La prise de Lubumbashi : gouvernance par substitution en RDC
La prise de Lubumbashi : gouvernance par substitution en RDC
DR Congo: A Full Plate of Challenges after a Turbulent Vote
DR Congo: A Full Plate of Challenges after a Turbulent Vote
Commentary / Africa 5 minutes

La prise de Lubumbashi : gouvernance par substitution en RDC

L’occupation surprise de Lubumbashi, la seconde ville de la République démocratique du Congo (RDC), par 440 combattants Maï-Maï le samedi 23 mars 2013 est révélatrice de l’effondrement de la capacité du régime congolais à gouverner, assurer la sécurité et se réformer. Cet évènement inattendu, qui a fait 35 morts et 53 blessés, est venu brutalement rappeler que la crise que traverse la République démocratique du Congo ne se limite pas au Nord Kivu, dans l’Est du pays, et à un problème de seigneurs de guerre.

En arborant le drapeau de l’Etat indépendant du Katanga des années 1960 à 1963 sur la place Moïse Tshombe, en plein centre de Lubumbashi, les Maï-Maï Bakata Katanga ont posé un acte symbolique fort. Non seulement la tentation sécessionniste du Katanga hante l’histoire congolaise depuis l’indépendance mais le Katanga est aussi le poumon économique du pays où se concentre l’industrie minière.

En dépit de l’importance stratégique du Katanga et de Lubumbashi, les Maï-Maï Bakata Katanga sont entrés dans la capitale provinciale sans résistance des services de sécurité, accompagnés par l’indifférence bienveillante de la population et à la surprise des autorités provinciales et nationales.

Depuis l’élection controversée de Joseph Kabila en novembre 2011, le contrôle du territoire par le pouvoir congolais se réduit comme peau de chagrin. Outre la chute de Goma, la capitale du Nord Kivu, aux mains du M23, Kinshasa n’a pas su répondre aux exactions des nombreux groupes armés qui évoluent dans l’Est du pays : les Maï-Maï Morgan en Province orientale, le Front de résistance patriotique en Ituri (FRPI), les Maï-Maï Yakutumba au Sud Kivu, les Rayia Mutomboki au Nord et Sud Kivu et les Maï-Maï de Gédéon au Katanga. (Sur les groupes armés congolais, voir le briefing de Crisis Group d’octobre 2012, L’Est du Congo : pourquoi la stabilisation a échoué. Sur les groupes armés du Katanga, voir le rapport, Katanga : la crise oubliée de la RDC.) Malgré les violences et le déplacement d’environ 100 000 personnes, le gouvernement congolais a laissé les Maï-Maï se développer dans le Katanga central depuis plusieurs mois. S’il n’est pas surprenant que le gouvernement néglige la sécurité de ses populations, il est plus surprenant qu’il ne sécurise pas le poumon économique du pays au moment même où il parle de réviser son code minier afin d’augmenter ses recettes fiscales.

Outre un déficit abyssal de sécurité, ces événements illustrent aussi l’impossibilité d’avancer sur une réforme clé pour le pays : la décentralisation (sur ce thème, voir le briefing de Crisis Group, Congo : l’enlisement du projet démocratique). La revendication sécessionniste des Maï-Maï Bakata Katanga (en swahili « Maï-Maï coupeurs de Katanga ») renvoie à l’inachèvement de cette réforme constitutionnelle qui prévoit la division du pays en 24 provinces et un partage des revenus fiscaux entre l’Etat central (60 pour cent) et les provinces (40 pour cent).

L’application de cette réforme au Katanga comme projet-pilote, décidée au début de l’année par le président Kabila, implique la division du Katanga en quatre sous-provinces. Les perdants et les gagnants d’une telle partition suivent la ligne de clivage entre le Katanga pauvre (le Nord) et le Katanga riche (le Sud où se concentre l’industrie minière). Tandis que certains politiciens du Sud y sont favorables, ceux du Nord, les Balubakat, et le très populaire gouverneur de la province, Moïse Katumbi, s’y opposent. Dans ce contexte, l’attaque de Lubumbashi par des Maï-Maï favorables à l’indépendance du Katanga n’est certainement pas une coïncidence : ces combattants ne sont souvent que le bras armé des politiciens locaux pour faire pression sur le gouvernement central.

