Demonstrators march during a protest against perceived discrimination in favour of the country's francophone majority on 22 September 2017 in Bamenda, the main town in northwest Cameroon and an anglophone hub. STRINGER / AFP
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Crise anglophone au Cameroun : comment arriver aux pourparlers

Après vingt mois d’affrontements, Yaoundé et les séparatistes campent sur leurs positions.  Entre la sécession voulue par les séparatistes et la décentralisation en trompe-l’œil que propose le gouvernement, des solutions médianes doivent être explorées pour conférer plus d’autonomie aux régions.

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Que se passe-t-il ? Le conflit dans les régions anglophones du Cameroun s’est embourbé. Il n’existe aucun dialogue entre Yaoundé et les séparatistes, qui campent sur leurs positions : l’un mise sur une victoire militaire et refuse toute discussion sur la forme de l’Etat, les autres exigent l’indépendance.

En quoi est-ce significatif ? En vingt mois, le conflit a fait 1 850 morts, 530 000 déplacés internes et des dizaines de milliers de réfugiés. L’intransigeance des belligérants risque de générer de nouvelles violences et de prolonger le conflit, qu’aucun camp ne semble en mesure de remporter militairement dans la courte durée.

Comment agir ? Acteurs camerounais et internationaux devraient pousser les deux camps à des concessions en menaçant de sanctions ceux qui feraient obstacle au dialogue et en récompensant les moins intransigeants. A terme, le gouvernement devra améliorer le cadre légal de la décentralisation afin d’accorder une plus grande autonomie aux communes et régions.

Synthèse

Au Cameroun, la crise anglophone s’est embourbée. Après vingt mois d’affrontements, 1 850 morts, 530 000 déplacés internes et des dizaines de milliers de réfugiés, le pouvoir et les séparatistes campent sur des positions inconciliables. Les séparatistes vivent dans l’utopie d’une indépendance prochaine. Le gouvernement, quant à lui, se berce d’illusions quant à la possibilité d’une victoire militaire à court terme. Les modérés et les fédéralistes, qui bénéficient pourtant de la sympathie d’une majorité de la population, peinent à s’organiser. Pour sortir de cette impasse, les acteurs camerounais et internationaux devraient faire pression sur le gouvernement et les séparatistes. Entre la sécession voulue par les séparatistes et la décentralisation en trompe-l’œil que propose Yaoundé, des solutions médianes doivent être explorées pour conférer plus d’autonomie aux régions.

La crise sociopolitique née en octobre 2016 dans les régions anglophones du Nord-Ouest et Sud-Ouest s’est muée fin 2017 en conflit armé. Sept milices armées sont actuellement en position de force dans la majorité des localités rurales. Les forces de sécurité ont mis du temps à organiser leur riposte, mais depuis mi-2018, elles infligent des pertes aux séparatistes. Elles ne parviennent pourtant pas à reprendre entièrement le contrôle des zones rurales, ni à empêcher les attaques récurrentes des séparatistes dans les villes.

Il n’existe actuellement aucun dialogue entre Yaoundé et les séparatistes. Ces derniers exigent un débat avec l’Etat sur les modalités de la séparation, en présence d’un médiateur international. Le pouvoir refuse toute discussion sur la forme de l’Etat et la réforme des institutions. Il propose en revanche une décentralisation qui ne confère ni un financement adéquat, ni une autonomie suffisante aux collectivités territoriales décentralisées (communes et régions), et prévoit d’organiser les premières élections régionales de l’histoire du pays cette année. Loin de résoudre le conflit en cours, cette solution de façade risque au contraire de générer de nouvelles violences.

Des initiatives locales de dialogue tentent de se mettre en place. En particulier, des responsables religieux anglophones (catholique, protestant et musulman) ont annoncé en juillet 2018 un projet de conférence générale anglophone, envisagé comme une première étape avant un dialogue national inclusif. Une grande partie des anglophones y est favorable. Initialement réticents, certains séparatistes semblent à présent s’ouvrir à l’idée, à condition que la conférence débouche sur un référendum d’autodétermination qui donnerait le choix entre fédéralisme et indépendance. Mais face à l’opposition du pouvoir, les organisateurs de la conférence ont déjà dû la repousser deux fois : d’août à novembre 2018 d’abord, puis à mars 2019. Elle n’a toujours pas pu se tenir.

Si le gouvernement camerounais semble exclure le fédéralisme il pourrait peut-être consentir au régionalisme ou à une décentralisation effective.

Si certains séparatistes se montrent intransigeants, d’autres pourraient accepter un dialogue avec l’Etat camerounais en présence d’un médiateur international, sur le fédéralisme ou une décentralisation effective, qui conférerait une autonomie et un financement adéquat aux régions, et garantirait le respect des spécificités anglophones en matière judiciaire et éducative. De même, si le gouvernement camerounais semble exclure le fédéralisme, il pourrait peut-être consentir au régionalisme ou à une décentralisation effective, qui passerait par une modification du cadre législatif.

Pour ouvrir la voie à des pourparlers, les belligérants doivent faire des concessions réciproques à même de rétablir un minimum de confiance et d’enrayer la spirale de la violence. Le gouvernement devrait soutenir la conférence générale anglophone, qui devrait permettre aux anglophones de se mettre d’accord sur leurs représentants à un éventuel dialogue national tout en redonnant une voix aux anglophones non séparatistes. Dans le cadre d’un discours réconciliateur, le président camerounais devrait reconnaitre l’existence du problème anglophone et la légitimité des revendications exprimées par les populations anglophones ; ordonner des enquêtes sur les abus des forces de sécurité ; prévoir des compensations pour les victimes et s’engager à reconstruire les localités détruites ; et libérer les centaines d’activistes anglophones actuellement détenus, y compris des figures importantes du mouvement séparatiste. Les séparatistes devraient renoncer à leur stratégie de villes mortes le lundi et de boycott de l’école, et exclure de leurs rangs les combattants qui ont commis des abus contre les civils.

La combinaison de pressions internes et internationales pourrait amener le gouvernement et les séparatistes à de telles concessions. Au niveau international, l’idée serait de récompenser les parties qui acceptent de modérer leurs positions et de sanctionner celles qui maintiennent une ligne plus intransigeante. L’Union européenne et les Etats-Unis, en particulier, devraient envisager des sanctions ciblées contre les pontes du pouvoir et les hauts gradés qui continuent de faire obstacle au dialogue (interdictions de voyages, gels des avoirs), et les séparatistes qui prônent ou organisent la violence (poursuites judiciaires). La procureure générale de la Cour pénale internationale devrait ouvrir des enquêtes préliminaires sur les abus des deux parties, afin de souligner que la poursuite des violences aura des conséquences judiciaires. Mais les acteurs internationaux, divisés sur la position à adopter et les mesures à prendre, doivent d’abord se mettre d’accord sur une position commune, du moins parmi les pays occidentaux.

Au niveau interne, les francophones et anglophones camerounais qui prônent des solutions de compromis doivent se mobiliser pour faire pression sur les séparatistes et le gouvernement. En particulier, les fédéralistes doivent faire front commun pour peser sur les discussions. Ils devraient continuer le dialogue avec les séparatistes pour les encourager à modérer leurs positions, et augmenter la pression sur les pouvoirs publics pour qu’ils s’ouvrent aux séparatistes prêts à un compromis. Ils doivent enfin mener une campagne internationale en faveur d’une solution pacifique à la crise.

Une fois la confiance instaurée, des discussions préparatoires seront nécessaires entre émissaires du gouvernement, des fédéralistes et des séparatistes ; elles devraient avoir lieu à l’étranger. Durant ce processus, les acteurs internationaux, notamment les Etats-Unis, la Suisse, le Vatican, les Nations unies, l’Union européenne (en particulier la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni) et l’Union africaine, doivent continuer à encourager le gouvernement au dialogue, y compris en proposant de financer et de soutenir les rencontres préparatoires.

Ils pourraient aussi, au cas où un dialogue a lieu, aider à financer les compensations aux personnes victimes d’abus, la reconstruction dans les régions anglophones, le retour des réfugiés et des déplacés, et le désarmement et la démobilisation des ex-combattants. Vu le niveau d’acrimonie entre les parties, la présence d’un médiateur international sera nécessaire au cours des discussions préparatoires et lors du dialogue national. Plusieurs pays, institutions et organisations internationales ont proposé leur médiation depuis le début du conflit. Les Nations unies, l’Union africaine, l’Eglise catholique et la Suisse semblent les mieux placées pour jouer ce rôle, car les parties au conflit les perçoivent comme moins partisanes.

Les discussions de fond entre les trois parties devraient se dérouler au Cameroun, ce qui exigerait des garanties de non-arrestation des représentants des séparatistes. Le gouvernement devrait, au cours de ces négociations, se montrer prêt à réviser la Constitution pour accorder une plus grande autonomie aux régions ou approfondir sensiblement le cadre légal de la décentralisation. Ces améliorations pourraient notamment inclure l’élection des présidents des régions et des conseils régionaux au suffrage universel direct ; l’instauration d’administrations régionales disposant d’une grande autonomie financière et administrative ; et l’augmentation des compétences et des ressources des communes. Le gouvernement pourrait par ailleurs entreprendre des réformes institutionnelles et de gouvernance pour mieux prendre en compte les spécificités des systèmes éducatif et judiciaire des régions anglophones.

Plus largement, le conflit en cours met en lumière les carences du modèle de gouvernance centraliste camerounais et interpelle les autorités gouvernementales sur deux préoccupations essentielles : la nécessité d’une meilleure prise en compte des minorités, des héritages coloniaux et des spécificités culturelles ; et le besoin d’une redistribution plus juste et équitable des richesses du pays. La solution pérenne réside dans le dialogue et le consensus, qui sont indispensables pour mener les réformes institutionnelles et de gouvernance dont le Cameroun a besoin.

Nairobi/Bruxelles, 2 mai 2019

L’analyste principal de Crisis Group pour l’Afrique centrale, Hans de Marie Heungoup, évoque le rôle des acteurs camerounais et internationaux pour sortir de l'impasse et pousser les deux parties à faire des concessions. CRISISGROUP

I. Introduction

La crise qui a débuté en octobre 2016 dans les régions anglophones (Nord-Ouest et Sud-Ouest) du Cameroun par des revendications d’enseignants et d’avocats s’est muée fin 2017 en insurrection armée, et dégénère peu à peu en guerre civile. Le conflit a tué au moins 1 850 personnes depuis septembre 2017, et affecte désormais les régions francophones de l’Ouest et du Littoral.[fn]Au moins 235 militaires et policiers, 650 civils et près d’un millier de séparatistes présumés ont été tués. Compilation de Crisis Group à partir des sources ouvertes et de dizaines d’entretiens en 2018 et 2019 avec les autorités administratives, les forces de sécurité et les séparatistes. Les autorités camerounaises estiment le nombre de morts à 1 600 (400 civils, 160 militaires et policiers et un millier de séparatistes), les anglophones fédéralistes comptent entre 3 000 et 5 000 morts et les séparatistes entre 5 000 et 10 000. Par comparaison, le conflit lié à Boko Haram dans l’Extrême-Nord du Cameroun a fait environ 3 100 morts en plus de cinq ans (de 2014 à avril 2019 : 1 900 civils, 215 militaires et policiers, et un millier de combattants).Hide Footnote L’impact social et humanitaire est considérable dans les régions anglophones : une majorité d’écoles fermées depuis deux ans, plus de 170 villages détruits, 530 000 déplacés internes et 35 000 réfugiés au Nigéria voisin. Le conflit est également dévastateur pour l’économie locale, qui représente environ un cinquième du produit intérieur brut du pays.[fn]Près d’une centaine d’écoles ont été incendiées depuis deux ans, la plupart par les séparatistes. Les villages incendiés l’ont été le plus souvent par les forces de sécurité, notamment pour détruire les biens de figures séparatistes ou punir des villages soupçonnés d’être favorables à la sécession. Entretiens de Crisis Group, journalistes et forces de sécurité, Yaoundé, décembre 2018. « Cameroon: joint statement of UNICEF and UNESCO on abduction of education personnel and attacks against schools in the South-West region of Cameroon », déclaration, Unesco et Unicef, 1er juin 2018 ; « Cameroun : meurtres et destructions dans les régions anglophones », Human Rights Watch, 19 juillet 2018 ; « Burning in Cameroon : images you are not meant to see », BBC, 25 juin 2018.Hide Footnote

De plus en plus de voix s’élèvent au sein de l’opposition et de la société civile camerounaise pour réclamer un dialogue.

Alors que Yaoundé et les séparatistes campent sur des positions à priori irréconciliables, de plus en plus de voix s’élèvent au sein de l’opposition et de la société civile camerounaise pour réclamer un dialogue. Ce rapport analyse les dynamiques récentes du conflit et propose des schémas flexibles pour ouvrir des pourparlers et parvenir à une solution durable. Il s’appuie sur plus de 160 entretiens effectués d’août à décembre 2018 dans les régions anglophones et de l’Ouest, ainsi qu’à Douala, la deuxième ville du pays, et à Yaoundé, la capitale. Une soixantaine d’entretiens ont aussi eu lieu au Nigéria (dans la capitale Abuja et dans l’Etat de Cross River, au Sud du pays) pour examiner la situation des réfugiés, et dans les capitales occidentales pour discuter des solutions possibles avec les partenaires internationaux du Cameroun. Crisis Group a adressé les conclusions de ce rapport au gouvernement camerounais mi-avril 2019, mais n’a pas obtenu de réponse.

