Report / Africa 3 minutes

Mettre en œuvre l’architecture de paix et de sécurité (I) : l’Afrique centrale

Plus d’une décennie après que l’Union africaine (UA) a demandé à la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC) de donner naissance à une architecture de paix et de sécurité dans la région, la coopération dans ce domaine demeure largement insuffisante.

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Synthèse

Malgré plus d’une décennie d’efforts de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC) pour concrétiser l’architecture de paix et de sécurité, la coopération politique et sécuritaire en Afrique centrale est à la recherche d’un second souffle. Désignée par l’Union africaine (UA) pour traduire en actes dans la sous-région le projet continental de paix et de sécurité, la CEEAC a franchi le stade de la simple signature des traités et protocoles mais elle peine à structurer et appliquer une véritable politique régionale de paix et de sécurité. Afin d’éviter l’en­lisement de ce projet, les Etats d’Afrique centrale doivent se réinvestir dans la CEEAC, la réformer et fixer des priorités de sécurité claires et précises. De leur côté, les partenaires extérieurs doivent coordonner leur appui en fonction des besoins, de la capacité d’absorption et des objectifs de la CEEAC.

L’effet d’engrenage des conflits qui ont enflammé l’Afri­que centrale dans les années 1990 a conduit à une régionalisation de l’insécurité qui a fait prendre conscience de la nécessité d’une réponse politique et sécuritaire commune. La CEEAC s’est donc engagée dans la prévention, la gestion et la résolution des conflits en Afrique centrale avec la double bénédiction de l’UA et de l’Union européenne (UE). Malheureusement, à l’instar de l’intégration économique qui l’a précédée, la coopération politique et sécuritaire n’a pas produit les résultats escomptés.

En dépit de la signature du pacte d’assistance mutuelle, du protocole relatif au Conseil de paix et de sécurité de l’Afri­que centrale (COPAX) et de la mise en place d’un Etat-major régional (EMR) qui organise des exercices multinationaux et supervise la Mission de consolidation de la paix en Centrafrique (MICOPAX), les dirigeants de la région demeurent réticents à créer et investir dans une institution régionale qui puisse les contraindre. Tout en appelant de leur vœu une architecture de paix et de sécurité, les pays d’Afrique centrale la mettent en concurrence inégale avec des partenariats bilatéraux anciens et plus effectifs, créant un véritable imbroglio.

La CEEAC souffre de sérieux problèmes de gouvernance interne. Organisation intergouvernementale très centralisée, ses décisions obéissent à la règle du consensus qui apparaît comme une limite supplémentaire : destinée à main­tenir la cohésion de l’institution, elle contribue paradoxalement à la rendre inopérante, en interdisant toute référence aux questions sensibles, sources de divergences entre les Etats membres. Alors que ses structures sont encore in­achevées dans le domaine de la paix et de la sécurité, la CE­EAC connaît des problèmes de ressources humaines et de dépendance financière à l’égard des partenaires extérieurs.

Au désintérêt et à l’immobilisme politiques dont la manifestation la plus flagrante est la succession des reports du sommet des chefs d’Etats ainsi que la non-représentation de certains pays dans les instances communautaires, s’ajou­tent l’absence d’un leadership régional et une géopolitique de la méfiance héritée d’un passé plus ou moins ancien. Résultat : les problèmes sécuritaires les plus importants demeurent à l’état de non-dits ou sont traités hors de la CEEAC et la feuille de route de l’architecture de paix et de sécurité progresse lentement en Afrique centrale.

Cette situation devrait inciter les pays de la région à accroître leur investissement politique dans la CEEAC et à rationaliser leurs priorités. Les pays membres devraient savoir s’ils veulent ou non le demeurer et clairement concrétiser leur adhésion par des actes : respect de leurs engagements financiers ; nomination de leurs représentants dans les instances communautaires ; organisation dans les plus brefs délais d’un sommet de chefs d’Etats ; mise en œuvre d’un train de réformes avec un accent particulier sur le système décisionnel, le fonctionnement du Secrétariat général et l’association de la société civile ; définition de priorités de sécurité dans une optique de mise en œuvre pratique et de résultats concrets sur le terrain.

