Report / Africa 3 minutes

Centrafrique : les racines de la violence

En République centrafricaine, le conflit entre groupes armés s'est progressivement doublé d'un conflit entre communautés armées. La feuille de route de sortie de crise qui prévoit des élections avant la fin de l’année 2015 ne prend pas en compte la communautarisation et la criminalisation du conflit et risque d'exacerber les tensions existantes. Dans ce contexte, les autorités de transition et leurs partenaires internationaux devraient appliquer une véritable politique de désarmement et réaffirmer l’appartenance des musulmans centrafricains à la nation.

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Synthèse

La crise centrafricaine est une crise de longue durée, émaillée de violences sporadiques sur fond de désintégration de l’Etat, d’économie de survie et de profonds clivages entre groupes socio-ethniques. Alors que les groupes armés (dont les anti-balaka et les ex-Seleka) se caractérisent par leur criminalisation et leur fragmentation, les tensions intercommunautaires ont mis à mal l’unité nationale et la fabrique sociale centrafricaine. Malheureusement, la feuille de route de la sortie de crise qui prévoit des élections avant la fin du mois de l’année 2015 n’est qu’une réponse de court terme aux défis de long terme. Pour éviter une solution qui repousse les problèmes à l’après-élection au lieu de commencer à les résoudre, les autorités de la transition et les partenaires internationaux devraient appliquer une véritable politique de désarmement et réaffirmer l’appartenance des musulmans centrafricains à la nation. Ces actions devraient précéder les élections et non succéder aux élections, au risque de faire de ces dernières un jeu à somme nulle.

De par sa géographie et son histoire, la Centrafrique est à la jonction de deux régions et de deux populations : au nord, le Sahel et les populations d’éleveurs et de commerçants à majorité musulmane et, au sud, l’Afrique centrale et les populations de la savane et du fleuve initialement animistes et maintenant majoritairement chrétiennes. La prise du pouvoir par la Seleka en mars 2013 a constitué un renversement du paradigme politique centrafricain. Pour la première fois depuis l’indépendance, une force issue des populations musulmanes du nord et de l’est du pays s’est emparée du pouvoir. L’affrontement qui a suivi entre Seleka et anti-balaka a engendré de fortes tensions communautaires exacerbées par l’instrumentalisation de la religion, des fractures de la société centrafricaine et des peurs collectives ravivant la mémoire traumatique des razzias esclavagistes de l’époque pré-coloniale.

Ces tensions communautaires qui ont abouti à des tueries et au départ des musulmans de l’ouest du pays sont particulièrement vives au centre sur la ligne de front entre les groupes armés. Ainsi, le conflit entre ex-Seleka et anti-balaka s’est maintenant doublé d’un conflit entre communautés armées. Dans les zones où les affrontements communautaires sont récurrents, le lien entre groupes armés et communautés est étroit : les combattants de l’ex-Seleka apparaissent comme les protecteurs des communautés musulmanes et les anti-balaka comme les protecteurs des communautés chrétiennes. Dans d’autres régions du pays en revanche, les populations prennent leur distance avec les groupes armés.

L’approche actuelle du désarmement des groupes armés, formalisée par l’accord signé lors du forum de Bangui en mai dernier, sous-estime la dimension communautaire de la violence ainsi que la criminalisation et la fragmentation des groupes armés. A l’ouest du pays, faute d’ennemis après la fuite des combattants de l’ex-Seleka et des musulmans, la nébuleuse de groupes armés locaux communément dénommée anti-balaka n’est parvenue à se structurer ni militairement, ni politiquement : elle constitue maintenant une menace criminelle qui pèse sur les populations locales. L’ex-coalition de la Seleka a implosé en plusieurs mouvements dont les affrontements sont motivés par des rivalités de direction, des querelles financières et des désaccords sur la stratégie à adopter vis-à-vis du gouvernement de transition et des forces internationales. La dynamique de criminalisation et de déstructuration des groupes armés est un obstacle à toute négociation avec eux.

Dans ce contexte, l’organisation précipitée d’élections ressemble fort à une fuite en avant qui présente de nombreux risques : exacerber les tensions intercommunautaires existantes, éclipser l’indispensable travail de reconstruction du pays et reporter aux calendes grecques la solution de problèmes urgents comme le désarmement des miliciens et des communautés.   