II. Etat des lieux dans les régions anglophones

La situation dans les régions anglophones ne cesse de se détériorer. L’Etat camerounais y a déployé fin 2017 et tout au long de 2018 des renforts militaires et policiers par milliers, l’unité d’élite de l’armée (Bataillon d’intervention rapide, BIR), et même les forces spéciales nouvellement créées.[fn]Face aux multiples défis sécuritaires (Boko Haram dans l’Extrême-Nord, insécurité rampante à l’Est et dans l’Adamaoua), le gouvernement a décidé en 2015 de créer une unité de forces spéciales. Les premiers éléments de ces forces ont terminé leur formation en 2018. Leur effectif total est à ce jour d’environ 200. Les forces spéciales sont formées au Gabon par les Français, qui auraient protesté en privé contre leur déploiement temporaire dans les régions anglophones. Entretiens de Crisis Group, colonel camerounais et expert militaire français, Yaoundé, octobre 2018.Hide Footnote Il a aussi renforcé ses moyens logistiques dans la zone en déployant des blindés et des hélicoptères récemment achetés aux Emirats arabes unis, à l’Ukraine et à Israël.[fn]Erwan de Cherisey, « Cameroon’s BIR takes delivery of Panthera T6 vehicles », Jane’s Defence Weekly, 11 octobre 2018.Hide Footnote Ces renforts ont permis aux forces de sécurité de reprendre la main face aux séparatistes : depuis septembre 2018, elles leur ont infligé de lourdes pertes et ont éliminé plusieurs de leurs chefs opérationnels. Mais elles ne parviennent pas à sanctuariser les villes ni à reprendre le contrôle des localités rurales.[fn]Entretiens de Crisis Group, forces de sécurité et journalistes anglophones, Douala et Buea, septembre-décembre 2018. Les « généraux » Amigo et Ivo Mbah (Forces de défense de l’Ambazonie, Ambazonia Defence Forces – ADF) et Andrew Ngoe (Forces de défense du Southern Cameroons, Southern Cameroons’ Defense Forces – SOCADEF) ont été tués en novembre, décembre 2018 et janvier 2019, respectivement. Voir aussi Mathieu Olivier, « Crise anglophone au Cameroun : qui sont les sécessionnistes ? », Jeune Afrique, 1er février 2019.Hide Footnote Plus de 200 incidents (attaques et enlèvements par des séparatistes, incendies et opérations des forces de sécurité) ont été recensés au cours des six derniers mois.

A. Situation sécuritaire

Sept milices armées comptent entre 2 000 et 4 000 combattants.[fn]Voir Annexe C.Hide Footnote Elles recrutent surtout parmi les civils anglophones, mais aussi parmi les forces de sécurité, et comptent dans leurs rangs des dizaines de mercenaires nigérians. Ces derniers arrivent en général au Cameroun avec leurs propres armes et munitions et servent comme formateurs ou combattants. Certains sont d’anciens combattants et/ou des laissés-pour-compte des accords passés entre le gouvernement nigérian et les groupes politico-militaires du Delta du Niger ; d’autres sont de simples criminels qui ont trouvé refuge dans l’Etat de Cross River, frontalier du Cameroun, pour échapper à l’opération « Delta Safe 1 » lancée en 2016 par l’armée nigériane pour lutter contre la criminalité dans le Delta.[fn]Entretiens de Crisis Group, journalistes, universitaires, forces de sécurité camerounaises et officiers des renseignements nigérians, Abuja et Yaoundé, novembre et décembre 2018.Hide Footnote Des dizaines de militaires et policiers camerounais, la plupart du rang, et d’anciens militaires retraités ou radiés ont aussi rejoint les milices.[fn]Entretiens de Crisis Group, forces de sécurité camerounaises et expert militaire occidental, Yaoundé, décembre 2018.Hide Footnote La plupart des milices armées comptent dans leurs rangs des combattantes et certaines sont cheffes de bases.[fn]Entretiens de Crisis Group, militants séparatistes et associations de femmes anglophones, Buea et Bamenda, décembre 2018.Hide Footnote

En 2018, les milices armées ont progressivement pris le contrôle d’une partie des localités rurales et périurbaines. Depuis septembre 2018, elles se déplacent au gré des offensives des forces de sécurité, et malgré les pertes subies, elles restent en position de force dans la majorité de ces localités, tiennent des barrages et des postes de contrôle. Elles parviennent aussi à frapper des villes comme Buea (Sud-Ouest) et Bamenda (Nord-Ouest), cibles d’une vingtaine d’attaques en 2018. Elles sont équipées en majorité d’armes à feu traditionnelles, de fabrication locale, mais aussi d’armes à feu modernes et de quelques mitrailleuses et RPG.[fn]Entretiens de Criss Group, universitaires nigérians, Abuja, novembre 2018.Hide Footnote Ces armes ont souvent été saisies aux forces de sécurité camerounaises, mais certaines ont été acquises au Nigéria auprès de groupes paramilitaires ou criminels du Delta.[fn]Certains ex-combattants nigérians déclarent qu’ils n’auraient aucun problème à approvisionner massivement les séparatistes anglophones en armes, car la frontière avec le Cameroun est poreuse, mais que ces derniers n’ont pas assez de ressources financières et passent peu de commandes. Entretiens de Crisis Group, ex-combattants du Delta et universitaires nigérians, Abuja et Calabar (capitale de l’Etat de Cross River), novembre 2018.Hide Footnote

Au départ financées quasi exclusivement par la diaspora, les milices semblent s’autonomiser. Depuis un an, elles multiplient les enlèvements contre rançon, rackettent les commerçants et certaines catégories de population et imposent des « taxes » aux entreprises. Cette relative indépendance financière leur permet de s’émanciper des organisations politiques de la diaspora. Faisant fi de leurs consignes sur le respect des droits des civils, elles commettent des abus et s’aliènent progressivement les habitants. Face à une population moins coopérante, elles ont davantage recours à la violence pour se faire obéir.[fn]Les rackets et abus des milices n’expliquent pas à eux seuls le retournement d’une partie de la population contre elles. Certains civils sont lassés du conflit qu’ils estiment ingagnable. Entretiens de Crisis Group, universitaires et habitants, Buea et Abuja, novembre et décembre 2018.Hide Footnote

Le conflit dans les régions anglophones provoque une crise humanitaire majeure, avec 530 000 déplacés internes et 35 000 réfugiés au Nigéria.

Le conflit dans les régions anglophones du Cameroun déborde depuis l’été 2018 sur les régions francophones, et le risque de communautarisation du conflit est élevé. Une vingtaine d’attaques et d’incendies ont eu lieu dans les régions francophones de l’Ouest (zones de Menoua, Bamboutos et Noun) et du Littoral (zones de Mbanga, Njombe Penja et Mpenda Mboko), faisant une quinzaine de morts et d’importants dégâts matériels.[fn]Entretiens de Crisis Group, forces de sécurité et journalistes anglophones, Yaoundé et Douala, décembre 2018.Hide Footnote En plus des groupes armés séparatistes, quelques milices d’autodéfense progouvernementales, notamment au sein des communautés Bakweri et Mbororo, et un nombre inconnu de groupuscules purement criminels ainsi que des groupuscules mi-criminels, mi-séparatistes sont actifs, y compris à l’Ouest. Les attaques en décembre dernier contre Bangourain, un village dans la région francophone de l’Ouest, tout près de la frontière avec le Nord-Ouest, par des miliciens séparatistes, ont été suivies de représailles contre les habitants anglophones.[fn]« Cameroun : la petite ville de Bangourain sur le pied de guerre », Radio France Internationale (RFI), 26 décembre 2018.Hide Footnote

B. Impact humanitaire, social et économique

Le conflit dans les régions anglophones provoque une crise humanitaire majeure, avec 530 000 déplacés internes et 35 000 réfugiés au Nigéria, pour la plupart des femmes et des enfants.[fn]« Cameroon : North-West and South-West situation report », Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), 31 mars 2019.Hide Footnote

L’assistance humanitaire aux déplacés est en-deçà des besoins estimés par les Nations unies.[fn]« Cameroun : des centaines de milliers de personnes ont besoin d’une assistance urgente », ONU Infos, 24 janvier 2019.Hide Footnote Cela s’explique par un sous-financement, des difficultés d’accès et des risques sécuritaires. Les autorités camerounaises ont initialement freiné l’assistance humanitaire internationale et se sont opposées à la présence des Nations unies ou des ONG humanitaires dans les régions concernées. En juillet 2018, lorsque la pression des Nations unies pour un accès aux régions anglophones s’est accrue, le gouvernement les a préemptées en annonçant son propre Plan d’assistance humanitaire d’urgence.[fn]Entretiens de Crisis Group, diplomates onusiens, acteurs humanitaires et hauts fonctionnaires, Yaoundé, octobre-décembre 2018.Hide Footnote La distribution d’aide est d’autant plus difficile que peu de déplacés sont hébergés sur les sites dédiés. Certains vivent dans des familles d’accueil et d’autres dans des brousses difficiles d’accès.[fn]« Un Camerounais sur six a besoin d’une aide humanitaire, selon l’ONU », Le Monde, 25 janvier 2019.Hide Footnote Par ailleurs, l’aide internationale se focalise sur les régions anglophones, où vivent trois quarts des déplacés. Parmi les 86 000 déplacés dans les régions francophones (Douala et l’Ouest), rares sont ceux qui bénéficient d’une assistance, même des ONG ; c’est probablement aussi le cas de milliers de déplacés non recensés à Yaoundé.[fn]Entretiens de Crisis Group, déplacés anglophones, maire de Konye et maire adjointe de Kumbo, Yaoundé, mars 2019.Hide Footnote

Les réfugiés camerounais ont commencé à affluer au Nigéria fin 2017. Ils sont principalement pris en charge par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le gouvernement nigérian, les autorités locales et les ONG locales et internationales. Mais ce soutien est limité, car le Nigéria est lui-même confronté à des millions de déplacés internes du fait de multiples crises sécuritaires et humanitaires.[fn]Entretiens de Crisis Group, Commission nationale des réfugiés, migrants et déplacés internes du Nigéria, autorités administratives et acteurs humanitaires, Abuja et Calabar, novembre 2018. Voir le rapport Afrique de Crisis Group N°262, Stopping Nigeria’s Spiralling Herder-Farmer Violence, 26 juillet 2018.Hide Footnote La majorité des réfugiés camerounais vivent dans des familles d’accueil, mais quelques camps ont été créés, comme celui d’Ogoja (6 000 réfugiés), dans l’Etat de Cross River.[fn]Entretiens de Crisis Group, acteurs humanitaires, Abuja et Calabar, novembre 2018.Hide Footnote Initialement établis près de la frontière avec le Cameroun dans les Etats de Cross River, Benue et Taraba, ces sites ont été déplacés en septembre 2018 à 50 kilomètres de la frontière pour éviter les incursions des forces de sécurité camerounaises à la recherche de sécessionnistes parmi les réfugiés.[fn]Les réfugiés à Taraba sont encore en train d’être enregistrés. Entretiens de Crisis Group, OCHA Nigéria et forces de sécurité, Abuja et Calabar, novembre 2018.Hide Footnote Depuis lors, ces incursions ont nettement diminué, de même que les allers-retours des réfugiés entre leur site d’accueil au Nigéria et leurs villages au Cameroun.[fn]Quelques-uns des réfugiés auraient été des combattants à temps partiel, d’autres acheminaient une partie de l’aide humanitaire reçue vers leurs familles au Cameroun. Entretiens de Crisis Group, réfugiés camerounais et acteurs humanitaires, Calabar, Ikom et Ogoja, novembre 2018.Hide Footnote

Le conflit a aussi des répercussions sur le système scolaire. Depuis 2017, les séparatistes ont exigé la fermeture des écoles et menacent ou incendient les établissements qui restent ouverts. En conséquence, le taux de scolarisation a drastiquement baissé et les décrochages scolaires sont importants : une majorité d’enfants ne sont plus scolarisés depuis deux à trois ans, les grossesses précoces se multiplient et de nombreuses familles poussent leurs enfants à des activités commerciales. Même en cas de fin du conflit, la reprise des cours pourrait s’avérer difficile.[fn]Le taux de fréquentation des écoles aurait baissé de plus de 70 pour cent depuis janvier 2017. Entretiens de Crisis Group, acteurs humanitaires, enseignants et maires, Buea et Bamenda, décembre 2018.Hide Footnote

Si le conflit perdure, cela risque d’engendrer un problème plus grave encore : celui d’une génération ayant grandi dans la haine du Cameroun, qui pourrait constituer l’ossature de groupes armés futurs. Dans certains sites d’accueil des déplacés, les enfants sont rééduqués à l’histoire de l’Ambazonie (nom que les séparatistes donnent à leur Etat autoproclamé). Parmi les réfugiés au Nigéria, le sentiment séparatiste et le soutien aux milices armées sont forts. La défiance vis-à-vis du gouvernement camerounais est telle que nombre de réfugiés refusent les dons ou les visites des autorités. Ils enseignent souvent à leurs enfants l’hymne et l’histoire de l’Ambazonie.[fn]Entretiens de Crisis Group, fonctionnaires nigérians, acteurs humanitaires et réfugiés, Calabar et Ikom, novembre 2018.Hide Footnote

Enfin, le conflit a des effets dévastateurs sur l’économie des régions anglophones et de l’ensemble du pays. Les grandes entreprises d’Etat comme la Cameroon Development Corporation (CDC) et Pamol, qui emploient des dizaines de milliers de personnes dans les régions anglophones, sont en grande difficulté. Il n’existe pas de bilan exhaustif de l’impact économique du conflit, mais selon le patronat camerounais (Groupement interpatronal du Cameroun, Gicam), en juillet 2018, il avait déjà entrainé une perte de 269 milliards de francs CFA (410 millions d’euros), détruit 6 434 emplois formels, et menaçait 8 000 autres emplois.[fn]L’évaluation du Gicam est très partielle, mais donne un aperçu intéressant de l’impact économique du conflit. « Insécurité dans les régions du Sud-Ouest et Nord-Ouest : conséquences économiques et impact sur l’activité des entreprises », Gicam, juillet 2018. En mars 2019, le patron de la CDC a évalué les pertes de l’entreprise à 53 millions d’euros. « Le conflit séparatiste au Cameroun devient crise agricole et économique », France 24, 27 mars 2019.Hide Footnote

III. Positions des parties (I) : le gouvernement sur la défensive

La répression et l’intransigeance constituent le fil directeur de la réponse du gouvernement à la crise anglophone. Mais les positions au sein du pouvoir ne sont pas unanimes.

