Centrafrique: Sortir des sentiers battus pour sauver la Centrafrique
Centrafrique: Sortir des sentiers battus pour sauver la Centrafrique
Fixing the army is key for CAR’s stability
Fixing the army is key for CAR’s stability
Op-Ed / Africa 4 minutes

Centrafrique: Sortir des sentiers battus pour sauver la Centrafrique

L’indifférence internationale est un facteur aggravant pour les conflits dans les petits pays. Cependant, en ce qui concerne la République centrafricaine (RCA), le contexte est paradoxalement différent. La présence de la communauté internationale est conséquente dans ce pays, mais les principaux acteurs adoptent une attitude attentiste au lieu de s’engager activement dans la résolution de cette crise.

Pendant ce temps, le pays est en chute libre. Les services publics n’existent plus ; l’économie formelle non plus ; les enfants soldats ont refait leur apparition ; les journalistes ont peur de faire leur travail ; la coexistence religieuse entre chrétiens et musulmans laisse place à la violence ; une crise humanitaire s’annonce et c’est la loi du plus fort qui prévaut, y compris à l’égard des travailleurs humanitaires. Le paradoxe de cette crise est que la Centrafrique n’est pas, comme on le dit souvent, un pays abandonné par la communauté internationale. L’effondrement de la RCA se déroule sous les yeux de nombreux acteurs internationaux.

Cette semaine, en marge de l’ouverture de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, la communauté internationale devra considérer cette crise dans son ensemble : si la RCA s’effondre, c’est la stabilité déjà fragile de la région tout entière qui en pâtira.

Pour éviter le scénario du pire, les partenaires étrangers de la RCA doivent dès maintenant s’unir et user de leur imagination afin de trouver des solutions appropriées. A court terme, le défi est de restaurer un minimum de sécurité afin de permettre des élections crédibles. A long terme, il est de reconstruire le pays.

Cette crise s’inscrit dans la longue durée. Une démocratisation manquée dans les années 1990, la mauvaise gouvernance structurelle pendant les dix premières années du 21ème siècle et l’habitude de gouverner par la force ont conduit aux violences et à l’anarchie actuelles. En 2007, l’International Crisis Group avait parlé d’Etat fantôme au sujet de la RCA mais, aujourd’hui, de l’aveu même de ses nouveaux dirigeants, c’est l’existence de la RCA en tant qu’Etat qui est en jeu. Comme le reconnaît maintenant le président de la transition Michel Djotodia, les rebelles qui ont pris le pouvoir en mars 2013 sont eux même une source d’insécurité.

L’engagement international en RCA se traduit par une présence importante de troupes étrangères. En outre :

  • Les Nations unies ont installé un Bureau intégré pour la consolidation de la paix en République centrafricaine (Binuca) actif depuis 2010.
     
  • La Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) entretient une force de maintien de la paix depuis 2008.
     
  • La France, qui a eu des militaires en RCA presque sans discontinuer depuis l’indépendance, a déployé depuis le début de cette crise 400 hommes qui sécurisent l’aéroport.
     
  • Enfin, à l’Est du pays, l’armée ougandaise et des conseillers militaires américains traquent depuis 2011 (sans réel succès) le chef de l’Armée de résistance du Seigneur, Joseph Kony, qui est recherché par la Cour pénale internationale.

De manière surprenante, cette présence internationale substantielle (surtout militaire) n’a pu ni empêcher la prise de Bangui en mars ni empêcher les violences qui se déroulent depuis six mois. Le Binuca n’a été ni capable de mettre en œuvre un programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) ni de convaincre l’ancien régime de réformer le secteur de la sécurité et encore moins de consolider la paix. La CEEAC est incapable de rétablir l’ordre dans une des plus petites capitales d’Afrique et ne parvient toujours pas à trouver 600 soldats supplémentaires pour atteindre l’objectif qu’elle s’est fixée à Ndjamena au mois d’avril. Paradoxalement, tout en sécurisant l’aéroport de Bangui, la France accueille le président déchu Bozizé qui déclare préparer la contre-rébellion depuis les bords de Seine grâce à « l’aide » d’acteurs privés qui paraissent disposer d’une liberté de manœuvre quasi-totale.

Pire, la formule de sauvetage actuellement proposée va contre le bon sens. Alors qu’il était évident il y a six mois que la sécurité serait l’obstacle n°1 de la transition et que les exactions dans l’Ouest du pays et à Bangui préfigurent de plus grandes violences entre les combattants de la Seleka et les populations, la solution consensuelle est le déploiement d’une mission de l’Union africaine (UA). En théorie, cela semble une bonne idée mais, en pratique, une telle mission dépend de l’Union européenne pour son financement, des Nations unies pour sa logistique et de la CEEAC pour son acceptation politique.

Or la dynamique locale de déliquescence va bien plus vite que la « mobilisation » des organisations internationales qui est entravée par des querelles picrocholines autour du leadership et du financement de cette mission. Cette lente et maladroite réponse internationale pourrait avoir des conséquences importantes non seulement pour la RCA mais également pour la frontière orientale du Cameroun et probablement pour ses pays voisins. Les échecs passés et les violences présentes exigent des partenaires régionaux et internationaux qu’ils fassent preuve d’imagination et assurent une meilleure coordination. Une intervention internationale doit reposer sur des partenariats rapides et efficaces et une division claire des rôles où capacité rime avec responsabilité.

En attendant l’arrivée de la mission de l’UA et pour répondre à l’urgence, l’armée française qui est déjà sur place devrait restaurer la sécurité dans Bangui tandis que la force africaine devrait se charger des autres grandes villes du pays, notamment à l’Ouest.

Cette répartition des tâches entre la France et la CEEAC offrirait aux autorités de transition et aux bailleurs la pause sécuritaire qui leur est indispensable pour lancer un DDR et engager la reconstruction de l’Etat par le secteur de la sécurité. Après le lancement d’un DDR, les Nations unies, l’UE et les autorités de transition devraient immédiatement enclencher une réforme du secteur de sécurité afin de remettre au travail les anciennes forces de sécurité et éviter qu’elles ne rejoignent une contre-rébellion naissante dans l’Ouest de la Centrafrique. Le dernier rapport de Crisis Group (République centrafricaine : les urgences de la transition) détaille le possible montage politique et financier de ces opérations.

La fenêtre d’opportunité pour éviter la somalisation de la Centrafrique évoquée par le président de la République française va se refermer rapidement. La CEEAC et la France, qui ont déjà des troupes sur place, ne devraient pas la manquer.

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