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Congo : une stratégie globale pour désarmer les FDLR

L’offensive militaire conduite conjointement par la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda contre les rebelles hutu rwandais s’est conclue sur un bilan mitigé. Quinze ans après le génocide rwandais et leur établissement à l’Est du Congo, ces rebelles n’ont toujours pas été désarmés et restent à l’origine de violences extrêmes perpétrées contre la population civile.

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Synthèse

L’offensive militaire conduite conjointement par la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda contre les rebelles hutu rwandais s’est conclue sur un bilan mitigé. Quinze ans après le génocide rwandais et leur établissement à l’Est du Congo, ces rebelles n’ont toujours pas été désarmés et restent à l’origine de violences extrêmes perpétrées contre la population civile. Bien qu’elle n’ait plus les capacités militaires de déstabiliser le Rwanda, leur troupe forte de plus de 6 000 combattants – parmi lesquels se trouvent encore des génocidaires – continue de représenter un obstacle politique majeur à la consolidation de la paix dans la région des Grands Lacs. L’Est du Congo ne pourra être stabilisé sans que ces rebelles ne soient désarmés et démobilisés.

Pour cela, une nouvelle stratégie globale impliquant des acteurs nationaux, régionaux et internationaux, une claire répartition des tâches et une meilleure coordination est nécessaire afin de tirer profit de l’amélioration récente des relations bilatérales entre le Rwanda et la RDC, mettre un terme à l’immense souffrance des civils et restaurer l’autorité de l’Etat dans les provinces de l’Est du Congo. Cette approche globale intègre:

  • la protection des populations par des forces de sécurité congolaises crédibles et la mission de maintien de la paix de l’ONU (MONUC);
     
  • un programme reformé de désarmement et de dé­mobilisation comprenant des campagnes de sensibilisation et des options de rapatriement ou de relocation (y compris dans des pays tiers);
     
  • la production par le Rwanda d’une liste de génocidaires des FDLR réfugiés à l’Est du Congo, par la suite leur isolation par des opérations psychologique sophistiquées et l’ouverture de discussions avec des officiers non-génocidaires n’ayant pas participés au génocide de 1994;
     
  • au moment opportun, des actions militaires menées par des unités de l’armée congolaise spécifiquement entrainées pour affaiblir la structure de contrôle et de commandement du groupe rebelle en coordination avec des forces rwandaises;
     
  • des initiatives juridiques par des pays tiers pour contrer la propagande et le soutien apportés par des dirigeants des FDLR depuis l’étranger;
     
  • la consolidation des relations entre le Rwanda et la RDC; et
     
  • des bénéfices destinés aux populations de la région des Grands Lacs à travers des programmes de développement socio-économique.

 

Parmi les dizaines de groupes armés opérant dans les provinces du Kivu au début de l’année 2009, les deux organisations disposant des forces militaires les plus puissantes et constituant la principale cause des souffrances imposées aux civils étaient les hutu rwandais regroupés au sein des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) – qui bénéficiaient alors de complicités au sein de l’armée congolaise – et le Congrès national du peuple (CNDP) du général tutsi congolais Laurent Nkunda, soutenu clandestinement par le Rwanda. Cependant, l’ambition personnelle de Nkunda lui valu de s’aliéner ses soutiens rwandais, tandis que l’effondrement total de l’armée nationale face à l’insurrection du CNDP en automne 2008 obligea le président Joseph Kabila à conclure un accord avec Paul Kagame, son homologue rwandais.

Cet accord marque un changement d’alliance considérable pour la région. En échange de la destitution de Laurent Nkunda, Kinshasa a accepté le lancement sur son territoire d’une offensive militaire conjointe RDC-Rwanda contre les FDLR et d’intégrer des représentants du CNDP à des postes clefs des institutions politiques et des forces de sécurité du Kivu, tout en écartant la Mission des Nations unies au Congo (MONUC) des phases de planification et de sa mise en oeuvre.

