Briefing / Africa 5 minutes

République centrafricaine: débloquer le dialogue politique inclusif

A aucun moment depuis le coup d’Etat du 15 mars 2003, qui a porté au pouvoir l’actuel président François Bozizé, le risque d’une généralisation de la violence en Centrafrique n’a été aussi grand qu’aujourd’hui. Alors que l’ouverture d’un dialogue politique inclusif le 8 décembre – initialement prévue pour juin 2008 – continue de se négocier pied à pied, tant le régime en place que les principales forces d’opposition préparent, en fait, le recours à la lutte armée comme ultima ratio d’une sortie de crise.

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I. Synthèse

A aucun moment depuis le coup d’Etat du 15 mars 2003, qui a porté au pouvoir l’actuel président François Bozizé, le risque d’une généralisation de la violence en Centrafrique n’a été aussi grand qu’aujourd’hui. Alors que l’ouverture d’un dialogue politique inclusif le 8 décembre – initialement prévue pour juin 2008 – continue de se négocier pied à pied, tant le régime en place que les principales forces d’opposition préparent, en fait, le recours à la lutte armée comme ultima ratio d’une sortie de crise. Une réelle démocratisation et une réforme de l’Etat semblent possibles si les acteurs centrafricains arrivent à surmonter leurs désaccords d’une manière consensuelle et s’abstiennent de recourir à la violence pour accéder au pouvoir ou pour le garder. Le dialogue politique inclusif doit impérativement être recentré sur l’organisation des élections en 2010 et la négociation d’un mécanisme crédible de justice transitionnelle. Afin d’éviter une nouvelle prise de pouvoir par la force, le gouvernement centrafricain doit conduire à terme la réforme du secteur de sécurité et permettre un processus équitable d’intégration des forces rebelles dans les services de sécurité.

Plus que jamais l’otage d’un premier cercle de parents et de partisans jusqu’au-boutistes, le président Bozizé refuse les concessions indispensables à une véritable démocratisation en République centrafricaine (RCA). En vue de sa réélection en 2010, il use de l’amnistie générale, promise dans les accords de paix avec les mouvements rebelles, comme d’une arme d’exclusion. En même temps, il octroie l’impunité à ses propres forces, coupables de graves exactions, et tente d’enrayer l’action de la Cour pénale internationale (CPI) qu’il avait pourtant lui-même saisie en décembre 2004.

A l’exception de l’ancien premier ministre Martin Ziguélé, dont l’emprise sur le plus important parti d’oppo­sition est fragilisée par une rébellion dans le fief du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC), ainsi que par l’ombre tutélaire de l’ex-président Ange-Félix Patassé, les principaux adversaires du général Bozizé conçoivent en effet le dialogue politique inclusif comme un moyen de changement de régime. Depuis que le principe du dialogue a été concédé par le pouvoir en place, en décembre 2006, ils espèrent le transformer en une conférence nationale souveraine, c’est-à-dire en Assemblée constituante ad hoc pouvant décider de la destitution du chef de l’Etat. A tout le moins, ils comptent arracher la mise en place d’un gouvernement de transition sous leur conduite pour préparer le scrutin de 2010 dans des conditions qui leur seraient favorables.

La communauté internationale porte aussi sa part de responsabilité dans la dévaluation du dialogue inclusif. En organisant les états généraux des forces armées au début de l’année 2008, les bailleurs de fonds ont vidé le dialogue national de sa substance sécuritaire, qui est pourtant au cœur de la crise centrafricaine. Plus généralement, la communauté internationale paye aujourd’hui le prix de sa complaisance en matière de démocratisation : disposée à renoncer à la réconciliation en échange du simple désarmement, elle encourage de facto de nouvelles insurrections en accordant des concessions sans contrepartie aux chefs de guerre prêts à réinvestir le champ de la légalité.

Dans ce contexte, la décision que le Conseil de sécurité des Nations unies doit prendre en décembre 2008, au sujet de la relève de l’actuelle force européenne déployée au Tchad et dans le nord-est de la Centrafrique (EUFOR RCA/Tchad), revêtira une importance capitale. L’accalmie sécuritaire aujourd’hui en vigueur dans le nord du pays en dépend. La Mission des Nations unies en République centrafricaine et au Tchad (MINURCAT 2) sera essentiellement axée sur l’est du Tchad et pourrait même être d’ordre purement symbolique en Centrafrique, à la fois pour des raisons de coûts et de difficultés à trouver des pays pourvoyeurs de Casques bleus en nombre suffisant. La France étant désireuse de passer le relais de sa présence militaire à Birao, la sécurisation du nord-est de la RCA incomberait ainsi à la nouvelle force régionale de paix – la MICOPAX – issue de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC), dont les capacités devront être renforcées.

