Briefing / Africa 4 minutes

Tchad: sortir du piège pétrolier

Depuis 2003, l’exploitation du pétrole a contribué lourdement à la détérioration de la gouvernance interne au Tchad, menant à une succession de crises politiques et de rébellions. Les retombées financières du pétrole – 53 millions de barils rapportant 1,2 milliards de dollars à l’Etat en 2007 – ont attisé les appétits au sein du régime qui ont, à leur tour, nourri des dissensions et débouché sur des rébellions rapidement soutenues par le voisin soudanais.

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Synthèse

Depuis 2003, l’exploitation du pétrole a contribué lourdement à la détérioration de la gouvernance interne au Tchad, menant à une succession de crises politiques et de rébellions. Les retombées financières du pétrole – 53 millions de barils rapportant 1,2 milliards de dollars à l’Etat en 2007 – ont attisé les appétits au sein du régime qui ont, à leur tour, nourri des dissensions et débouché sur des rébellions rapidement soutenues par le voisin soudanais. Les revenus du pétrole ont par ailleurs donné au président Idriss Déby les moyens de rejeter tout dialogue politique véritable, et de répondre aux menaces de renversement venues du Soudan par le surarmement. L’enthousiasme suscité par l’exploitation du pétrole a fait place à un désenchantement généralisé. Pour sortir de ce cercle vicieux et susciter les conditions d’une stabilisation durable du pays, le gouvernement tchadien doit redéfinir un consensus national autour de la gestion des revenus pétroliers, et ses partenaires princi­paux, la France, les Etats-Unis et la Chine, doivent conditionner leur soutien au régime à cette poli­tique, tout en œuvrant à la stabilisation complémentaire de ses relations avec le Soudan.

Objet de nombreux rebondissements, le projet pétrolier tchadien a été marqué par des polémiques qui ont failli empêcher durablement sa réalisation. A partir de l’an 2000, l’engagement de la Banque mondiale a permis la concrétisation de ce projet. Il est même devenu entre­temps un modèle, en raison des garanties que les mécanismes mis en place pour la gestion des futurs revenus pétroliers, semblaient apporter à la lutte contre la pauvreté. Ces mécanismes prévoyaient que les revenus pétroliers devraient être destinés prioritairement à améliorer les conditions de vie des populations tchadiennes présentes et futures.

En 2004, moins d’un an après le début de l’exploitation du pétrole, le verrouillage de l’espace politique national au profit du président Déby a aggravé les dissensions au sein du pouvoir tchadien et a suscité des tensions dans le pays tout entier. Cette situation a débouché sur des tentatives de coup d’Etat dont les auteurs, proches collaborateurs du président ont, par la suite, rejoint les rangs des opposants armés combattant le pouvoir central. Fragilisé par cette opposition armée soutenue par le Soudan, Déby a décidé, en janvier 2006, de modifier le système initial de gestion des revenus pétroliers afin de disposer de plus de fonds pour acheter des armes et consolider son régime.

En réaction, la Banque mondiale a suspendu ses programmes de financement. Loin de contraindre le gouvernement tchadien à faire marche arrière, les sanctions de la Banque mondiale n’ont eu pour effet que de favoriser un règlement qui permet aux autorités tchadiennes de démanteler tout droit de regard de l’institution financière internationale sur la gestion des revenus pétroliers. Dans un contexte marqué par la rivalité entre les puissances occidentales et la Chine dans le secteur énergétique, les ressources pétrolières du Tchad ont constitué une arme de contrainte diplomatique vis-à-vis de la Banque mondiale.

La flambée du prix du pétrole au cours de l’année 2007 a également permis au régime tchadien de disposer des ressources suffisantes pour le lancement de grands travaux publics. Présentés comme une véritable politique de modernisation du pays grâce au pétrole, ces grands travaux ont augmenté les dépenses publiques débouchant à partir de 2008, sur un déficit budgétaire susceptible de se prolonger à long terme. L’attribution opaque des marchés de travaux publics a en outre accru le clientélisme politique et la corruption. Le gouvernement tchadien a également réduit peu à peu la marge de manœuvre du Collège de contrôle et de surveillance des revenus pétroliers (CCSRP) dont la mise en place répondait au souci d’impliquer la société civile dans cette gestion. En modifiant, en 2008, la composition des membres du CCSRP, Déby a réussi à limiter la capacité de cet organisme à exercer tout contrôle sur la bonne utilisation des revenus pétroliers.