A. L’intransigeance comme fil directeur

Le gouvernement camerounais a réagi par le déni, le mépris et la violence dès la phase initiale de revendications sectorielles. Il a décrit les chefs de file de la contestation des avocats et des enseignants comme des « sécessionnistes ».[fn]Entretiens de Crisis Group, hauts fonctionnaires, Yaoundé, mars 2017.Hide Footnote Dès 2017, les forces de sécurité ont réprimé plusieurs manifestations dans la violence, faisant des dizaines de morts, tandis que des centaines d’activistes, dont les meneurs, ont été arrêtés et qu’internet a été coupé.[fn]Voir le rapport Afrique de Crisis Group N°250, Cameroun : la crise anglophone à la croisée des chemins, 2 août 2017 ; et le briefing Afrique de Crisis Group N°130, Cameroun : l’aggravation de la crise anglophone requiert des mesures fortes, 19 octobre 2017.Hide Footnote Le pouvoir refusait alors de reconnaitre qu’une crise était en cours dans les régions anglophones, et nie toujours l’existence d’un problème anglophone. Des hauts fonctionnaires et des membres du gouvernement ont qualifié les manifestants anglophones de « chiens » et de « terroristes », tandis que des journalistes proches du pouvoir continuent d’inciter les pouvoirs publics à réprimer davantage les anglophones.[fn]« Governor Okalia Bilai called Southern Cameroonians dogs. Listen excerpt of the audio », YouTube, 29 septembre 2017 ; « Issa Tchiroma traite les sécessionnistes de terroristes », YouTube, 3 octobre 2017. « Cameroun : un journaliste accusé d’incitation à la haine contre les anglophones », RFI, 4 octobre 2017. Le 17 mars 2019, un homme politique proche du pouvoir a déclaré sur Afrique Media : « Paul Biya est même trop gentil avec les anglophones. La Constitution lui donne le droit de tuer tout le monde pour préserver l’unité du Cameroun ».Hide Footnote

Au sein de la classe dirigeante, la modification de la forme de l’Etat demeure taboue. Dans le sillage de l’instauration du multipartisme dans les années 1990, le gouvernement a fait miroiter la décentralisation afin de calmer la grogne des anglophones, qui réclamaient déjà le retour au fédéralisme, aboli en 1972. La Constitution de 1996 prévoit bien la décentralisation, mais elle n’a jamais été pleinement mise en œuvre.[fn]Voir la loi n°96-06 du 18 janvier 1996 portant modification de la Constitution du 2 juin 1972. De 2004 à 2019, le parlement camerounais a voté une dizaine de lois relatives à la décentralisation et l’exécutif a pris plusieurs décrets d’application. Voir la loi n°2004/017 du 22 juillet 2004 portant orientation de la décentralisation ; la loi n°2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes ; la loi n°2004/019 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux région ; la loi n°2006/004 du 14 juillet 2006 fixant le mode d’élection des conseillers régionaux ; la loi n°2006/005 du 14 juillet 2006 fixant le mode d’élection des sénateurs ; la loi n°2006/011 du 29 décembre 2006 portant création, organisation et fonctionnement d’Elections Cameroon (ELECAM) ; la loi n°2009/011 du 10 juillet 2009 portant régime financier des collectivités territoriales décentralisées ; et la loi n°2009/019 du 19 décembre 2009 portant fiscalité locale.Hide Footnote

Face aux revendications fédéralistes et sécessionnistes, le pouvoir oppose à nouveau une décentralisation de façade. Si le budget des collectivités territoriales décentralisées (régions et communes) a quintuplé en 2019, passant de 10 à 49,8 milliards de francs CFA (15,2 à 74,8 millions d’euros), il ne représente qu’un pour cent du budget national (4 850 milliards de francs CFA soit 7,4 milliards d’euros).[fn]Voir le décret N°2019/0829/PM du 22 février 2019 fixant la répartition de la dotation générale de la décentralisation. Ces fonds sont aussi alloués tardivement et parfois de façon inique. En 2018 par exemple, plusieurs communes n’ont pas reçu les fonds prévus pour l’année avant le mois de mars. Certains maires de l’opposition y voient un stratagème du pouvoir pour les fragiliser et affirment que les communes sous le contrôle du parti au pouvoir sont mieux traitées. Entretiens de Crisis Group, maires, Kumba, Buea, Bamenda, Douala et Yaoundé, mars et octobre 2018.Hide Footnote Dans des Etats africains décentralisés comme le Kenya, 30 pour cent du budget national est dévolu aux régions et communes.[fn]« The Constitution of Kenya », 6 mai 2010 ; Entretiens de Crisis Group, chercheurs kenyans, Nairobi mars 2019.Hide Footnote En outre, les compétences (fiscales, administratives, en matière de développement ou de gestion des infrastructures publiques comme les écoles, centres de santé, routes ou voiries) des communes et des régions restent limitées tant par la loi et les décrets d’application que par les abus au quotidien des autorités centrales (gouverneurs, préfets et sous-préfets). Enfin, les principales villes comme Douala, Yaoundé, Edéa et Garoua sont sous la tutelle de super maires (délégués du gouvernement), nommés par le président de la République.[fn]Entretiens de Crisis Group, maires francophones et anglophones, sous-préfets, Yaoundé, Buea, Kumba et Bamenda, mars 2017, octobre 2018 et mars 2019.Hide Footnote

Parmi les forces de sécurité, certains hauts gradés croient fermement au tout-répressif, tandis que d’autres affirment qu’une approche plus politique.

L’hypercentralisme est pourtant l’une des principales faiblesses structurelles du pays, et la crise anglophone en est une conséquence. En s’opposant à une décentralisation effective, qui verrait une part conséquente du budget national allouée aux communes et régions, un transfert réel des compétences, l’abolition des postes de délégués du gouvernement, une simple fonction de contrôle pour les gouverneurs, l’élection des exécutifs régionaux directement par les populations et des compétences élargies pour les deux régions anglophones dans les domaines de l’éducation et de la justice, le pouvoir ne fait pas qu’enrayer la résolution de la crise anglophone, il accentue aussi les vulnérabilités structurelles du Cameroun.[fn]Voir le rapport Afrique de Crisis Group N°160, Cameroun : Etat fragile ?, 25 mai 2010.Hide Footnote

Cela étant, l’élite gouvernementale pense toujours mettre fin militairement au conflit avant les élections locales prévues en octobre 2019. Elle est confortée dans cette illusion par les revers infligés ces derniers mois aux séparatistes. C’est une erreur d’analyse : l’affaiblissement des séparatistes s’explique plus par leurs divisions internes et la mauvaise gestion de leurs ressources que par les pertes subies. Du reste, les séparatistes multiplient depuis mars les collectes de fonds pour acheter des armes et enchainent les réunions pour réorganiser leurs groupes armés.[fn]Entretiens de Crisis Group, militants séparatistes, Washington, mars 2019 ; « Official launching of the National AK campaign », YouTube, 3 mars 2019.Hide Footnote

B. Divergences au sein de la classe dirigeante

Au sein de l’élite au pouvoir, quasiment tous les caciques francophones prônent un règlement de la crise par les armes, mais les anglophones sont plus divisés. Les tenants de la ligne dure parmi les ministres et hauts fonctionnaires anglophones craignent de perdre leurs postes en cas de dialogue, car cela pourrait faire éclore une nouvelle élite anglophone. D’autres anglophones du gouvernement sont néanmoins favorables au dialogue avec les séparatistes. Mais ils se gardent de le dire ouvertement et affichent même parfois des positions intransigeantes par crainte d’être soupçonnés de sympathie pour les activistes anglophones.

Parmi les forces de sécurité, certains hauts gradés croient fermement au tout-répressif, tandis que d’autres affirment qu’une approche plus politique, mettant l’accent sur la décentralisation ou le régionalisme, est indispensable en parallèle de la réponse militaire. Conscients que le conflit ne peut pas être gagné par les armes, ces derniers espèrent néanmoins réussir à le geler et à limiter la violence à un niveau résiduel, comme à l’Extrême-Nord. Plutôt que de chercher à contrôler les régions anglophones dans leur totalité, ils optent désormais pour un contrôle des zones urbaines, périurbaines et des espaces ruraux « stratégiques ».[fn]Entretiens de Crisis Group, hauts gradés de l’armée, Yaoundé, octobre 2018.Hide Footnote

Les divergences au sein de l’appareil militaire sont aussi nourries par les doutes de hauts gradés à l’état-major des armées quant à leur capacité à poursuivre le conflit sur plusieurs années. Déjà, certaines unités à l’Extrême-Nord ont dû être redéployées en zone anglophone, tout comme une partie des véhicules de combat. Par ailleurs, les recrutements effrénés et mal planifiés de plus de 20 000 militaires et policiers ces cinq dernières années ont entrainé une baisse de niveau.[fn]Entretien de Crisis Group, général, Yaoundé, octobre 2018.Hide Footnote L’armée envoie de plus en plus de militaires au front sans les laisser terminer leur formation. A cela s’ajoutent des problèmes de mauvaise gestion : des hauts gradés privilégieraient parfois l’achat d’équipements très onéreux et inefficients dans le but d’obtenir d’importantes rétro-commissions, alors que les militaires du rang manquent d’équipements basiques dans certaines unités.[fn]Entretiens de Crisis Group, colonels et parlementaires, Yaoundé, juillet 2018.Hide Footnote D’autres obstacles sont venus s’ajouter récemment, comme les désertions de soldats anglophones et la difficulté à recruter des anglophones. Il s’ensuit une forte surreprésentation des francophones parmi les militaires déployés en zone anglophone.[fn]Entretiens de Crisis Group, hauts gradés de l’armée camerounaise et officier supérieur occidental, Yaoundé, décembre 2018.Hide Footnote

Ce degré de divergence au sein de la classe dirigeante explique en partie les timides concessions faites par le pouvoir en 2017 et 2018.

C. Concessions de façade

Les pressions internationales (déclarations de pays occidentaux et d’organisations comme les Nations unies et l’Union européenne) combinées aux pressions internes (intensification des villes mortes, boycott et incendies des écoles, et surtout émergence d’un commandement séparatiste) ont poussé le pouvoir à quelques concessions. Entre mars et juillet 2017, il a pris plusieurs mesures pour répondre aux revendications des syndicats d’enseignants et d’avocats : traduction en anglais du code de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, recrutement d’enseignants et d’auditeurs de justice bilingues, création d’une Commission pour le bilinguisme et le multiculturalisme, rétablissement d’internet. Mais la population anglophone a déploré des mesures cosmétiques, ne portant pas sur le retour au fédéralisme, préoccupation devenue majeure.[fn]La Commission pour le bilinguisme, par exemple, dépend entièrement du président de la République et n’est dotée d’aucun pouvoir de sanction en cas de discriminations liée à la langue dans une institution publique ou privée. Entretiens de Crisis Group, membres de la Commission pour le bilinguisme, Douala et Buea, mars 2018. Rapport de Crisis Group, Cameroun : la crise anglophone à la croisée des chemins, op. cit.Hide Footnote Yaoundé a par ailleurs commencé à reconnaitre la légalité des revendications des enseignants et des avocats et fait libérer fin août 2017 plusieurs chefs de file du mouvement initial, tels que l’avocat Agbor Balla, ainsi qu’une trentaine d’activistes.[fn]Ils avaient été arrêtés en janvier 2017 et accusés de terrorisme pour avoir réclamé le fédéralisme et lancé des grèves générales, après l’échec des négociations avec le gouvernement sur leurs revendications initiales. « Cameroun : les premiers leaders anglophones libérés », RFI, 31 août 2017.Hide Footnote

En 2018, le pouvoir a pris d’autres mesures d’ouverture, mais elles n’ont été précédées ni d’un discours réconciliateur, ni d’un dialogue inclusif. En mars 2018, le président Paul Biya crée un ministère de la Décentralisation et du Développement local et nomme des anglophones à des postes ministériels qu’aucun anglophone n’avait occupé auparavant ;[fn]Atanga Nji et Nalova Lyonga ont respectivement été nommés ministre de l’Administration territoriale et ministre des Enseignements secondaires.Hide Footnote en juin, le Premier ministre annonce un plan d’assistance humanitaire d’urgence de 13 milliards de francs CFA (19,8 millions d’euros) pour les régions anglophones ; en novembre, Biya crée un comité de désarmement et de démobilisation pour les ex-combattants de Boko Haram et les séparatistes ; et en décembre, il fait libérer 289 activistes anglophones sur le millier détenus.[fn]Décret n°2018/719 du 30 novembre 2018 portant création d’un comité national de désarmement, de démobilisation et de réintégration ; « Libération de prisonniers anglophones au Cameroun ; du saupoudrage pour les ONG », RFI, 17 décembre 2018.Hide Footnote Enfin dans son discours de fin d’année, il annonce la tenue d’élections en 2019 pour la mise en place de conseils régionaux.

Mais ces mesures risquent de s’avérer contre-productives si le pouvoir ne cherche, en les prenant, qu’à donner des gages de bonne foi. Le président a certes nommé deux anglophones à des ministères importants, mais ces personnalités sont parmi les plus décriées dans les régions anglophones.[fn]Atanga Nji est un grand défenseur du tout-répressif. Il nie toujours l’existence du problème anglophone et sa nomination est très mal vue par un certain nombre de journalistes indépendants et de dirigeants d’ONG au Cameroun, qui le considèrent comme un « voyou ». Entretiens de Crisis Group, ONG et journalistes anglophones, Yaoundé, Buea et Bamenda, mars-septembre 2018.Hide Footnote Il dit vouloir accélérer la décentralisation, mais refuse d’améliorer son cadre législatif. Du reste, il prévoit d’organiser les élections pour les conseils régionaux avant les élections municipales et législatives, ce qui – vu que les élections régionales sont un scrutin indirect – permettrait au parti au pouvoir de conserver une domination outrancière à la tête des régions.[fn]Les élections régionales sont un scrutin indirect. Or 90 pour cent du collège électoral (conseillers municipaux, maires et chefs traditionnels), dont le mandat était censé s’achever il y a deux ans mais a été prorogé par le président de la République, sont membres du parti au pouvoir. Loi n°2006/004 du 14 juillet 2006 fixant le mode d’élection des conseillers régionaux. « Cameroun : deux projets de lois du gouvernement pour l’élection des conseillers régionaux », camer.be, 21 mars 2019.Hide Footnote Sans dialogue inclusif préalable et modification des lois sur la décentralisation, ces élections risquent de provoquer une nouvelle séquence de violences dans les régions anglophones et des tensions communautaires dans la partie francophone.[fn]Voir le briefing Afrique de Crisis Group N°142, Election présidentielle au Cameroun : les fractures se multiplient, 3 octobre 2018.Hide Footnote

Ces concessions de façade montrent pourtant que le pouvoir peut consentir à une décentralisation effective, incluant l’amélioration du cadre législatif et davantage d’autonomie pour les régions anglophones en matière éducative et judiciaire, s’il est soumis à une forte pression. Le gouvernement pourrait aussi encourager le développement des régions anglophones. Lors de discussions avec des diplomates en octobre dernier, des pontes du pouvoir se sont montrés ouverts à l’idée d’une hausse des investissements de l’Etat en zone anglophone.[fn]Entretiens de Crisis Group, ambassadeurs occidentaux, Yaoundé, 2018.Hide Footnote En attendant, le danger pour le Cameroun est que Yaoundé finisse par épuiser les mesures qui auraient permis d’apaiser les tensions au début de la crise, mais qui sont dorénavant insuffisantes.

