L’initiative canadienne offre une nouvelle opportunité pour le processus de paix au Cameroun
L’initiative canadienne offre une nouvelle opportunité pour le processus de paix au Cameroun
 Soldiers from the Rapid Intervention Battalion (BIR) secure a ceremony honouring four soldiers killed in the violence that erupted in the Northwest and Southwest Regions of Cameroon, where most of the country's English-speaking minority live, on November 17, 2017 in Bamenda. Four soldiers were killed this month in less than a week, in attacks attributed to secessionist "terrorists."
Soldiers from the Rapid Intervention Battalion (BIR) secure a ceremony honouring four soldiers killed in the violence that erupted in the Northwest and Southwest Regions of Cameroon, on November 17, 2017 in Bamenda. STRINGER / AFP
Statement / Africa 5 minutes

L’initiative canadienne offre une nouvelle opportunité pour le processus de paix au Cameroun

Les consultations préalables entre le gouvernement camerounais et les séparatistes anglophones, encouragées par le Canada, ont ouvert la porte à un processus de paix qui n’a que trop tardé, mais Yaoundé rechigne. Le gouvernement devrait accepter ces pourparlers, tandis que les acteurs intérieurs et extérieurs devraient peser de tout leur poids pour faire aboutir cette initiative.

Ayant coopéré aux efforts déployés pour amener le gouvernement et les séparatistes anglophones du Cameroun à entamer des pourparlers de paix officiels, Yaoundé devrait maintenant s’engager à y participer. Le 20 janvier, la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly, a annoncé que les deux parties avaient accepté d’entamer des négociations de paix. Cette annonce a suscité l’espoir de parvenir à mettre fin au conflit qui fait rage depuis sept ans dans les deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun, un pays majoritairement francophone. Pendant des mois, Ottawa a mené des « discussions préalables » secrètes qui ont apparemment permis aux deux parties de surmonter les principaux obstacles à l’ouverture d’un dialogue formel. Peu après les commentaires de Mélanie Joly, les principaux dirigeants anglophones ont publié une déclaration commune confirmant leur engagement à participer aux négociations facilitées par le Canada. Mais trois jours plus tard, le gouvernement camerounais a balayé d’un revers de main les efforts du Canada et déclaré qu’il n’avait demandé « à aucun pays étranger » de jouer le rôle de médiateur dans la résolution du conflit. Ce démenti a révélé de profondes divisions entre les hauts responsables camerounais et a créé la surprise, car Yaoundé s’était engagé dans les discussions préalables organisées par le Canada. Bien que ce rejet de dernière minute, après des mois de travail minutieux, ait porté un coup aux efforts de paix, le gouvernement peut encore, et devrait, rectifier le tir et remettre les pourparlers sur les rails.

Le désaveu brutal par Yaoundé de l’initiative canadienne plonge les pourparlers dans l’incertitude et risque de perpétuer, voire d’aggraver, le conflit. Les milices séparatistes ont immédiatement répondu à la déclaration du gouvernement par une nouvelle campagne de violence dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, érigeant des barrages routiers et tirant au lance-roquette sur les convois de l’armée. Leurs chefs ont commencé à discuter de la possibilité de placer les milices sous un commandement unique ou d’organiser des opérations conjointes contre les forces de sécurité sous la bannière d’un front militaire uni du Sud-Cameroun. A Yaoundé, pendant ce temps, le ministère de la Défense a lancé une campagne de recrutement de près de 9 500 nouveaux soldats. Les forces spéciales ont intensifié leurs patrouilles dans les régions anglophones et ont attaqué des positions séparatistes.

Après sept ans d’affrontements dans les régions anglophones, l’éventualité que les parties pourraient ne pas saisir une occasion de mettre un terme aux hostilités est déconcertante. Les troubles dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ont commencé en octobre 2016, lorsque des avocats et des enseignants ont organisé des manifestations appelant à la création d’une fédération à deux Etats pour préserver les systèmes juridiques et éducatifs anglophones, qu’ils estimaient être menacés par le gouvernement central dirigé par les francophones. La réponse musclée de l’armée aux appels pacifiques à une plus grande autonomie a incité les anglophones à former des milices ; le conflit armé a éclaté l’année suivante. Depuis 2017, les combats ont fait plus de 6 000 morts dans les régions anglophones et déplacé près de 800 000 personnes. Les femmes et les enfants représentent 60 pour cent de la population déplacée et ils sont confrontés à des risques spécifiques, notamment aux violences sexistes et à la traite des enfants. Des estimations récentes indiquent que le conflit avait perturbé l’éducation de plus de 700 000 enfants.

Yaoundé s’est jusqu’à présent montré réticente à envisager un règlement politique avec les séparatistes.

Yaoundé s’est jusqu’à présent montré réticente à envisager un règlement politique avec les séparatistes. Les initiatives de paix précédentes ont échoué. En janvier 2017, le gouvernement a suspendu les négociations avec les chefs de file de la société civile anglophone dans la ville de Bamenda, dans le Nord-Ouest, avant de les arrêter, déclenchant des appels massifs des anglophones à la sécession des deux régions. En 2019, le président Paul Biya a ignoré une offre suisse visant à faciliter les pourparlers et a préféré organiser ce qui était présenté comme une conférence nationale, mais sans inviter les dirigeants séparatistes les plus influents. En avril 2020, des responsables camerounais ont entamé des pourparlers avec des dirigeants séparatistes emprisonnés, avant de les annuler soudainement après une deuxième rencontre en juillet de la même année. En octobre 2022, le gouvernement a rejeté à nouveau les efforts de la Suisse pour faire avancer son initiative, mais il a entamé des prises de contact discrètes avec des dirigeants anglophones de la diaspora. Cette fois-ci, la discrétion des séparatistes et leur engagement clair à trouver une solution ont persuadé certains hauts responsables à Yaoundé de participer aux discussions préalables, facilitées par Ottawa. Les observateurs en ont déduit que le gouvernement était prêt à passer à l’étape suivante et à s’engager pleinement dans des pourparlers officiels.