Plus profondément, les évènements de Lubumbashi illustrent aussi la perte de contrôle du président Kabila dans son dernier fief. Elu en 2006 grâce aux voix des provinces de l’Est, Joseph Kabila a perdu ses soutiens dans les Kivus en 2011 suite à l’intégration du Conseil national pour la défense du peuple (CNDP) dans l’armée, faisant ainsi du Katanga une région clé. Or en annonçant la décentralisation au Katanga, il s’est aliéné une partie de l’élite politique de cette province, qui constitue une base politique stratégique, dans un contexte où la lutte entre les barons de la politique katangaise a déjà des accents pré-électoraux.

Depuis la mort de Katumba Mwanke en février 2012, le conseiller spécial de Joseph Kabila et ex-gouverneur du Katanga, le clan politique du président s’entredéchire. Les fédéralistes tels Jean-Claude Mayembo, le président de la Solidarité congolaise pour la démocratie (SCODE) et Gabriel Kyungu wa Kumwanza, le président de l’Union nationale des fédéralistes du Congo (UNAFEC) et de l’assemblée provinciale, accusent le président Kabila de favoriser les « non-originaires » et de tenter d’imposer des membres de sa famille dans la classe politique katangaise. Les divisions apparaissent au grand jour dans le fief balubakat du président maintenant ouvertement critiqué. De même, Daniel Ngoy Mulunda, le président de la Commission électorale nationale indépendante qui, d’après certains, aurait joué un rôle clé dans la victoire de Kabila, aurait publiquement accusé ce dernier d’ingratitude devant l’assemblée provinciale du Katanga. De plus, des organisations de la société civile mettent en cause certains caciques passés et présents du régime dans la prise de Lubumbashi.

Finalement, la mini-crise des Maï-Maï Bakata Katanga a été gérée par le gouverneur du Katanga et la mission des Nations unies au Congo qui ont obtenu leur reddition. Une fois de plus, les Nations unies et le pouvoir local ont dû se substituer à un gouvernement absent qui a tout de même lancé une enquête parlementaire sur les « évènements de Lubumbashi » et a suspendu le général responsable du Katanga.

Le territoire congolais semble échapper de plus en plus au contrôle du président Kabila : le vide sécuritaire, la perte d’influence sur les barons de la politique katangaise et des décisions risquées comme la décentralisation forment un cocktail explosif. Au plan de la sécurité, le président Kabila compte désormais plus sur des acteurs extérieurs que sur son gouvernement. Dernier exemple de cette politique : le futur déploiement de troupes des pays de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) pour remplir la mission que l’armée congolaise s’est révélée incapable d’accomplir depuis 2006 (neutraliser les groupes armés). Depuis la création d’une brigade spéciale d’intervention par la résolution 2098 du Conseil de sécurité des Nations unies le 28 mars 2013, la lutte contre les groupes armés est devenue l’affaire des forces de la région.

La décision des partenaires de la République démocratique du Congo d’assumer un rôle sécuritaire plus offensif au profit du gouvernement congolais aurait été compréhensible en 2006, lorsque les espoirs de renouveau existaient encore. Mais en 2013, après sept ans de régime kabiliste, les capacités de gouvernance institutionnelle sont toujours très faibles et le régime a démontré son manque d’intérêt et de capacité à assurer la sécurité de sa population. Le résultat de ces années perdues est un pouvoir qui est complètement dépendant de soutiens extérieurs et un système de « gouvernance par substitution ». Les forces des Nations unies aujourd’hui et les forces combinées des Nations unies et de la SADC demain fournissent un filet de sécurité au régime ; les bailleurs occidentaux, les ONG et les églises fournissent des services sociaux à la population ; et la Chine et le secteur privé construisent des infrastructures routières.

C’est le même pouvoir qui, après avoir dit non aux réformes de 2006 à 2011, semble maintenant acquiescer à la décentralisation et aux réformes du secteur de la sécurité et du secteur des ressources naturelles. Ces concessions risquent, cependant, d’être trop minces et trop tardives : les élections frauduleuses de 2011, la suspension des élections provinciales et la crise du Nord Kivu en 2012 ont réduit la base politique du régime à néant. Il reste donc à savoir comment le pouvoir peut maintenant s’engager dans des politiques aussi sensibles que la décentralisation et les réformes du secteur de la sécurité et du secteur des ressources naturelles sans générer davantage d’instabilité et de violences.

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