IV. Positions des parties (II) : les acteurs anglophones

L’opinion publique anglophone a sensiblement évolué depuis fin 2016. Face notamment à l’intransigeance du gouvernement, l’idée du séparatisme a d’abord gagné du terrain. Fin 2017, des milices armées ont émergé. Aujourd’hui, bien que les anglophones, quelle que soit leur tendance (séparatistes, fédéralistes et partisans de la décentralisation), restent dans l’ensemble mécontents de la réponse gouvernementale, leur soutien aux milices armées faiblit à cause des abus qu’elles commettent et du lourd tribut qu’ils paient au conflit.

A. Les séparatistes en position de force au sein de la contestation anglophone

Les séparatistes sont structurés autour de deux entités politiques principales dotées de bras armés. Le gouvernement intérimaire de l’Ambazonie (Interim Government of the Federal Republic of Ambazonia, IG) et le conseil de gouvernement de l’Ambazonie (Ambazonia Governing Council, AGC) se présentent tous deux comme le gouvernement légitime du Southern Cameroons (appellation des régions anglophones sous la tutelle et le mandat britannique). Il existe par ailleurs plusieurs organisations séparatistes secondaires.[fn]Les organisations secondaires incluent notamment le Mouvement de libération du peuple de l’Ambazonie (Ambazonia People Liberation Movement, APLM) et l’Organisation des peuples du Southern Cameroons (Southern Cameroons People’s Organisation, SCAPO). Issu de la Ligue des jeunes du Southern Cameroons (Southern Cameroons Youth League, SCYL), l’APLM est dirigé par Ebenezer Akawanga et a pour branche armée les Forces de défense du Southern Cameroons (Southern Cameroons Defense Forces, SOCADEF). Le SCAPO est dirigé par Milan Atam, ancien secrétaire général du gouvernement intérimaire. L’APLM et le SCAPO sont proches de la ligne du gouvernement intérimaire. Entretiens de Crisis Group, journalistes anglophones, Buea, décembre 2018.Hide Footnote La plupart des organisations séparatistes sont basées à l’étranger. Au début de la crise, toutes n’étaient pas convaincues de la nécessité d’une lutte armée. Mais à mesure que la violence s’accroit, elles se sont organisées pour une lutte « de libération ». Aujourd’hui, sept milices armées principales se revendiquent du courant séparatiste.

Plusieurs activistes séparatistes accusent désormais la nouvelle direction d’incompétence et de détournement de fonds.

Considéré par la plupart des séparatistes et nombre d’anglophones comme le gouvernement de l’Ambazonie lors de sa création en juin 2017, le gouvernement intérimaire s’est affaibli politiquement depuis l’arrestation en janvier 2018 de sa figure de proue, Julius Ayuk Tabe, au Nigéria. Plusieurs activistes séparatistes accusent désormais la nouvelle direction d’incompétence et de détournement de fonds.[fn]Plusieurs cadres ont même démissionné pour protester contre la mauvaise gestion. La plus récente démission est celle du porte-parole Chris Anu, en février 2019.Hide Footnote Certains activistes perçoivent aujourd’hui le gouvernement intérimaire, dirigé par Ikome Sako, comme une organisation séparatiste parmi tant d’autres.

Regroupant plusieurs organisations, il demeure néanmoins l’entité séparatiste la plus crédible politiquement et la mieux financée.[fn]Par exemple : le Consortium du front uni du Southern Cameroon (Southern Cameroons Consortuim United Front, SCACUF), le Mouvement pour l’indépendance et la restauration du Southern Cameroons (Movement for Independence and Restoration of Southern Cameroons, Morisc), le Conseil national du Southern Cameroons (Southern Cameroons National Council, SCNC), le Congrès du peuple du Southern Cameroons (Southern Cameroons Congress of People, SCCOP) et le Mouvement de restauration du Southern Cameroons (Southern Cameroons Restoration Movement, SCARM). Entretiens de Crisis Group, journalistes anglophones, Buea, décembre 2018.Hide Footnote Il a mis sur pied un Conseil de sécurité de l’Ambazonie (Ambazonia Security Council, ASC), sorte de plateforme de coopération entre les milices armées dans son giron telles que Tigers 2, Red Dragons et d’autres, et un parlement embryonnaire dénommé Coalition pour la reconnaissance de l’Ambazonie (Ambazonia Recognition Coalition, ARC).[fn]Voir le site web du gouvernement intérimaire, https://www.ambazoniagov.org/.Hide Footnote Il comprend dix départements ministériels, dont le département de la Santé et des Affaires sociales (Department of Health and Social Services) qui assiste les réfugiés camerounais au Nigéria. Le gouvernement intérimaire, qui disposerait d’un budget mensuel variant de dizaines de milliers à environ 100 000 dollars (88 500 euros), tire principalement ses financements des contributions de la diaspora (y compris, d’une manière significative, des femmes), mais des acteurs économiques et des commerçants au Cameroun y contribueraient également pour éviter que leurs entreprises soient vandalisées.[fn]Entretiens de Crisis Group, journalistes et activistes anglophones, Douala et Bamenda, octobre-décembre 2018.Hide Footnote

L’objectif officiel de ce gouvernement est « la restauration de l’indépendance du Southern Cameroons ». Les conditions posées pour un dialogue avec l’Etat camerounais incluent entre autres la présence d’un médiateur international (Nations unies, Union africaine ou Etats-Unis), des négociations sur un territoire neutre et un ordre du jour sur les modalités de la séparation.[fn]Entretiens de Crisis Group, chefs de file séparatistes, Washington, mars 2019. De nombreux discours de Julius Ayuk Tabe et Ikome Sako disponibles sur leurs pages Youtube et Facebook répètent cette position.Hide Footnote

Le conseil de gouvernement de l’Ambazonie, rival du gouvernement intérimaire, a été créé en 2013 par son président Ayaba Cho Lucas. Les Forces de défense de l’Ambazonie (Ambazonia Defence Forces – ADF), dirigées par Benedict Kuah, et d’autres mouvements comme le Conseil collaboratif pour la reconnaissance de l’Ambazonie (Ambazonia Recognition Collaboration Council, ARCC), lui sont inféodés. Le conseil de gouvernement est plus intransigeant que le gouvernement intérimaire.[fn]Voir son site web, https://www.agcfreeambazonia.org/Hide Footnote Ayaba Cho, qui vit en Norvège, en est le chef incontesté et décide pratiquement seul, contrairement au mode de décision relativement collégial qui prévaut au sein du gouvernement intérimaire. Son pari est de rendre les régions anglophones ingouvernables de sorte que le pouvoir comprenne que le coût de la lutte contre les milices armées est supérieur aux bénéfices tirés de l’exploitation des ressources naturelles de ces régions.[fn]Voir la chaîne YouTube d’Ayaba Cho Lucas https://www.youtube.com/channel/UCCCxu79Yja0ZCHMAhM5ugmA/featuredHide Footnote

Au-delà du discours public, certains mouvements séparatistes et membres influents du gouvernement intérimaire seraient favorables à une forme de confédération/d’autonomie (suivant l’exemple du statut de l’Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni) ou de fédération (sur les modèles allemand, canadien, américain ou nigérian). Mais la pression des membres les plus intransigeants et des jeunes activistes, qui ont parfois perdu des proches dans les violences, et la dynamique du conflit seraient tels qu’ils n’oseraient pas envisager publiquement la confédération comme solution de compromis. Ils opteraient donc pour une position maximaliste et sans doute irréaliste pour satisfaire les attentes de cette aile dure qui contribue largement au financement du gouvernement intérimaire et continuer de lever des fonds auprès de la diaspora, mais aussi pour entretenir la motivation des milices armées.[fn]Entretiens téléphoniques de Crisis Group, membres du gouvernement intérimaire, février 2019.Hide Footnote

La mouvance séparatiste est relativement divisée. Les revendications politiques des différentes entités et de leurs milices ne sont pas les mêmes.

Certains journalistes anglophones pensent que plusieurs chefs de file séparatistes pourraient même accepter une forme poussée de décentralisation, à certaines conditions.[fn]Entretiens de Crisis Group, journalistes anglophones, Douala, décembre 2018.Hide Footnote Conscients de l’impossibilité de parvenir à la sécession à court terme, ils opteraient ainsi pour une stratégie de long terme : une décentralisation approfondie pourrait leur permettre de se faire élire au niveau local pour mieux préparer les batailles d’autonomie ultérieures.[fn]Ibid.Hide Footnote

La mouvance séparatiste est relativement divisée. Les revendications politiques des différentes entités et de leurs milices ne sont pas les mêmes.[fn]Face aux récriminations des groupes armés quant à leur désunion et leur mauvaise gestion des fonds, les ailes politiques des séparatistes se sont réunies en août 2018 devant la Maison Blanche, aux Etats-Unis, pour manifester et signer une déclaration commune sur la fermeture des écoles et les villes mortes. Mais cet accord a fait long feu. « Arrival of Ambazonia leaders to protest in front of White House », YouTube, 19 août 2018. Les divergences portent sur les modes opératoires et la gestion des fonds, mais sont aussi liées aux luttes de pouvoir internes. Les désaccords entre séparatistes, en particulier entre le gouvernement intérimaire et le conseil de gouvernement ont généré en 2018 des affrontements fratricides, qui ont fait des dizaines de morts.[fn]En général, le gouvernement intérimaire s’oppose aux attaques dans les zones francophones, contrairement au conseil de gouvernement. Les deux entités sont aussi en désaccord sur la durée et l’opportunité des opérations villes mortes, en dehors des villes mortes habituelles du lundi. Fin décembre 2018, le gouvernement intérimaire a par exemple appelé à cesser les opérations villes mortes pendant les deux dernières semaines de l’année, mais le conseil de gouvernement s’y est opposé. En février, des milices proches du gouvernement intérimaire ou indépendantes ont déclaré dix jours de villes mortes pour boycotter la célébration du 11 février (date du référendum d’autodétermination organisé par l’ONU en 1961 dans le Southern Cameroons ; le 11 février est devenu en 1966 fête nationale de la jeunesse), mais le conseil de gouvernement s’y est opposé. Entretiens téléphoniques de Crisis Group, activistes anglophones, janvier 2019. « Cameroon: Ambazonia activists divided over ten-days lockdown », Journal du Cameroun, 4 février 2019.Hide Footnote

Bien que les chefs de milices semblent opposés à tout compromis sur le fédéralisme ou la décentralisation, un grand nombre de combattants pourraient faire défection si une solution politique sérieuse, associant les populations et la diaspora anglophone était trouvée.[fn]Entretiens de Crisis Group, journalistes et activistes anglophones Douala, Buea et Bamenda, décembre 2018 ; et entretiens téléphoniques, combattants séparatistes, janvier 2019.Hide Footnote Les motifs qui ont poussé les combattants à rejoindre les milices sont divers. Certains l’ont fait pour des raisons idéologiques. D’autres se sont engagés pour venger leurs proches tués ou leurs maisons et villages incendiés. D’autres encore se sont enrôlés par désœuvrement ou par appât du gain. Mais quelles que soient leurs motivations, la proportion de combattants à bout, qui n’attendraient plus qu’un dialogue inclusif et un programme de démobilisation, de désarmement et de réinsertion adéquat pour déposer les armes serait importante, selon des journalistes et activistes anglophones.[fn]Ibid.Hide Footnote

Au-delà des principales milices qui dépendent de mouvements politiques à l’étranger, les groupuscules mi-criminels, mi-politiques représentent une difficulté supplémentaire. Face à l’incapacité de la diaspora à leur octroyer un soutien financier suffisant, et alors qu’elles recrutent de plus en plus de combattants, ces milices optent pour l’autofinancement partiel, à travers les rackets, enlèvements et des formes de taxes. Profitant de la rente de guerre pour s’enrichir, certains chefs de milices rejettent toute solution politique autre que la séparation.[fn]Entretiens téléphoniques de Crisis Group, combattants séparatistes, janvier 2019.Hide Footnote

En définitive, une grande partie des séparatistes pourrait éventuellement accepter un dialogue avec l’Etat camerounais sur le fédéralisme, ayant lieu au Cameroun, auquel ils participeraient à distance. Pour cela, ils exigeraient sans doute l’implication d’un médiateur international, associé de préférence aux confessions religieuses. Ils demanderaient aussi la libération de tous les détenus anglophones – dont les membres du gouvernement intérimaire – une meilleure représentation politique des anglophones, y compris la nomination d’un anglophone à la vice-présidence du Cameroun, une augmentation du budget d’investissement public dédié aux régions anglophones et des mesures spéciales pour la reconstruction des localités détruites.[fn]Entretiens téléphoniques et courriels de Crisis Group, séparatistes influents et deux chefs de milices armées, octobre 2018-février 2019.Hide Footnote

B. Le camp fédéraliste à la croisée des chemins

Une partie importante de l’opinion anglophone est favorable au fédéralisme.[fn]Il existe aussi un courant très minoritaire pro-décentralisation, surtout au sein de l’élite gouvernementale et du parti au pouvoir. Les tenants de ce courant prônent de meilleures réponses techniques à la crise et des améliorations du cadre législatif de la décentralisation. Ils suivent la ligne du gouvernement, même si certains pensent que la réponse de celui-ci est insuffisante. Ils veulent à tout prix éviter que la résolution du conflit ne bouleverse l’ordre social et politique.Hide Footnote Appelant à une réforme de l’Etat camerounais, et non à son éclatement, elle ne soutient pas la lutte armée. Les fédéralistes incluent les meneurs de la contestation initiale comme l’avocat Felix Agbor Balla, des partis politiques tels que le Social Democratic Front (SDF), certains cadres du parti au pouvoir, des membres de la Commission pour le bilinguisme, la majorité des chefs traditionnels, la plupart des dignitaires religieux et des opérateurs économiques.[fn]Entretiens de Crisis Group, cadres du SDF, universitaires, chefs traditionnels et ONG locales, Douala, Buea et Bamenda, octobre-décembre 2018.Hide Footnote Au sein de la diaspora, des groupes soutenant le fédéralisme tels que l’English Cameroon for a United Cameroon se sont formés, principalement pour faire valoir d’autres points de vue que le séparatisme parmi les Camerounais de l’étranger.[fn]Entretiens de Crisis Group, cadres du SDF et figures fédéralistes, Douala, Buea et Bamenda, octobre 2018.Hide Footnote

Le camp fédéraliste a joué un rôle clé au début de la crise, en associant les revendications sectorielles à des questions plus politiques comme la place des anglophones dans la vie publique au Cameroun et la forme de l’Etat.[fn]Rapport de Crisis Group, Cameroun : la crise anglophone à la croisée des chemins, op. cit., p. 11- 16.Hide Footnote Le Social Democratic Front, qui prône depuis longtemps le fédéralisme, a essayé de faire inscrire la crise anglophone aux sessions parlementaires de 2017, sans succès.[fn]« Crise anglophone au Cameroun : le SDF lance un blocus de l’Assemblée nationale », Jeune Afrique, 23 novembre 2017.Hide Footnote Il a aussi tenté en vain de faire annuler les résultats de l’élection présidentielle d’octobre 2018 dans les régions anglophones. La Commission pour le bilinguisme a compilé les doléances de la communauté anglophone et présenté en juin 2018 le retour au fédéralisme comme revendication centrale, sans réponse du pouvoir.[fn]Entretien de Crisis Group, membre de la Commission pour le bilinguisme, Buea, octobre 2018. « Crise anglophone : ce que les anglophones demandent au gouvernement », Journal du Cameroun, 6 juin 2018.Hide Footnote

Pour que la conférence ait une chance de se tenir maintenant que l’échéance de mars est passée, les organisateurs doivent rassurer le gouvernement et les séparatistes sur leurs projets.