En définitive, les ressources pétrolières sont devenues pour le pouvoir tchadien une source de renforcement militaire, de clientélisme et de cooptation politiques. Cette situation contribue à verrouiller davantage l’espace politique national et à maintenir le pays dans un blocage persistant qui radicalise des antagonismes entre le pouvoir et ses opposants. Ceci crée une instabilité politique récurrente susceptible, à moyen et long terme, de ruiner tous les efforts de mise à profit des investissements pétroliers au bénéfice du développement du pays et de sa stabilisation durable. Pour la population qui n’a pas vu ses conditions de vie s’améliorer et qui subit en outre les effets de l’augmentation de la corruption dans le pays, le pétrole est loin d’être une bénédiction. Eu égard à l’ensemble de ces considérations et pour sortir le Tchad et ses partenaires extérieurs du piège pétrolier, les mesures suivantes devraient être prises:

  • Le gouvernement devrait étendre à la question pétrolière le dialogue interne entamé avec l’accord du 13 août 2007. Il devrait organiser une table ronde avec les partis de l’opposition élargie à la société civile et les représentants des régions productrices de pétrole. Les principales résolutions de cette table ronde devraient être inclues dans les différents mécanismes de suivi de l’accord du 13 août 2007.
     
  • Le gouvernement devrait renforcer les mécanismes internes de contrôle et de suivi des revenus pétroliers. Les textes réglementaires actuels qui stipulent que les membres du CCSRP y siègent à temps partiel, devraient être révisés afin qu’ils y siègent de façon permanente à l’image des autres institutions organiques indépendantes de l’Etat tchadien comme le Haut conseil de la communication ou la Cour suprême. Une telle modification est nécessaire pour une plus grande efficacité et une meilleure maîtrise technique des dossiers. Les ministères tchadiens de la Moralisation publique et de la Justice devraient appliquer systématiquement les recommandations du CCSRP et lancer des enquêtes sur les dysfonctionnements révélés par cet organe.
     
  • Le gouvernement devrait régulariser les procédures de passation des marchés publics et faire en sorte que l’attribution des marchés selon le système de gré à gré soit exceptionnelle et non plus la règle. Cette action s’avère indispensable pour lutter contre la corruption et l’attribution opaque des marchés publics source d’enrichissements indus. Un audit de la gestion des différents travaux publics actuellement en cours serait utile pour leur évaluation à mis parcours.
     
  • Le gouvernement devrait s’assurer que la capacité technique des fonctionnaires des différents ministères publics soit améliorée. Les revenus pétroliers devraient être utilisés pour financer la formation régulière et continue des agents de l’Etat. Le programme de formation devrait faire l’objet d’une véritable politique publique associant la société civile.
     
  • La Banque mondiale devrait assurer le financement d’un nouvel organisme indépendant multidisciplinaire composé de personnalités de la société civile tchadienne et internationale dont le rôle serait de faire des études, de formuler des recommandations et d’appuyer techniquement le CCSRP. Ceci remplacerait le Groupe international consultatif (GIC) dont le mandat est arrivé à échéance en juin 2009.
     
  • La France, les Etats-Unis et la Chine devraient appuyer collectivement la relance d’un véritable dialogue national inclusif pour ramener une stabilité durable dans le pays. Ils devraient conditionner leur soutien politique à Idriss Déby aux réformes et mesures proposées ci-dessus, et les trois pays mais surtout la Chine, qui est présente simultanément dans les secteurs pétroliers tchadiens et soudanais, devraient peser plus lourdement en faveur de la stabilisation des relations entre les deux pays et l’arrêt immédiat par l’un et l’autre, de tout soutien à leurs rébellions respectives.

 

Nairobi/Bruxelles, 26 août 2009

I. Overview

Since 2003 the exploitation of oil has contributed greatly to the deterioration of governance in Chad and to a succession of rebellions and political crises. The financial windfall – in 2007, 53 million barrels earning the government $1.2 billion – has increased corruption, stoked domestic dissent and led to rebellions supported by neighbouring Sudan. The revenues have also allowed President Idriss Déby to reject political dialogue with his opponents and to respond to the threat from Sudan by overarming his military forces. The hope aroused by the discovery of oil has given way to generalised disenchantment. To escape this vicious circle and establish the conditions needed for durable stability, the government must work to establish a national consensus on the management of oil revenues. Its principal external partners – France, the U.S. and China – must condition their support for the regime on such a consensus.

