Force de l’Afrique de l’Est en RD Congo : La prudence s’impose
Force de l’Afrique de l’Est en RD Congo : La prudence s’impose
Officers of the Armed Force of the Democratic Republic of Congo and police after an inspection visit to Rutshuru days after clashes with the M23 rebels in Rutshuru, 70 kilometres from the city of Goma in eastern Democratic Republic of Congo, April 3, 2022 Guerchom NDEBO / AFP
Q&A / Africa 15 minutes

Force de l’Afrique de l’Est en RD Congo : La prudence s’impose

Les dirigeants d’Afrique de l’Est ont convenu de créer une force pour combattre les groupes armés dans l’est de la République démocratique du Congo. Les autorités congolaises ont annoncé un premier déploiement, mais des obstacles persistent. Nelleke van de Walle, experte de Crisis Group, décrit le plan et ses risques.

Que se passe-t-il ?

Les sept Etats membres de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) ont convenu de déployer une force régionale dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Le 15 août, un contingent burundais a été le premier à entrer en RDC sous les auspices de la CAE. Il n’existe cependant pas encore de calendrier précis pour le déploiement complet de la force.

La RDC a rejoint la CAE, un bloc économique régional, fin mars. Le président congolais Félix Tshisekedi a profité de l’adhésion de la RDC pour demander à ses homologues de l’aider à lutter contre les dizaines de groupes armés qui se battent depuis des années, entre eux et contre les autorités, dans l’est de la RDC. Les sept dirigeants du bloc se sont ensuite rapidement mis d’accord sur la création d’une force conjointe composée de troupes régionales pour endiguer la violence. En parallèle, ils ont également lancé un premier cycle de pourparlers avec certains chefs de groupes armés congolais, qui a débuté en avril à Nairobi sous médiation kényane.

L’est de la RDC connaît actuellement une recrudescence alarmante de la violence due aux groupes armés, avec notamment de plus en plus d’attaques contre les civils et les camps de déplacés. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiésindiqué en juillet que de récents affrontements dans la province du Nord-Kivu entre l’armée congolaise et le Mouvement du 23 mars (M23), un groupe armé vaincu par les forces onusiennes et congolaises en 2013, avaient déplacé plus de 160 000 personnes. En outre, le redéploiement des troupes gouvernementales et onusiennes dans les zones où le M23 est le plus actif a généré un vide sécuritaire dans la province de l’Ituri et dans certaines parties du Nord-Kivu. D’autres groupes armés ont également intensifié leurs attaques contre les civils dans ces régions.

Lors d’une réunion le 20 juin, les chefs d’Etat de la CAE ont appelé à un cessez-le-feu immédiat dans l’est de la RDC et décidé d’accélérer la mise en place de la force conjointe. Le général Robert Kibochi, chef des forces de défense du Kenya et président de l’état-major de la CAE, a présenté un projet de concept opérationnel détaillant les objectifs et les règles d’engagement de cette force, ainsi que les ressources à mettre à la disposition de son commandement. Le projet de plan de bataille prévoit que la région rassemble entre 6 500 et 12 000 soldats, avec pour mission de « contenir, vaincre et éradiquer les forces négatives » dans l’est de la RDC. Dirigée par un commandant kényan et basée à Goma, capitale et centre économique du Nord-Kivu, la force de combat opérera dans quatre provinces congolaises (Haut-Uélé, Ituri, Nord-Kivu et Sud-Kivu) avec un mandat renouvelable de six mois et sous réserve d’une revue stratégique des parties tous les deux mois. Le Burundi, le Kenya, le Soudan du Sud, la Tanzanie et l’Ouganda fourniront des troupes qui combattront aux côtés des forces congolaises.

