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Congo : consolider la paix

La tenue des élections en République démocratique du Congo a constitué une avancée notoire pour le processus de paix mais beaucoup reste encore à faire pour en retirer tous les bénéfices. S’il est peu probable qu’une véritable guerre reprenne, les violences au Bas-Congo et à Kinshasa début 2007, qui ont fait plus de 400 morts, et les nouvelles menaces de guerre dans les Kivus rappellent encore combien le pays reste fragile.

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Synthèse

La tenue des élections en République démocratique du Congo a constitué une avancée notoire pour le processus de paix mais beaucoup reste encore à faire pour en retirer tous les bénéfices. S’il est peu probable qu’une véritable guerre reprenne, les violences au Bas-Congo et à Kinshasa début 2007, qui ont fait plus de 400 morts, et les nouvelles menaces de guerre dans les Kivus rappellent encore combien le pays reste fragile. Les relations entre le nouveau gouvernement et l’opposition ont connu une profonde détérioration, laissant entrevoir une possible dérive autoritaire du régime et des troubles dans plusieurs villes de l’Ouest du pays. Dans le même temps, les combats continuent dans l’Est entre des milices et une armée nationale, toujours très faible, avec pour conséquences le déplacement, chaque année, de centaines de milliers de civils, dont beaucoup meurent de faim et de maladie. Au lieu de rechercher le désengagement progressif des partenaires extérieurs, le gouvernement élu démocratiquement devrait plutôt favoriser la mise en place d’un système de gouvernance transparente et responsable, capable de stimuler le soutien de la communauté internationale. Il est urgent que le gouvernement congolais et la communauté internationale s’entendent sur un nouveau partenariat qui puisse faire avancer en profondeur les réformes en faveur d’une bonne gouvernance.

La transition fut, par certains aspects, un remarquable succès. Elle a permis d’unifier un pays divisé et d’améliorer la situation sécuritaire sur une grande partie du territoire. En dépit de nombreuses insuffisances, les six principaux groupes armés ont pu être intégrés dans une armée nationale. La Commission électorale indépendante est parvenue à organiser des élections provinciales et nationales, considérées par la plupart des observateurs comme relativement libres et crédibles. Au terme du processus, le premier gouvernement véritablement démocratique depuis 40 ans a pu voir le jour au Congo. Les troupes étrangères se sont retirées, et les relations avec le Rwanda, l’un des principaux acteurs de la guerre, se sont considérablement améliorées. Malgré tout, les nouvelles institutions sont caractérisées par leur faiblesse, des abus ou sont carrément inexistantes.

L’armée intégrée est désormais à l’origine de la plupart des violations des droits humains tandis que l’administration, notoirement corrompue, reste incapable de fournir les services sociaux les plus rudimentaires. Si la situation sécuritaire dans des zones telles que l’Ituri s’est améliorée, il n’y a pas eu de véritable progrès dans le désarmement des milices dans les Kivus, et de nouvelles tensions politiques sont apparues, surtout dans l’Ouest du pays, qui avait largement voté en faveur de l’opposition. Ayant choisi de recourir à la force plutôt que de rechercher une solution négociée avec ses opposants dans le Bas-Congo et la capitale, le gouvernement doit aujourd’hui faire face à l’hostilité profonde d’une partie de la population ; les risques de violences urbaines, voire de petits conflits localisés ne peuvent être totalement exclus.