Mais depuis l’emprisonnement de ses chefs de file en janvier 2017, le courant fédéraliste a perdu la main au profit des séparatistes et ne parvient pas à surmonter ses divisions. Plusieurs fédéralistes ont d’ailleurs basculé depuis fin 2017 dans le camp des séparatistes. Les fédéralistes sont divisés entre les plus intransigeants et d’autres qui pourraient se contenter de la décentralisation – camp qui pourrait être plus important encore si la décentralisation était accompagnée de la reconnaissance du problème anglophone, de la libération des détenus anglophones, de la reconstruction des localités détruites, d’une meilleure représentation politique et de plus d’autonomie pour les régions anglophones dans les domaines éducatif et judiciaire. Les fédéralistes sont aussi divisés sur la forme que pourrait revêtir le fédéralisme (le nombre d’Etats fédérés) et entre ceux qui exigent que toute solution politique passe par un référendum d’autodétermination (cherchant ainsi à rallier les séparatistes) qui donnerait aux anglophones le choix entre décentralisation, fédéralisme et sécession, et ceux qui n’en font pas une condition sine qua non.[fn]Entretiens de Crisis Group, anglophones fédéralistes, Buea, Kumba, Bamenda et Ndop, juillet-décembre 2018.Hide Footnote

Le camp fédéraliste est donc fragmenté. Pour pouvoir éventuellement négocier avec le gouvernement, et trouver un terrain d’entente avec les séparatistes, les fédéralistes devraient d’abord se rassembler et trouver une position commune.

C. Autres acteurs anglophones

Plusieurs acteurs anglophones souvent proches du courant fédéraliste ont lancé des initiatives. La Conférence générale anglophone (Anglophone General Conference), et les initiatives d’associations de femmes telles que le Groupe de travail des femmes du Sud-Ouest et du Nord-Ouest (Southwest and Northwest Women’s Task Force), apparaissent comme les plus crédibles.

En juillet 2018, le cardinal Christian Tumi, ancien archevêque de Douala, et trois responsables religieux protestant et musulman ont annoncé la tenue d’une Conférence générale anglophone, présentée comme une étape préparatoire à un éventuel dialogue national ultérieur.[fn]Sur la Conférence générale anglophone, voir la déclaration de Crisis Group, La conférence générale anglophone mérite un soutien national et international, 17 septembre 2018 ; et le briefing de Crisis Group, Election présidentielle au Cameroun : les fractures se multiplient, op. cit.Hide Footnote Elle doit permettre aux différents acteurs anglophones de s’entendre sur les questions à mettre à l’ordre du jour de ce dialogue, et sur les personnalités qui y représenteront les régions anglophones. Une grande partie des anglophones, y compris certaines figures fédéralistes au sein de la diaspora, sont favorables à ce projet de conférence et contribuent à son financement.[fn]Entretiens de Crisis Group, organisateurs de la Conférence anglophone, Douala, octobre 2018.Hide Footnote Ainsi, le cardinal Tumi a rapidement levé les fonds nécessaires (55 000 dollars).[fn]« Retrait de la CAN au Cameroun : enquête sur un double fiasco », Jeune Afrique, 10 décembre 2018 ; « Le principal opposant du Cameroun inculpé de rébellion et insurrection », TV5, 13 février 2019.Hide Footnote

Ibid.

Hide Footnote

Mais face à l’opposition de Yaoundé et des séparatistes, les organisateurs de la conférence ont déjà dû la repousser d’août à novembre 2018 puis à mars 2019. Elle est à nouveau reportée, mais les organisateurs n’ont pas encore précisé de nouvelle date. Certains séparatistes ont menacé de mort l’un des organisateurs.[fn]« Cameroon: Simon Munzu pulls out of Anglophone General Conference », Journal du Cameroun, 14 novembre 2018.Hide Footnote Au-delà des motifs idéologiques (refus de parler au gouvernement qu’ils considèrent comme une force d’occupation), les séparatistes de la diaspora redoutent surtout, si la conférence a lieu, de perdre leur position de chefs de file de la contestation anglophone au profit des activistes de l’intérieur.

Pour que la conférence ait une chance de se tenir maintenant que l’échéance de mars est passée, les organisateurs doivent rassurer le gouvernement et les séparatistes sur leurs projets.[fn]Le cardinal a confié à Crisis Group qu’il n’avait pas l’intention de s’opposer au gouvernement : « si la conférence a lieu et le président Biya ne tient pas compte des recommandations, nous n’allons rien faire car nous ne pouvons pas engager le bras de fer contre le gouvernement ». Entretien de Crisis Group, cardinal Tumi, Douala, octobre 2018.Hide Footnote Selon le cardinal, les séparatistes pourraient consentir à la conférence à condition qu’elle débouche sur un référendum entre fédéralisme et indépendance ; le gouvernement intérimaire aurait même envoyé des représentants à une réunion préparatoire à Douala le 29 septembre 2018.[fn]Entretiens de Crisis Group, cardinal Tumi, Douala, octobre et décembre 2018.Hide Footnote Par ailleurs, une forte pression internationale pourrait favoriser un changement d’attitude du gouvernement. Depuis septembre, les chancelleries occidentales à Yaoundé, en particulier l’Union européenne et les Etats-Unis, affichent leur soutien politique à la conférence. Pour ne pas être perçu comme faisant obstacle à des initiatives de paix, le gouvernement semble chercher à empêcher la tenue de la conférence par des moyens indirects, comme la non-délivrance des autorisations nécessaires.[fn]Entretiens de Crisis Group, diplomates occidentaux, Yaoundé, octobre et décembre 2018.Hide Footnote

Parvenir à un consensus entre toutes les confessions religieuses sur la question anglophone est quasiment impossible, alors même qu’il n’y en a pas au sein de chaque confession.

Pour certains diplomates, toutefois, les audiences accordées au cardinal Tumi en février 2019 par le Premier ministre et en avril par le directeur du cabinet civil de la présidence pourraient présager une prochaine ouverture du gouvernement à son initiative.[fn]Entretiens téléphoniques de Crisis Group, diplomates onusiens et occidentaux, avril 2019.Hide Footnote

Depuis 2018, des associations de femmes telles que le Groupe de travail des femmes du Sud-Ouest et du Nord-Ouest se mobilisent aussi en faveur du dialogue et sur des sujets plus spécifiques. En août 2018, des dizaines de femmes des deux régions ont dénoncé la politique de boycott de l’école imposée par les séparatistes, les violences contre les femmes et les enfants, et ont appelé au dialogue.[fn]Entretien téléphonique de Crisis Group, présidente du Groupe de travail des femmes du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, février 2019.Hide Footnote Cette mobilisation a eu quelques résultats, poussant le gouvernement intérimaire à modifier pendant un temps sa position sur le boycott de l’école.[fn]Le président du gouvernement intérimaire a alors déclaré qu’il déconseillait aux enfants anglophones de suivre les programmes d’enseignement officiels, mais que ceux qui souhaitaient reprendre l’école pouvaient le faire. Si cette mobilisation spontanée a eu ce résultat, c’est aussi parce que plusieurs manifestantes sont des mères de combattants. Par ailleurs, le boycott de l’école, accepté au départ par la population anglophone, est devenu très impopulaire.Hide Footnote

Cette association semble tolérée par le pouvoir et l’élite gouvernementale anglophone, qui ne la perçoivent pas comme une menace. Depuis sa création en 2018, elle encourage officiellement toute démarche visant à conférer une autonomie aux régions (décentralisation et fédéralisme).[fn]Entretien téléphonique de Crisis Group, présidente du Groupe de travail des femmes du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, février 2019.Hide Footnote Elle est par ailleurs appréciée des chancelleries occidentales, en particulier du Canada et de l’Union européenne. Elle collabore aussi étroitement avec les promoteurs de la Conférence générale anglophone.[fn]Entretiens téléphoniques de Crisis Group, diplomates onusiens, janvier 2019.Hide Footnote Mais pour l’instant, au-delà des slogans, ses activités se limitent quasi exclusivement à la sensibilisation.

V. Positions des autres acteurs majeurs : Camerounais francophones et partenaires internationaux

Le conflit dans les régions anglophones retient désormais l’attention des Camerounais francophones et des acteurs internationaux. Mais si certains partis politiques et organisations de la société civile francophones témoignent de leur solidarité avec les anglophones, ils ne parviennent pas à mobiliser les populations francophones. Les partenaires internationaux, quant à eux, sont de plus en plus inquiets de l’ampleur que prend ce conflit mais demeurent divisés tant sur leur lecture de la crise que sur ses éventuelles solutions.

A. La société civile et l’opposition francophone

La Conférence épiscopale nationale du Cameroun (CENC) a pris position dès le début du conflit au nom de l’Eglise catholique, l’institution la plus crédible dans le paysage social camerounais, pour appeler à l’arrêt des violences et au dialogue.[fn]Voir le briefing Afrique de Crisis Group N°138, La crise anglophone au Cameroun : comment l’Eglise catholique peut encourager le dialogue, 25 avril 2018.Hide Footnote A plusieurs reprises, elle a invité le pouvoir à tenir compte des frustrations des anglophones et de leurs revendications pour plus d’autonomie. L’Eglise a aussi proposé sa médiation, sans réponse favorable du pouvoir. A deux reprises en 2018, la Conférence épiscopale a demandé audience au président de la République pour discuter de la crise anglophone, en vain.[fn]Entretiens de Crisis Group, diplomates occidentaux et évêques, Yaoundé et Douala, octobre 2018.Hide Footnote

L’Eglise catholique au Cameroun reste néanmoins divisée entre évêques anglophones pro-fédéralisme et évêques francophones qui sont plus favorables à la décentralisation ou au régionalisme. Au sein du clergé francophone, certains évêques du Centre, du Sud ou de l’Est (l’aire culturelle du président de la République) sont proches des positions du gouvernement et freinent les initiatives de la Conférence épiscopale ou d’autres évêques.[fn]Entretiens de Crisis Group, prêtres, Yaoundé et Douala, octobre 2018.Hide Footnote

En février 2019, le Vatican, cette fois (à travers son ministre des Affaires étrangères), a proposé sa médiation au gouvernement camerounais. En mars, le nonce apostolique a transmis une lettre du pape François au président Biya pour appeler à des solutions pacifiques et durables à la crise anglophone.[fn]« Sécession au Cameroun : le Vatican propose son aide pour sortir le Cameroun de la crise anglophone », Journal du Cameroun, 26 février 2019.Hide Footnote

En marge de la Conférence épiscopale, des associations religieuses ont lancé des initiatives parallèles de dialogue. En particulier, l’Association camerounaise pour le dialogue interreligieux (Acadir) tente depuis un an de mettre en place une initiative de médiation interreligieuse pour trouver des solutions pacifiques au conflit. Mais son projet s’avère herculéen. Parvenir à un consensus entre toutes les confessions religieuses sur la question anglophone est quasiment impossible, alors même qu’il n’y en a pas au sein de chaque confession. En outre, l’Acadir, qui bénéficie du soutien du gouvernement, n’inspire que peu de confiance aux activistes anglophones (fédéralistes et séparatistes).[fn]L’Acadir collabore depuis une décennie avec le gouvernement sur des thématiques liées au dialogue interreligieux et à la lutte contre le radicalisme. Entretiens téléphoniques de Crisis Group, diplomate, cadre de l’Acadir, activistes anglophones, janvier 2019.Hide Footnote Enfin, son projet se juxtapose à celui de la conférence générale anglophone qui rassemble déjà les représentants de différentes confessions religieuses des régions anglophones.

De toutes ces initiatives de l’Eglise, la proposition de médiation de la communauté de Sant’Edigio semble la plus prise au sérieux par le chef de l’Etat camerounais, d’autant qu’elle est soutenue par le pape. Les responsables de cette association de fidèles catholiques ont rencontré le président Biya en avril 2019 et proposé leur médiation. Ce dernier se serait montré ouvert à l’idée, sans l’approuver formellement. Il aurait également admis des erreurs dans la gestion initiale de la crise en 2016 et 2017 et n’aurait pas rejeté l’idée du régionalisme, forme de décentralisation étendue, comme solution de compris.[fn]Entretiens téléphoniques de Crisis Group, diplomate occidental et prêtres, avril 2019.Hide Footnote

La position des acteurs internationaux sur la crise anglophone n’est pas harmonisée, et tous ne s’impliquent pas sur le sujet au même degré.