L’opération « Umoja Wetu » (Notre Unité) débuta le 20 janvier 2009. Trois colonnes de l’armée rwandaise pénétrèrent dans la province du Nord Kivu, cherchant à déloger la milice rebelle de ses principaux bastions. Dans le même temps, les forces militaires congolaises se déployaient dans les villages libérés et procédaient à l’intégration dans leurs rangs des combattants du CNDP et d’autres groupes armés. Les FDLR évitèrent la confrontation directe en dispersant leurs combattants dans les forêts du Kivu. A l’issue de 35 jours de campagne, les résultats de l’opération étaient beaucoup plus modestes que ne l’indiquaient les célébrations officielles. Les forces des FDLR n’ont été que légèrement et temporairement affaiblies au Nord Kivu, et sont restées intactes au Sud Kivu. Moins de 500 combattants des FDLR se sont rendus à la MONUC pour être démobilisés durant les trois premiers mois de 2009. À peine un mois après la conclusion de l’opé­ration, les rebelles s’étaient regroupés et menaient des actions de représailles contre les civils soupçonnés d’avoir collaboré avec « Umoja Wetu ».

Depuis 2002, le Congo, le Rwanda et la MONUC ont lancé de nombreuses initiatives pour désarmer les FDLR. Le 9 novembre 2007, Kinshasa et Kigali avaient initié le processus du communiqué de Nairobi, un cadre de référence pour une nouvelle collaboration bilatérale, appuyée par la communauté internationale. Son objectif était de régler définitivement le problème des FDLR. Le manque de volonté et de collaboration sincère, ainsi que la capacité de résistance de la chaîne de commandement des FDLR ont démontré que les approches traditionnelles de désarmement – qu’elles soient forcées ou volontaires – et les tentatives de négociations avec les rebelles lancées unilatéralement par le Congo ne peuvent réussir. Un autre enseignement essentiel est que les opérations militaires ou les campagnes de sensibilisation visant au désarmement volontaire des combattants de base ne sont pas susceptibles de produire des effets satisfaisants sans la neutralisation préalable des structures de commandement et de contrôle des FDLR et sans une coordination et une intégration complète de ces différents leviers d’action.

Considérant que l’armée nationale congolaise et la MONUC n’ont pas la capacité et la volonté politique de mener une opération offensive efficace pour démanteler la chaîne de commandement des FDLR, la poursuite d’une collaboration militaire entre le Congo et le Rwanda est essentielle. Toutefois, la priorité immédiate n’est pas à une nouvelle offensive – chaque échec militaire augmente les souffrances imposées aux congolais ordinaires. Une opération menée par l’armée nationale congolaise et la MONUC – « Kimia II » – est actuellement en cours. Son volet offensif, loin d’avoir affaiblit les FDLR, n’a pas permi d’empêcher les représailles contre les populations civiles. Les actions offensives doivent être suspendues. Contenir les rebelles, et non les agresser, ainsi que protéger les populations devront constituer la priorité immédiate en attendant la mise à disposition de ressources supplé­mentaires et l’émergence d’une véritable coordination entre partenaires impliqués dans le dossier du désarmement des FDLR, conditions préalables à une action véritablement efficace.

Une stratégie globale doit être développée avec la participation du Congo, du Rwanda, de la MONUC et des autres membres de la facilitation internationale du communiqué de Nairobi, notamment l’Union africaine, les États-Unis et l’Union européenne. Leurs apports politiques et opérationnels doivent être coordonnés par un nouveau mécanisme de désarmement des FDLR à travers lequel seront planifiés simultanément des actions militaires et de sensibilisation, ainsi que des initiatives juridiques dans les pays où les dirigeants politiques des FDLR se sont réfugiés. Depuis ces pays, ils diffusent en effet une propagande constituant un maillon essentiel de la chaine de contrôle qu’ils maintiennent sur les combattants ordinaires. Sans de tels efforts supplémentaires et un nouvel élan international, les populations du Kivu continueront à supporter le coût de la présence des FDLR et des tentatives ratées de leur désarmement, et le fragile Etat congolais restera menacé.

Nairobi/Bruxelles, 9 juillet 2009

Executive Summary

The joint Congo (DRC)-Rwanda military push against the Rwandan Hutu rebels has ended with scant results. Fifteen years after the Rwanda genocide and the establishment of those rebels in the eastern Congo, they have not yet been disarmed and remain a source of extreme violence against civilians. While they are militarily too weak to destabilise Rwanda, their 6,000 or more combatants, including a number of génocidaires, still present a major political challenge for consolidation of peace in the Great Lakes region. They must be disarmed and demobilised if the eastern Congo is to be stabilised.