Même si la force conjointe est une nouvelle initiative, son objectif principal sera de renforcer les troupes déjà déployées en RDC au cours des derniers mois. Chaque contributeur aura une mission distincte. Les soldats ougandais de la force conjointe aideront leurs compatriotes au Nord-Kivu et en Ituri à combattre les Forces démocratiques alliées (ADF), une coalition rebelle ougandaise dont la principale faction a prêté allégeance à l’État islamique. Les troupes kényanes s’attaqueront à d’autres rebelles présents au Nord-Kivu (le pays fournit déjà des soldats à la force de l’ONU sur place, mais les deux contingents auront des missions distinctes). Les troupes tanzaniennes et burundaises devraient opérer dans le Sud-Kivu, y officialisant ainsi la présence de l’armée burundaise qui, depuis décembre et avec l’accord tacite de la RDC, combat la milice RED-Tabara dans la région. Enfin, un petit contingent de Sud-Soudanais devrait combattre ce qui reste de l’Armée de résistance du Seigneur dans le Haut-Uélé.

Les pays d’Afrique de l’Est s’inquiètent depuis des années de l’insécurité dans l’est de la RDC, mais ... les discussions n’ont encore jamais abouti à un déploiement effectif.

Les pays d’Afrique de l’Est s’inquiètent depuis des années de l’insécurité dans l’est de la RDC, mais les discussions concernant une intervention militaire régionale n’ont encore jamais abouti à un déploiement effectif. Si le Burundi a effectué un premier déploiement le 15 août, on ignore quand les autres voisins de la RDC enverront des troupes dans le pays, ou même s’ils le feront réellement. Le plan prévoit que chaque pays paie ses propres soldats, mais certains gouvernements pourraient avoir du mal à assumer ce coût.

Un haut fonctionnaire kényan a déclaré à Crisis Group que la CAE pourrait chercher des fonds supplémentaires auprès d’organisations régionales et internationales, notamment l’Union africaine (UA) et les Nations unies. Il sera toutefois très difficile d’obtenir des financements extérieurs. Il est peu probable que l’ONU soutienne la mise en place de troupes supplémentaires sur le sol congolais, étant donné qu’elle y dispose déjà d’une onéreuse mission de maintien de la paix comptant 16 000 éléments. L’UA, quant à elle, ne peut pas se permettre de fournir un financement durable. La CAE pourrait demander un financement de l’Union européenne (UE) dans le cadre de la Facilité européenne de soutien à la paix. Bruxelles pourrait ainsi soutenir soit la CAE directement, soit les pays contributeurs de troupes. Si l’UE est réticente à payer la solde des troupes, pour des raisons que Crisis Group a déjà évoquées, elle pourrait néanmoins fournir des fonds pour l’équipement, la logistique, les communications et le transport.

Au-delà du financement, le plan proposé comporte d’autres lacunes importantes, ainsi que des obstacles potentiels. Il reste notamment à déterminer le mode opératoire des soldats de la CAE en présence des troupes de l’ONU, à proximité desquelles ils seront déployés. Le plan de mission de la CAE se contente de mentionner que les deux forces devront « coopérer », sans préciser sous quelle forme. En outre, le président élu du Kenya, William Ruto, pourrait être moins enthousiaste face au déploiement d’une force régionale que son prédécesseur, Uhuru Kenyatta. D’après certains observateurs, Kenyatta était très attaché à la protection des intérêts économiques du Kenya dans l’est de la RDC. Ruto, qui semble être plus proche du président ougandais Yoweri Museveni que du président congolais Tshisekedi – Museveni avait affiché son enthousiaste pour sa candidature présidentielle – pourrait également réfléchir à deux fois avant de participer à une opération aussi risquée que coûteuse.

