générer à moyen terme un nouveau type de tensions sociales. Le risque est donc double : d’une part que certains anciens membres de Boko Haram soient rejetés par leur communauté par peur et mépris, et éventuellement qu’ils réintègrent le groupe jihadiste ou d’autres groupes armés ; et d’autre part, que le programme de réinsertion apparaisse aux yeux d’autres jeunes comme une prime au terrorisme et légitime l’appartenance à Boko Haram ou à d’autres groupes armés qui pourraient s’implanter dans la région.[fn]Entretiens de Crisis Group, officiers supérieurs, autorité administrative, comités de vigilance et jeunes du Mayo Sava, Mora, février 2018.Hide Footnote

La réponse devrait donc à la fois offrir aux anciens membres de Boko Haram des mécanismes et des incitations de réintégration, et aux communautés des incitations symboliques et matérielles à les recevoir. Il devrait être possible de concilier ces deux éléments, par exemple à travers le soutien aux activités pastorales, agraires et commerciales dans les communautés d’accueil, des subventions aux petites entreprises qui emploient des jeunes des quartiers et villages d’accueil, ainsi qu’aux anciens membres de Boko Haram au cours de leur réinsertion.

Le Cameroun, ses partenaires internationaux, les ONG compétentes en la matière et les pays du bassin du lac Tchad devraient discuter du contenu du programme de réinsertion, afin que les pays de la région s’inspirent de leurs expériences mutuelles et que les grandes lignes de leurs programmes soient harmonisées. Il est nécessaire d’associer les partenaires internationaux car leur assistance technique et leur appui financier sont indispensables pour l’efficacité des programmes. Certains d’entre eux sont prêts à financer des projets de réinsertion mais se désolent du manque d’initiative du gouvernement. S’ils ne sont pas consultés dès l’étape de la conception de cette politique, cela pourrait freiner leur intérêt.[fn]Entretiens de Crisis Group, ambassadeurs occidentaux et représentants de l’Union européenne, Yaoundé, septembre 2017-mars 2018.Hide Footnote

L’harmonisation des politiques menées à l’égard des anciens membres de Boko Haram est l’une des préoccupations de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT). Selon certains hauts responsables de la CBLT, le but est d’éviter que les pays ayant une politique de réinsertion plus aboutie ne soient débordés par les redditions, bien que cette tendance ne semble pas prévaloir pour le moment. L’enjeu est aussi sécuritaire. La CBLT craint en effet qu’une non-harmonisation des politiques de réinsertion prolonge le conflit. La plupart des membres de Boko Haram qui se rendent le font dans leur pays d’origine. Si certains Etats s’opposent aux redditions de leurs ressortissants ou ne mettent pas en place des politiques pour les inciter à se rendre, ces derniers continueront de nuire et probablement au-delà de leur pays d’origine. Enfin, les discussions doivent se poursuivre au sein de la CBLT pour permettre aux Etats de s’accorder sur une règle commune pour l’extradition des rendus étrangers.[fn]Entretiens de Crisis Group, diplomates européens et colonel de la CBLT, N’Djamena, février 2018.Hide Footnote

D’ores et déjà, un atelier international s’est penché sur la question en janvier 2018 à l’université de Maroua, de même que des conférences sous-régionales à Abuja, au Nigéria, Diffa, au Niger, et N’Djamena, au Tchad, en 2017 et 2018. Les leçons tirées de ces rencontres quant aux pratiques de chaque pays pourraient être utiles au Cameroun dans l’élaboration de sa propre politique en la matière. Au cours de ces conférences, les représentants tchadiens ont souligné qu’il est important de tenir compte du rapport de Boko Haram à chaque communauté et territoire. Au Tchad, il a été moins difficile pour le gouvernement d’intégrer un millier d’anciens membres de Boko Haram dans les communautés, en partie parce que celles-ci avaient été peu touchées par la violence du mouvement jihadiste comparée aux habitants des autres pays de la région. Les Nigériens ont insisté sur la nécessité de définir un cadre juridique approprié avant toute politique de réinsertion, tandis que les Nigérians ont surtout mis en avant la nécessité pour chaque Etat d’adopter une position claire sur le sujet.