C’est ce qu’il devrait faire. Le président Biya, en s’engageant dans l’initiative de paix facilitée par le Canada, pourrait changer la perception selon laquelle il n’est pas vraiment intéressé par une solution politique. Son engagement pourrait également éviter une nouvelle escalade du conflit et contribuer à stabiliser le pays avant des élections qui risquent d’être tendues. Les scrutins présidentiel, législatifs et locaux prévus pour 2025 alimentent déjà des tensions politiques et ethniques qui tendent à refaire surface lors des scrutins. Les responsables politiques appartenant aux différentes factions rivales se positionnent pour succéder à Biya, qui a été président pendant 40 ans et qui aura 90 ans en février. Le Cameroun n’a pas vécu un seul transfert démocratique du pouvoir depuis son indépendance en 1960 et a un lourd passé de scrutins contestés, ce qui rend les élections de 2025 très incertaines. Entre autres motifs d’inquiétude, les milices séparatistes ont forcé de nombreux anglophones à boycotter les votes en 2018 et 2020.

Si les négociations officielles se poursuivaient, elles pourraient bénéficier de l’excellent travail réalisé pendant la phase de consultations préalables. Celles-ci ont donné la priorité à la mise en place de mesures visant à instaurer un climat de confiance, telles que la cessation des hostilités, la garantie du droit à l’éducation et la libération de prisonniers. Un accord sur tout ou partie de ces mesures, lors de la prochaine phase de dialogue, pourrait soulager les souffrances de millions de Camerounais. Ces résultats serviraient alors de base à des pourparlers portant sur des questions qui seront au cœur de tout accord, telles que la reconfiguration politique consensuelle des régions anglophones ; la mise en place d’une réforme du secteur de la sécurité et d’un nouveau programme de désarmement ; la création de mécanismes de justice transitionnelle ; et l’amorce d’une reconstruction économique.

L’initiative accompagnée par le Canada s’est déjà avérée très fructueuse.

L’initiative accompagnée par le Canada s’est déjà avérée très fructueuse. Les chefs religieux anglophones (catholiques, presbytériens, baptistes, musulmans et anglicans), ainsi que la société civile et les groupes de femmes, sont plus favorables aux futurs pourparlers initiés par le Canada qu’aux initiatives précédentes. Plus important encore, la facilitation a également persuadé les mouvements séparatistes rivaux de former un bloc organisé. Le Canada s’est appuyé sur les efforts des facilitateurs suisses pour réussir à rassembler quatre grands groupes séparatistes, un cinquième ayant annoncé son engagement dans le processus de paix après la déclaration de Mélanie Joly. Les groupes séparatistes semblaient jusque-là trop divisés pour parvenir à un consensus. Cette fois-ci, leur unité offre au gouvernement camerounais un partenaire clair dans les négociations.

Les principaux interlocuteurs extérieurs – notamment l’Allemagne, les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Suisse, le Vatican et des organisations multilatérales telles que l’ONU, l’Union africaine et l’Union européenne – devraient exhorter le Cameroun à ne pas laisser passer cette occasion. Ils devraient insister sur les avantages qu’un engagement dans des pourparlers formels apporterait à Yaoundé sur les fronts sécuritaire, humanitaire et diplomatique. Si la situation parvient à se débloquer, le Canada devrait organiser une discussion avec toutes les parties camerounaises intéressées afin qu’elles se mettent d’accord sur un cadre de négociation répondant à leurs préoccupations relatives au calendrier des futurs pourparlers.

Pour assurer le succès des pourparlers, Ottawa devrait demander au gouvernement camerounais de s’engager publiquement à poursuivre le processus et clarifier les idées reçues de certaines parties camerounaises selon lesquelles le Canada chercherait à endosser un rôle plus important que celui de facilitateur ou à orienter les pourparlers dans un sens particulier. Le gouvernement camerounais et les mouvements séparatistes devraient travailler, de leur côté, en étroite collaboration avec les chefs religieux, les groupes de femmes, les organisations de la société civile et les responsables politiques pour assurer un soutien national aux pourparlers, comme l’a proposé Yaoundé dans sa déclaration du 23 janvier. Les parties extérieures devraient suivre de très près les progrès réalisés et apporter un soutien constant. La France devrait utiliser ses relations étroites avec le Cameroun pour faire pression en faveur d’une dynamique positive.

Il n’a pas été facile de parvenir à un règlement durable. Les relations tumultueuses entre les anglophones du Cameroun et le gouvernement central sont marquées par des années de frustration, de méfiance et, depuis 2017, de violences meurtrières. Il faudra du temps, des efforts et de la bonne volonté pour mettre à plat et régler les différends entre les deux parties. Le processus facilité par le Canada représente une occasion cruciale d’entamer ce travail qui n’a que trop tardé. Tous ceux qui ont à cœur d’arriver à une résolution pacifique du conflit anglophone devraient faire tout ce qui est en leur pouvoir pour s’assurer que cette occasion ne soit pas gâchée.

Subscribe to Crisis Group’s Email Updates

Receive the best source of conflict analysis right in your inbox.