Cameroun: Le pays aura-t-il son Dadis ?
Cameroun: Le pays aura-t-il son Dadis ?
Cameroon’s Anglophone conflict: Children should be able to return to school
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Op-Ed / Africa 4 minutes

Cameroun: Le pays aura-t-il son Dadis ?

En Guinée, la période trouble sous la domination de la junte ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir – si tout va bien. Le capitaine Dadis Camara, qui a été acclamé lors de son arrivée à la tête de l’Etat suite à la mort du président Conté, a fait de 2009 une année que les Guinéens veulent oublier, son évènement le plus marquant ayant été le massacre de 160 personnes dans le stade national en septembre 2009. Les Guinéens, et le reste du monde, espèrent ardemment que cette page de l’histoire du pays est définitivement tournée. C’est tout autant à un retour à la raison qu’à la chance que l’on doit cette évolution de la situation. Si Dadis Camara avait pu se maintenir au pouvoir, les choses auraient pu s’aggraver davantage.

Cette bonne nouvelle pour la Guinée ne doit pas faire baisser notre vigilance: les conditions qui ont permis à Dadis Camara de prendre le pouvoir se retrouvent ailleurs sur le continent. La récente vague de coups d’Etat militaires n’est peut être pas terminée. Le Cameroun fait partie des pays où bien des éléments permettant une telle éventualité de prise de pouvoir par la force sont réunis aujourd’hui.

Au Cameroun, on peut identifier trois problèmes: celui de la gouvernance, celui du respect des lois et celui de l’armée. Sur le front de la gouvernance, le Cameroun est l’un des Etats les plus centralisés du monde. Toutes les ressources publiques, que ce soit en termes de moyens financiers ou d’emplois, proviennent du noyau central du pouvoir, et pour la plupart du bureau du président Paul Biya. Non seulement le manque de contrôle qui en résulte encourage la corruption, mais le système fait aussi que le pouvoir suprême est extrêmement convoité. Les laissés-pour-compte ne peuvent se nourrir que de miettes. Depuis des années, le Cameroun fonctionne sur cette base de redistribution des restes. Mais si le président actuel meurt ou se trouve en incapacité de gouverner, il y aura une lutte acharnée pour s’emparer de sa place. La nature des enjeux est, donc, un facteur de conflit.

Les autocrates ont tendance à laisser le chaos derrière eux. Ils laissent ainsi souvent prospérer un flou légal et constitutionnel. Quand le président Conté est décédé en décembre 2008, le manque de confiance populaire en la Constitution a fait que son successeur constitutionnel, le président de l’Assemblée nationale, n’a bénéficié d’aucun soutien. Il n’a pas pu prendre ses fonctions, l’argument étant que le parlement aurait dû être renouvelé l’année précédente par des élections.

Au Cameroun, le président de l’Assemblée nationale est aussi le successeur constitutionnel du président. Sauf si vous lisez la nouvelle Constitution, adoptée au forceps en 1996. Selon elle, c’est le président du Sénat qui est le successeur constitutionnel. Or le Sénat n’existe pas. Tout en attendant que la nouvelle Loi fondamentale soit promulguée, le pays fonctionne selon une disposition de la Constitution de 1996 stipulant que le précédent texte peut toujours être appliqué. Vous êtes perdus ?

Les Camerounais le sont aussi, ce qui est clairement l’objectif du président Biya. La démocratie étant dans une impasse à cause de ses propres manipulations, et les chances pour un changement politique par les urnes étant très faibles, la question de savoir ce qui se passerait si le président venait à mourir au pouvoir est d’une importance capitale pour le pays mais aussi pour la région. Il ne faudrait pas que des considérations diplomatiques, non partagées par les Camerounais qui sont conscients du danger de la situation, empêchent les partenaires internationaux du Cameroun de soulever ce point essentiel.

Le flou constitutionnel qui prévaut peut évidemment encourager l’armée à intervenir. En Guinée, la hiérarchie militaire n’avait quasiment plus d’autorité à la mort de Conté, laissant la voie libre pour un coup d’Etat perpétré par un jeune officier.

Une intervention militaire n’est pas inéluctable au Cameroun, où les élites pourraient éviter que la situation ne se délite si elles trouvaient un consensus. Mais le risque existe. Même si elle est en meilleur état que celle de la Guinée, l’armée du Cameroun a de sérieux problèmes. En plus de la classique garde présidentielle pléthorique, des unités spéciales ont été créées pour faire face à des problèmes aux frontières et combattre le grand banditisme. Elles apparaissent relativement compétentes, mais leurs relations avec le reste de l’armée, qui ne jouit pas de leur niveau de formation et de rémunération, sont tendues.

Le respect pour le commandement est entamé par un problème de génération. Les généraux ne prenant jamais leur retraite, des officiers plus jeunes voient leur promotion bloquée. Lors du dernier changement de président au Cameroun, au début des années 1980, il y avait un seul général et il était très respecté. Il a par conséquent été capable de maintenir la cohésion de l’armée, malgré au moins une tentative de coup d’Etat. Aujourd’hui, il y a 21 généraux, dont certains ont plus de 70 ans. Leur autorité sur les troupes, et leur capacité à s’entendre entre eux, pourraient bien faire défaut.

Fondamentalement le pays est en proie à un manque criant d’espérance. Au début des années 1990, les Camerounais ont investi un espoir considérable dans leur démocratie naissante. Cet espoir a été presque complètement anéanti par deux décennies de recul démocratique effectué par le régime. Cette restauration de l’autoritarisme est étroitement associée dans l’esprit des Camerounais à la persistance de la pauvreté et à l’augmentation des inégalités. Si une version camerounaise de Dadis Camara arrivait un jour au pouvoir avec la promesse de balayer la maison, serait-on surpris s’il bénéficiait d’un soutien populaire ? Le seul moyen pour éviter un tel scénario est de permettre aux Camerounais d’espérer à nouveau, en instaurant un climat plus démocratique dans lequel la voix des citoyens sera entendue et leurs choix seront respectés. Alors que s’approche l’élection présidentielle prévue l’année prochaine, les défis et les enjeux sont clairs.


 

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