Report / Africa 3 minutes

République Centrafricaine : anatomie d’un État fantôme

La République centrafricaine est pire qu’un État failli : elle est quasiment devenue un État fantôme, ayant perdu toute capacité institutionnelle significative, du moins depuis la chute de l’Empereur Bokassa en 1979.

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Synthèse

La République centrafricaine est pire qu’un État failli : elle est quasiment devenue un État fantôme, ayant perdu toute capacité institutionnelle significative, du moins depuis la chute de l’Empereur Bokassa en 1979. Le déploiement des forces de l’Union Européenne (EU) et des Nations unies (EUFOR et MINURCAT) récemment approuvé, et qui vient appuyer les efforts de l’Union africaine (UA) et de l’ONU au Darfour, peut contribuer de manière importante à aider la RCA à entamer son long et lent processus de rétablissement. Mais pour ce faire, elles devront trouver les moyens d’utiliser au mieux les capacités et l’influence de l’ancienne puissance coloniale, la France, sans servir tout simplement de couverture internationale à la perpétuation de sa domination.

La RCA est officiellement indépendante depuis presqu’un demi siècle, mais son gouvernement n’a connu un premier semblant de légitimité populaire qu’à la suite des élections libres de 1993. Très vite, le processus de démocratisation périclita alors en raison de divisions communautaires instrumentalisées entre les populations du fleuve et celles de la savane, menant finalement à la guerre civile. Suite à une succession de mutineries et de rebellions qui ont engendré une crise permanente, le gouvernement a perdu son monopole de l’usage légitime de la violence. Les troupes étrangères ont contribué à contenir la violence dans la capitale, Bangui, mais le nord du pays reste dans un état d’insécurité permanent, de dénuement et de misère.

En privatisant l’État pour leur seul bénéfice, les leaders centafricains réussissent à prospérer, tout en usant de la répression pour garantir leur impunité. Francois Bozizé a été mis au pouvoir en 2003 par la France et le Tchad et a été démocratiquement élu deux ans plus tard, mais comme son prédécesseur, Ange-Félix Patassé, il a nourri un état de rebellion permanent aux conséquences humanitaires désastreuses. Depuis l’été 2005, l’armée et plus particulièrement la Garde présidentielle – essentiellement une milice tribale – ont usé systématiquement d’une violence indiscriminée dans les bastions nord ouest de Patassé. Des centaines d’individus ont été éxécutés sommairement et des miliers de maisons ont été incendiées. Au moins 100 000 personnes ont fui dans la forêt où elles sont exposées aux intempéries.

La force de maintien de la paix de l’UE, mandatée par le Conseil de sécurité de l’ONU pour aider à sécuriser le Darfour, devrait être déployée début 2008 dans le nord est de la RCA et à l’est du Tchad. L’initiative de cette opération est venue de la France, qui a persuadé ses partenaires d’empêcher que le conflit qui ravage l’est du Soudan ne s’étende au-delà de ses frontières, en venant compléter au Tchad et en RCA les efforts de la mission hybride UA/NU au Darfour.

À l’instar du Darfour, la province centrafricaine de la Vakaga est une région géographiquement reculée, historiquement marginalisée et, par dessus tout, négligée par une administration centrale dont la seule réponse à l’agitation politique a été une réponse sécuritaire. Dans un effort d’endiguement de la crise au Darfour, la communauté internationale risque d’exonérer le régime de Bozizé de ses responsabilités et d’entretenir le cycle de l’instabilité actuel en RCA.

Le déploiement de l’UE devra assumer un lourd fardeau post-colonial. Tout comme au Tchad, la France, en tant qu’ancienne puissance coloniale, est à la fois la mieux et la moins bien placée pour intervenir en RCA : la moins bien placée en raison de son ingérence quasi permanente dans le pays depuis l’indépendance et la mieux placée parce qu’elle possède aussi bien la volonté que les moyens d’agir. Comme Paris fournira l’essentiel des troupes de l’EUFOR, cette nouvelle intervention est largement perçue comme un simple changement d’écusson et de casque qui confèrera au rôle militaire de la France en Centrafrique une plus grande légitimité internationale. L’EUFOR pourrait néanmoins contribuer de manière significative, si elle mène à bien la réforme indispensable de l’armée centrafricaine et si elle s’accompagne d’une véritable stratégie européenne à sortir la Centrafrique de sa misère politique, économique et sécuritaire.

