Élections en RDC : quelles perspectives pour un réel changement ?
Élections en RDC : quelles perspectives pour un réel changement ?
Commentary / Africa 7 minutes

RDC: le temps des enseignements

Avec plusieurs semaines de retard, la Commission électorale nationale indépendante a publié les résultats de l’élection législative du 28 novembre 2011. Ces résultats sont issus d’un processus caractérisé par de multiples violations du code électoral, la perte de plusieurs millions de voix et des opérations de comptage suffisamment opaques pour rendre toute vérification impossible (voir les rapports du Carter Center et les rapports de la mission d’observation électorale de l’Union européenne, les communiqués de presse de la Belgique, de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Union européenne et des Etats-Unis). Pour autant, les efforts déployés par la communauté internationale pour assister la CENI dans le dépouillement des élections législatives ont tous été rejetés par Daniel Ngoy Mulunda, son président, et ce sont ces résultats issus d’un processus non crédible qui vont déterminer la physionomie de la nouvelle Assemblée nationale.

Carte des irrégularités qui se seraient produites lors du scrutin.

Une Assemblée nationale entre maintien des grands équilibres politiques et changements subtils

Quel que soit le crédit qu’on leur accorde, les résultats législatifs mettent en évidence quelques grandes tendances qui sont difficilement contestables :

  • une fragmentation accrue du paysage politique ;
     
  • un recul du camp présidentiel mais sans perte de position dominante ;
     
  • un renouvellement de l’opposition mais sans progression notable ;
     
  • la structure ethno-provinciale de la politique congolaise.
Assemblee Nationale RDC, 2006
Assemblée nationale 2011

Comme l’indique le diagramme ci-dessus, la tendance dominante est la fragmentation du paysage politique. En 2006, les 5 partis ayant présenté plus de 300 candidats (PPRD, MLC, RCD, MSR et FR) avaient obtenu 243 sièges, soit 48,6% de l’Assemblé nationale, alors qu’en 2011, 9 partis (PPRD, UDPS, UNC, UFC, MSR, PALU, PPPD, AFDC et ECT) ont pu présenter plus de 300 candidats mais n’ont totalisé que 220 sièges. Sur les quatre vingt dix-huit partis représentés à l’Assemblée nationale, la moitié n’ont qu’un seul élu et seuls onze partis ont plus de dix élus (Il s’agit du PPRD, l’UDPS, le PPPD, le MSR, le MLC, le PALU, l’UNC, l’ARC, l’AFDC, le RRC et l’ECT). Le principal gagnant de cette élection législative n’est donc ni le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie de Joseph Kabila ni l’Union pour la démocratie et le progrès social d’Etienne Tshisekedi  mais ces micro-partis qui ont entre 1 et 3 élus, se sont multipliés depuis 2006 et font que la nouvelle assemblée comptera 29 partis de plus qu’en 2006. Cette prolifération va de pair avec la très forte réduction des « indépendants » qui fondent comme neige au soleil et passent de 63 en 2006 à 16 en 2012.

Face à la vague des micro-partis, les grands partis tels que le PPRD, le MLC et le PALU reculent tous. Tout en demeurant le premier parti de l’Assemblée, le PPRD n’obtient que 61 sièges contre 111 en 2006. Si la perte du nombre d’élus est un phénomène général chez les grands partis – hormis les nouveaux venus –, il y a néanmoins les perdants et les super-perdants : le MLC est en chute libre (-42 élus) à l’instar du PALU (-15), de l’UDEMO (-7), du RCD-National (-14). Ce recul parfois massif reflète un vote sanction pour les partis portés à l’Assemblée en 2006, qu’il s’agisse de la majorité ou de l’opposition.

