Briefing / Africa 3 minutes

Cameroun : mieux vaut prévenir que guérir

La stabilité apparente du Cameroun dissimule une multitude tensions internes et externes qui menacent le futur du pays. Sans un changement social et politique, un Cameroun fragilisé pourrait devenir un autre foyer d’instabilité dans la région.

Synthèse

L’apparente stabilité du Cameroun et les récentes améliorations institutionnelles ne dissimulent plus sa vulnérabilité. Alors que le régime du président Paul Biya a verrouillé le jeu électoral et consolidé son emprise, la vie politique est anémiée, le mécontentement social se généralise et de nouvelles menaces sécuritaires émergent. La combinaison des menaces externes (Boko Haram et la crise centrafricaine) et de l’in­satisfaction interne constitue un cocktail déstabilisateur. Paradoxalement, la force du régime ne réside pas dans le parti au pouvoir ou les services de sécurité, mais dans le fait que la plupart des Camerounais pensent que ce régime est un moindre mal. Pour minimiser le risque de crise violente avant la prochaine élection en 2018, le pouvoir et l’opposition doivent renouer le dialogue et s’accorder sur une profonde réforme politique et institutionnelle.

La question pour tous les observateurs de la vie politique camerounaise, qu’ils soient camerounais ou étrangers, est toujours la même : celle de la transition politique post-Biya et de la stabilité du pays. Après 32 années de présidence, Paul Biya, âgé de 81 ans et réélu en 2011 pour sept ans, ne semble pas prêt à renoncer au pouvoir en 2018. L’International Crisis Group soulignait déjà en 2010 les fragilités dissimulées par le statu quo non violent et les dangers d’une trop grande fracture entre le régime et la société. Depuis lors, les fragilités se sont accentuées.

Malgré des améliorations institutionnelles demandées de longue date par l’op­po­sition et la société civile (nouveau code électoral et création du Sénat), le parti présidentiel, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), exerce toujours une domination outrancière du champ politique. Sur fond d’allégations de fraudes électorales, les scrutins de 2011 et 2013 ont réduit l’opposition à un rôle de figurant au parlement, dans les villes et communes, et signifié l’improbabilité d’une alternance par les urnes.

Malgré la prolifération des médias et des associations, la société civile a perdu l’in­fluence qu’elle avait durant les années 1990. Une partie est sous l’influence du régime, l’autre sous la perfusion des financements étrangers. A cause de la corruption, du chômage et de la pauvreté, le secteur des organisations non gouvernementales (ONG) et des associations est devenu un véritable marché, avec comme conséquence une faible influence sur les politiques publiques.

Par ailleurs, certains des piliers du régime se fissurent. Le RDPC est travaillé par des tensions internes tandis que les forces de sécurité apparaissent divisées et sous forte pression. Leur mise à l’épreuve par les menaces extérieures que sont Boko Haram, qui a étendu ses activités à l’extrême Nord du Cameroun, et la crise centrafricaine, pourrait accentuer la fragilité de l’appareil de sécurité et amplifier le mécontentement interne.

La conjonction d’une pression sécuritaire externe et d’un blocage social et politique interne est un cocktail explosif en cas de transition imprévue. Comme l’ont démontré les scrutins de 2011 et 2013, ni l’opposition ni la société civile ne sont en mesure de canaliser un mécontentement social qui s’approfondit sur fond de fracture générationnelle et laisse augurer des luttes sociales violentes, marquées par l’irruption des cadets sociaux. La population majoritairement jeune (l’âge moyen de la population est de dix-neuf ans) et souvent sans emploi perçoit l’élite dirigeante vieillissante comme le principal facteur de blocage du pays.

Les recommandations du précédent rapport de Crisis Group (transparence du processus électoral, mise en place des institutions prévues par la Constitution et réforme de la lutte contre la corruption) demeurent valides. Elles doivent être complétées par un accord de gestion de la transition post-Biya entre les tenants du régime, l’opposition et la société civile, garanti par un témoin international (l’Union africaine) et qui prévoit :

  • la création d’un cadre de dialogue entre le pouvoir et l’opposition pour négocier et adopter les réformes institutionnelles ;
     
  • le rajeunissement de la classe politique camerounaise, notamment par l’instau­ration de quotas d’âge dans les instances dirigeantes des partis politiques ;
     
