Faire bouger les lignes au Cameroun
Faire bouger les lignes au Cameroun
Crisis Group's Central Africa Senior Analyst Hans De Marie Heungoup travels toward a refugee camp of Ngaoui in Adamaoua region, Cameroon in September 2014. CRISISGROUP/Hans De Marie Heungoup
Impact Note / Africa 6 minutes

Faire bouger les lignes au Cameroun

Les recherches de Crisis Group au Cameroun ont mis en lumière des risques sous-estimés plusieurs années avant que n’éclatent l’insurrection de Boko Haram dans l’Extrême-Nord et la révolte séparatiste dans les régions anglophones.

L’histoire de Crisis Group au Cameroun a commencé en 2009, lorsque nous avons entrepris de consulter un large éventail de citoyens, qu’ils soient enseignants ou militants, sur les dangers émergents dans leur pays. Nos deux premiers rapports, publiés en mai et juin 2010, visaient à attirer l’attention des diplomates sur l’aggravation des problèmes de gouvernance, d’hypercentralisation du pouvoir politique et d’insécurité. A cette époque, nous étions encore bien seuls à parler de ces sujets. « Nos rapports suscitaient l’admiration mais restaient généralement lettre morte, se souvient Richard Moncrieff, notre expert et actuel directeur du projet Afrique centrale. C’est un problème classique dans le domaine de l’alerte précoce ».

En 2013, Crisis Group a engagé Hans De Marie Heungoup pour travailler sur le Cameroun à temps plein. Jeune diplômé camerounais, fort de plusieurs années d’expérience dans la recherche et d’une solide expertise en matière de prévention des conflits, il est rapidement arrivé à la conclusion que le groupe jihadiste Boko Haram représentait une menace importante dans l’Extrême-Nord. « En raison de la façon dont le Cameroun est gouverné, il était clair que la lutte contre l'insurrection allait poser problème », explique Heungoup.

Hans De Marie Heungoup dans la région de l'Adamaoua au Cameroun, Septembre 2014. CRISISGROUP/Hans De Marie Heungoup

En 2016, le carnet de voyage de Hans De Marie Heungoup sur ses trois semaines dans l’Extrême-Nord a fait découvrir au monde extérieur, avec photos et vidéos à l’appui, la réalité du conflit lié à Boko Haram. Après sa publication, le département d’Etat américain lui a demandé un compte-rendu détaillé de ses observations.

Notre rapport de novembre 2016, Cameroun : faire face à Boko Haram, a proposé une analyse inédite de l’émergence de Boko Haram dans l’Extrême-Nord du pays, de la réponse du gouvernement et des conséquences politiques et économiques de ses efforts contre-insurrectionnels. Il a suscité un vaste débat au Cameroun, où Hans et Richard se sont entretenus avec des responsables du ministère de la Défense, du ministère des Relations extérieures et avec des diplomates.

« Nous avons été la première ONG à se saisir du problème posé par Boko Haram au Cameroun et nous sommes la seule à émettre avec constance de nouvelles idées pour une approche globale visant à enrayer la violence dans l’Extrême-Nord du pays », souligne Richard Moncrieff. « Des responsables gouvernementaux disent que nous les aidons à façonner leur réponse. Une source fiable nous a confié que la présidence consacre généralement une heure à l’examen de nos rapports sur Boko Haram avec des hauts fonctionnaires des ministères de la Défense, des Relations extérieures et des Communications ».

Richard Moncrieff à l'évènement de la Watch List de juin 2016. CRISISGROUP/Julie David de Lossy
« Le travail de Crisis Group est indispensable pour comprendre le Cameroun, en particulier en ces moments difficiles pour le pays ». - Peter Henry Barlerin, ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun.