Pour résoudre les nombreux problèmes structurels de la RCA, il est cependant essentiel que tous les acteurs s’y engagent : le gouvernement de Bangui, les mouvements rebelles, les organes régionaux africains et le Conseil de sécurité, ainsi que l’UE et la France. Il s’agit peut-être de la dernière chance dont dispose la RCA pour briser son statut d’État fantôme avant que le simulacre d’indépendance et de souveraineté actuel ne disparaisse définitivement dans le cercle vicieux des violences et de la paupérisation dont le pays est prisonier.

Ce rapport de fond est le premier sur la RCA publié par Crisis Group et pose les fondations des analyses futures qui seront centrées sur des questions spécifiques.

Nairobi/Brussels, le 13 décembre 2007

Executive Summary

The Central African Republic (CAR) is if anything worse than a failed state: it has become virtually a phantom state, lacking any meaningful institutional capacity at least since the fall of Emperor Bokassa in 1979. The recently approved European Union (EU) and UN forces (EUFOR and MINURCAT), which are to complement the African Union(AU)/UN effort in Darfur, can make an important contribution to helping the CAR begin the long, slow process of getting to its feet but to do so it must find a way to make use of the strengths of the former colonial power, France, without merely serving as international cover for Paris’s continued domination.

The CAR has been formally independent for nearly a half century but its government first gained a measure of popular legitimacy through free elections only in 1993. The democratisation process soon ran aground due to newly manipulated communal divisions between the people living along the river and those of the savannah, which plunged the country into civil war. Through a succession of mutinies and rebellions which have produced a permanent crisis, the government has lost its monopoly on the legitimate use of force. Foreign troops mostly contain the violence in the capital, Bangui, but the north is desperate and destitute, and in a state of permanent insecurity.

By privatising the state for their own benefit, the CAR’s leaders are able to prosper, while using repression to ensure impunity. François Bozizé was brought to power in 2003 by France and Chad and democratically elected two years later but, like his predecessor, Ange-Félix Patassé, he has provoked a state of permanent rebellion with disastrous humanitarian consequences. Since the summer of 2005, the army and particularly the Presidential Guard – essentially a tribal militia – have committed widespread acts of brutality in Patassé’s north west stronghold. Hundreds of civilians have been summarily executed and thousands of homes have been burned. At least 100,000 people have fled to forest hideouts, where they are exposed to the elements.

The EU peacekeeping force, mandated by the UN Security Council to assist in securing refugee camps at the border with Darfur, is to be deployed in early 2008 to north eastern CAR and eastern Chad. The initiative for this operation comes from France, which has persuaded its partners to prevent the conflict ravaging western Sudan from spilling over international borders by complementing the hybrid AU/UN mission to Darfur itself.

Like Darfur, the Vakaga province of CAR, is geographically remote, historically marginalised and, above all, neglected by a central administration whose only response to political unrest has been the imposition of military control. In their efforts to contain any spillover of political unrest from Darfur, the international community runs the risk of allowing President Bozizé’s regime to shirk its responsibilities and maintain the current cycle of instability in the CAR.

The EU deployment will carry a heavy post-colonial burden. Like in Chad, France, as the former colonial power, is at the same time the worst and best placed to intervene in CAR: the worst placed because of its almost continual past interference post-independence and the best placed because it has both the will and the means to act. Since Paris will continue to supply most of EUFOR’s muscle, the new arrangement is largely perceived as a change of badge and helmet to give the French military’s role greater international legitimacy. Nevertheless, EUFOR could make an important contribution if it carries forward a badly needed reform of the CAR military and if it is coordinated with an EU comprehensive strategy to take the country out of its current political, economic and security quagmire.

If the CAR’s many structural problems are to be solved, however, all actors will need to be committed: the government in Bangui, the rebel movements, African regional bodies and the Security Council, as well as the EU and France. It might be the last chance for the CAR to break out of its phantom status before any pretence of its independence and sovereignty disappears in the vicious circle of state failure, violence and growing poverty in which it has been trapped.

This broad background report is Crisis Group’s first on the CAR and lays the foundation for subsequent, more narrowly focused analysis of specific issues.

Nairobi/Brussels, 13 December 2007

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