Armée ougandaise en RDC : un nouveau feu de paille ?
Armée ougandaise en RDC : un nouveau feu de paille ?
Op-Ed / Africa 5 minutes

Armée ougandaise en RDC : un nouveau feu de paille ?

Libération d’otages, saisies d’armes, capture de matériel d’endoctrinement, ou encore prise d’un camp ennemi au cœur de l’épaisse forêt congolaise : sur la chaîne de télévision publique ougandaise, les images et les annonces se suivent et se ressemblent.

A en croire Kampala, les succès s’enchaînent pour les quelque 1 700 soldats ougandais déployés depuis le 30 novembre 2021 dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) pour lutter contre les Forces démocratiques alliées (ADF), une milice islamiste aux origines ougandaises basée depuis de nombreuses années dans l’est de la RDC, et actuellement le groupe armé le plus violent de la région.

Mais la nuance s’impose alors que l’Ouganda a annoncé, le 1er février, le début de la phase 2 des opérations, qui s’étendent désormais aussi au sud-est de la province de l’Ituri, en plus du nord-est du Nord-Kivu. Cette communication bien huilée est avant tout destinée à convaincre les Ougandais que leur gouvernement s’attelle au problème des ADF, auteurs en novembre d’une triple attaque meurtrière à Kampala, la capitale ougandaise. La « mutualisation » des forces congolaises et ougandaises, qui mènent des opérations coordonnées, bien que séparées, en territoire congolais, a enregistré quelques succès, mais ils sont maigres. Les forces ougandaises ne sont déployées que dans une zone réduite du Nord-Kivu et de l’Ituri alors que les ADF opèrent aussi à d’autres endroits de ces deux provinces. De plus, même là où l’armée ougandaise est présente, les attaques des ADF se poursuivent.

Plus fondamentalement, ces opérations illustrent deux facteurs expliquant les échecs des réponses apportées par Kinshasa, depuis plus de 25 ans, à l’insécurité dans ses provinces orientales. Premièrement, l’approche militaire devrait être accompagnée de mesures économiques et sociales visant à résoudre les causes profondes de l’insécurité, telles que les conflits fonciers ou l’avenir professionnel des jeunes. Deuxièmement, elle devrait être soutenue par une coopération régionale étroite et ambitieuse en matière de sécurité impliquant les quatre principaux pays des Grands Lacs (RDC, Ouganda, Rwanda et Burundi).

« Un pacte avec le diable »

L’association avec les forces ougandaises était loin d’être une évidence. Personne en RDC n’a oublié l’occupation par l’Ouganda de larges territoires du Nord-Kivu et de l’Ituri à la fin des années 1990 et au début des années 2000. La Cour internationale de justice a d’ailleurs ordonné à l’Ouganda, le 9 février, de verser 325 millions de dollars à la RDC pour les divers dommages causés à cette époque. Mais le président congolais Felix Tshisekedi ayant fait de l’insécurité dans l’est du pays une de ses priorités, il a tendu la main à ses voisins dans le but d’apporter une réponse militaire robuste et rapide dans cette région.

Alors qu’on pouvait s’attendre à une réaction épidermique de la population locale à l’entrée des forces ougandaises en RDC, l’annonce a été accueillie avec un fatalisme teinté de pragmatisme. Comme l’a résumé un habitant de Beni lors d’un entretien avec Crisis Group en décembre, « A situation désespérée, solution désespérée. Si on doit faire un pacte avec le diable pour se débarrasser des ADF, ainsi soit-il ».

Cet état d’esprit a toutefois rapidement fait place à une forme d’incompréhension, voire d’impatience. Certes, les opérations militaires communes, appuyées par des raids aériens ougandais, ont permis de libérer des otages, d’arrêter des membres des ADF et de prendre plusieurs de leurs camps, dont Kambi Ya Yua, une importante base du groupe. Mais les attaques des ADF continuent dans l’est de la RDC, et ce même dans la petite zone où les forces ougandaises sont déployées. A cet égard, l’attentat-suicide qui a tué huit personnes dans un bar bondé de Beni-ville le 25 décembre, au lendemain de la prise de Kambi Ya Yua, est une véritable provocation des ADF, sachant que les forces ougandaises entourent la ville.

