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Congo: Le dilemme electoral

Confrontées au dilemme de respecter les échéances constitutionnelles et organiser des élections bâclées, ou d’ignorer ces échéances et plonger dans une période d’inconstitutionnalité du pouvoir, les autorités congolaises ont choisi la première option.

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Synthèse

Après quatre ans d’inertie électorale et un processus de démocratisation enlisé, la République démocratique du Congo (RDC) prépare ses secondes élections démocratiques dans l’urgence et selon un calendrier glissant. Les partis de l’opposition essayent de s’unir, jusqu’ici sans succès, et, contrairement aux premières élections de 2006, cette fois-ci la communauté internationale ne pilote pas de fait le processus électoral. Les autorités congolaises sont face à un dilemme : respecter les échéances constitutionnelles et organiser des élections bâclées ou ignorer ces échéances et plonger dans une période d’inconstitu­tionnalité du pouvoir. Dans les deux cas, la légitimité du gouvernement sera fortement mise à caution. Le seul moyen de sortir de cette situation sans gagnants consiste à accélérer la préparation des scrutins et à négocier un calendrier électoral de secours ainsi qu’un accord politique pour une période de transition quasi certaine. La mise en place de mesures essentielles pour garantir des élections transparentes et inclusives, ainsi que la sécurisation du processus électoral, sont des priorités qui vont exiger un engagement fort des Nations unies. Si de telles mesures ne sont pas prises, les partenaires internationaux devraient se désengager pour ne pas cautionner un processus profondément vicié.

Loin d’annoncer la consolidation de la démocratie, les élections à venir sont au mieux un problème logistique et au pire une nouvelle cause de déstabilisation. D’autant que le pays ne s’est toujours pas complètement rétabli de la longue guerre qui a marqué la fin de l’ère Mobutu et son dénouement. Le parti du président Joseph Kabila est déjà entré en campagne, bien avant le début de la période électorale, tandis que l’opposition cherche son « champion » pour la course présidentielle. Les sources d’inquiétudes ne sont pas simplement logistiques. Au début de l’année, un changement constitutionnel a fait disparaître le premier tour éliminatoire de l’élection présidentielle, la transformant en une compétition à tour unique où le gagnant rafle toute la mise et favorisant ainsi le président en place. D’autres changements de la loi électorale au profit du parti en place sont aussi à attendre puisque le projet de loi est en cours d’examen. Alors qu’il règne un climat d’insécu­rité généralisée, les intimidations des opposants ont déjà commencé. En dépit de l’intégration de quelques groupes armés dans les forces gouvernementales congolaises, l’in­sécurité prévaut toujours aux Kivus, tandis que des incidents sécuritaires inexpliqués, incluant une tentative de coup d’Etat, ont lieu à l’Ouest du pays.

Les préparatifs techniques sont en retard. Ni la loi électorale, ni la liste des électeurs, ni le budget ne sont prêts. Mise en place avec une année de retard, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a entamé une véritable course contre la montre. L’enregistrement des électeurs est déjà controversé, le financement du cycle électoral est incomplet et le calendrier électoral, qui ne respecte que partiellement les échéances constitutionnelles, est problématique.

Le rôle de la communauté internationale est beaucoup plus limité qu’en 2006, quand elle a organisé, financé et garanti tout le processus électoral. Toutefois, elle fournit encore 40 pour cent du financement, apporte une assistance technique et maintient environ 17 000 soldats de l’ONU dans le pays. Compte tenu des risques d’illégiti­mité des élections, de fraudes et de violences, la communauté internationale ne devrait pas rester en arrière-plan, mais plutôt faire comprendre aux politiciens congolais qu’un report des élections serait préférable à des élections bâclées.

La communauté internationale, incluant le Conseil de sécurité des Nations unies et l’ensemble des bailleurs de fonds, devrait clairement faire pression sur les autorités congolaises pour qu’elles mettent en œuvre les mesures essentielles et appliquent les mêmes standards qu’en 2006. Dans cette perspective, un accroissement de l’engage­ment politique est nécessaire ainsi que la nomination d’un Envoyé spécial pour les Etats-Unis, la France et l’Union européenne (UE) ; le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies (RSSG) a aussi un rôle essentiel à jouer. Ceci afin de ne pas se retrouver piégé dans un processus biaisé qui pourrait déraper dans la violence, à l’instar de celui qu’à récemment expérimenté la Côte d’Ivoire. L’assistance financière et technique devrait être fournie en fonction d’un suivi constant et précis de la liberté de battre campagne, du respect du pluralisme politique, de la violence politique, de l’accès aux médias nationaux, du dialogue entre les autorités congolaises et la CENI, ainsi que des opportunités pour la société civile de conduire librement son monitoring du processus électoral.