Des ONG camerounaises telles que le Réseau des droits de l’homme en Afrique centrale et Un monde avenir ont condamné les violences dans les régions anglophones et appelé au dialogue. Elles proposent de mettre en place une commission vérité et réconciliation nationale sur la crise anglophone. En ce qui concerne les solutions, elles préconisent plutôt le régionalisme, envisagé comme une forme très poussée de décentralisation.[fn]Entretien de Crisis Group, directrice du Réseau des droits de l’homme en Afrique centrale, Douala, octobre 2018.Hide Footnote Ces initiatives pourraient éventuellement avoir leur place dans un règlement de la crise. Elles risquent néanmoins de créer la confusion et de diluer l’impact d’initiatives qui trouvent une résonance politique particulière auprès des parties en conflit, comme la Conférence générale anglophone.

L’opposition à dominante francophone a réagi tardivement et timidement à la crise. Le Mouvement pour la renaissance du Cameroun, 11 millions de citoyens, le mouvement Now et le Cameroon’s People Party fustigent la mauvaise gestion de la crise par le pouvoir. Ils sont pour la plupart favorables au régionalisme, à l’exception du mouvement Now qui soutient le fédéralisme à dix Etats. Le Mouvement pour la renaissance du Cameroun et le Cameroon’s People Party se distinguent en matière de mobilisation et de soutien réels : ils apportent un appui matériel aux déplacés et réfugiés, tentent d’organiser des journées villes mortes et des marches dans les régions francophones en soutien aux populations anglophones, mais les francophones suivent très peu ces mots d’ordre.[fn]Pour plus de détails sur ces partis et l’évolution de l’opposition camerounaise, voir le briefing de Crisis Group, Election présidentielle au Cameroun : les fractures se multiplient, op cit. Selon le responsable de la Fondation Ayah, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun a fait un don de 50 000 dollars (44 300 euros) à son organisme pour la prise en charge des déplacés anglophones. Entretien téléphonique de Crisis Group, président de la fondation Ayah, janvier 2019.Hide Footnote

B. Les partenaires internationaux

La position des acteurs internationaux sur la crise anglophone n’est pas harmonisée, et tous ne s’impliquent pas sur le sujet au même degré. Mais dans l’ensemble, ils haussent de plus en plus le ton contre les violences, appellent au dialogue et proposent individuellement leur médiation ou leur appui technique. La plupart d’entre eux invitent le gouvernement camerounais à tenir compte des revendications d’autonomie des populations anglophones, sans toutefois suggérer ouvertement un modèle (décentralisation, régionalisme ou fédéralisme). Plusieurs pays reconnaissent en privé qu’il sera difficile d’obtenir du gouvernement ne serait-ce que le régionalisme ou une décentralisation effective.[fn]Entretiens de Crisis Group, ambassadeurs occidentaux, Yaoundé, octobre-décembre 2018.Hide Footnote

1. Les Occidentaux et les initiatives multilatérales

Les Etats-Unis ont été les plus fermes vis-à-vis du gouvernement camerounais, tout en proposant leur médiation à plusieurs reprises. Le département d’Etat a publié une première déclaration en décembre 2016, suivie de cinq autres, pour condamner les violations des droits humains et demander au gouvernement de mieux considérer les demandes d’autonomie des anglophones. En mai 2018, l’ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun a condamné les incendies de villages par les forces de sécurité dans les régions anglophones.

Le Congrès américain s’en préoccupe aussi et a organisé deux auditions (au sein de la Commission Tom Lantos des droits de l’homme, puis la Commission des affaires étrangères) sur le Cameroun en juin 2018.[fn]Voir « Crisis in the Republic of Cameroon », House of Foreign Affairs Committee, 27 juin 2018 (https://foreignaffairs.house.gov/hearings?ID=11262B96-5691-47AA-B828-69200B680E05 ; https://www.youtube.com/watch?v=kyi_gCwOjDw). « US to cut military aid to Cameroon due to alleged human rights violations », CNN, 7 février 2019. Entretiens de Crisis Group, fonctionnaires et membres du Congrès américain, Washington DC, juin 2018.Hide Footnote Des membres du Congrès ont contribué significativement à convaincre le département d’Etat et le département de la Défense de réduire l’aide militaire américaine aux forces de sécurité camerounaises.[fn]« U.S. to cut military aid to Cameroon due to alleged human rights violations », CNN, 7 février 2019. Entretiens de Crisis Group, membres du Congrès américain, Washington D.C., juin 2018 et février 2019.Hide Footnote Plusieurs d’entre eux tels que les sénateurs Richard Durbin, Ben Cardin, Amy Klobuchar, Elizabeth Warren et Kamala Harris continuent de faire pression pour davantage de réduction de l’aide militaire, si les violations des droits humains persistent. Ils appellent aussi le gouvernement américain à mettre en place des sanctions contre les personnes responsables de graves violations des droits humains au Cameroun.[fn]En décembre 2018, dix sénateurs américains du parti démocrate ont écrit au Secrétaire d’Etat Mike Pompeo pour demander « l’imposition des sanctions contre les personnes responsables de graves violations des droits humains, conformément à la loi ». Ils ajoutent dans cette lettre « Nous travaillerons avec nos collègues au sénat pour examiner si les conditions additionnelles doivent être imposées à l’assistance sécuritaire au Cameroun ». La lettre est disponible à https://www.cardin.senate.gov/newsroom/press/release/cardin-democratic-senators-raise-alarm-over-human-rights-in-cameroon. Entretiens de Crisis Group, diplomates américains et staff du congrès, Yaoundé et Washington DC, décembre 2018 et février 2019.Hide Footnote

La plupart des autres pays occidentaux, en particulier l’Allemagne, le Canada et le Royaume-Uni ont condamné les violences des séparatistes et des forces de sécurité, et prôné le dialogue. Alors que les exécutifs de ces pays jouent aux équilibristes, critiquant les uns et les autres, les parlements se montrent plus fermes envers le gouvernement camerounais. En Allemagne, le Bundestag a organisé des débats sur le Cameroun et une cinquantaine de députés ont appelé le gouvernement à suspendre sa coopération économique avec le Cameroun, en cas de nouvelles violations des droits humains en zone anglophone.[fn]« Prävention ernst nehmen: Die Krise in Kamerun eindämmen », motion du groupe libéral-démocrate (FDP) à l’Assemblée parlementaire (Bundestag) allemande, 27 juin 2018.Hide Footnote Des débats ont aussi eu lieu aux parlements canadien et britannique.

La posture de la France est singulière. Dans un premier temps, elle est restée en retrait, voire a soutenu l’approche du pouvoir. Face à l’ampleur de la crise, elle appelle désormais à une solution politique et encourage, comme les autres Occidentaux, la Conférence générale anglophone. En privé, elle soutient l’option de la décentralisation et exclut à priori le fédéralisme.[fn]Entretiens de Crisis Group, diplomates français, Yaoundé et Paris, mars et mai 2018.Hide Footnote Pour convaincre Yaoundé d’accélérer la décentralisation et de prendre des mesures d’apaisement, la France se présente comme son protecteur face aux pressions internationales, y compris en soulignant que les autres pays européens pourraient être plus exigeants et que les Américains pourraient passer à l’étape des sanctions. Elle obtient ainsi quelques concessions. En novembre dernier, Biya a reçu l’ambassadeur français pendant trois heures, et lui a fait quelques promesses. Certaines ont été partiellement tenues (libération de 289 détenus anglophones et création du comité pour le désarmement) ; d’autres, notamment liées à la conférence anglophone et au remaniement gouvernemental ou même à la décentralisation, sont restées lettre morte.[fn]Entretiens de Crisis Group, diplomates occidentaux, Yaoundé, 2019.Hide Footnote

Le poids relatif de la France s’explique par des raisons historiques, mais surtout par son implication au plus haut niveau, contrairement aux autres pays occidentaux : coups de téléphone entre le président Macron et son homologue Paul Biya en juin, octobre 2018 et février 2019, courriels privés et visite en 2018 du chef de la cellule africaine de l’Elysée et du numéro deux du Quai d’Orsay.[fn]« Etoudi : l’entourage de Paul Biya jubile après le coup de fil de Macron », camerounweb.com, 2 juillet 2018 ; « Le secrétaire d’Etat français aux affaires étrangères attendu au Cameroun », Journal du Cameroun, 28 juin 2018.Hide Footnote Elle peut ensuite niveler le rôle politique de l’UE en vantant le succès de sa diplomatie présentée comme « plus mesurée » et en soutenant qu’elle est la seule nation que Biya écoute.[fn]Entretiens de Crisis Group, diplomates occidentaux, Yaoundé, octobre 2019.Hide Footnote

Comme les Français, les Britanniques sont mal perçus des activistes anglophones.

La Suisse n’a pas pris ouvertement position depuis le début du conflit, mais elle semble pousser en coulisses pour le régionalisme.[fn]Entretien de Crisis Group, diplomate suisse, Yaoundé, octobre 2018.Hide Footnote Depuis fin 2018, le Centre pour le dialogue humanitaire (ONG suisse) multiplie les contacts avec les personnalités anglophones fédéralistes et certains groupes séparatistes, en vue d’aider au dialogue et au rapprochement avec le gouvernement.[fn]Entretien téléphonique de Crisis Group, chercheur au Centre pour le dialogue humanitaire, février 2019.Hide Footnote En mars 2019, le président suisse s’est rendu à Yaoundé et a proposé la médiation de la Suisse au président Biya. Lors de l’audience accordée à l’ambassadeur suisse en avril, Paul Biya aurait répondu de façon ambiguë : sans rejeter l’idée du régionalisme, il ne l’aurait pas non plus formellement approuvée.[fn]Entretien téléphonique de Crisis Group, diplomate occidental, avril 2019.Hide Footnote

Dans le cadre multilatéral, les Nations unies sont à l’avant-garde. Que ce soit par les déclarations du bureau des Nations unies pour l’Afrique centrale ou les coups de téléphone du secrétaire général à Paul Biya, l’institution pousse les belligérants à garantir l’accès des organisations humanitaires aux zones touchées par le conflit, appelle à l’arrêt des violences et au dialogue et offre ses bons offices pour une médiation. Mais la question anglophone n’a pas été inscrite à l’ordre du jour du Conseil de sécurité, en raison des dissensions entre les membres permanents et de l’activisme des diplomates camerounais. Des membres non permanents comme les Pays-Bas et la Norvège ont poussé en ce sens ou à défaut à une discussion sous la forme d’un AOB (Any Other Business), mais n’ont pas obtenu les votes requis (neuf sur quinze). La Chine, la Russie, la France et des pays africains (Guinée équatoriale, Ethiopie et Côte d’Ivoire) s’y sont opposés. D’autres pays, dont le Royaume-Uni, se sont abstenus. Les Etats-Unis étaient pour, mais n’ont pas utilisé leur influence en ce sens. Le sujet n’a donc fait l’objet que de discussions privées.[fn]Entretiens de Crisis Group, ambassadeur des Pays-Bas aux Nations unies et fonctionnaires onusiens, New York, juin 2018.Hide Footnote

En novembre 2017, la crise anglophone a cependant pu être amplement discutée au Conseil de sécurité lors de l’audition biannuelle du représentant spécial du secrétaire général pour l’Afrique centrale. Les représentants des Etats-Unis, du Royaume-Uni et d’autres pays occidentaux ont fait des déclarations fortes et exigé un accès de l’ONU et des organisations de protection des droits humains aux régions anglophones, des enquêtes sur les violations des droits humains et un dialogue immédiat entre le gouvernement camerounais et les séparatistes.[fn]« United Nations Security Council calls for immediate action to the Anglophone crisis in Cameroon », YouTube, 15 décembre 2018.Hide Footnote

Le Royaume-Uni a aussi annoncé un don de 2,3 millions d’euros d’aide humanitaire aux régions anglophones.[fn]« UK aid for children caught up in Cameroon conflict », communiqué, gouvernement britannique, 13 décembre 2018.Hide Footnote Mais comme les Français, les Britanniques sont mal perçus des activistes anglophones. Ces derniers reprochent à l’ancienne puissance coloniale de ne pas être en première ligne sur la question anglophone au sein du Conseil de sécurité et d’être accommodante avec le pouvoir camerounais au niveau bilatéral.[fn]Entretiens de Crisis Group, diplomates occidentaux, Yaoundé, decembre 2018.Hide Footnote

L’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE) ont peu de poids politique au Cameroun. Elles n’ont quasiment pas d’accès direct au président Biya, et essaient de ne pas trop froisser le pouvoir. L’UE, malgré son immense rôle économique (premier partenaire commercial du Cameroun, premier contributeur à l’aide au développement et à l’aide humanitaire), ne parvient pas à peser de façon décisive sur les dossiers politiques majeurs comme la crise anglophone.[fn]Entretiens de Crisis Group, diplomates européens, Yaoundé, octobre-décembre 2018.Hide Footnote

Rarement évoqué dans le contexte de la crise chez son voisin, le Nigéria est pourtant l’un des Etats pouvant aider à trouver une solution politique à la crise anglophone.

Néanmoins, la position de l’UE évolue depuis quelques mois. La haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères, Federica Mogherini, a haussé le ton en mars dernier après l’arrestation et l’inculpation par le tribunal militaire de Yaoundé de la principale figure de l’opposition, Maurice Kamto, et de 150 membres de son parti, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun.[fn]« Déclaration de la haute représentante, Federica Mogherini, au nom de l’UE sur la détérioration de la situation politique et sécuritaire au Cameroun », Service européen pour l’action extérieure, 5 mars 2019 ; « Cameroun : droit, justice et dignité pour Marice Kamto », Le Monde, 1 mars 2019.Hide Footnote En avril, le parlement européen a voté une résolution sur le Cameroun, exigeant entre autres : « la libération immédiate de Maurice Kamto et des autres détenus politiques », « un dialogue inclusif pour trouver des solutions pacifiques et durables à la crise anglophone » et la « réforme du code électoral ». Il a également suggéré à la commission de l’UE et aux Etats membres de revoir l’aide au développement et l’assistance sécuritaire au Cameroun si le gouvernement camerounais ne fait pas de progrès rapides dans la gestion de la crise anglophone et l’affaire Kamto.[fn]« European parliament resolution of 18 April 2019 on Cameroon (2019/2691 (RSP)) », 18 avril 2019 ; « Arrestations d'opposants et crise anglophone au Cameroun : le parlement européen hausse le ton », Jeune Afrique, 19 avril 2019.Hide Footnote

L’UA, quant à elle, se montre plutôt discrète sur la crise anglophone, bien que de nombreux diplomates africains et occidentaux souhaitent qu’elle joue un rôle accru.[fn]Entretiens de Crisis Group, diplomates africains et occidentaux, New York, février 2019.Hide Footnote Pour le moment, seule la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples se montre ferme envers le pouvoir camerounais.[fn]« Communiqué de presse sur les récentes arrestations et détentions d’environ 200 membres de partis d’opposition suite aux manifestations du 26 janvier 2019 », Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, 6 mars 2019.Hide Footnote Certains anciens chefs d’Etat africains tels qu’Olusegun Obasanjo du Nigéria et Jerry Rawlings du Ghana ont souligné que la solution au conflit passait par un dialogue inclusif, mais l’UA en tant qu’entité semble peu encline à faire pression sur Yaoundé. Cette posture va probablement perdurer en 2019, alors que l’Egypte, opposée à l’intervention de l’organisation régionale dans les affaires intérieures des Etats, assume la présidence de l’organisation régionale.