Chad’s petroleum project was bedevilled by numerous controversies that almost blocked its realisation. Beginning in 2000, however, the involvement of the World Bank allowed the project to move forward. It was an apparent role model for development, because the mechanisms for managing oil revenues seemed to guarantee an effective fight against poverty. These mechanisms specified that the revenues were to be dedicated primarily to improving the lives of Chad’s present and future population.

In 2004, less than a year after the exploitation of oil began, the closing of the nation’s political space for the benefit of President Déby aggravated dissension within the Chadian power structure and increased tension throughout the country. This situation led to several attempted coups d’état by close collaborators of the president, who subsequently joined the rebellion fighting the government. Weakened by the armed opposition supported by Sudan, Déby decided in January 2006 to modify the initial system of management of oil revenues in order to make more funds available to buy arms.

In reaction, the World Bank suspended its programs. Far from forcing the government to backtrack, this motivated it to put in place regulations that removed any oversight by the bank of the management of oil revenues. The rivalry among Western countries and China over Chad’s petroleum resources has limited the bank’s room to manoeuvre.

The increase in oil prices in 2007 generated enough resources for the regime to undertake large public works projects. Advertised as a way to modernise the country through oil revenues, these projects led in 2008 to a budget deficit that is likely to persist. Moreover, the opaque awarding of public works contracts increased cronyism and corruption. The government also gradually reduced the role of the committee that had been established to involve civil society in the management of oil revenues, the Committee of Control and Supervision of Oil Revenues (CCSRP in French). By changing the membership of the CCSRP in 2008, the government limited its ability to control the use of the revenues.

In sum, oil has become a means for the regime to strengthen its armed forces, reward its cronies and co-opt members of the political class. This has further limited political space for the opposition and helped keep the country in a state of political paralysis that has stoked the antagonism between the regime and its opponents. As a result, there is recurrent political instability that is likely to ruin all efforts to use oil for the benefit of the country and its enduring stability. For the people who have not seen their lives improve and who are subjected to increased corruption, oil is far from a blessing. Given the current situation, the following measures should be taken to extricate Chad and its external partners from the petroleum trap:

  • The government should include the question of how to use oil revenues in the domestic dialogue started under the accord of 13 August 2007. It should organise a round table including the political opposition, civil society and representatives of the oil-producing regions. The principal recommendations of the round table should be included in the follow-up mechanisms for the accord.
     
  • The government should strengthen internal control and oversight mechanisms of oil revenues. The CCSRP’s regulations should be revised to stipulate that its members will meet full-time, like other independent state bodies, such as the Supreme Court or High Council for Communication. This change is needed to improve the CCSRP’s efficiency and technical proficiency. The ethics and justice ministries should systematically apply its recommendations and investigate problems it brings to light.
     
  • The government should regularise its procedures so that the great majority of government contracts are let on the basis of competitive bids and not by bilateral agreement. Such a change is indispensable for fighting corruption and for eliminating the opaque awarding of contracts as a source of unjustified enrichment. There should also be an audit of the various public works now being built.
     
  • The government should ensure an improvement in the technical abilities of civil servants. Petroleum revenues should be used to establish a program supported by civil society to train them on a continuing and regular basis.
     
  • To replace the International Consultative Group (GIC in French), whose mandate expired in June 2009, an independent, multidisciplinary body composed of representatives of Chadian and international civil society should be created and receive financial support from the World Bank. Its role would be to undertake studies, make recommendations and give technical support to the CCSRP.
     
  • France, the U.S. and China should collectively support an inclusive Chadian national dialogue in order to create the conditions likely to lead to enduring stability. They should make their support for Déby contingent on the proposed reforms and measures cited above. The three countries, but in particular China, which is present in both the Chadian and Sudanese oil sectors, should also weigh in more heavily in favour of stabilising relations between N’Djamena and Khartoum and of halting support by each country for rebels in the other country.

 

Nairobi/Brussels, 26 August 2009

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