Le gouvernement du président Kabila a reçu du peuple congolais un mandat très clair pour agir. Toutefois, l’opposition, qui a recueilli les voix de plus d’un tiers de l’électorat, a également un rôle à jouer dans la construction d’une véritable démocratie au Congo, gage de la stabilité du pays sur le long terme. En dépit d’efforts louables mais tardifs, pour accorder davantage d’espace à l’opposition au sein du Parlement, la capacité de cette dernière à jouer son rôle reste sérieusement compromise en raison du recours répété à la force contre ses partisans et du départ en exil de Jean-Pierre Bemba, le principal adversaire du président Kabila lors des dernières élections. La mise à l’écart quasi-intégrale de l’opposition des postes de gouverneurs alors même que l’opposition avait remporté les élections dans cinq assemblées provinciales est un autre signe des menaces qui pèsent sur le pluralisme politique. Rien ne garantit que, comme le prévoit la Constitution, des pouvoirs locaux forts, capables de gérer en toute transparence 40 pour cent des recettes fiscales nationales, puissent se mettre en place.

Pour reconstruire l’État et renforcer son autorité, le gouvernement doit consolider le processus démocratique, sans quoi il risque de se retrouver paralysé par des troubles récurrents, une impuissance quasi structurelle et un regain d’instabilité un peu partout dans le pays. Seul un changement dans le mode de gouvernance apportera la légitimité et la capacité de mobilisation nécessaires pour distribuer les dividendes de la paix dans tous les secteurs de la société.

Le gouvernement n’a toujours pas la capacité de contrôler l’ensemble du territoire national. Les principaux problèmes ne sont pas nouveaux : forces de sécurité indisciplinées, mal équipées se rendant régulièrement coupables d’exactions, maintien de plusieurs territoires à l’Est sous le contrôle de miliciens, risque de troubles civils et de violente répression dans l’Ouest là où l’autorité du gouvernement est faible. Tous ces problèmes sont liés : la faiblesse et le manque de neutralité des forces de sécurité nourrissent l’amertume de la population et permettent aux milices de continuer à prospérer. Créer une armée nationale et apolitique à partir des différents groupes armés et assurer la formation d’une police, capable de gérer de manière pacifique les manifestations en ville et d’assurer une véritable sécurité sont absolument nécessaires pour la consolidation de la paix.

Les bailleurs de fonds ont longtemps considéré que la réforme du secteur de la sécurité était un dossier purement technique. En réalité, les problèmes posés par la gouvernance et la sécurité sont par nature politique et doivent être traités comme tels. Jusqu’ici toutes les tentatives pour réformer la structure de commandement, la taille et le contrôle des forces de sécurité (notamment la Garde présidentielle constituée de 12 000 soldats) ainsi que la gestion financière du secteur ont été bloquées du fait d’une politisation excessive de ces dossiers et de la corruption généralisée qui règne au sommet. La logique de la transition était d’acheter la paix en offrant à tous les participants des postes financièrement intéressants. Cet arrangement a fonctionné mais au prix d’une impunité pour les auteurs de violations des droits humains et les responsables accusés de corruption, si bien qu’aujourd’hui, les réseaux clientélistes continuent d’imprégner l’État et l’armée et de bloquer les réformes nécessaires.

Pour avancer, il va falloir renforcer la gouvernance démocratique. Le gouvernement doit laisser l’opposition et les institutions – le Parlement, la presse et les tribunaux – faire leur travail. La réforme requiert une véritable volonté politique de mettre fin à l’impunité en procédant à la mise à l’écart, après enquête, des officiers de la police et de l’armée impliqués dans des crimes et en assurant l’indépendance des tribunaux. Le gouvernement doit également tenir ses promesses en allant jusqu’au bout des procédures de révision des contrats d’exploitation minière et forestière et en procédant à l’audit de secteurs clef tels que l’armée, les entreprises d’État et la Banque centrale. Les bailleurs de fonds doivent rester engagés aux côtés du Congo, en liant l’aide (qui représente plus de la moitié du budget) à l’adoption d’un cadre politique pour un nouveau partenariat avec les institutions congolaises, permettant de faire face aux défis de la consolidation de la paix.