Même si le parti présidentiel est en perte de vitesse et si la dynamique interne au camp présidentiel évolue, la majorité présidentielle est sans conteste la force dominante de l’Assemblée 2012 au vu des chiffres de la CENI. Le PPRD et ses alliés représentent 341 sièges mais la majorité de 2012 n’est pas la majorité de 2006 : le PALU a cédé la place à un nouveau mouvement, le Parti du peuple pour la paix et la démocratie (PPPD) créé par d’anciens membres du PPRD tandis que le MSR de Pierre Lumbi fait figure de troisième pilier de la majorité. Loin de se concentrer sur un ou deux partis, la majorité présidentielle s’éparpille, ce qui va à l’encontre des desseins des dirigeants du PPRD mais ne les empêchera pas d’avoir le plein contrôle de l’Assemblée et d’étendre leur majorité pour des votes clés.

Pour une meilleure compréhension des subtilités du processus électoral, il convient de noter qu’en dépit d’un recul du PPRD et d’un éparpillement de la majorité en de multiples formations, les personnalités clés du « système Kabila » ainsi que des membres de la famille sont réélues : Augustin Katumba Mwanke, Jeannine Mabunda, Lambert Mende, Evariste Boshab, Jean-Pierre Daruwezi, Simon Bulupyi Galati, Charles Mwando Simba, Celestin Mbuyu, Norbert Basengezi, Justin Kalumba, Adolphe Muzito, Olivier Kamitatu, Janette et Zoé Kabila, etc. (Janette Kabila a été élue comme indépendante alors que son frère Zoé Kabila a été élu sous les couleurs du PPRD). Tous les gouverneurs qui se sont présentés sont élus, sauf ceux du Sud-Kivu et du Kasaï-Occidental. Par contre, Alexis Thambwe, José Endundo et Martin Kabwelulu, respectivement ministres des affaires étrangères, de l’environnement et des mines, ne sont pas élus.

Si la donne change quelque peu dans la majorité, l’opposition est profondément bouleversée. L’opposition parlementaire de 2006 s’efface au profit de deux nouvelles forces : le MLC perd son titre de héraut de l’opposition pour devenir numéro 2 derrière l’UDPS et talonné de près par l’autre nouveau venu, l’UNC de Vital Kamerhe. Les deux nouveaux venus s’imposent sans peine face à l’ancienne opposition parlementaire. Toutefois, cette opposition maintenant parlementaire n’existera que si Etienne Tshisekedi laisse siéger les députés de son parti. Une politique de la chaise vide de la part du second parti de la RDC ne ferait qu’affaiblir davantage l’opposition et aboutirait pour l’UDPS à un retour à la case départ.

Les élections législatives démontrent aussi largement le caractère ethno-provincial des partis politiques congolais. Seul le PPRD a des élus dans les onze provinces du pays et seulement quatre partis (l’UDPS, le PPPD, le MSR et le PALU) ont des élus dans plus de 6 provinces. Toutefois, y compris le PPRD, tous ont une base provinciale importante qui constitue le cœur de leur électorat : le Katanga pour le PPRD, le PPPD, l’ECT, l’UDCO, l’UNADEF et l’UNAFEC ; la Province Orientale pour le MSR, l’AFDC, le RRC et le MIP ; l’Equateur pour le MLC et le PDC ; le Bandundu pour le PALU et l’ARC ; le Kasaï-Oriental et Occidental pour l’UDPS ; le Nord-Kivu pour le RCD K-ML et le Sud-Kivu pour l’UNC. L’UDPS et l’UNC ont aussi une forte assise ethno-provinciale : sur 41 élus de l’UDPS, 25 viennent des Kasaï et sur 17 élus de l’UNC, 10 viennent des Kivu. Tout comme la majorité, l’opposition possède surtout une base dans les provinces d’où sont originaires ses leaders.

Le temps des enseignements

Quelques acteurs internationaux ont appelé à tirer les enseignements des scrutins présidentiel et législatif, notamment en vue des élections provinciale et locale. Un retour d’expérience s’impose en effet à plusieurs niveaux :

  • au niveau de la CENI afin de comprendre pourquoi la cartographie des bureaux de vote et le fichier électoral qui ont coûté plusieurs millions de dollars étaient à ce point lacunaires et inexacts, comment plusieurs millions de voix ont-elles pu être perdues et pourquoi la CENI a accepté l’expertise du NDI et d’IFES avant de se rétracter ?
     
