DR Congo: A Full Plate of Challenges after a Turbulent Vote
DR Congo: A Full Plate of Challenges after a Turbulent Vote
Alert / Africa 6 minutes

Congo : sauver les élections

Une semaine après les élections présidentielles et législatives, la République démocratique du Congo (RDC) est confrontée à une crise politique qui pourrait replonger le pays dans la violence. Les résultats provisoires, attendus aujourd’hui, risquent de déclencher des manifestations de l’opposition, qui peuvent susciter à leur tour une répression sévère des forces de sécurité congolaises et enclencher une spirale de violence. Afin d’éviter ce scénario, les autorités congolaises doivent adopter des mesures urgentes pour qu’un résultat relativement représentatif émerge d’un processus électoral défectueux. Les Nations unies, l’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE) doivent travailler ensemble pour proposer une médiation entre les dirigeants congolais afin de trouver une issue à la crise.

La semaine dernière, des dizaines de millions de Congolais ont voté lors des secondes élections depuis la fin de la sanglante guerre civile. Le scrutin constitue l’aboutissement d’une année de préparation tendue, caractérisée par un déséquilibre politique favorable au président en exercice Joseph Kabila. Des modifications constitutionnelles ont mis fin à l’élection présidentielle à deux tours, ce qui a éparpillé le vote de l’opposition incapable de s’unir derrière un candidat unique. Des fidèles du pouvoir ont été nommés à la commission électorale et à la Cour suprême, en charge du contentieux électoral. Malgré des disparités dans l’enrôlement des électeurs, les partis de l’opposition et les observateurs n’ont pas pu examiner la liste électorale. Les médias contrôlés par l’Etat ont battu le rappel pour le président. Néanmoins, Joseph Kabila, largement moins populaire que lors de sa victoire en 2006, a fait face à une rude compétition, notamment de la part du vétéran de l’opposition Etienne Tshisekedi. Avec la présence d’un autre candidat, Vital Kamerhe, menaçant de rafler les voix de Kabila aux Kivus – voix qui ont été cruciales pour sa victoire il y a cinq ans – la réélection du président sortant est loin d’être assurée.

Le scrutin a été marqué par une gestion chaotique, des violences localisées et des fraudes ont été signalées – intimidation des électeurs, bourrages d’urnes, etc. Prévu pour le 28 novembre, le vote a été prolongé de deux jours parce que le matériel nécessaire est arrivé en retard et la confusion régnait dans les listes électorales. Les observateurs internationaux, y compris ceux de l’Union européenne et du Centre Carter, ont signalé des irrégularités très répandues – mais puisque peu d’entre eux se sont aventurés en dehors des villes principales, ils ont probablement manqué les abus les plus grossiers.

Le décompte a été aussi chaotique que le vote, et dangereusement opaque. Les critères pour invalider les bulletins de vote ne sont pas clairs, et Kinshasa – un fief de l’opposition – semble être particulièrement concerné. Le refus de la commission électorale de publier les résultats par bureaux de vote, ce qui permettrait aux partis d’opposition et aux observateurs de les vérifier dans le détail, est particulièrement révélateur. Les irrégularités du jour du scrutin sont un sérieux problème ;l’impression que les résultats sont falsifiés à huis clos serait un désastre.

L’infortune électorale du Congo reflète une absence de progrès au niveau démocratique et institutionnel depuis 2006. Mais elle résulte également du faible engagement africain et international. Malgré des violations des droits de l’homme lors de la campagne, rapportées par le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme, la mission de l’ONU, la Monusco, s’est montrée peu disposée à critiquer ouvertement le gouvernement et les autorités électorales. Elle s’est aussi apparemment abstenue de proposer les bons offices prévus dans son mandat du Conseil de sécurité ; un rôle pourtant crucial compte tenu de la méfiance de l’opposition à l’égard des institutions congolaises. Les bailleurs de fonds également – particulièrement l’UE et le Royaume-Uni, qui ont en partie financé le scrutin, et les Etats-Unis – ont largement échoué à empêcher le renforcement du pouvoir de Kabila.

Une lourde atmosphère pèse désormais sur Kinshasa. A la veille des élections, la répression des forces de sécurité contre des manifestants de l’opposition a entrainé, selon Human Rights Watch, dix-huit morts et plus d’une centaine de blessés. Pendant le scrutin, les autorités se sont heurtées aux militants de l’opposition dans les provinces du Kasaï et du Katanga, alors que des violences sporadiques ont été signalées dans d’autres régions, caractérisées notamment par la destruction du matériel électoral et des électeurs empêchés de se rendre aux urnes. L’arrivée des renforts de la garde présidentielle dans les camps militaires aux abords de la capitale et le renvoi de certains officiers n’augurent rien de bon. Les deux camps peuvent facilement mobiliser des milices et des groupes de jeunes armés.

Durant le weekend, des milliers de Congolais auraient traversé le fleuve pour se rendre au Congo-Brazzaville voisin, redoutant la violence. Des rumeurs de distribution de machettes, une mobilisation des gangs et une lourde présence des forces de sécurité entretiennent une atmosphère de paranoïa dans la capitale. Les dirigeants de l’Eglise catholique au Congo, qui a déployé quelque 30 000 observateurs – plus que tout autre groupe – durant le scrutin, ne publient pas leurs conclusions, craignant qu’elles n’attisent les tensions. Durant le weekend, l’évêque Nicolas Djombo a décrit la situation comme étant « un train allant droit dans le mur ». Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), pendant ce temps, a déclaré qu’il suivait de près la situation en RDC.