  • la promesse du président Biya de ne pas se représenter en 2018 en échange d’une absence de poursuites (hors crimes relevant du statut de Rome) et du maintien de ses avoirs ;
     
  • l’organisation de primaires dans les partis politiques camerounais, y compris au sein du parti au pouvoir, avant 2018 ;
     
  • la réorganisation des modes de désignation des membres de la Cour suprême, du Conseil constitutionnel et de l’instance chargée de l’organisation des élections pour garantir l’indépendance de ces organismes ; et

la réduction du mécontentement au sein des forces de défense par l’octroi des mêmes équipements, salaires et avantages financiers aux unités d’élite et aux unités de l’armée régulière déployées à l’extrême Nord, et par leur rotation régulière.

Nairobi/Bruxelles, 4 septembre 2014

I. Overview

Cameroon’s apparent stability and recent government reforms can no longer hide its vulnerabilities. While the government of President Paul Biya has manipulated the electoral system to his advantage, options for effective political expression by the opposition are minimal, social discontent is widespread and new security threats are emerging. The combination of external pressures (Boko Haram and the Central African Republic crisis) and long lasting internal social and political deadlock is a destabilising mix. Yet, ironically, for the moment, it is the principal source of support for the current regime; for the majority of Cameroonians, a preference for the devil they know – rather than any intrinsic appeal of the ruling party – is what seems to ensure a semblance of stability. To reduce the risk of violent crisis ahead of the next election in 2018, the government and opposition should set up a framework for dialogue and agree on a package of meaningful political and institutional reforms.

The key question for both local and foreign observers of Cameroon is always the same: how will the transition to a post-Biya political landscape play itself out? After 32 years as president, 81-year-old Paul Biya, reelected in 2011 for seven more years at the helm, does not seem ready to leave office in 2018. In 2010, the International Crisis Group outlined the weaknesses of Cameroon’s non-violent status quo and the dangerous consequences of a growing rift between the regime and society at large. Since then, vulnerabilities have deepened.

Despite accepting demands by opposition and civil society for some institutional reforms (new electoral code, creation of the Senate), the governing Cameroon People’s Democratic Movement (CPDM) party still dominates the political scene. Amid claims of electoral fraud, the outcome of the 2011 and 2013 elections resulted in only a residual role in parliament, towns and cities for opposition parties, reinforcing the notion that a change of power through the ballot box was improbable under the current dispensation.

Despite the proliferation of media and non-governmental organisations (NGOs), civil society has lost the influence it had during the 1990s. Some local NGOs are under the sway of the regime while others are dependent on financial foreign assistance. Due to corruption, unemployment, and poverty, much of the NGO sector has turned into a market and consequently civil society’s influence on public policies is limited.

In addition, some pillars of the regime are cracking. Internal tensions are deepening in the CPDM while security forces are divided and under pressure. The expansion of attacks by Nigeria’s extremist Islamist group Boko Haram into northern Cameroon and the spillover of the Central African Republic crisis into eastern Cameroon are increasing the fragility of the security apparatus and may feed internal discontent.

The mix of external security challenges with political and social stagnation could prove potentially dangerous if there is an unmanaged transition. As shown by the 2011 and 2013 elections, neither the opposition nor civil society can serve as vehicles for social and political change in a context of a widening generation gap and massive youth unemployment. The bulk of the Cameroonian population is young (the average age is nineteen), often jobless, and views the ageing elite as the main cause of stagnation.

Crisis Group’s previous recommendations on the transparency of the electoral process, institutional reforms and the fight against corruption are still relevant and should form the thrust of an agreement on a post-Biya transition signed between the regime, opposition and civil society and guaranteed by an international witness (the African Union). This agreement should include:

  • creating a dialogue framework between the opposition and the ruling party to negotiate and agree on institutional reforms;
     
  • injecting new blood into the leadership structures of political parties through the implementation of age quotas;
     
  • President Biya’s promise not to contest the 2018 presidential election in exchange for a guarantee that no legal actions (excluding crimes under the Rome Statute) will be undertaken against him and that he can retain his assets;
     
  • organising primaries in all political parties, including the ruling party, before 2018;
     
  • changing the appointment mechanisms for the members of the Supreme Court, the Constitutional Council and the electoral commission in order to improve their independence; and,

reducing discontent within the army by providing the same equipment, wage and financial benefits to the special and regular military units and rotating troops in the Far North.

Nairobi/Brussels, 4 September 2014

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