Pour compliquer encore les choses, Tshisekedi devra faire face à la méfiance généralisée des Congolais à l’égard de la nouvelle force. Beaucoup d’entre eux y voient en effet la dernière d’une longue liste d’ingérences étrangères dans une région riche en ressources naturelles. En juin, des milliers de personnes ont défilé dans la capitale, Kinshasa, pour protester contre le déploiement proposé de la force régionale. Le mois suivant, la frustration suscitée par l’incapacité de l’ONU à juguler les combats dans l’est du pays a dégénéré en violentes émeutes à Goma. Ces violences ont fait au moins 36 morts, dont quatre soldats de la paix de l’ONU, tandis que la population locale pillait les bureaux et les bases d’approvisionnement de l’ONU dans la ville. Les esprits risquent de s’échauffer encore davantage avec l’arrivée potentielle d’autres soldats est-africains.

Quelle est la place du Rwanda dans la force régionale ?

Le Rwanda joue depuis longtemps un rôle controversé dans l’est de la RDC, qu’il considère comme une arrière-cour stratégique étroitement liée à sa propre sécurité, tout en étant une source d’or et d’autres minéraux qui intéressent beaucoup de nombreux acteurs rwandais. Le pays s’est ingéré dans la politique congolaise pendant des années et a soutenu des rébellions successives, dont certaines ont infligé de grandes souffrances à la population congolaise. Il y a une dizaine d’années, le Rwanda et l’Ouganda ont soutenu le M23 qui, sous commandement Tutsi, a mené la dernière grande rébellion sur le sol congolais à ce jour. Kigali a fourni aux insurgés suffisamment d’argent et d’armes pour qu’ils puissent s’emparer de certaines régions de l’est du pays. Les rebelles ont même brièvement pris Goma avant que les forces congolaises et onusiennes ne les mettent en déroute. Les habitants de la région gardent un souvenir douloureux de cette époque, et la participation du Rwanda à toute nouvelle intervention extérieure pourrait entraîner une réaction brutale, voire violente, de leur part.

Les tensions entre Tshisekedi et le président rwandais Paul Kagame se sont intensifiées depuis novembre 2021, lorsque le président congolais a autorisé l’Ouganda à déployer des troupes au Nord-Kivu et en Ituri. Le président ougandais Museveni a déclaré que cette intervention était nécessaire pour écraser les ADF, qu’il tient pour responsables d’une série d’attentats-suicides à Kampala, la capitale ougandaise. Le mois suivant, Tshisekedi a discrètement autorisé les troupes burundaises à pénétrer dans le Sud-Kivu pour combattre les rebelles de RED-Tabara, un groupe rebelle dirigé par des Tutsi qui s’oppose au gouvernement burundais, que dominent les Hutu. Ces interventions ont irrité Kagame, qui craint probablement de perdre son influence et son accès à la région. Le Rwanda affirme également depuis longtemps se sentir menacé par des groupes présents en RDC, principalement les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un vestige de la milice hutu responsable du génocide rwandais de 1994. Dans un discours belliqueux prononcé en février, Kagame a déclaré qu’il était prêt à envoyer des soldats de l’autre côté de la frontière pour combattre les FDLR, que Tshisekedi soit d’accord ou non.

[Le M23] a récemment intensifié ses attaques, ... forçant des milliers de civils à fuir les violences.

Le retour du M23 a détérioré les relations entre Tshisekedi et Kagame. Après la défaite de la milice en 2013, une faction a fui en Ouganda, tandis qu’une autre cohorte s’installait au Rwanda. En 2017, le chef militaire du M23, Sultani Makenga, a ramené environ 200 combattants d’Ouganda en RDC. Alors qu’il était presque totalement inactif jusqu’en novembre 2021, le groupe a récemment intensifié ses attaques contre l’armée congolaise, forçant des milliers de civils à fuir les violences. Tshisekedi a immédiatement été convaincu que Kagame apportait à nouveau son soutien au M23. Il a donc tenu, durant les discussions concernant la force régionale, à ce que le Rwanda en soit exclu. Après la réunion de la CAE sur le déploiement de la force, il a déclaré : « J’ai exigé et obtenu que le Rwanda ne participe pas à ces pourparlers, en raison de son soutien au groupe terroriste M23 ».

