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Tribunal Pénal International Pour Le Rwanda: Le Compte à Rebours

Il reste officiellement un peu plus de cinq ans au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pour achever le mandat qui lui a été confié, en novembre 1994, par le Conseil de sécurité des Nations unies.

Synthèse

Il reste officiellement un peu plus de cinq ans au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pour achever le mandat qui lui a été confié, en novembre 1994, par le Conseil de sécurité des Nations unies. Le TPIR se trouve donc exactement à mi-parcours de son mandat. Depuis un an et demi, plusieurs nouveaux procès ont été initiés. Toutefois malgré cette amélioration significative marquée par un fort regain d’activité, le Tribunal d’Arusha n’a pas établi, les priorités judiciaires qui lui permettraient de remplir son mandat avant 2008. En mai 2001, ICG publiait un premier rapport bilan des activités du TPIR intitulé: "L’urgence de juger"[fn]ICG, Rapport Afrique n°30, "Tribunal international pour le Rwanda: l’urgence de juger", 7 juin 2001.Hide Footnote . Cette urgence reste, malheureusement, toujours d’actualité.

Cinq dossiers de première priorité sont en attente, de longue date, devant le tribunal d’Arusha: celui des Médias, les deux procès dits des Militaires et les deux affaires rassemblant anciens ministres et anciens dirigeants de partis politiques. Ces procès sont prioritaires car ils peuvent à eux seuls mettre à jour les mécanismes ayant abouti au déclenchement du génocide rwandais de 1994. Le procès des Médias est le seul à avoir cours en ce moment. Le premier procès des Militaires, autour du colonel Théoneste Bagosora, suspecté d’être l’un des principaux concepteurs et organisateurs du génocide, s’est ouvert de manière strictement symbolique le 2 avril 2002 et ne commencera véritablement qu’en septembre. Aucune des trois autres affaires n’est fixée au calendrier et il apparaît que leurs procès ne devraient démarrer avant un an.

Alors que le débat sur l’avenir de l’institution est clairement posé et qu’un compte à rebours est enclenché, le Tribunal international ne peut ignorer ses échéances. Dans l’état actuel de son fonctionnement, le TPIR ne pourra pas achever son mandat dans les délais qui lui ont été assignés. Deux facteurs internes l’en empêchent. Le premier est l’ambition démesurée du plan des poursuites engagé par le bureau du procureur, Carla Del Ponte, ainsi que le manque de préparation de ce même bureau dans certains dossiers sur la base desquels il met pourtant les individus en état d’arrestation. Le second est l’absence de réformes sérieuses visant à l’accélération des procédures.

Le procureur général et les juges doivent impérativement répondre à ces priorités s’ils veulent accomplir le mandat qui leur a été confié par la communauté internationale et dont ils sont responsables devant elle. Le TPIR doit redoubler de rigueur et relancer ses initiatives de rapprochement avec la société rwandaise. Il doit impérativement présenter un calendrier judiciaire réaliste, conforme à son mandat et conscient de son environnement politique. A défaut, la confusion et l’engorgement qui le menacent lui feront perdre le sens de sa mission de justice et réduiront à néant son impact sur la reconstruction politique du Rwanda et de la sous-région.

Parallèlement, huit ans après les faits, aucune mise en accusation de membres de l’Armée patriotique rwandaise (APR) pour les "violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda en 1994" n’a encore eu lieu et la coopération des autorités rwandaises en ce domaine s’avère nulle[fn]Résolution 955 du Conseil de sécurité du 8 novembre 1994 portant création du TPIR.Hide Footnote . La crainte et le refus de ces poursuites par l’actuel gouvernement de Kigali est la raison essentielle de la crise sans précédent qui a caractérisé, en juin 2002, les relations entre le TPIR et le Rwanda. Le gouvernement rwandais doit honorer son obligation de coopérer avec la juridiction internationale et renoncer à toute forme de chantage comme la restriction de l’accès aux témoins vivant au Rwanda.

Dans l’avenir, le dilemme du TPIR entre son besoin ou son désir de bonne coopération avec le gouvernement rwandais et l’imposition nécessaire de son indépendance risque de s’aggraver. Le maintien de réactions passives, défensives ou à courte vue de la part du TPIR, telles qu’elles se sont avérées récemment, ne fera qu’affaiblir davantage le Tribunal et le renvoyer à ses propres contradictions ou à celles du gouvernement rwandais. Toutefois le TPIR ne pourra affronter seul la période politique à hauts risques qui s’annonce. Il est crucial que la communauté internationale et les membres du Conseil de sécurité de l’ONU en particulier lui apportent un soutien fort et sans ambiguïté s’ils veulent en assurer la crédibilité et l’indépendance. Plus que jamais, ils doivent montrer leur détermination à ne pas laisser le Tribunal d’Arusha être "le parent pauvre" de la justice internationale. A cet égard, il est regrettable que la délégation du Conseil de sécurité n’ait pas visité le TPIR lors de ses tournées annuelles en Afrique centrale en 2001 et 2002. Cela envoie un message de désintérêt porté à la mission du tribunal de l’ONU et à son rôle dans le règlement de la crise congolaise et burundaise.

