Pour une mission efficace en République centrafricaine
Pour une mission efficace en République centrafricaine
Fixing the army is key for CAR’s stability
Fixing the army is key for CAR’s stability
Commentary / Africa 6 minutes

Pour une mission efficace en République centrafricaine

Incapable d’agir quand Crisis Group et d’autres organisations envoyaient des signaux d’alerte et qualifiaient la Centrafrique d’Etat fantôme, la communauté internationale doit dorénavant s’impliquer massivement, à des coûts largement supérieurs, suite aux pertes humaines considérables et aux déplacements massifs de population, et avec des chances de succès beaucoup plus faibles. Le nouveau gouvernement centrafricain (le troisième en un an) semble prometteur et la sécurité dans la capitale, Bangui, s’est très légèrement améliorée. Pour autant, jusqu’à maintenant, la réponse internationale est toujours minée par des divergences de vues, notamment entre les Nations unies et l’Union africaine. La nouvelle présidente centrafricaine, Catherine Samba-Panza, a demandé l’envoi d’une mission de maintien de la paix des Nations unies et le Tchad, un des acteurs principaux dans la région, qui s’y opposait fortement, s’est finalement déclaré en faveur d’un tel déploiement. Le Conseil de sécurité des Nations unies a soutenu le prochain déploiement d’une mission de l’Union européenne. Pourtant, pour réussir, les opérations de maintien de la paix (Union européenne et autres) doivent s’inscrire dans le cadre d’une stratégie cohérente de stabilisation, qui prenne réellement en compte les besoins de la République centrafricaine (RCA) sur le long terme.

Les affrontements : de la capitale aux provinces

Depuis la fin du mois de janvier, le conflit s’est propagé de Bangui aux provinces. Dans la capitale, les groupes d’anti-balaka ont remplacé les combattants de la Seleka et la majorité des victimes sont dorénavant musulmanes. Les crimes et les violences confessionnelles sont devenus la norme et l’esprit de revanche est omniprésent. En province, les milices règnent : une partie de l’Ouest est désormais sous la coupe des anti-balaka qui chassent les communautés musulmanes et le Nord-Est est sous contrôle des combattants de la Seleka. On assiste à un exode des musulmans qui tentent de rejoindre des terres moins hostiles, notamment au Tchad, au Cameroun et à l’Est du pays. Le risque de voir une division de facto du pays selon des clivages religieux et communautaires et de voir de nouveaux groupes armés émerger prochainement est très important.
L’arrivée au pouvoir de la nouvelle présidente et de son gouvernement est une étape positive. En effet, les ministres sont en grande partie (mais pas exclusivement) des technocrates sans lien avec les milices Seleka et anti-balaka. Ses dernières déclarations sur l’importance de lier justice et réconciliation sont également bienvenues.

Des efforts pour rétablir l’ordre public ont été réalisés à Bangui, notamment avec l’arrestation de certains anti-balaka par les troupes de maintien de la paix. Néanmoins, face à la violence collective qui prend de l’ampleur dans la capitale (samedi dernier, trois musulmans ont été lynchés), il faut renforcer les capacités de ces troupes en matière de police, notamment anti-émeute. A l’heure actuelle, l’opération française Sangaris (1 600 hommes déployés et 400 troupes supplémentaires en partance pour la RCA) et les 5 000 soldats de l’Union africaine ne possèdent pas les ressources suffisantes pour accomplir leurs missions. Des moyens de polices doivent être déployés urgemment, sans attendre le dénouement final sur la question de l’envoi de Casques bleus.
Les troupes françaises et la Misca doivent se déployer dans les villes principales des provinces avant la saison des pluies qui commence en avril. Les forces internationales doivent également faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire à l’intérieur du pays et libérer les chefs-lieux des provinces des milices afin de permettre au gouvernement de transition de rétablir son autorité et de retrouver une crédibilité à travers le pays. La Misca et les troupes françaises ont commencé à escorter les camions, dont ceux transportant l’aide humanitaire, le long du principal axe commercial routier qui relie Bangui au Cameroun. Mais une grande partie du pays demeure une zone de non-droit. Les combattants anti-balaka et Seleka continuent à prendre pour cibles des civils. Ils devraient être désarmés et bénéficier d’une offre de réinsertion plus efficace et mieux calibrée que les différents programmes de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) menés jusqu’à maintenant en RCA (pas moins de cinq différents programmes dans le passé).

Une réponse internationale incohérente

Au cours des derniers mois, l’attention s’est focalisée sur l’envoi de troupes internationales afin de mettre fin aux violences et d’éviter une catastrophe humanitaire. Mais les efforts entrepris en Centrafrique, comme ailleurs sur le continent, sont fortement affectés par les batailles bureaucratiques, les déficits capacitaires et les disputes entre partenaires internationaux du pays. La Misca manque d’hommes et de ressources ; la transformation de ses troupes en Casques bleus pourrait être compliquée par les antécédents de certaines de ses troupes en matière de droits de l’homme, leur parti pris dans le conflit et leur forte impopularité dans le pays. Dans le même temps, l’envoi d’une petite mission européenne en RCA s’est avéré long et compliqué et les querelles entre les Nations unies et l’Union africaine sur la direction de la mission de maintien de la paix en RCA a détourné l’attention du véritable enjeu : le redressement du pays.

Une partie des miliciens anti-balaka est liée à l’ancien président François Bozizé et son entourage au Cameroun et en France. Des enquêtes sur les liens entre les anti-balaka et Bozizé devraient être conduites et, en fonction des conclusions, des actions appropriées devraient être prises, notamment en matière de mise en cause pénale.