En 2017, de nouveaux rapports ont analysé les retombées économiques et humanitaires du conflit dans l’Extrême-Nord et exploré différentes options pour reconstruire la région. Les partenaires internationaux du Cameroun ont le plus souvent suivi nos recommandations, en particulier sur la démobilisation des groupes armés et le traitement des membres de Boko Haram. La Banque mondiale et plusieurs agences de développement, dont l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) et l’Agence française de développement (AFD), nous ont confié que notre analyse avait guidé leurs projets dans l’Extrême-Nord, tandis que des diplomates européens et américains s’en inspirent dans leurs échanges réguliers avec les autorités camerounaises.

Nous avons aussi influencé les responsables camerounais. Fin 2018, le gouvernement de Yaoundé a changé d’approche sur l’insurrection dans le Nord. Il a mis sur pied un comité de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) pour les anciens combattants de Boko Haram, comme nous l’avions conseillé dans notre rapport d'août 2018 intitulé Extrême-Nord du Cameroun : un nouveau chapitre dans la lutte contre Boko Haram. Selon nos sources à Yaoundé, le gouvernement a pris conscience de la nécessité de s’attaquer aux problèmes socioéconomiques et humanitaires dans les zones où Boko Haram est présent. Bien que timidement, il a commencé à prendre des mesures pour y promouvoir le développement, et envisage de créer des polices municipales locales et d’y intégrer certains comités de vigilance, comme nous l’avons recommandé.

La milice locale d'Amchidé, province de l'Extrême-Nord au Cameroun. CRISIS GROUP/Hans De Marie Heungoup
Hans de Marie Heungoup voyage avec les forces de sécurité vers Mabass dans le département du Mayo-Tsanaga, province de l'Extrême-Nord au Cameroun, Mars 2016. CRISISGROUP/Hans De Marie Heungoup

La crise dans les régions anglophones du Cameroun est également au centre des préoccupations de Crisis Group. Ce faisant, nous nous sommes parfois heurtés à une forte résistance. Les autorités camerounaises ont publiquement critiqué et même rejeté nos conclusions sur les nombreux abus des troupes gouvernementales contre les séparatistes et les civils dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, de même que nos mises en garde sur le risque d’insurrection armée.

« Votre organisation a fait un travail crucial dans l’Extrême-Nord. Mes collègues et moi avons constamment recours à votre analyse et la commentons souvent ». - Haut responsable camerounais au ministère des Relations extérieures.

Malheureusement, nos pires craintes sont devenues réalité. Nos recherches inédites et nos rapports d’alerte précoce d’août et d’octobre 2017 sur la violence dans les régions anglophones, ont été prémonitoires. Fait révélateur, ces deux publications comptent parmi les plus lues de Crisis Group depuis sa création.

Notre travail sur la crise anglophone commence à porter ses fruits, même si l’on est encore très loin d’une paix durable. Après la déclaration de Crisis Group du 21 décembre 2017 invitant le gouvernement à dialoguer avec les dirigeants anglophones sur la décentralisation et la gouvernance, le président Paul Biya a changé de cap.

Dans un discours prononcé le 31 décembre de la même année, il a promis la décentralisation. Et en 2018, il a créé un ministère de la Décentralisation, lui a alloué 90 millions de dollars et a libéré 289 détenus anglophones.

Hans de Marie Heungoup voyage avec les forces de sécurité vers Mabass dans le département du Mayo-Tsanaga, province de l'Extrême-Nord au Cameroun, Mars 2016. CRISISGROUP/Hans De Marie Heungoup

En dépit de ces progrès, l’insurrection s’est propagée et près de 1 000 activistes anglophones sont toujours derrière les barreaux. Le gouvernement refuse encore de dialoguer avec les dirigeants anglophones sur la gouvernance et les réformes institutionnelles, et n’a pas réussi à endiguer les abus commis par les forces de sécurité. En réponse, les Etats-Unis ont annoncé en janvier 2019 qu’ils diminueraient leur assistance militaire au Cameroun, une mesure que nous avions recommandée si le gouvernement poursuivait sa répression dans les régions anglophones.