Les partenaires extérieurs devraient établir une coordination effective et calibrer leur soutien en fonction des priorités de la politique de paix et de sécurité et de la capacité d’absorption de la CEEAC. L’enjeu principal est de renforcer les capacités du Secrétariat général afin qu’il soit à même de mettre en œuvre ses différents programmes et d’évi­­ter une dispersion inutile des ressources et une duplication des efforts.

Au-delà de ces actions, l’inévitable débat de fond qui se posera au cours des prochaines années est celui du sens politique à (re)donner à une organisation qui est l’objet du jeu de méfiance, de rivalités et d’hostilités feutrées entre ses membres. Tant que subsistera cette géopolitique à somme nulle, il est à craindre que l’intégration politique et sécuritaire ne suive, en Afrique centrale, le même long et sinueux chemin que la coopération économique.

Nairobi/Bruxelles, 7 novembre 2011

 

Executive Summary

Political and security cooperation in Central Africa is in urgent need of revival. More than a decade ago, the African Union (AU) tasked the Economic Community of Central African States (ECCAS) to breath life into its peace and security architecture. ECCAS member states signed relevant treaties and protocols, but the multinational body has struggled to shape and implement a regional policy. To ensure this conflict-prone region moves toward greater political integration, Central African states need to reinvigorate ECCAS, reform it and decide on clear security priorities. Foreign partners should coordinate their support to the organisation in line with its needs, absorption capacity and objectives.

The spiral of conflict that set Central Africa on fire in the 1990s made painfully clear the need for a regional political and security response. With the double blessing of the AU and the European Union (EU), ECCAS committed to prevent, manage and resolve conflict in the region. Unfortunately, like previous efforts to promote economic integration, political and security cooperation has not produced the hoped-for results.

On paper, ECCAS looks good. Central African states signed a mutual assistance pact and a protocol establishing the Peace and Security Council for Central Africa (Conseil de paix et de sécurité de l’Afrique centrale, COPAX). They also set up a Regional Staff Headquarters (Etat-major régional, EMR) that runs multinational military training exercises and the Mission for the Consolidation of Peace in the Central African Republic (Mission de consolidation de la paix en Centrafrique, MICOPAX). But in reality, regional leaders have been reluctant to create and invest in an institution that constrains the way they cooperate in security matters. They voice support to a regional peace and security architecture, but half-heartedly commit to ECCAS while turning more readily to old and trusted bilateral relations to mitigate their security concerns, thus generating a confused web of partnerships.

ECCAS suffers from serious internal governance problems. Decisions on in-house issues are highly centralised and have to be made by consensus among member states. Instead of generating cohesion among regional actors, this means sensitive issues on which member states differ are avoided. It is also an institution still under construction. Human resource management is a constant problem, as is the body’s financial dependence on outside backers.

Only decisive political commitment by its members can breathe new life into ECCAS. But the successive postponement of the heads of state summit and the failure of members to appoint representatives in some of its organs reveal a lack of interest in the organisation’s purpose. Members’ distrust of each other, ingrained by a violent past, and the absence of regional leadership also drain ECCAS of its usefulness. As a result, the most serious security problems are dealt with outside the ECCAS framework, and Central Africa’s peace and security architecture has difficulty leaving the drawing board.

The region’s governments should urgently deepen their political commitment to ECCAS’s structures and projects and sort out their common priorities. They must decide if they really want to be members of ECCAS. If so, they should prove their will by undertaking several crucial steps: respect their financial obligations to the organisation; name their representatives to it; and organise a summit as soon as possible. A reform agenda should focus on the decision-making system, ensuring smooth running of the secretariat in Libreville and greater involvement of civil society. Security priorities should seek practical implementation and concrete results.

Foreign partners should establish effective coordination, tailor their support to ECCAS’s peace and security priorities and adjust it to the organisation’s absorption capacity. The first major goal is to strengthen the secretariat so it can implement its programs and avoid overspending and duplicating efforts.

In the next few years, the fundamental challenge is to give political meaning to an organisation whose members exist in a tangle of mistrust, rivalries and thinly veiled hostility. If this zero-sum geopolitics endures, Central African countries will continue to put their own narrow interests above the project of peace and security architecture. Political and security integration would then risk following in the tragic footsteps of economic cooperation.

 Nairobi/Brussels, 7 November 2011

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