A ces blocages internes et incertitudes internationales s’ajoute une crise humanitaire qui ne cesse de s’aggraver. Aujourd’hui, malgré l’attention suscitée par le conflit du Darfour voisin, pour près d’un million de civils affectés par la violence dans le nord de la RCA, l’assistance humanitaire n’est pas garantie: sur les modestes $116 millions prévus à ce titre, près d’un quart manque toujours à l’appel. A peine repérée par la communauté internationale, la RCA risque de disparaître de nouveau de son champ de vision et tout l’investissement accompli risque d’avoir été vain. Même si la RCA semble une moindre urgence au regard des drames voisins au Darfour, au Tchad et en République démocratique du Congo, une détérioration de la situation en Centrafrique est absolument certaine si les mesures suivantes ne sont pas prises :

  • Le dialogue politique inclusif doit être recentré par son médiateur, le président du Gabon Omar Bongo Ondimba. Toutes les formations politiques, et notamment toutes les anciennes forces politico-militaires transformées en partis, doivent accepter que son objectif premier est d’atteindre un consensus sur l’organisation des élections de 2010. Sans servir de prétexte à la remise en cause de la légitimité de l’actuel pouvoir en place, cet objectif doit être pleinement accepté par l’ensemble des protagonistes centrafricains, sous peine de mettre fin à un cycle de négociations qui n’est pas censé porter sur le partage du pouvoir mais sur son exercice équitable et responsable. Les bailleurs de fonds de la RCA devront également passer ce message à toutes les parties concernées: il n’y a pas de solution à la crise en dehors du système légal en place  et des élections légitimes.
     
  • Le gouvernement se doit en priorité d’amender la loi d’amnistie d’octobre 2008, afin de faciliter la tenue du dialogue politique inclusif sans exception ou conditionnalités. Simultanément, le président Bongo doit inscrire la négociation d’un mécanisme crédible de justice transitionnelle comme second objectif clé du dialogue politique inclusif et les bailleurs de fonds du processus devraient y conditionner leur soutien.
     
  • La communauté internationale devrait maintenir la présence de la MINURCAT 2 en RCA. Cependant, si elle est forcée d’alléger son déploiement, le contingent des Nations unies en RCA devrait harmoniser et coordonner son retrait avec le renforcement équivalent de la force régionale de maintien de la paix, la MICOPAX, afin de lui permettre de prendre sa relève, d’assurer une cohésion dans l’approche pour la sécurisation du pays et de faciliter la transition entre les deux forces et avec les forces françaises réduites.
     
  • La Loi de programmation militaire 2009-2013, qui vient d’être soumise au parlement centrafricain, marque une étape décisive dans la réforme du secteur de sécurité en RCA, tant de fois entreprise par le passé mais jamais conduite à terme. Le gouvernement doit transformer les forces de sécurité en « un outil de défense structuré, polyvalent, bien équipé et opérationnel » aussi attractif pour ses forces que pour les forces rebelles qu’il devra y intégrer. La communauté internationale doit apporter à la réforme des forces de sécurité un soutien sans faille, en particulier financier, mais qui reste conditionné à la dépolitisation des forces armées et à une gestion équitable du processus d’intégration des forces rebelles.
     
  • Les bailleurs de fonds doivent maintenir leur soutien humanitaire aux victimes du conflit et assurer l’intégralité de son financement pour l’année à venir.

Nairobi/Bruxelles, 9 décembre 2008

I. Overview

Since the coup d’etat that brought President François Bozizé to power on 15 March 2003, the risk of renewed wider violence in the Central African Republic (CAR) has never been greater than today. The opening of an inclusive political dialogue on 8 December – initially planned for June 2008 – has continued to be negotiated inch by inch, but both the regime and the main opposition forces see armed conflict as the ultimate way out of the crisis and are making preparations to return to it. Genuine democratisation and state reform nevertheless seem possible if all sides can overcome that temptation and manage their differences in a consensual way, but the political dialogue needs to be refocused around organisation of elections in 2010 and negotiation of a credible transitional justice mechanism. To avoid another round of violent regime change, the government should also complete reform of the security sector, including equitable integration of former rebels into the security services.

