La Coupe d’Afrique, une opportunité de cessez-le-feu pour le Cameroun
La Coupe d’Afrique, une opportunité de cessez-le-feu pour le Cameroun
Cameroonian policemen patrol the market in the majority English-speaking South West province in Buea, on October 3, 2018. MARCO LONGARI / AFP
Statement / Africa 6 minutes

La Coupe d’Afrique, une opportunité de cessez-le-feu pour le Cameroun

Le Cameroun va bientôt accueillir la plus grande Coupe d'Afrique des Nations de l'histoire. Huit matchs seront joués dans des régions anglophones déchirées depuis 2016 par un conflit entre le gouvernement et les séparatistes. Les acteurs internes et externes devraient saisir cette occasion pour négocier un cessez-le-feu.

Près d’un milliard de personnes dans le monde entier vont regarder 24 équipes de football s'affronter dans le cadre de la Coupe d'Afrique des Nations, qui débute le 9 janvier et se termine le 6 février au Cameroun. Les matchs se dérouleront dans des stades à travers tout le pays, dont huit à Limbe et Buea, villes de la région anglophone du Sud-Ouest. Ces matchs mettront un coup de projecteur sur le conflit armé entre le gouvernement et les séparatistes anglophones. Les milices anglophones ont annoncé leur intention de perturber la compétition, afin de faire valoir leurs revendications. Le gouvernement a réagi en imposant de sévères restrictions aux déplacements et aux associations dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Mais les deux parties s’obstinent à poursuivre une stratégie qui ne peut que mutuellement leur nuire. Les attaques des séparatistes pendant le mois que durera le tournoi risquent d’entamer le capital de sympathie dont jouissent les Camerounais anglophones en Afrique et ailleurs, et les mesures draconiennes du gouvernement pourraient provoquer une réaction populaire et une escalade du conflit. Les parties devraient mettre en place une approche radicalement différente : cesser les hostilités pendant toute la durée de la Coupe. Avec un soutien diplomatique extérieur, une telle trêve pourrait constituer la première étape du rétablissement de la confiance et de l’ouverture de négociations entre les autorités et les dirigeants séparatistes après des années d’effusion de sang.

Même sans les menaces des milices anglophones, garantir la sécurité de ce tournoi international très médiatisé posera des défis majeurs au Cameroun. Neuf des dix régions du pays sont plongées dans une profonde crise humanitaire sur fond de violents conflits. Les insurrections jihadistes et les conflits intercommunautaires entre éleveurs et pêcheurs, alimentés par les changements climatiques, ont déstabilisé le nord du pays, tandis que les rebelles de la République centrafricaine ont pénétré sur le territoire national à l'est, créant de l’instabilité dans la zone frontalière. La situation politique du pays est également tendue. Au début du mois de décembre 2021, Maurice Kamto, un chef de file de l’opposition francophone et ancien candidat à la présidence, a menacé d'organiser des manifestations contre les restrictions des droits civiques, qui risqueraient de perturber la Coupe d’Afrique. Un tribunal militaire a depuis condamné au moins cinq hauts responsables du parti de Kamto à des peines de sept ans de prison pour avoir organisé des manifestations contre le président, Paul Biya, en septembre 2020. Enfin, les organisateurs du tournoi devront surveiller de très près la résurgence actuelle de la pandémie de Covid-19, avec le risque de devoir reporter ou annuler des matchs pour endiguer sa propagation.

Néanmoins, c’est le conflit dans les régions anglophones qui constitue le principal problème de sécurité. Les troubles ont commencé en octobre 2016, lorsque des avocats et des enseignants ont organisé des manifestations appelant à la mise en place d’une fédération à deux Etats pour préserver les systèmes juridiques et éducatifs anglophones. Celles-ci ont dégénéré en une crise politique. Un an plus tard, la violente répression du gouvernement a débouché sur un conflit armé, les anglophones ayant créé des milices séparatistes et s'étant engagés à rendre leurs régions ingouvernables. Au cours de ce conflit, des écoles ont été fermées, des villages incendiés, et la situation des droits humains s’est détériorée dans un contexte où les exécutions extrajudiciaires, les enlèvements contre rançon et les violences sexuelles se sont multipliés. Les combats ont tué plus de 6 000 personnes et en ont déplacé environ un million d'autres, provoquant l'une des crises humanitaires les moins médiatisées au monde.

Crisis Group a plaidé à plusieurs reprises en faveur de pourparlers entre le gouvernement et les séparatistes.

Crisis Group a plaidé à plusieurs reprises en faveur de pourparlers entre le gouvernement et les séparatistes qui pourraient déboucher sur une solution politique au conflit. Mais jusqu’à présent, le gouvernement s’est montré peu enclin à négocier de bonne foi. Il a ignoré une initiative de dialogue conduite en 2019 par la Suisse, qui avait rassemblé une douzaine de groupes séparatistes appelant à des pourparlers, et a choisi d’organiser son propre dialogue national en octobre de la même année. Cet effort n’ayant pas inclus la participation des séparatistes, il était pratiquement voué à l’échec. En guise de geste de conciliation, le gouvernement a ensuite établi unilatéralement un statut spécial pour les régions, en vertu duquel il a créé deux assemblées régionales aux pouvoirs limités. Cette mesure n’était pas à la hauteur des exigences des anglophones et, comme on pouvait s’y attendre, elle n’a pas permis de calmer le conflit.