Des solutions non militaires

Au-delà des résultats mitigés de ces opérations, l’accord entre Kinshasa et Kampala sur le déploiement ougandais confirme que les autorités congolaises placent résolument l’accent sur le volet militaire pour répondre à l’insécurité dans l’est de la RDC. Depuis mai, les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri ont d’ailleurs été placées sous « état de siège ». Les responsables civils tels que les gouverneurs et maires ont été remplacés par des militaires, sans que cela ne permette de réduire les violences.

Au regard des violences répétées, les opérations militaires ont leur utilité. Mais si elles ne sont pas accompagnées de mesures visant à résoudre les causes profondes de l’insécurité, les milices continueront de proliférer. En particulier, les autorités congolaises devraient œuvrer pour donner des perspectives économiques aux jeunes, résoudre les conflits fonciers entre communautés ou encore mettre en place des programmes efficaces de désarmement et de réinsertion des miliciens. Les autorités congolaises pourraient aussi donner suite à leur promesse de poursuivre les responsables politiques ayant des liens avérés avec les groupes armés.

Une large coopération régionale

La mutualisation des forces ougandaises et congolaises peut, par ailleurs, être vue par les plus optimistes comme une évolution positive dans une région des Grands Lacs où les pays ont plutôt tendance à se regarder en chiens de faïence. Ouganda et Rwanda s’accusent par exemple mutuellement de soutenir certains groupes armés actifs dans l’est de la RDC. Pourtant, un tel regroupement des forces risque de ne mener à rien, voire même d’alimenter l’instabilité dans l’est de la RDC, si elle n’est pas sous-tendue par une coopération régionale en matière de sécurité impliquant la RDC, l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi.

Sans coordination régionale efficace, les initiatives bilatérales concurrentes pourraient se multiplier, laissant l’est de la RDC en proie à un déploiement de forces étrangères aux intérêts divergents, voire opposés. Outre la présence ougandaise, il est de notoriété publique que des troupes burundaises traquent au Sud-Kivu la rébellion Résistance pour un état de droit au Burundi (RED-Tabara), sans qu’il y ait pourtant de coordination régionale ou même une reconnaissance officielle de la part du Burundi que ses troupes sont déployées.

Par ailleurs, un meilleur partage des renseignements sur les groupes armés (financement, méthodes de recrutement, localisation, communication) ayant des ramifications transfrontalières permettrait de mieux lutter contre ces derniers. Une coopération ad hoc avec d’autres pays que ceux des Grands Lacs pourrait être envisagée, en particulier dans le cadre de la lutte contre les ADF. Ce groupe est actif au moins en RDC et en Ouganda et a des liens, même s’ils sont ténus, avec l’Etat islamique et les jihadistes d’al-Shabab opérant dans le nord du Mozambique.

Félix Tshisekedi a bien compris l’importance de la coopération régionale pour combattre l’insécurité.

Félix Tshisekedi a bien compris l’importance de la coopération régionale pour combattre l’insécurité. En 2018, il avait tenté d’initier une réelle dynamique quadripartite, mais s’était principalement heurté aux inimitiés entre Kigali et Kampala. Le président congolais devrait redoubler d’efforts pour relancer cette initiative, notamment au travers des institutions ou mécanismes internationaux dont ces quatre pays sont membres.

Les autorités congolaises pourraient également tenter de s’appuyer sur les réunions organisées ponctuellement entre chefs des renseignements de ces quatre pays, à l’initiative du représentant spécial de l’ONU pour les Grands Lacs. Ces réunions sont pour l’heure peu productives du fait de la méfiance entre participants. Elles pourraient toutefois devenir une plateforme de partage de renseignements sur les groupes armés si les gouvernements des pays des Grands Lacs s’engagent sur la voie de la coopération.

Les maux de l’est de la RDC sont connus. Les autorités congolaises devraient proposer des solutions allant au-delà du simple déploiement de troupes. Faute de quoi, les opérations militaires continueront de ne fournir, au mieux, que des avancées sans lendemain, au prix lourd pour les populations.

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