President Bozizé has more than ever been taken hostage by his close entourage of extremists and refuses to make concessions essential for true democracy. With the goal of ensuring his re-election in 2010, he is distorting the general amnesty he agreed upon with the rebel movements during the peace talks into a weapon of exclusion, at the same time as he grants impunity to his own forces that are guilty of serious abuses and tries to halt the proceedings of the International Criminal Court (ICC), which he himself originally requested in 2004.

With the exception of former Prime Minister Martin Ziguélé, whose authority over the most important opposition party (the Central African People’s Liberation Movement, MLPC) has waned due to an upheaval in its stronghold, and the unwavering but shadowy presence of former President Ange-Félix Patassé, Bozizé’s main adversaries want to transform the concept of political dialogue that was agreed in December 2006 into a mechanism to produce quick regime change. Their preferred vehicle would be a national conference, an ad hoc constitutional assembly competent to remove the head of state. At the very least, they count on being able to control a transitional government and to prepare the 2010 elections to their advantage.

The international community bears a share of responsibility for devaluation of the political dialogue. By initiating army reform in early 2008, the donors emptied the political dialogue of the security element that is at the heart of the crisis. They are paying the price today for their complacency about democracy in the CAR, including their readiness to give up on reconciliation in return for simple disarmament. Indeed, they are de facto abetting new insurrections by granting blank concessions to rebel leaders without demanding anything else from them except lip-service to legality.

Against this troubled background, the UN Security Council is scheduled to decide in December 2008 about the takeover of the European force deployed in Chad and the north east of the CAR. Whether the current lull in violence in the north of the country can be maintained depends on the nature of this decision. Budgetary limitations and the difficulty of finding troop contributing countries mean that the UN mission to the CAR and Chad (MINURCAT 2) will essentially concentrate on eastern Chad, to the point that it may have a purely symbolic presence in the CAR. France wants to turn over its responsibilities in Birao, so the job of securing the north east of the CAR would in effect fall to the new regional peacekeeping force, MICOPAX, created by the Economic Community of Central African States (ECCAS), which is in need of reinforcement.

In addition to the internal problems and international un­certainties, the humanitarian crisis continues to worsen. Despite the attention created by the neighbouring Darfur conflict and almost one million civilians affected by the violence in the north of the CAR, humanitarian assistance is not guaranteed: almost a quarter of the modest $116 million earmarked for the purpose is still missing. The CAR is at risk of yet again disappearing from the international radar screen, which would make all the investment of recent years in vain. Its emergency may seem less than those in Darfur, Chad or the Democratic Republic of Congo, but serious further deterioration is certain if the following measures are not taken:

  • The political dialogue needs to be refocused by its mediator, Gabon’s President Omar Bongo Ondimba. All political movements, and notably all the former rebel groups that have turned themselves into parties, need to accept that its primary objective is to reach consensus on organisation of the 2010 elections. The dialogue must not be misused as a pretext to question the legitimacy of the current government in power; its intended purpose is to produce a responsible and fair process, not power sharing or regime change. Donors should emphasise to all sides that no solution to the political crisis is possible outside the existing legal framework and legitimate elections.
     
  • The government should make it a priority to amend the amnesty law of October 2008 so as to facilitate the political dialogue without exceptions or conditions. Simultaneously, President Bongo should set creation of a credible transitional justice mechanism as a second key objective of that political dialogue, and donors should condition their support accordingly.
     
  • The international community should seek to maintain the presence of MINURCAT 2 in the CAR. However, if it is forced to reduce its deployment in the CAR, that UN contingent should harmonise and coordinate its withdrawal with a comparable reinforcement of the regional peacekeeping force (MICOPAX), so there are smooth handovers and transitions between them, as well as with the French forces that are being drawn down, and a coherent security approach is maintained toward the CAR.
     
  • The military planning law for 2009-2013 just submitted to parliament is an important step, but security sector reform has been begun many times in the CAR without ever being completed. The government needs to transform the security forces into “a structured, versatile, well-equipped and operational defence tool” attractive both to its own troops and the rebel fighters who are meant to be integrated with them. The international community should pledge strong support, financial in particular, but set the firm condition that the security forces must be depoliticised and the integration of rebel groups fairly managed.
     
  • Donors should maintain their humanitarian aid for the victims of the conflict and ensure that financing is secured for the coming year.

Nairobi/Brussels, 9 December 2008

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