Certaines organisations intergouvernementales comme le Commonwealth n’ont pratiquement aucun poids ou volonté réelle de peser sur la question anglophone, malgré quelques déclarations et une visite de sa secrétaire générale au Cameroun en décembre 2017. D’autres comme la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale, la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale et l’Organisation internationale de la Francophonie, condamnent la violence mais semblent suivre la ligne du pouvoir.[fn]Leurs communiqués tendent à condamner les abus des séparatistes et pas celles des forces de sécurité. « Cameroun : Michaëlle Jean condamne fermement les violences dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest », Organisation internationale de la Francophonie, 16 février 2018.Hide Footnote

2. Rôle du Nigéria

Rarement évoqué dans le contexte de la crise chez son voisin, le Nigéria est pourtant l’un des Etats pouvant aider à trouver une solution politique à la crise anglophone. Le pays partage une frontière de 2 100 kilomètres avec le Cameroun et son territoire est crucial pour les séparatistes.[fn]Les séparatistes considèrent les régions anglophones comme le ground 0 ; le Nigéria ground 1 (première base de repli) et le Ghana ground 2 (deuxième base de repli). Entretiens de Crisis Group, universitaires nigérians et séparatistes camerounais, Abuja, novembre 2018.Hide Footnote Il est également un allié du pouvoir de Yaoundé, y compris dans la lutte contre Boko Haram. Pour toutes ces raisons, il pourrait être écouté par les protagonistes de la crise anglophone.

Le Nigéria serait en mesure de faire pression sur son allié pour qu’il se montre plus ouvert aux revendications des anglophones. Les Nigérians éprouvent de la sympathie pour la cause anglophone, surtout à l’Est du pays.[fn]Entretiens de Crisis Group, universitaires et populations, Abuja, Calabar et Ikom, novembre 2018.Hide Footnote Mais le gouvernement nigérian a plutôt tendance à soutenir la position de Yaoundé, en partie parce qu’il redoute que le conflit dans les régions anglophones n’encourage ses propres mouvements séparatistes du Biafra. Le président nigérian Muhammadu Buhari craint aussi de mécontenter Paul Biya, un allié important dans la lutte contre Boko Haram. L’exécutif nigérian a ainsi arrêté des chefs séparatistes à Abuja en janvier 2018 et n’hésite pas à remettre les réfugiés camerounais suspectés d’être des séparatistes aux forces de sécurité camerounaises.[fn]En dehors des membres du gouvernement intérimaire, une trentaine de combattants séparatistes présumés ont été arrêtés à Taraba en janvier 2018 et plus de 50 réfugiés ont été arrêtés et renvoyés au Cameroun en 2018. Entretiens de Crisis Group, universitaires, fonctionnaires et officiers des renseignements nigérians, Abuja, novembre 2019.Hide Footnote Les services de sécurité nigérians ont également lancé l’opération Delta Safe 3 étendue à l’Etat de Cross River pour enrayer les trafics d’armes et les flux de combattants du Nigéria vers le Cameroun. Ils veillent enfin à ce que l’aide humanitaire des ONG nigérianes et camerounaises aux réfugiés ne serve pas à financer les séparatistes.

Cela dit, la présence de 35 000 réfugiés anglophones au Nigéria, le ralentissement des échanges économiques avec le Cameroun, consécutive à la crise anglophone et la fermeture de la frontière, pourraient éventuellement motiver le gouvernement à pousser pour une solution politique. Abuja devrait comprendre que la réponse militaire seule ne mettra pas fin aux violences, et que le seul moyen d’éviter que le conflit à ses frontières ne s’éternise et ne menace de fusionner avec les multiples revendications identitaires au Nigéria est de pousser Biya à une solution politique.

VI. Comment parvenir au dialogue ?

La crise anglophone s’embourbe : le pouvoir et les séparatistes campent sur des positions à priori irréconciliables, tandis qu’aucun camp ne semble en mesure de l’emporter militairement à court terme.

Sortir de cette impasse requiert de combiner une forte pression interne et internationale. Les Camerounais qui prônent des solutions de compromis (société civile, opposition, anglophones fédéralistes et pro-décentralisation) doivent pousser le pouvoir et les séparatistes à participer à la conférence anglophone et par la suite au dialogue national.[fn]Le Social Democratic Front, des associations fédéralistes et quelques associations et partis politiques francophones comme le Mouvement pour la renaissance du Cameroun ont initié quelques mobilisations en 2018, sans grand effet. Dans l’ensemble, les Camerounais ont peur s’opposer au pouvoir, qui réprime souvent brutalement les manifestations et toute autre forme de contestation. « Au Cameroun : l’inquiétant crépuscule du régime Biya », Le Monde, 15 mars 2019.Hide Footnote Parmi eux, les Camerounais francophones ont un rôle particulier à jouer, au niveau des partis politiques, de l’Eglise et de la société civile, pour montrer au pouvoir qu’ils sont solidaires de leurs compatriotes anglophones. Mais ils ne peuvent l’emporter face à la ligne dure des deux belligérants sans un soutien international résolu. Les acteurs internationaux peuvent encourager les concessions de part et d’autre en récompensant les parties qui accepteraient de modérer leurs positions et en sanctionnant celles qui maintiendraient une ligne plus intransigeante. Pour y parvenir, les acteurs internationaux doivent d’abord harmoniser leurs positions.

A. Rétablir la confiance et sortir du cycle de destruction

Un règlement de la crise anglophone devra passer par la confrontation des points de vue du gouvernement et des anglophones, y compris des séparatistes, car ces derniers ont la main haute sur les milices armées. Un certain nombre de concessions mutuelles pourrait permettre de créer un minimum de confiance entre belligérants et de sortir du cycle de destruction. Il importe que les acteurs internationaux poussent pour des concessions réciproques à chaque étape, afin d’éviter que les blocages ne soient prétextes à l’immobilisme.

S’agissant du pouvoir :

  • Dans le cadre d’un discours réconciliateur, le président de la République devrait reconnaitre l’existence du problème anglophone et les abus des forces de sécurité, et s’engager à mieux prendre en compte le besoin d’autonomie exprimé par les populations anglophones.
     
  • Le président devrait ensuite initier des enquêtes sérieuses sur les membres des forces de sécurité soupçonnés d’avoir commis des abus, prévoir des compensations pour les victimes et engager la reconstruction des localités détruites.
     
  • Il devrait procéder à un large remaniement du gouvernement, ainsi que de la haute administration et du personnel des forces de défense et de sécurité afin de révoquer tous ceux qui alimentent le conflit par des discours haineux, et de mieux intégrer les anglophones non séparatistes qui bénéficient d’une certaine crédibilité auprès de la population anglophone.
     
  • Il devrait se montrer disposé à respecter les spécificités anglo-saxonnes des systèmes éducatif et judiciaire dans les zones anglophones.
     
  • Le gouvernement ne devrait pas poser de conditions à un dialogue avec les séparatistes sur la forme de l’Etat (décentralisation, régionalisme ou fédéralisme), même s’il considère que l’unité du pays n’est pas négociable.
     
  • Le gouvernement devrait libérer des centaines d’activistes anglophones et d’acteurs clés tels que les membres du gouvernement intérimaire et l’activiste et animateur radio Mancho Bibixy pour donner un signal symbolique fort et créer des conditions favorables aux pourparlers.
     
  • Au lieu de faire obstacle à la conférence générale anglophone, il devrait l’encourager car elle pourrait donner plus de poids aux opinions fédéralistes et pro-décentralisation face aux séparatistes.
     
  • Le gouvernement devrait enfin différer les prochaines élections régionales, qui pourraient susciter des violences dans les régions anglophones, pour qu’elles aient lieu après la Conférence générale anglophone et le dialogue sur la forme de l’Etat.

S’agissant des séparatistes :

  • Les séparatistes doivent d’abord dialoguer entre eux. Il est important que les plus pragmatiques fassent comprendre à leurs collègues, y compris ceux qui ont perdu des proches, que la lutte armée ne sera pas soutenue par les acteurs internationaux et constitue une voie sans issue politique. Les éléments les plus intransigeants bénéficiant du soutien d’une grande partie des activistes de base, un tel effort de persuasion est crucial pour éviter des dissensions plus importantes au sein du mouvement séparatiste, qui rendrait encore plus périlleuse la route vers le dialogue. Une fois la jonction faite entre ces divers courants du camp séparatiste, ils devraient engager des discussions avec les fédéralistes en vue du dialogue ultérieur avec le gouvernement camerounais.
     
  • Pour montrer leur bonne foi, ils devraient abandonner leur stratégie de boycott de l’école.
     
  • Il est peu probable que les séparatistes renoncent à priori à un débat sur la séparation.[fn]Entretiens de Crisis Group, figures séparatistes, Washington DC, février 2019.Hide Footnote Mais étant donné que les acteurs internationaux ne soutiennent pas leur projet sécessionniste, ils devraient se montrer prêts dès maintenant à discuter d’autres options qui pourraient conférer une plus grande autonomie aux régions anglophones et répondre aux demandes de la population quant au respect des spécificités de leurs régions.
     
  • En contrepartie des sanctions contre les forces de sécurité responsables d’abus, les séparatistes doivent exclure les combattants ayant commis des exactions contre les civils.
     
  • Enfin, ils doivent renoncer aux villes mortes du lundi.

S’agissant des fédéralistes :

  • Ils devraient engager des discussions avec les séparatistes les moins intransigeants pour les convaincre de prendre part à la conférence générale anglophone.
     
  • Ils devraient élaborer et mener une campagne internationale en faveur de la résolution pacifique du conflit, pour ne pas laisser le terrain international aux seuls séparatistes.
     
  • Enfin, si le gouvernement camerounais continue de s’opposer à la conférence générale anglophone, ils devraient proposer à ses organisateurs qu’elle se tienne hors du Cameroun. Pour ce faire, l’appui matériel des partenaires du pays tels que l’UE et les Etats-Unis sera nécessaire.

B. Modalités des pourparlers et soutien international

Il ne sera pas aisé de parvenir aux pourparlers, étant donné que les séparatistes ne reconnaissent pas la légitimité du gouvernement, qui pour sa part ne tolère aucun débat sur l’unité de l’Etat. Yaoundé estime par ailleurs avoir déjà fait trop de concessions, et souligne avoir lancé plusieurs initiatives de dialogue. Celles-ci sont pourtant loin d’être suffisantes, et une mobilisation internationale est cruciale pour arriver à un dialogue inclusif.[fn]Aux acteurs internationaux qui réclament des mesures d’apaisement et un dialogue, le gouvernement répond que la libération de certaines figures fédéralistes et la création d’un comité de DDR font partie des mesures d’apaisement déjà prises et que les missions de consultation du Premier ministre et de la Commission pour le bilinguisme en 2017 et 2018 dans les régions anglophones sont des initiatives de dialogue. Les missions interministérielles de 2017 et 2018 aux Etats-Unis (Washington DC), en Europe, en Afrique du Sud et auprès des Nations unies (New York) sont également présentées comme autant d’initiatives de dialogue avec la diaspora. Entretiens de Crisis Group, hauts fonctionnaires, Yaoundé, octobre 2018.Hide Footnote

Les discussions finales entre le gouvernement et les représentants anglophones, dont les séparatistes, doivent avoir lieu au Cameroun. Les autorités devront garantir la sécurité des participants et s’engager à ne pas arrêter les représentants séparatistes. C’est pourquoi des discussions préparatoires entre les représentants du gouvernement, des fédéralistes, la diaspora et les chefs de file séparatistes, seront nécessaires et devraient avoir lieu à l’étranger en présence de médiateurs.

Les Nations unies, l’UA, la Suisse et l’Eglise catholique (Conférence épiscopale, Sant’Egidio ou même le Vatican), organisations et pays les plus crédibles pour les deux parties, ont déjà proposé leur médiation au gouvernement camerounais. Etant donné les profondes divergences entre les camps, et les divisions actuelles ou potentielles en leur sein, ces discussions préparatoires seront complexes et pourraient prendre du temps. Il sera donc important de former une équipe internationale dotée d’un poids politique et d’une expertise en médiation suffisants pour faire bouger les lignes, peser auprès de Yaoundé, et mobiliser le soutien d’autres acteurs clés, tels que le Nigéria. A défaut d’un rôle de premier plan des Nations unies, la médiation pourrait se faire sous la houlette de l’UA, si elle bénéficie d’un soutien résolu des Nations unies.

Les acteurs européens et américains doivent se concerter pour pousser les parties à des mesures substantielles et graduelles.

Il sera difficile de convaincre les pouvoirs publics camerounais d’accepter une telle médiation car ils souhaitent éviter que la question s’internationalise pour garder l’initiative et bénéficier seuls des retombées politiques d’un éventuel accord.[fn]Entretiens de Crisis Group, hauts fonctionnaires, Yaoundé, octobre 2018 et mars 2019.Hide Footnote Mais la crise anglophone est à présent une menace pour la stabilité du Cameroun et de la sous-région. Les acteurs internationaux, notamment africains (Union africaine et Nigéria), doivent mieux se concerter, harmoniser leurs positions et mettre le gouvernement camerounais face à la réalité : celle d’un conflit armé trois fois plus létal que Boko Haram dans l’Extrême-Nord et qui s’aggrave au fil des mois.