Le conflit anglophone s’est intensifié en 2021. Les milices séparatistes ont continué de faire campagne dans ce qu’elles appellent l’Ambazonie, le territoire connu sous le nom de Cameroun méridional britannique à l'époque coloniale et désormais désigné par l’Etat comme les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Les forces de sécurité nationales n’ont pas réussi à maîtriser les milices malgré d'importants déploiements. En septembre, dans la ville de Ndop, dans le Nord-Ouest, les combattants séparatistes ont lancé une offensive coordonnée, tuant une quinzaine de soldats et détruisant deux véhicules blindés. L’armée a ensuite intensifié ses opérations et tué plusieurs rebelles, mais les commandants séparatistes les plus influents restent en liberté. Les séparatistes pensent qu’ils gagnent du terrain malgré les divisions internes. Le gouvernement, quant à lui, se prépare à une longue guerre, et se dote de nouveaux équipements militaires. Aucune des deux parties ne prenant clairement l’ascendant et toutes deux étant réticentes à engager des pourparlers, le conflit est dans l'impasse et la communauté internationale n’y prête guère attention.

Bien qu’il ne soit pas conforme au modus operandi des séparatistes d’attaquer les lieux où se déroulent des matchs, la violence pourrait prendre d’autres formes pendant la durée du tournoi. Depuis 2018, les milices séparatistes ont souvent cherché à perturber les événements sportifs dans les régions anglophones. En janvier 2021, pendant un autre tournoi de football, le Championnat d'Afrique des Nations, des miliciens ont fait détoner une bombe à Limbe, blessant trois policiers. Le 21 décembre, alors que le président Biya rencontrait Patrick Motsepe, président de la Confédération africaine de football, à Yaoundé, la capitale, des combattants séparatistes ont attaqué un poste de contrôle de police à Kumba, dans le Sud-Ouest. Cet incident aurait causé la mort d’un officier. Toujours en décembre, des affrontements entre des milices séparatistes et les forces gouvernementales ont touché Bamenda, la troisième ville du Cameroun. Quand il a fait le tour de la ville le 16 décembre, l’homme déguisé en Mola, le lion mascotte de la Coupe d'Afrique, portait un gilet pare-balles et était entouré d’une escorte militaire lourdement armée.

Le tournoi est un moment propice à la recherche d'une trêve.

Malgré les difficultés, le tournoi est un moment propice à la recherche d'une trêve, qui permettrait aux parties de s’engager à cesser les hostilités au moins pendant la durée de la Coupe et peut-être même de jeter les bases d’un nouvel effort de rétablissement de la paix. Les délais sont courts et il n’y a pas de communication officielle entre les parties au conflit, il sera donc essentiel que les responsables nationaux et internationaux donnent une impulsion diplomatique majeure dans les jours à venir. Les acteurs internationaux qui ont discrètement fait pression sur le président Biya pour qu’il engage de nouveaux pourparlers devraient presser le gouvernement de réactiver les canaux directs qu’il a développés en 2020 avec les dirigeants séparatistes influents en prison. Ils pourraient peut-être insister sur l’intérêt majeur pour Yaoundé d’éviter tout accroc pendant le déroulement des matchs. Parallèlement, les diplomates suisses pourraient chercher à obtenir le soutien des dirigeants séparatistes vivant à l’étranger en faveur d’une trêve et à remobiliser les Nations unies, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada pour qu’ils soutiennent leur initiative de dialogue.

Les avantages d’une cessation des hostilités, même brève, seraient considérables. Outre la protection qu’elle accorderait aux joueurs, aux supporters et aux habitants, elle donnerait aux organisations humanitaires la possibilité d’acheminer davantage d’aide dans les régions anglophones qui sont actuellement difficiles d’accès parce que trop dangereuses, offrant ainsi un répit aux milliers de personnes mises en danger par les combats. Mais elle pourrait également prendre une dimension supplémentaire. Elle pourrait en effet contribuer à jeter les bases de négociations de paix indispensables et inviter le gouvernement à prendre des mesures à court terme – qu’il s’agisse de déclarations conciliantes ou de la libération des prisonniers anglophones détenus pour des crimes non violents – qui pourraient aider à amener les séparatistes à la table des négociations. Idéalement, les séparatistes pourraient également envoyer des signaux positifs en réitérant leur engagement en faveur d’une solution politique et en manifestant clairement leur volonté d’entamer des pourparlers.

Il est difficile de savoir si ces progrès sont réalisables à l’heure actuelle. Le premier test sera de voir si les responsables de Yaoundé sont disposés à tendre la main aux dirigeants séparatistes, qui devront à leur tour persuader leurs commandants les plus intransigeants de respecter un cessez-le-feu. Les acteurs extérieurs disposant de canaux de communication avec les responsables de Yaoundé, comme la Suisse, les Etats-Unis, le Canada et le Royaume-Uni, ne devraient pas perdre de temps pour les exhorter à prendre ces mesures. L'action de la Suisse sera la plus efficace pour mobiliser les dirigeants séparatistes. Le tournoi à venir offre une occasion rare de mettre en œuvre une diplomatie créative dans le cadre de cette guerre souvent délaissée. Tous ceux qui ont intérêt à ce que le conflit prenne fin devraient la saisir.

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