Le programme de réinsertion implique un travail de justice à deux niveaux. D’abord, un processus judiciaire formel, aussi transparent que possible, est nécessaire. Pour que les combattants qui se sont rendus ne s’ajoutent pas à la longue liste de présumés combattants de Boko Haram qui n’ont pas encore été jugés, il faudrait accélérer la procédure judiciaire dans les cas de terrorisme liés à Boko Haram et renforcer les capacités des tribunaux de l’Extrême-Nord. Certains seront nécessairement condamnés à des peines de prison. Pour d’autres anciens membres, un processus de justice restauratrice qui pourrait imposer des peines de travaux communautaires, mais reposerait aussi sur des mécanismes locaux de dialogue et de pardon, y compris des confessions publiques et des cérémonies symboliques, comme le fait de jurer sur le Coran, pourrait être plus adapté.

Pour que la réintégration des membres qui se sont rendus (non auteurs de crimes graves) soit possible à moyen terme, la loi antiterroriste de 2014 et le Code pénal devraient être amendés. Cette loi condamne à la peine de mort ou à l’emprisonnement à vie les membres et complices de groupes terroristes et à des peines de vingt ans d’emprisonnement les individus reconnus coupables de blanchiment des produits du terrorisme ou de non-dénonciation d’actes de terrorisme.[fn]« Loi N°2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme », gouvernement camerounais, 23 décembre 2014.Hide Footnote Cette loi a le potentiel d’empêcher tout programme d’accueil ou de justice communautaire pour les anciens membres de Boko Haram considérés comme moins dangereux. A défaut d’un changement de la loi, le président de la République pourrait signer un décret pour organiser le traitement spécifique des individus s’étant rendus. Le même décret pourrait aussi doter les tribunaux de l’Extrême-Nord de ressources humaines et matérielles supplémentaires et prévoir des dispositions pour accélérer la procédure judiciaire dans les cas liés à Boko Haram.

Parmi les anciens membres de Boko Haram s’étant rendus depuis 2017, un petit nombre prône toujours le jihad violent. Le soutien à Boko Haram parmi la population est très limité, et bien moins important aujourd’hui qu’au début du conflit en 2013-2014. Le danger que représentent ces individus en termes de propagande et de recrutement n’est donc pas élevé. Ils posent néanmoins un risque pour leur entourage et devraient participer à un programme de suivi et de conversations avec des imams locaux et la population en vue de leur enseigner la tolérance religieuse et les dissuader de prôner le recours à la violence pour des motifs religieux. Ces programmes, communément appelés de « déradicalisation » ont souvent des limites, mais les rares initiatives mises en place de façon informelle jusqu’à présent au Cameroun ont pourtant connu un certain succès. En cas d’échec, ces individus devraient faire l’objet d’un suivi et d’une surveillance, y compris dans les prisons.[fn]Entretiens de Crisis Group, personnel pénitentiaire, ministère de la Justice et organisations humanitaires, Yaoundé et Maroua, mars-décembre 2017.Hide Footnote

La réinsertion des anciens membres de Boko Haram allant de pair avec l’appui aux communautés et le développement local, cela représente un effort financier qui va bien au-delà de la prise en charge des 200 individus qui se sont rendus et des 410 personnes qui se sont échappées des territoires sous contrôle de Boko Haram pour revenir au Cameroun jusqu’à maintenant. Le pays, sous tension de trésorerie (élection en octobre et coupe d’Afrique des nations à organiser en janvier 2019), ne peut le financer. La présidence de la République envisage un budget d’un milliard de FCFA (2 millions de dollars) pour la réinsertion, ce qui parait très insuffisant.[fn]Entretiens de Crisis Group, autorité administrative et haut fonctionnaire à la présidence de la République, Mora et Yaoundé, février et mars 2018.Hide Footnote Les partenaires internationaux du Cameroun devraient s’engager à financer cette initiative.

B. Repenser le rôle des comités de vigilance

Le gouvernement doit entamer dès à présent une réflexion sur le devenir et le rôle des comités de vigilance dans un contexte post-conflit, y compris sur leur éventuelle démobilisation. Pour éviter que les comités de vigilance ne deviennent une source d’insécurité à moyen terme, le Cameroun devra trouver un équilibre entre dissolution progressive des groupes et réinsertion de leurs membres d’une part ; et réglementation, meilleur soutien et encadrement des groupes restants d’autre part. Plus les objectifs et le mandat de ces forces auxiliaires sont définis clairement et le soutien et l’encadrement renforcés, moins ils risquent de se détourner de ces objectifs.