De manière générale, les acteurs européens et américains doivent se concerter pour pousser les parties à des mesures substantielles et graduelles. Pour encourager le gouvernement, ils pourraient proposer de financer le désarmement, la démobilisation et la réinsertion des ex-combattants et les rencontres préparatoires au dialogue sur le territoire camerounais et à l’étranger. Ils pourraient aussi proposer d’aider à financer la reconstruction des régions anglophones, les compensations gouvernementales aux familles et aux personnes victimes d’abus, le retour des réfugiés et des déplacés, ainsi que le plan gouvernemental d’assistance humanitaire d’urgence, à condition qu’il soit coordonné avec la réponse de l’ONU et des organisations humanitaires déjà présentes sur place. Ils devraient aussi faire comprendre au président Biya qu’une résolution pacifique de la crise anglophone lui offrirait une fin de règne honorable.

Au registre des menaces, les Etats-Unis et l’UE devraient envisager des sanctions ciblées contre de hauts responsables au pouvoir et de hauts gradés de l’armée qui feront obstacle au dialogue ou continueront de commettre des abus (interdiction de voyages, gels des avoirs) ainsi que contre les séparatistes qui continueront de prôner ou organiser la violence, en appelant aux attaques contre les civils francophones, en finançant ou en commandant les milices séparatistes (poursuites judiciaires, non-renouvellement des titres de séjour).

Les Etats-Unis et l’UE pourraient également procéder à une réévaluation graduelle de l’aide au développement et de la coopération sécuritaire avec le Cameroun, en vue de les réduire si le gouvernement continue de refuser de participer à des pourparlers, et tout en veillant à ce que ces réductions n’aient pas d’impact négatif direct sur la population. Plusieurs membres du Congrès américain et certains responsables au sein de l’administration envisagent actuellement une telle option.[fn]Entretiens de Crisis Group, staff du congrès, Washington DC, février 2019.Hide Footnote

Au niveau multilatéral, Européens, Américains et Africains devraient pousser pour inscrire la crise anglophone à l’agenda du Conseil de sécurité de l’ONU malgré les divisions évoquées précédemment, d’autant que depuis l’arrestation de Maurice Kamto, les Français y sont moins réticents et les Américains plus actifs.[fn]Entretiens de Crisis Group, diplomates occidentaux, New York, mars 2019.Hide Footnote Il serait également important d'inscrire la crise anglophone à l'agenda du Conseil de paix et de sécurité de l'UA, une initiative que pourrait prendre le président de la Commission de l'UA, le tchadien Moussa Faki Mahamat. Cela semble peu probable, étant donné sa proximité et celle du président tchadien Idriss Deby avec les autorités camerounaises. De plus, Faki préfère généralement utiliser ses bons offices au lieu de l'arène publique du Conseil de paix et de sécurité.  Toutefois, cette voie semble la seule envisageable car la Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC) et la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) sont des soutiens de Yaoundé.[fn]Des diplomates de l’UA assurent que si la crise anglophone est à l’ordre du jour du Conseil de sécurité de l’ONU, l’UA se sentira obligée de l’inscrire à l’ordre du jour du Conseil de paix et de sécurité. Entretiens de Crisis Group, diplomates de l’UA, Addis Abeba, mars 2019.  A Madagascar et aux Comores, plutôt que solliciter l'appui du Conseil de paix et de sécurité, Faki a dépéché un envoyé spécial pour aider respectivement à apaiser les tensions en prélude à une élection à risque et à désamorcer la crise au sujet du processus de révision constitutionnelle.Hide Footnote

Des diplomates de l’UA assurent que si la crise anglophone est à l’ordre du jour du Conseil de sécurité de l’ONU, l’UA se sentira obligée de l’inscrire à l’ordre du jour du Conseil de paix et de sécurité. Entretiens de Crisis Group, diplomates de l’UA, Addis Abeba, mars 2019.Hide Footnote

La procureure de la Cour pénale internationale (CPI) devrait faire part de son intention de lancer des enquêtes préliminaires sur les abus des deux parties. Ceci pourrait encourager le gouvernement à ordonner ses propres enquêtes et à engager le cas échéant des procédures pénales ainsi qu’à dissuader de nouveaux abus contre les civils. Cela indiquerait aussi aux séparatistes que leurs actions violentes suscitent la réprobation internationale.

C. Les questions de fond : réformes institutionnelles et forme de l’Etat

Lors de son discours de fin d’année 2018, Paul Biya a promis « d’accélérer le processus de décentralisation » et d’organiser des élections régionales en 2019. L’accélération de la décentralisation peut être un premier pas positif, si cela ne se limite pas à l’organisation des élections régionales. Pour qu’elles aient une chance d’apaiser les tensions, celles-ci devraient être repoussées et organisées après le dialogue national et les élections municipales et législatives. Sans dialogue inclusif préalable et modification des lois sur la décentralisation, ces élections risquent de provoquer une nouvelle séquence de violences dans les régions anglophones, car les séparatistes voudront les empêcher, et d’entrainer des tensions communautaires dans la partie francophone. Si elles étaient organisées avant le scrutin municipal, elles ne feraient que reproduire la forte domination du parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), qui domine actuellement les conseils municipaux qui éliront les conseils régionaux.[fn]Entretiens de Crisis Group, séparatiste et figures politiques, Douala, octobre 2018.Hide Footnote

Les recommandations susmentionnées n’ont une chance d’être suivies qu’en présence d’une forte pression interne et internationale.

Crisis Group a mené des dizaines d’entretiens avec des séparatistes, des fédéralistes, des hauts fonctionnaires et des hauts gradés, dans le but d’identifier les non-dits et les attentes véritables de chaque camp en vue d’un éventuel dialogue. Il en ressort une ligne médiane qui pourrait apaiser les deux camps, à défaut de les satisfaire, et amener une paix durable dans les régions anglophones.

S’agissant de la forme de l’Etat, le gouvernement devrait, au cours des négociations, se montrer prêt à prendre les mesures suivantes :

  • Réviser la Constitution pour améliorer sensiblement le cadre légal de la décentralisation. Ces améliorations devraient inclure l’élection des présidents des régions et des conseils régionaux au suffrage universel direct.
     
  • Instaurer des administrations régionales, abolir la fonction de délégué du gouvernement et réduire celle du gouverneur à un rôle de contrôle. Les administrations régionales devraient disposer d’une grande autonomie financière et administrative. De même, les compétences et l’assiette de prélèvement fiscal des collectivités décentralisées devraient être élargies, et les ressources transférées par l’Etat central aux régions et communes devraient passer de 1 à 10-30 pour cent du budget national – comme il est courant dans les pays où les régions disposent d’une forte autonomie, comme l’Italie, ou dans les pays africains fortement décentralisés comme le Kenya.[fn]Le budget de la décentralisation au Cameroun est de 49 milliards de francs CFA, soit 1 pour cent du budget national qui est de 4 850 milliards de francs CFA.Hide Footnote

Durant les négociations et suivant les mesures de confiance détaillées ci-dessus, le gouvernement devrait offrir d’entreprendre les réformes institutionnelles et de gouvernance suivantes :

  • Une meilleure prise en compte des spécificités des systèmes éducatif et judiciaire des régions anglophones devrait constituer la priorité dans la réforme des institutions. Pour cela, le gouvernement devrait veiller à ce que la Common Law soit pleinement appliquée dans les régions anglophones et répondre de bonne foi aux revendications formulées en décembre 2016 par les syndicats d’enseignants et d’étudiants quant au respect du caractère anglo-saxon des écoles et universités dans les régions anglophones.[fn]Rapport de Crisis Group, Cameroun : la crise anglophone à la croisée des chemins, op. cit.Hide Footnote

    Rapport de Crisis Group, Cameroun : la crise anglophone à la croisée des chemins, op. cit.Hide Footnote
  • La seconde priorité consiste à garantir aux anglophones une meilleure représentation dans le gouvernement et l’administration centrale et aux régions anglophones une part accrue du budget d’investissement public, y compris pour la reconstruction des localités détruites pendant le conflit.
     
  • Enfin, la Commission pour le bilinguisme et le multiculturalisme doit gagner en indépendance vis-à-vis du pouvoir et compter parmi ses membres des représentants de toutes les tendances anglophones.

Une fois un accord final trouvé, la démobilisation pourrait passer par le désarmement des milices et leur réinsertion socioéconomique. Pour cela, le gouvernement devrait prendre un décret spécifique sur un programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) des ex-combattants séparatistes.

L’accord final devrait aussi inclure des amnisties pour des prisonniers politiques (détenus en raison de leur soutien à la sécession) et garantir la possibilité pour les chefs de file séparatistes de rentrer au Cameroun pour participer au jeu politique légal et se présenter aux élections municipales, législatives et à la présidence des régions.

Les recommandations susmentionnées n’ont une chance d’être suivies qu’en présence d’une forte pression interne et internationale. Les séparatistes ne veulent rien accepter de moins que la confédération pour certains et le fédéralisme pour d’autres. Le gouvernement pour sa part ne souhaite pas mettre en œuvre une décentralisation effective. Mais face à une pression interne (francophones et anglophones non séparatistes), et internationale (Nations Unies, UE, UA, Etats-Unis, France, Royaume Uni) forte, une bonne partie des séparatistes pourraient accepter le régionalisme, synonyme de décentralisation poussée, combiné à des mesures d’apaisement.[fn]Entretiens de Crisis Group, journalistes anglophones et séparatistes, Douala et Washington DC, décembre 2018 et février 2019.Hide Footnote Le gouvernement pourrait y consentir, en particulier si le risque de sanctions et de poursuites pénales internationales est réel.[fn]Entretiens de Crisis Group, hauts fonctionnaires, Yaoundé, mars 2019.Hide Footnote

Dans le cas contraire, le scénario le plus vraisemblable est celui d’un prolongement du conflit sur plusieurs années, qui pourrait se terminer par une victoire militaire à la Pyrrhus des forces de sécurité camerounaises, sans résoudre le problème anglophone.

VII. Conclusion

Les défis sécuritaires se multiplient au Cameroun : Boko Haram à l’Extrême-Nord, conflit dans les régions anglophones et violences dans l’Adamaoua. A ces poches d’insécurité s’ajoutent des fragilités économiques, une forte tension politique et des clivages ethniques exacerbés depuis l’élection présidentielle d’octobre 2018 et l’arrestation du chef de file de l’opposition en janvier 2019.[fn]« Retrait de la CAN au Cameroun : enquête sur un double fiasco », Jeune Afrique, 10 décembre 2018 ; « Le principal opposant du Cameroun inculpé de rébellion et insurrection », TV5, 13 février 2019.Hide Footnote De toutes ces crises, le conflit dans les régions anglophones est le plus coûteux en vies humaines et pour les finances publiques. Y mettre un terme doit constituer une priorité pour les pouvoirs publics et les partenaires du Cameroun.

Le président Paul Biya, 86 ans, est à la tête de l’Etat depuis 37 ans. A défaut d’avoir été un artisan de la démocratie ou du développement économique, il s’est toujours présenté comme l’apôtre de la paix et du vivre-ensemble. Alors qu’il entame certainement son dernier mandat de sept ans, ces deux acquis appartiennent au passé. La résolution pacifique de la crise anglophone est peut-être son ultime chance de donner un nouvel élan au pays. Faute de quoi, il entrera dans l’histoire sous le surnom de « grand absent », et laissera un pays en proie à d’interminables règlements de comptes.

Nairobi/Bruxelles, 2 mai 2019

Annexe A: Carte de la crise anglophone au Cameroun

Annexe B: Sigles et abbréviations

Acadir  
Association camerounaise pour le dialogue interreligieux

ADF
Ambazonia Defence Forces (Forces de défense de l’Ambazonie)

AGC 
Ambazonia Governing Council (Conseil de gouvernement de l’Ambazonie)

APLM
Ambazonia People Liberation Movement (Mouvement de libération du peuple de l’Ambazonie) 

ARC
Ambazonia Recognition Coalition (Coalition pour la reconnaissance de l’Ambazonie)

ARCC
Ambazonia Recognition Collaboration Council (Conseil collaboratif pour la reconnaissance de l’Ambazonie)

ASC
Ambazonia Security Council (Conseil de sécurité de l’Ambazonie)

BIR
Bataillon d’intervention rapide

CDC
Cameroon Development Corporation

CENC
Conférence épiscopale nationale du Cameroun

CNDDR
Comité national de désarmement, de démobilisation et de réintégration

CPI
Cour pénale internationale

Gicam
Groupement interpatronal du Cameroun

IG
Interim Government of the Federal Republic of Ambazonia (Gouvernement intérimaire de la République fédérale d’Ambazonie)

MORISC
Movement for Independence and Restoration of Southern Cameroons (Mouvement pour l’indépendance et la restauration du Southern Cameroons)               

MRC
Mouvement pour la renaissance du Cameroun

ONU
Organisation des Nations unies

RDPC/CPDM
Rassemblement démocratique du peuple camerounais/Cameroon People’s Democratic Movement               

SCACUF
Southern Cameroons Consortium United Front (Consortium du front uni du Southern Cameroon)

SCAPO 
Southern Cameroons People’s Organisation (Organisation des peuples du Southern Cameroons)

SCARM
Southern Cameroons Restoration Movement (Mouvement de restauration du Southern Cameroons)

SCCOP
Southern Cameroons Congress of People (Congrès du peuple du Southern Cameroons)

SCNC
Southern Cameroons National Council (Conseil national du Southern Cameroons)

SCYL
Southern Cameroons Youth League (Ligue des jeunes du Southern Cameroons)

SDF
Social Democratic Front

SNWOT
South West and North West Women’s Task Force

SOCADEF
Southern Cameroons Defense Forces (Forces de défense du Southern Cameroons)

UA
Union africaine

UE
Union européenne

Annexe C: Présence armée des séparatistes dans les régions anglophones

Note : Il est difficile d’évaluer les effectifs réels des groupes armés dans la partie anglophone du Cameroun car ils ont tendance à surévaluer leurs effectifs. Le chef des SOCADEF déclare par exemple que son groupe compte plus de 3 500 combattants actifs, mais il semble qu’ils ne soient pas plus de 500 en réalité. International Crisis Group n’a répertorié que les groupes avec au moins 200 membres, un nom officiel et un chef identifiable. Une vingtaine de plus petits groupes mi criminels, mi séparatistes existent aussi avec généralement une dizaine ou quelques dizaines de membres.

Enfin, les attaques ayant eu lieu dans la région francophone de l’Ouest (départements du Noun, Bamboutos et Menoua), elles sembleraient être l’œuvre de quelques petits groupes basés dans le département de Ngoketunjia (localités de Babessi, Bambaland, Bamessing et Bamali) dans la région du Nord-Ouest.

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