Kinshasa/Bruxelles, 5 juillet 2007

Executive Summary

Elections in the Democratic Republic of Congo were a milestone in the peace process but much remains to be done to consolidate the gains. A return to full-scale war is unlikely but violence in Bas-Congo and Kinshasa in early 2007 with over 400 people killed and renewed threats of war in the Kivus show the country’s fragility. The new government’s relations with the opposition have deteriorated sharply, raising the possibility of a drift to authoritarianism and urban unrest in the West, while militias continue to clash with the weak national army in the East, displacing hundreds of thousands of civilians each year, many of whom succumb to hunger and disease. The elected democratic institutions need to promote transparent and accountable governance, which should in turn stimulate continuous international support as opposed to gradual disengagement. A new partnership arrangement is urgently required between the government and the international community to push forward on deep governance reforms.

The transition was in some ways an outstanding success. It unified a divided country and improved security in much of its territory. The six main armed groups were integrated to form a national army, however flawed it remains. The Independent Electoral Commission organised provincial and national elections, considered by most observers to be relatively free and fair and ushering in the first truly democratic government in 40 years. Foreign troops withdrew, and relations with Rwanda, one of the main sponsors of the war, improved dramatically. However, the new governing institutions remain weak and abusive or non-existent.

The integrated army has become the worst human rights abuser, and the corrupt public administration is unable to provide the most rudimentary social services. While the security situation in areas like Ituri is better, there is little progress in disarming militia groups in the Kivus, and new political tensions have come to the fore, in particular in the West, which voted heavily for the opposition. The government’s use of force in Bas-Congo and the capital to crack down on its opponents instead of seeking a negotiated solution has entrenched animosity in those areas, creating the potential for further urban unrest and pockets of latent conflict.

The Kabila government has a strong mandate but the opposition, with the support of over a third of the electorate, has a role in building democracy which needs to be protected if Congo is to be stable. Despite late but commendable efforts to grant it more space in parliament, the opposition’s capacity to play that role remains severely undermined by the recurrent use of force against its supporters and the exile of Jean-Pierre Bemba, the main challenger to President Kabila during the recent election. The opposition’s virtual exclusion from governorships despite winning five provincial assembly elections is another sign of shrinking political pluralism. The constitutional requirement to set up strong local governments capable of providing accountability for management of 40 per cent of national tax revenues is also at risk.

To rebuild the state and augment its authority, the government must strengthen democracy or risk being paralysed by recurrent unrest, structural impotence and renewed instability in ever more parts of the country. Only a change of governance can provide the legitimacy and capacity to raise the revenues necessary to distribute peace dividends to all sectors of society.

The government still lacks the capacity to control the national territory. The main problems are well known: ill-disciplined, ill-equipped and often abusive security forces, continuing control by militias of large areas of the East and the risk of civil unrest and repressive violence in the West, where there is little government authority. The problems are closely intertwined: the weakness and partisanship of the security forces fuel popular resentment and allow militias to prosper. Creating a national, apolitical army out of the various armed groups and competent police able to handle urban disorder peacefully and provide genuine security is central to consolidating stability.

Donors have often treated security sector reform as purely technical but the governance and security challenges are inherently political and must be treated as such. The command structure, size and control of the security forces (in particular the 12,000-strong Presidential Guard) and the financial administration of the sector suffer from blatant political manipulation and pervasive, high-level corruption that have made real reform all but impossible. The logic of the transition was to buy peace by giving all signatories to the deal lucrative positions, an accommodation that came at the cost of continued impunity for human rights abuses and corruption and left intact patronage networks that permeate the state and army, undermining much-needed reforms.

The way forward lies in strengthening democratic governance. The government must allow the opposition and institutions – parliament, press and courts – to do their jobs. Reform requires genuine political will to tackle impunity by vetting police and army officers and making courts independent. The government also needs to live up to its promise to review mining and timber contracts and audit key sectors, including the army, state companies and the Central Bank. Donors must stay engaged, linking aid (over half the budget) to a political framework for a new partnership with Congo’s institutions to deal with peacebuilding priorities.

Kinshasa/Brussels, 5 July 2007

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