Dans un contexte post-conflit, le gouvernement camerounais devrait s’abstenir de créer de nouveaux comités et se concentrer plutôt sur le développement de réseaux de renseignement et d’alerte précoce pour apporter aux civils la protection de l’Etat en cas de besoin.

Une frange des 14 000 membres actuels des comités de vigilance devront être maintenus pour assumer les fonctions d’auxiliaires des forces de police, en particulier dans les zones rurales.[fn]

Entretiens de Crisis Group, autorités administratives et lamido de Maroua, Maroua et Mora, septembre 2017.
 

Hide Footnote Ils existent depuis longtemps dans cette zone, essentiellement pour pallier les déficiences de l’offre sécuritaire étatique. D’ores et déjà, dans des villes comme Mora, des autorités administratives estiment qu’il serait juste et efficace que certains membres des comités de vigilance soient intégrés à la police municipale en train d’être créée.[fn]Entretiens de Crisis Group, autorités administratives, Mokolo et Mora, février 2018.Hide Footnote L’encadrement de ces comités pourrait passer par la mise en place des systèmes de vérification externe, y compris un contrôle communautaire. Les membres des comités maintenus devraient avoir accès à des programmes de formation sur des compétences pratiques (en matière de renseignement, de premiers secours, et de déminage). En fonction des localités, le gouvernement pourrait encourager une collaboration entre comités camerounais et nigérians comme cela s’est fait avec succès par le passé à Tourou, dans l’Extrême-Nord du Cameroun.[fn]Cette collaboration aurait permis aux deux comités de se réunir régulièrement et d’échanger des renseignements, et même de combattre ensemble à deux reprises pour repousser des attaques d’envergure de Boko Haram. Elle a cessé depuis 2017, car les comités de Tourou affirment que ceux de Madagali au Nigéria ont été infiltrés par Boko Haram. Entretiens de Crisis Group, comités de vigilance du canton de Tourou, Mokolo, septembre 2017. « Au Cameroun, la montagne des persécutés de Boko Haram », Le Monde, 23 mai 2018.Hide Footnote

Les autres comités devront être graduellement démobilisés et leurs membres réinsérés. Le gouvernement devrait organiser leur dissolution progressive et/ou encadrer leur autodissolution, en veillant à ce que les anciens membres possédant une arme à feu soient recensés. Il devrait déjà élaborer des projets visant à réinsérer économiquement les membres des comités démobilisés ou autodissous, soit en les aidant à trouver du travail dans des secteurs porteurs au niveau local, soit en finançant leurs microprojets dans des secteurs tels que le commerce et l’agriculture.

Par ailleurs, tous les membres des comités de vigilance accusés d’abus ou de bavures devront faire l’objet d’enquêtes transparentes et les décisions de justice devront être rendues publiques.

Enfin, plusieurs comités de vigilance des départements frontaliers ne souhaitent pas que les chefs traditionnels ou même les autorités administratives locales gèrent seuls le soutien de l’Etat ou des partenaires internationaux.[fn]Entretiens de Crisis Group, membres de comités de vigilance du Mayo-Sava, Mora, septembre 2017.Hide Footnote Tout financement ou soutien aux comités qui seront maintenus ou à la réinsertion des membres des comités démobilisés devrait donc associer autorités et ONG.

Conclusion

Le gouvernement camerounais doit sortir de sa posture réactive et se doter de politiques claires concernant les membres de Boko Haram qui se rendent ou sont arrêtés et le devenir des comités de vigilance. Il est essentiel de relever ces défis pour pouvoir envisager de mettre fin au conflit prochainement et éviter aux forces armées camerounaises de s’enliser durablement à l’Extrême-Nord. Un tel scénario aggraverait la situation financière du pays, déjà très fragile.

Nairobi/Bruxelles, 14 août 2018

Annexe A: Carte du Cameroun

Carte du Cameroun Crisis Group/KO/Novembre 2016. Basé sur une carte des Nations unies no. 4227 (Novembre 2015)

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