Les résultats provisoires de la commission électorale, censés être publiés rapidement, vont sans doute placer Kabila en tête du scrutin. Mais compte tenu de la crédibilité entamée de cette institution et de l’ampleur des irrégularités, ces résultats ne risquent pas d’inspirer la confiance. L’opposition risque de les rejeter d’emblée. La Cour suprême doit résoudre les différends, mais puisqu’elle est également composée de proches du pouvoir, les perdants vont probablement chercher à exprimer leurs griefs dans la rue. Il est difficile d’anticiper l’ampleur de la violence : des affrontements risquent d’éclater à Kinshasa mais aussi dans d’autres régions, particulièrement dans les fiefs de l’opposition comme le Kasaï oriental, où le gouverneur a déjà déclaré l’état d’urgence, le Kasaï occidental, le Sud-Kivu, Lubumbashi, et l’Equateur. Des divisions au sein de l’armée ne doivent pas être exclues.

Une action internationale et régionale d’urgence est nécessaire pour sauver les élections et persuader les dirigeants congolais de s’abstenir de recourir à la violence. Ces deux tâches ne s’annoncent pas faciles. Les défaillances techniques considérables et les manipulations délibérées du scrutin réduisent la possibilité de connaitre les véritables résultats tandis que le contrôle des institutions par le régime réduit la possibilité pour les élites de résoudre pacifiquement les différends. Alors qu’une fébrilité croissante gagne Kinshasa, les deux candidats en tête semblent peu enclins à s’adresser la parole et encore moins à accepter la défaite. Cependant l’adoption des mesures suivantes présente un espoir de sortie de crise :

  • La commission électorale doit compter les bulletins de vote de manière transparente, dans le respect de la loi congolaise et en présence d’observateurs locaux et internationaux – et elle doit annoncer publiquement qu’elle va le faire. Elle doit publier les résultats de chaque bureau de vote, pour permettre une vérification indépendante, pour l’élection présidentielle comme pour les législatives qui sont désormais quasiment oubliées.
     
  • Les autorités doivent expliquer clairement comment les partis politiques et les observateurs ont la possibilité de contester les résultats de chaque bureau de vote. Les bureaux qui ont fourni des résultats douteux ou ceux où les observateurs ont signalé des irrégularités doivent faire l’objet d’enquêtes rigoureuses – encore une fois, en présence d’observateurs internationaux – avec des critères clairs à appliquer pour l’invalidation des bulletins. La possibilité de voter doit être offerte aux électeurs des régions où le scrutin n’a pas pu avoir lieu.
     
  • Tous les dirigeants congolais doivent éviter les discours haineux. Etant donné que les manifestations vont sans doute devenir violentes, les dirigeants de l’opposition ne doivent pas appeler à manifester après l’annonce des résultats.
     
  • Si des manifestations ont lieu, les forces de sécurité doivent s’abstenir de faire usage d’une force excessive – et des instructions claires doivent être émises par les chefs militaires et de la police et le président. Toute violence doit faire l’objet d’une enquête par des organisations de droits de l’homme congolaises et internationales, ainsi que, si cela est approprié, par la CPI.
     
  • L’ONU, l’UA et l’UE doivent envoyer immédiatement une médiation de haut niveau entre les parties. Un accord de partage du pouvoir n’est pas souhaitable ; en revanche, compte-tenu de la défiance à l’égard des institutions électorales. Les médiateurs doivent explorer des options pour un mécanisme alternatif de règlement du contentieux électoral ou pour une supervision indépendante des mécanismes existants – éventuellement sous les auspices de l’UA et avec un soutien international. Ils doivent également trouver un moyen d’éviter une crise constitutionnelle puisque le mandat de Kabila expire cette semaine.
     
  • Pendant ce temps, l’ONU, les bailleurs de fonds et les dirigeants régionaux doivent éviter les déclarations qui légitiment des résultats contestables et détruisent le peu de crédibilité qui leur reste au Congo. Ils ne peuvent pas accepter les défaillances électorales. Aucun dirigeant ne doit être félicité tant que tous les différends électoraux ne sont pas résolus.
     
  • L’ONU doit déployer des casques bleus supplémentaires dans les provinces de l’Ouest et à Kinshasa, sinon elle risque d’échouer à remplir son mandat de protection des civils. Un bain  de sang dans la capitale d’un pays hôte de la plus large opération de maintien de la paix des Nations unies est impensable.

Au-delà du danger immédiat que représentent le rejet des résultats et l’escalade de la violence, l’existence d’un président ayant un mandat illégitime pose une menace sérieuse pour la paix et la sécurité dans le pays. Seul un dirigeant dont les Congolais sont convaincus qu’il a été élu librement est à même de résoudre les multiples problèmes du pays. Les perdants exclus de la vie politique peuvent facilement prendre les armes, comme en République centrafricaine ou au Burundi voisins. La crise d’aujourd’hui n’aura pas surpris les observateurs du Congo, puisqu’elle résulte du désengagement discret mais réel des acteurs régionaux et internationaux ces dernières années. Ils doivent désormais s’engager à nouveau – et rapidement. 

Kinshasa/Nairobi/Bruxelles

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