Dans le cadre de la refondation des forces de sécurité centrafricaines, il est fondamental de mettre en œuvre un vrai processus de sélection – en particulier au moment où certains anciens militaires ont décidé de rejoindre les anti-balaka pour s’en prendre aux musulmans – et d’inclure des individus venus de différentes régions et appartenant à différents groupes ethniques. Des formateurs policiers compétents devraient patrouiller au côté de la police nationale. Compte tenu de l’histoire problématique des forces de sécurité centrafricaines, leur refondation nécessite également un fort investissement des partenaires internationaux pour le renforcement de capacités à long terme. La réforme du secteur de la sécurité doit être au cœur de l’agenda, ce qui induit en premier lieu de faire un véritable inventaire des précédentes initiatives dans ce domaine et des raisons de leurs échecs.

Réconciliation locale entre communautés et plan de relance économique

Les relations entre communautés musulmanes et non musulmanes se sont détériorées très fortement, comme l’ont prouvé les derniers évènements et l’assassinat d’un membre du Conseil national de transition qui avait appelé la population à dénoncer les violentes faites aux musulmans. Les anti-balaka ont pris pour cible les quartiers musulmans avec un message d’épuration à peine voilé : à Nola et Berberati, ils ont détruit des magasins appartenant à des musulmans suite à la fuite de ces derniers.

Les troupes internationales vont devoir utiliser tous les moyens nécessaires pour mettre fin à ces attaques, mais cela peut avoir une incidence pour les soldats de maintien de la paix. Les Tchadiens, en particulier, sont considérés comme proches des combattants de la Seleka et sont accusés d’avoir été complices des exactions commises par ces derniers, ce qui devrait compliquer leur intégration dans une force onusienne.

Prendre des mesures pour rétablir la confiance entre communautés est essentiel. L’imam, l’archevêque et les représentants des autres églises à Bangui ont travaillé en étroite collaboration mais leur impact est limité à la capitale. Un dialogue interreligieux et une campagne de réconciliation devraient être menés à un niveau local à Bangui puis étendus aux provinces avec le soutien du gouvernement de transition et des partenaires internationaux. A ce stade, l’absence d’implication des politiciens dans les efforts de réconciliation est fortement regrettable.

Comme l’a déclaré la présidente Catherine Samba-Panza, le suivi des violations des droits de l’homme et la conduite d’investigations vont être très importants pour permettre une réconciliation entre les communautés. Dernièrement, un nouveau charnier a été découvert dans un ancien camp occupé par la Seleka à Bangui. Les responsables doivent être identifiés et sanctionnés.

L’économie doit également être à l’ordre du jour. Le développement est généralement un objectif de long terme mais, en RCA, il doit être au cœur des efforts des partenaires internationaux. L’effondrement du pays est le résultat de décennies de mauvaise gouvernance et de déclin avec des indicateurs socioéconomiques parmi les plus faibles du continent. La création d’emplois, notamment pour les jeunes de Bangui, est absolument vitale. Des programmes à forte intensité de main-d’œuvre devraient être lancés notamment dans le domaine de l’eau et de l’assainissement avant que la saison des pluies ne débute en avril. Le nouveau gouvernement pourrait récolter les dividendes de ces actions à court terme et cela pourrait dans le même temps contribuer à la stabilisation de Bangui et d’autres villes. Les bailleurs ne devraient pas se concentrer uniquement sur la gestion macroéconomique de la RCA mais devraient développer des projets concrets ayant un impact sur le quotidien des gens.

Pour un calendrier de sortie de crise réaliste

Des décisions majeures vont être prises dans les deux prochains mois. Le 25 février, l’Assemblée nationale française va débattre de la République centrafricaine. Quelques jours plus tard, le secrétaire général des Nations unies va présenter au Conseil de sécurité son rapport sur la RCA, qui devrait selon toute vraisemblance proposer la transformation de la Misca en une mission de maintien de la paix des Nations unies. Pendant ce temps-là, des missions d’information sont déployées à Bangui (une équipe turque arrive cette semaine et des ministres européens devraient arriver au milieu du mois de mars).

Presque une année s’est écoulée depuis le coup d’Etat de mars 2013 qui a fait sombrer la RCA dans le chaos, et le conflit s’est rapidement propagé de Bangui aux provinces. Plus inquiétant encore, ce qui était au départ un conflit essentiellement politique – résultant de la pauvreté, de la mauvaise gouvernance, de la corruption, du sous-développement et des inégalités – a pris un contour religieux qui rend la résolution de la crise beaucoup plus complexe.

C’est le troisième gouvernement en un an. Organiser des élections l’année prochaine est irréaliste et dangereux dans un pays qui a une histoire électorale difficile, dans un contexte de profondes divisions communautaires, de contrôle de territoires par les groupes armés et de déplacements massifs de population. Les acteurs régionaux et internationaux devraient se préparer à soutenir une transition plus longue et le gouvernement devrait concentrer son action sur la réconciliation, le retour de la sécurité et la reconstruction des services de l’Etat. Ce sont les fondations nécessaires pour organiser un vrai processus électoral. Dès que la situation sécuritaire le permettra, la nouvelle présidente devrait voyager dans les provinces, pour montrer que la situation du pays se normalise et pour réactiver les services de l’Etat.

Contributors

Former Senior Consultant, Central Africa
Former Senior Analyst, Chad

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