Crisis Group a aussi joué un rôle de catalyseur en persuadant l’Eglise catholique de servir de médiateur dans la crise anglophone. Un groupe de hauts diplomates occidentaux à Yaoundé ont utilisé notre briefing d’avril 2018, La crise anglophone au Cameroun : comment l’Eglise catholique peut encourager le dialogue, comme point de départ de leur travail de plaidoyer auprès d’évêques catholiques, de figures fédéralistes anglophones et du gouvernement en faveur de la médiation. L’Eglise continue de jouer ce rôle.

Hans De Marie Heungoup et Tanda Teophilus, ancien boursier Giustra, avec le Cardinal Christian Tumi en mars 2018. Tumi est le seul cardinal catholique du Cameroun. CRISISGROUP/Tanda Theophilus
« Les rapports de Crisis Group au Cameroun sont les plus rigoureux. Je les recommande à tous les nouveaux diplomates. Maintenant, pourquoi les choses ne bougent-elles pas ? Faire adopter des recommandations n’est pas tâche facile ». - Haut diplomate allemand à Yaoundé.

La crédibilité personnelle de nos analystes et de nos dirigeants dans les milieux diplomatiques est cruciale pour l’impact de Crisis Group. Ils ont témoigné sur le Cameroun au Parlement britannique, lors de séminaires de l’Union européenne et à deux reprises devant le Congrès américain, et ont informé de hauts responsables de l’ONU, de l’Union africaine, de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) et du Cameroun. Selon l’ambassadeur d’un pays européen au Cameroun, « les rapports de Crisis Group ont eu un très grand impact et une très grande influence [et] sont lus par les ambassadeurs occidentaux et d’autres responsables politiques à Yaoundé ». En septembre 2017, quatre membres du Congrès américain ont cité notre rapport pour demander au secrétaire d’Etat américain de l’époque, Rex Tillerson, d'intervenir pour la libération des détenus anglophones. Le 7 décembre de la même année, dix sénateurs américains ont cité Richard Moncrieff dans leur lettre à Rex Tillerson appelant les Etats-Unis à faire pression sur le gouvernement camerounais pour résoudre le conflit anglophone et appelant à des sanctions individuelles contre les hauts responsables camerounais impliqués dans des violations des droits humains.

Hans De Marie Heungoup discute avec deux réfugiés et un chef traditionnel de la région de l'Adamaoua au Cameroun en septembre 2014. CRISISGROUP/Hans De Marie Heungoup

Les Camerounais traversent une période difficile. Alors que la guerre fait rage dans les régions anglophones et l’Extrême-Nord, la scène politique est rongée par la mauvaise foi et le débat public sur les réseaux sociaux est gangrené par la manipulation et la propagande. De nombreux Camerounais s’inquiètent de ce qu’il adviendra lorsque le président Biya quittera enfin le pouvoir.

Dans ce climat tendu, Crisis Group constitue une référence fiable dans les débats sur l’avenir du Cameroun. Grâce aux nombreuses allocutions et apparitions à la télévision de Hans de Marie Heungoup, et même à sa détention d’une semaine par les forces de sécurité, Crisis Group s’y est fait un nom. « C’est incroyable d’avoir une vision aussi claire de notre pays », confie un diplomate camerounais. « C’est comme si vous nous tendiez un miroir ».

« J’ai lu récemment un câble diplomatique sur le travail de votre analyste au Cameroun. Il souligne à quel point votre travail dans ce pays est pertinent. Je partage cette opinion et d’autres Etats membres aussi ». - Conseiller politique de l’opération Barkhane, la force française au Sahel.
Hans De Marie Heungoup avec une famille de déplacés venus de Fotokol, Kousseri, province de l'Extrême-Nord, Cameroun, en mars 2016. CRISIS GROUP/Hans De Marie Heungoup

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