Mais cette approche a un coût. Exclure complètement le Rwanda de la force régionale pourrait irriter davantage Kagame, voire l’inciter à envoyer des troupes de manière unilatérale ou à soutenir un autre intermédiaire dans l’est de la RDC. Le plan de bataille de la CAE semble donc proposer un terrain d’entente en plaçant le contingent rwandais en attente à la frontière congolaise. Les troupes rwandaises pourraient également jouer un rôle dans la collecte de renseignements pour la force régionale. Selon un expert militaire régional que Crisis Group a rencontré, le Rwanda devrait fournir des officiers de liaison aux quartiers généraux sectoriels de la force.

Pourquoi le M23 est-il réapparu, et pourquoi est-ce si inquiétant pour la RDC ?

La réapparition du M23 a laissé de nombreux observateurs perplexes. Comme nous l’avons vu, le groupe était resté largement inactif jusqu’en novembre 2021, la plupart des combattants démobilisés attendant en Ouganda et au Rwanda d’être rapatriés en RDC. En vertu d’un accord de paix conclu en 2013 entre le M23 et les autorités congolaises, Kinshasa devait amnistier les insurgés subalternes pour faciliter leur retour au pays. Mais Tshisekedi n’a pas donné suite à cet engagement après avoir pris ses fonctions en 2019 et aurait cherché à éviter les délégués du M23 qui souhaitaient ouvrir le dialogue. Il semblerait que l’insurrection, par la reprise de ses attaques contre l’armée congolaise, tente de faire pression sur Tshisekedi pour qu’il respecte l’accord. En juin, un groupe d’experts de l’ONU a déclaré que Makenga souhaitait forcer la main des négociateurs en se rapprochant de Goma, voire en s’en emparant, une accusation que démentent certains membres du groupe.

Un rapport confidentiel de l’ONU divulgué en août a affirmé détenir des « preuves solides » que le Rwanda avait effectivement contribué à donner un nouveau souffle au M23, comme le soupçonnait Tshisekedi. Des analystes indépendants avec lesquels Crisis Group s’est entretenu ont également avancé cette thèse, soulignant que les assauts du M23 près de chantiers routiers ougandais dans l’est de la RDC, et près du poste de Kibumba à la frontière congolo-rwandaise, indiquaient que les rebelles agissaient pour le compte d’intérêts rwandais. Le Rwanda a répondu que les allégations de l’ONU détournaient l’attention des « vraies questions », en particulier de la menace posée par les FDLR, déclarant que : « Tant que le problème des FDLR, qui opèrent en étroite collaboration avec l’armée de la RDC, ne sera pas pris au sérieux et résolu, la sécurité dans la région des Grands Lacs ne pourra pas être assurée ». En juillet, Tshisekedi a déclaré au Financial Times qu’il était prêt à entrer en guerre face au soutien présumé du Rwanda au M23 : « Si la provocation du Rwanda se poursuit, nous ne resterons pas assis sans rien faire. Nous ne sommes pas faibles ». Il pourrait cependant s’agir d’une manœuvre d’intimidation avant les négociations avec Kagame, la puissance de l’armée rwandaise étant de notoriété publique.

Certains éléments indiquent que l’Ouganda pourrait ... soutenir des factions au sein de l’insurrection.

Certains éléments indiquent que l’Ouganda pourrait également soutenir des factions au sein de l’insurrection. Certains rapports montrent en effet que l’armée ougandaise ne serait pas intervenue en juin lorsque le M23 a pris la ville stratégique de Bunagana, à la frontière entre la RDC et l’Ouganda. Après la chute de la ville, plusieurs politiciens congolais ont accusé l’Ouganda de soutenir le M23. Tshisekedi n’a cependant jamais mis en cause Museveni, peut-être parce qu’il a encore besoin de l’armée ougandaise dans la lutte contre les ADF. Le Rwanda et l’Ouganda ont tous deux soutenu le M23 par le passé et d’anciens rebelles du groupe ont opéré librement à Kampala pendant des années. Les responsables des services de renseignement rwandais pensent même que l’Ouganda aurait employé certains d’entre eux à ses propres fins.

