Ces invisibles assassins du Congo
Ces invisibles assassins du Congo
Élections en RDC : quelles perspectives pour un réel changement ?
Élections en RDC : quelles perspectives pour un réel changement ?
Op-Ed / Africa 4 minutes

Ces invisibles assassins du Congo

Les collines de l'est de la République démocratique du Congo ressemblent peu à des champs de bataille. En conduisant le long des collines verdoyantes, on voit certes la pauvreté et le dénuement, mais peu de violence. Tandis que les fermiers labourent leurs champs, les femmes, bien que pauvres et fatiguées, parcourent les chemins pour vendre leurs produits au marché. Ce beau tableau cache cependant une réalité choquante. Plus de mille personnes meurent chaque jour des conséquences du conflit. En trois jours seulement, le nombre de morts atteint celui des attaques du World Trade Center ; en trois mois, il rejoint celui du récent tremblement de terre au Pakistan. Pourquoi la communauté internationale échoue-t-elle dans ses efforts à soulager les souffrances de millions de Congolais ? Une partie seulement des décès résulte des affrontements, la plupart des victimes succombent à la maladie ou à la malnutrition. Alors que la population tente de survivre, les insurrections et les attaques poussent des milliers de personnes à se réfugier dans la forêt où souvent ils périssent. Mais les microbes ne sont pas les seuls assassins. Certains viennent avec des comptes en banque confortables, voire une place au gouvernement. La clé de la tragédie humaine au Congo réside dans la corruption et la mauvaise gestion de la transition, qui constituent sans doute la menace la plus grave pour la sécurité des Congolais. Les politiciens sont parfois prompts à détourner les ressources du pays, utilisant la force pour se maintenir au pouvoir.

Le lien entre corruption et violence est particulièrement évident au sein de l'armée congolaise. À Kinshasa, certains fonctionnaires n'hésitent pas à régulièrement détourner les fonds destinés au paiement des soldats, les transformant alors en prédateurs mortels. En novembre dernier, le président Kabila a ordonné l'envoi de 10. 000 soldats dans l'est du pays pour déjouer l'invasion rwandaise. Des troupes furent rapidement transportées sur place par des avions appartenant pour partie au président Kabila ainsi qu'au vice-président Jean-Pierre Bemba. Des contrats juteux pour la nourriture et le combustible furent signés avec des proches du gouvernement. On achemina même des haricots depuis l'est du pays avant de les y renvoyer dans le cadre de ce qu'on surnomme localement des « opérations retour ». Environ dix millions de dollars disparurent dans ces opérations. Les conséquences de ces ponctions ne se firent pas attendre : spoliés, les soldats devinrent enragés, pillant et violant ceux qu'ils étaient venus protéger.

Les détournements ne sont pas uniquement ponctuels, ils deviennent parfois partie intégrante de l'appareillage étatique. Des huit millions de dollars qui sortent de la Banque centrale congolaise tous les mois pour payer les soldats, seule une petite partie arrive à destination. Un récent recensement a montré que les salaires d'environ 100. 000 soldats « fantômes » étaient toujours encaissés. Les fonds congolais ou internationaux destinés aux hôpitaux et aux écoles font également l'objet de prélèvements inopinés. Si rien n'est fait pour mettre un terme à ces excès, les élections de l'année prochaine ne feront que confirmer ce statu quo. Sans une armée efficace, des structures judiciaires réellement indépendantes et un parlement fort, le Congo sombrera à nouveau dans la guerre.

La communauté internationale s'est montrée étonnamment indifférente à ces problèmes. Les donateurs étrangers financent plus de la moitié du budget congolais, mais ont échoué à placer le gouvernement devant ses responsabilités. Kofi Annan a recommandé aux principaux donateurs de créer un groupe de coordination à Kinshasa afin d'agir ensemble pour la bonne gouvernance. Cette initiative n'a remporté que peu de soutien au Conseil de sécurité des Nations unies. Le gouvernement français a récemment indiqué qu'il ne participerait pas à la création d'un groupe de coordination sur la corruption. Au Liberia ou ailleurs, la communauté internationale s'est montrée beaucoup plus déterminée à imposer des conditions sur l'allocation des fonds et à promouvoir la transparence. Pourquoi pas au Congo ?

Des nombreux diplomates étrangers ont tendance à lever les yeux au ciel quand on les interroge sur la corruption au Congo : les pots-de-vin sont légion, il en va ainsi depuis des décennies et il est improbable que cela change. Cependant, certaines initiatives locales tendent à démontrer le contraire. Ainsi, le nouveau parlement a-t-il initié plusieurs projets courageux, parmi lesquels la création d'une commission chargée d'examiner les contrats signés par les belligérants durant la guerre, de même qu'un audit des entreprises gérées par l'État. Mais bien que des rapports aient été publiés et que des officiels aient été mis en cause, trop peu a été fait pour agir sur la base de ces recommandations ; les responsables de haut niveau ayant préféré les enterrer. Il en revient donc à la Communauté internationale et aux bailleurs de fonds de veiller à ce que ces efforts n'aient pas été vains.

Ce ne sont pas les élections qui constituent la clef de voûte de la paix et la stabilité au Congo, mais le renforcement des institutions et une gestion responsable par les élites politiques. La communauté internationale, qui finance la transition et une grande partie des élections, porte une part de responsabilité indirecte dans l'évolution du système congolais. « D'abord des élections et la sécurité, ensuite la corruption », entend-on souvent dans les cercles diplomatiques. Mais la corruption est une cause essentielle de l'insécurité et met en péril le succès des élections. Si la communauté internationale ne veut pas apparaître complice, elle doit faire en sorte que justice et responsabilité soient des prérequis pour les élections et non de vagues promesses

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