Le Tribunal doit certes donner priorité absolue au cœur de son mandat, la punition du génocide, mais il ne doit pas oublier l’autre partie de sa mission, et risquer d’être l’instrument d’une justice de vainqueurs. L’actuel gouvernement rwandais ne peut prétendre à la réconciliation et consacrer l’impunité de son camp en bloquant les procès de ses militaires. Quel que soit son agenda électoral interne et l’incertitude de son assise sociale, répondre des crimes commis par ses propres militaires ne peut à long terme que servir les intérêts de ce gouvernement et de la paix. De même, dans le cadre de la résolution de la crise congolaise, alors que le gouvernement de Kigali réclame l’arrestation des "génocidaires" sur le territoire congolais depuis quatre ans, il est paradoxal que, au moment où le gouvernement congolais accepte l’ouverture d’un bureau du service des enquêtes du TPIR à Kinshasa sous pression internationale, le gouvernement rwandais décide de paralyser le TPIR. Dans cette guerre du Congo, il est clair que les deux Etats ont joué avec la justice internationale, la République Démocratique du Congo en soutenant des groupes armés dirigés par des criminels et en bafouant ses obligations en droit international et le Rwanda en en faisant un instrument de légitimation des actions militaires offensives de son gouvernement. La seule manière de mettre un terme à cette politisation de la justice est d’imposer aux Etats le respect de leurs obligations internationales et la coopération avec une institution réformée et crédible.

Nairobi/Bruxelles, 1 août 2002

Executive Summary

There are just over five years left for the International Criminal Tribunal for Rwanda (ICTR) to complete the mission conferred upon it by the United Nations Security Council in November 1994. The Tribunal is halfway through its mandate, and in the past eighteen months, a number of new trials have begun. However, despite significant improvement and a marked increase in activity, the Arusha Tribunal has not established the judicial priorities that will enable it to fulfil its mandate before 2008. Just over a year ago, ICG published its first report on the activities of the ICTR, The Rwanda Tribunal: Justice Delayed. Unfortunately, the essential situation remains.

Five cases of utmost importance have been waiting a long time to be heard – one dealing with the media, two involving the military, and two involving former ministers and political party leaders. These trials are crucial to revealing important truths about the preparation, launch and execution of the Rwandan genocide in 1994. The media case is the only one that is actually underway. The first military case, that of Colonel Theoneste Bagosora, who is suspected of being one of the masterminds and organisers of the genocide, opened in a strictly symbolic fashion on 2 April 2002 but will not properly start until September. None of the other three cases are on the tribunal calendar, and they seem unlikely to be heard for a year.

While the debate on the future of the institution goes on, the tribunal cannot ignore the ticking of the clock. Using current systems, the ICTR will not be able to complete its work in the given time. There are two internal obstacles to this. The first is the overly ambitious prosecution plan drawn up by the office of the Chief Prosecutor, Carla Del Ponte, as well as the lack of preparation by the same office in certain cases. The second is the lack of effective reform that is necessary to speed up proceedings.

The Chief Prosecutor and the judges must address these issues as a matter of priority if they want to fulfil the mandate given to them by the international community and for which they are responsible. The ICTR should redouble its efforts and relaunch initiatives for a rapprochement with Rwandan society. It should produce a realistic judicial calendar, which meets its mandate and is sensitive to the political environment. Unless this is done, confusion and obstruction will threaten the Tribunal’s mission and reduce its impact on the political reconstruction of Rwanda and the region to zero.

At the same time, not one case has been brought after eight years against members of the Rwandan Patriotic Army for grave violations of human rights allegedly committed on the territory of Rwanda in 1994. There has been no cooperation at all from the Rwandan authorities on these matters. The reluctance and refusal of the current government in Kigali in relation to these cases is the reason for the unprecedented crisis that has existed since June 2002 between the ICTR and Rwanda. The Rwandan government must honour its obligations to cooperate with the Tribunal and stop all forms of obstruction – such as the restriction of access to witnesses living in Rwanda.

In future, the tension between the Tribunal’s need for cooperation with the government of Rwanda and the independence that is essential to its mandate is likely to worsen. Passive, defensive or short-sighted responses, as have been made recently, will only weaken the Tribunal and make it a prisoner of its own contradictions and of the interests of the Rwandan government.

The ICTR should not face alone the upcoming period, which will be highly sensitive politically. It is crucial that the international community, and the members of the UN Security Council in particular, give strong and unambiguous support if they want to ensure its credibility and independence. More than ever, they must show their determination not to allow the Arusha Tribunal to be the poor cousin of international justice. In this context it is unfortunate that the UNSC delegation did not visit the ICTR in its annual trips to Central Africa in 2001 and 2002. This sent a dangerous signal of disinterest about the mission of the UN Tribunal and its role in ending the crises in Congo and in Burundi.   

The Tribunal must give absolute priority to its core task, punishment for genocide, but it should not ignore the rest of its mission and become an instrument of victors’ justice. The current Rwandan government cannot claim to support reconciliation and an end to impunity while blocking cases involving its own troops. Whatever its domestic electoral agenda and the uncertainty of its political base, to respond in this way to crimes allegedly committed by its own soldiers is not in the long term interests of the government and the country.

In terms of attempts to resolve the crisis in the Congo, in which the Rwandan government has demanded the arrest of génocidaires on Congolese territory for the past four years, it is paradoxical that just as the DRC government agreed to open an office to assist ICTR investigations in Kinshasa in response to international pressure, the Rwandan government decided to paralyse the work of the Tribunal. In the Congo war, it is clear that the two states have toyed with international justice: the Democratic Republic of Congo has supported armed groups led by criminals and scoffed at its international legal obligations, while Rwanda has used punishment of genocide to legitimise its military actions. The only way to end the politicisation of justice is to require of both states respect for their international obligations and cooperation with a reformed and credible Tribunal.

Nairobi/Brussels 1 August 2002

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