That requires a new comprehensive strategy involving national, regional and international actors, with a clear division of labour and better coordination, so as to take advantage of the recent improvement of relations between the Congo and Rwanda, put an end to the enormous civilian suffering and restore state authority in the Congo’s eastern provinces. Its prominent components include:

  • civilian protection by responsible Congolese security forces and the UN peacekeeping mission (MONUC);
     
  • a reformed disarmament and demobilisation program involving psychological operations and informational campaigns as well as options for return or resettlement (including in third countries);
     
  • Rwanda’s development of a list of FDLR génocidaires in eastern Congo and their subsequent isolation by sophisticated psychological operations, accompanied by talks with commanders not involved in the 1994 genocide;
     
  • in due course, limited military actions by Congolese army units specifically trained to weaken the command and control structure of the rebels in coordination with Rwandan forces;
     
  • legal initiatives in third countries to block propaganda and support from FDLR leaders outside the DRC;
     
  • consolidation of Rwanda-Congo relations; and
     
  • dividends to the people of the Great Lakes region through economic and social development.

Among the dozens of armed groups operating in the Kivus at the beginning of 2009, two had the highest military capabilities and caused the most civilian suffering: the Rwandan Hutus grouped under the Front démocratique pour la liberation du Rwanda (FDLR) and receiving some support from elements of the Congolese army, and Laurent Nkunda’s Tutsi-dominated Congrès national du peuple (CNDP), benefiting from Rwanda’s clandestine support. However, Nkunda’s personal ambition had alienated his Rwandan backers, while the total collapse of the Congolese army in front of the CNDP insurgency forced President Joseph Kabila to cut a deal with Paul Kagame, his counterpart in Kigali.

Their agreement was a significant shift of alliances in the region. In exchange for the removal of Nkunda by Kigali, Kinshasa agreed to a joint military operation against the FDLR on Congolese territory and to give key positions in the political and security institutions of the Kivus to CNDP representatives, while keeping MONUC out of the planning and implementation.

Operation “Umoja Wetu” (Our Unity) got under way on 20 January 2009. Three columns of the Rwandan army moved through North Kivu, seeking to root the rebel militia out of its main strongholds. Simultaneously the Congolese army deployed in the villages freed from FDLR control and set about to integrate combatants from the CNDP and other armed groups into its ranks. The FDLR avoided direct confrontations and dispersed in the Kivu forests. After 35 days, the results of the operation were much more modest than officially celebrated. The FDLR was only marginally and temporarily weakened in North Kivu and remained intact in South Kivu. Less than 500 FDLR combatants surrendered to MONUC to be demobilised in the first three months of 2009. Barely a month after the end of the operation, the rebels had regrouped and started to retaliate against civilians they believed had collaborated with “Umoja Wetu”.

Congo, Rwanda and MONUC have launched many initiatives for FDLR disarmament since 2002. On 9 November 2007, Kinshasa and Kigali started the Nairobi Communiqué Process, a framework for new bilateral collaboration backed by the international community that was to take care of the FDLR once and for all. But lack of goodwill and active collaboration as well as the resilience of the FDLR’s chain of command proved that traditional approaches to disarmament – whether forced or voluntary – and unilateral attempts by Congo to negotiate with the rebels could not succeed. Another lesson that should have been learned was that military action, psychological operations and informational campaigns aimed at drawing away the rebel rank and file are unlikely to produce good results unless the FDLR’s command and control structures can first be rendered ineffective, and all efforts are carefully coordinated and sequenced.

Since the Congolese national army and MONUC lack the capacity and political will to carry out an effective military operation to dismantle the FDLR chain of command, continuation of Congo-Rwanda military collaboration is also essential. The immediate priority is not a new military offensive, however – each military failure increases the suffering of ordinary Congolese. A new offensive – “Kimia II” – conducted by the Congolese national army and MONUC is currently underway. Far from disrupting the FDLR, it has failed to prevent FDLR retaliation against civilians and should be suspended. Containing, not overwhelming, the rebels and protecting civilians should be the priority, while additional resources are sought and coordination between willing partners is forged for a new kind of disarmament attempt.

A comprehensive strategy has to be developed, involving the Congo government, Rwanda, MONUC and the other international facilitators that joined in Nairobi declaration, including the African Union, the U.S. and the EU. Their political and operational inputs should be coordinated in a new FDLR disarmament mechanism that should plan both military measures and informational campaigns, as well as prepare the ground for judicial processes in the countries where FDLR political leaders have sought refuge and from which they spread the propaganda that is an important part of the hold they maintain over ordinary fighters. Without such additional efforts and new international momentum, the population of the Kivu will continue to bear the brunt of the FDLR’s presence and of the failed attempts to disarm them, and the fragile Congolese state will remain at risk.

Nairobi/Brussels, 9 July 2009

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