En Centrafrique, les défis à relever pour les autorités de la transition et les partenaires internationaux imposent de remplacer le programme de désarmement par une politique de désarmement qui ne concerne pas uniquement les miliciens mais aussi les communautés et qui comporte des opportunités réelles et des sanctions effectives. Cela suppose de conserver une capacité de contrainte sur les groupes armés, c’est-à-dire, entre autres, de revoir le calendrier de départ de la force française Sangaris et de réduire les capacités de financement des groupes armés. Cette politique permettra de réduire l’attractivité de l’économie milicienne pour la jeunesse centrafricaine.

Il faut aussi éviter que le processus électoral ne jette de l’huile sur le feu. A ce titre, les autorités en place devraient réaffirmer l’égalité des droits des musulmans en les enregistrant en tant qu’électeurs, en démontrant l’intérêt du gouvernement pour les populations du nord-est et en diversifiant le recrutement de la fonction publique. Les partenaires internationaux de la Centrafrique et les autorités de transition qui ont le regard braqué sur le processus électoral devraient prendre en compte ces enjeux dans leur stratégie de sortie de crise pour éviter des lendemains d’élections difficiles dans un pays qui n’est aujourd’hui plus qu’un territoire.

Executive Summary

Crisis in the Central African Republic (CAR) is longterm and characterised by sporadic surges of violence against a backdrop of state disintegration, a survival economy and deep inter-ethnic cleavages. Armed groups (including the anti-balaka and the ex-Seleka) are fragmenting and becoming increasingly criminalised; intercommunal tensions have hampered efforts to promote CAR’s national unity and mend its social fabric. Unfortunately, the roadmap to end the crisis, which includes elections before the end of 2015, presents a short-term answer. To avoid pursuing a strategy that would merely postpone addressing critical challenges until after the polls, CAR’s transitional authorities and international partners should address them now by implementing a comprehensive disarmament policy, and reaffirming that Muslims belong within the nation. If this does not happen, the elections risk becoming a zero-sum game.

By virtue of its geography and history, CAR is located at the crossroads between two regions and two peoples: in the north, the Sahel with its pastoralist communities and majority Muslim merchants, and in the south, Central Africa with its communities of the savanna, initially animist but now predominantly Christian. The Seleka power grab in March 2013 marked a fundamental reversal of CAR’s traditional political landscape. For the first time since independence, a force stemming from the Muslim population of the north and east of the country held the reins of power. The ensuing clashes between Seleka and anti-balaka forces generated strong intercommunal tensions that were exacerbated by the instrumentalisation of religion, societal fractures and collective fears, reviving traumatic memories of the pre-colonial slave trade era.

These tensions, which culminated in the killing and displacement of Muslims from the west, are still very high in the centre of the country, the front line between armed groups. The conflict between anti-balaka and ex-Seleka is thus now compounded by a conflict between armed communities. In areas with frequent intercommunal clashes, the link between armed groups and communities is strong: ex-Seleka combatants are seen as the protectors of Muslims and anti-balaka fighters as the defenders of Christian communities. By contrast, communities in other parts of the country are keeping their distance from armed groups.

The current approach to disarmament, which was formalised by the agreement signed at the Bangui Forum last May, underestimates both the extent to which the conflict is now communal, and the criminalisation and fragmentation of armed groups. In western CAR, following the withdrawal of ex-Seleka fighters and the flight of the region’s Muslim communities, the militarily and politically unorganised local armed groups known as the anti-balaka, have begun preying on local communities. The Seleka coalition in turn has splintered into several movements over leadership rivalries, financial squabbles and disagreements about strategies to adopt toward the transitional authorities and international forces. The fragmentation and criminalisation of CAR’s armed groups makes negotiations much more difficult.

In this context, the rushed organisation of elections risks exacerbating existing intercommunal tensions, undoing the country’s indispensable reconstruction efforts and postponing indefinitely the resolution of crucial issues like the disarmament of militias and communities.

The outstanding issues to be addressed by CAR’s transitional authorities and international partners require replacing the current disarmament program with a comprehensive policy that engages not only militiamen but also communities, and which includes real opportunities and effective sanctions. This means maintaining a capacity to restrain armed groups – in other words re-evaluating the planned withdrawal schedule of the French Sangaris forces and reducing armed groups’ financing abilities – among other measures. This would lessen the appeal of the militia economy for CAR’s youth.

It is also imperative to avoid the electoral process adding fuel to the fire. To do so, the transitional authorities should reaffirm Muslims’ equal rights, register them to vote, demonstrate the government’s concern for populations in the northeast, and diversify recruitment in the public service. The country’s international partners and transitional authorities focus too much attention on the electoral process in isolation from other issues: they should prioritise these other issues in their conflict resolution strategy, as elections alone will change very little in a country which today has ceased to function as a state.

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