  • au niveau de la Cour suprême de justice afin de comprendre selon quelle procédure et avec quelles garanties d’indépendance des magistrats supplémentaires ont été nommés en pleine campagne électorale ?
     
  • au niveau des Nations unies afin de comprendre pourquoi les experts électoraux du PNUD n’ont pas alerté sur les problèmes de préparation des scrutins et la nécessité de décaler le vote d’une semaine ou deux, dans quelle mesure ils ont participé à la commission de consolidation des résultats, dans quelle mesure la MONUSCO s’est assurée de l’intégrité des caisses de bulletins qu’elle transportait, dans quelle mesure la mission de bons offices de la MONUSCO a été menée à bien et pourquoi des groupes armés annoncés comme défaits en 2011 font-ils de nouveau parler d’eux en 2012 ?
     
  • au niveau des missions d’observation de la SADC, de l’UA, de la CEEAC, de la CIRGL, la COMESA, etc., afin de savoir pourquoi elles se sont contentées d’une observation de court, voire de très court terme ?
     
  • au niveau des bailleurs afin de comprendre quel raisonnement les a conduits à investir plus de 100 millions de dollars dans un processus électoral biaisé dès le départ, pourquoi la contribution de l’Union européenne a été prélevée sur le budget consacré aux infrastructures indispensables à la RDC, dans quelle mesure l’UE va payer sa dernière contribution pour des élections qualifiées de non crédibles par sa mission d’observation et dans quelle mesure les bailleurs sont prêts à financer le scrutin provincial dans un contexte de domination du parti au pouvoir et avec une CENI décrédibilisée ?
     
  • au niveau de l’UDPS afin de comprendre si ce parti va mener la politique de la chaise vide ou s’il est capable d’utiliser le forum parlementaire et d’être le moteur d’une alliance de l’opposition ?

Contrairement aux apparences, la publication des résultats législatifs n’est pas la fin du processus électoral et plusieurs problèmes restent en suspens. Par exemple, l’organisation d’un nouveau scrutin dans les 7 circonscriptions où il a été annulé et surtout les élections provinciales. Prévues en mars dans le calendrier électoral initial, la CENI a déjà annoncé leur report sans fixer d’échéances. Elles ne peuvent être trop repoussées sans poser des problèmes institutionnels (non renouvellement du Sénat, non renouvellement des gouverneurs élus députés, etc.). Les élections provinciales pourraient, en théorie, se dérouler dans de meilleures conditions que les élections du 28 novembre si la configuration actuelle de la CENI était modifiée. Le financement de la suite du processus électoral reste aussi une question entière. En revanche, après le recours de Vital Kamerhe contre les résultats présidentiels, personne ne se fait d’illusions sur le traitement des centaines de recours pour les législatives bien que les éventuels dénis de droit risquent de susciter des réactions locales dangereuses. Le mois de janvier a en effet correspondu à une recrudescence des tensions intercommunautaires et des groupes armés au Nord-Kivu où se joue l’entrée en politique du CNDP de Bosco Ntaganda, un officier congolais recherché par la Cour pénale internationale. Face aux tensions intercommunautaires, à l’inutilité des recours légaux et au silence de la communauté internationale quant au recours à la force par le régime Kabila, la tentation de la violence comme moyen de pression est grande pour les perdants des législatives dans des zones à forte densité milicienne.

La réaction des bailleurs occidentaux reste actuellement hésitante. En dépit de critiques publiques, les options vont de la tentation (forte) de ne rien faire à celle (mesurée) d’une “révision” de l’engagement international avec le régime de Kabila. Si les bailleurs veulent vraiment tirer les enseignements des élections de 2011, la moindre des choses serait qu’ils se demandent comment éviter une répétition des scrutins du 28 novembre lors des prochaines élections provinciales.

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