Les politiciens congolais et la communauté internationale devraient dès maintenant anticiper la possibilité bien réelle que l’échéance constitutionnelle du 5 décembre ne puisse pas être respectée. Négocier un accord avec l’opposition, établir une nouvelle échéance pour l’organisation des élections et limiter les responsabilités du gouvernement aux affaires courantes durant la période de transition ne garantiront pas des élections libres et transparentes. Toutefois, cela permettrait d’éviter qu’un probable report inconstitutionnel des élections n’ouvre une crise de légitimité.

Kinshasa/Nairobi/Bruxelles, 5 mai 2011

Executive Summary

After four years of electoral inertia and in a stalled democratic process, the Democratic Republic of Congo (DRC) is preparing its second set of democratic elections in a hurry and on a rolling calendar. Opposition parties are trying to unite, thus far without success, and the international community is not in charge, as in effect it was the first time, in 2006. The Congolese authorities face a dilemma: respect the constitutional deadline and organise botched elections, or ignore that deadline and slide into a situation of unconstitutional power. In both cases, the government’s legitimacy would be seriously questioned. The only way out of this Catch-22 situation is to both speed up preparations and negotiate a contingency electoral calendar and political agreement to manage an almost certainly necessary transition period. More attention must also be paid to putting in place essential measures for transparency and inclusiveness, as well as a security system that will ultimately require important UN help. If these steps are not taken, foreign partners should disengage lest they lend undeserved credibility to a fundamentally flawed process.

Instead of signalling consolidation of democracy, the coming elections present at best a logistical problem and at worst a new cause of destabilisation for a country that has still not recovered from the long wars that marked the end of the Mobutu era and its denouement. President Joseph Kabila’s ruling party has already launched its campaign, even before the official start of the electoral season, while the opposition is trying to find its “champion” for the presidential contest. More than logistical difficulties give reason for concern. At the start of the year, a constitutional review removed the presidential election’s run-off round, making it a single winner-takes-all round to the incumbent’s benefit, other electoral law changes favouring the ruling party may happen soon, as the draft bill is still being discussed. Within what is a general climate of insecurity, intimidation of Kabila’s opponents has already become apparent. Despite last-minute integration of some armed groups into the Congolese army, insecurity is still rife in the Kivus, while unexplained security incidents, including an attempted coup, have occurred in the west.

Technical preparations are lagging. Neither the new electoral law, the voters list, nor the budget are ready. Set up a year late, the National Independent Electoral Commission (NIEC) is in a race against time. Registration is already controversial, funding of the electoral cycle is incomplete, and the electoral calendar published on 30 March, though it partially respects constitutional deadlines, is problematic.

The international community’s role is far more limited than in 2006, when it organised, financed and secured all aspects of the elections. However, it still provides 40 per cent of the funding, gives technical assistance and maintains about 17,000 UN troops in country. Given the risks of electoral illegitimacy, bias and violence, it should not stay in the background but instead make clear to the Congolese politicians that a postponed election would be better than a botched one.

The international community, including through the UN Security Council and an inclusive donors forum, should make clear the need for the Congolese authorities to include essential measures in the electoral system and apply the same standards as in 2006. In this respect, stepped-up political engagement is required, and new Special Envoys for the U.S., France and EU should be appointed; the Special Representative of the Secretary-General of the United Nations (SRSG) has an equally significant role to play. In order not to become trapped in a biased process that could all too easily become as violent as that which Côte d’Ivoire recently experienced, technical and financial assistance should be contingent on constant and precise monitoring of the freedom to campaign, respect for political pluralism, political violence, access to state media, dialogue with the Congolese authorities and state funding for the NIEC, as well as the opportunity for civil society groups to do their own monitoring of the process.

Congolese politicians and the international community should anticipate now the very real possibility that the 5 December constitutional deadline cannot be met. Negotiating a transition agreement with the opposition, setting a new deadline for organising the elections and limiting the business of government to routine matters during the transition would not yet guarantee a free and fair election, but it would avoid having a likely unconstitutional postponement of the elections become a crisis of legitimacy.

Kinshasa/Nairobi/Brussels, 5 May 2011

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