Le retour du M23 est particulièrement préoccupant pour la RDC, notamment en raison de la puissance de feu supérieure du groupe qui lui a permis de faire des progrès rapides et importants. L’origine de ses armes reste cependant incertaine. Le rapport de l’ONU signale que les équipements militaires meurtriers que manie le M23 sont également utilisés par les armées de la région. Des individus liés au M23 disent avoir obtenu leurs armes en pillant des dépôts de l’armée congolaise. En mars et avril, des combattants du M23 ont attaqué des soldats congolais près de la ville de Rutshuru, au Nord-Kivu. Ils ont fait irruption dans un camp militaire congolais et auraient abattu un hélicoptère de l’ONU. Ces attaques ont poussé les autorités congolaises à exclure la branche du M23 que dirige Makenga des pourparlers de paix avec les groupes rebelles, lesquels ont débuté à Nairobi en avril. C’est au cours de ce même mois que Tshisekedi a désigné le M23 comme organisation terroriste, l’excluant ainsi de futures négociations.

Depuis, le M23 a intensifié ses opérations, attaquant des routes et des villages dans le territoire de Rutshuru et s’emparant de Bunagana le 13 juin. La cheffe de la mission des Nations unies en RDC, Bintou Keita, a tiré la sonnette d’alarme fin juin. Lors d’un discours au Conseil de sécurité des Nations unies, elle a déclaré que le M23 se comportait plus comme une armée traditionnelle que comme un groupe armé, prévenant que les forces de maintien de la paix des Nations unies n’avaient pas la capacité d’endiguer l’insurrection.

Quels sont les principaux avantages et risques du déploiement d’une force de la CAE ?

Dans la mesure où une aide extérieure est nécessaire pour maîtriser le M23 et d’autres insurrections dans l’est de la RDC, une force conjointe de la CAE est, à plusieurs égards, plus avantageuse que les interventions bilatérales en cours. La structure multilatérale de la force – qui inclut la RDC elle-même – pourrait notamment contribuer à atténuer le sentiment des Congolais qu’il ne s’agit que d’étrangers intervenant dans leur pays pour y défendre leurs propres intérêts.

Mais la mise en place d’une mission de combat de la CAE présente également des risques importants. Tout d’abord, les interventions armées dans la région n’ont jusqu’à présent pas réussi à amener des améliorations durables, et la participation de pays ayant des intérêts stratégiques et économiques dans la région pourrait aggraver une situation déjà explosive. Comme nous l’avons vu, plusieurs voisins de la RDC ont, à plusieurs reprises et délibérément, miné la stabilité dans l’est du pays en soutenant des combattants locaux et en exploitant ses immenses ressources naturelles. Certains d’entre eux, comme le Burundi et l’Ouganda, pourraient bien continuer à défendre leurs propres intérêts, même sous le mandat d’une force conjointe. Des analystes craignent que le commandant kényan de la force, qui sera basé au quartier général de Goma, n’ait qu’un contrôle limité des contingents stationnés dans les zones reculées de l’est. Par exemple, le contingent burundais qui est entré en RDC le 15 août a été placé sous commandement congolais, plutôt que kényan, et semble défendre principalement les intérêts burundais dans le Sud-Kivu.

Les civils pourraient une fois encore faire les frais de la violence armée.

Deuxièmement, les civils pourraient une fois encore faire les frais de la violence armée. Les groupes armés en RDC deviennent souvent plus violents envers les villageois lorsqu’ils sont confrontés à une pression militaire. Par exemple, l’offensive congolaise contre les ADF au Nord-Kivu a entraîné une recrudescence des exactions à l’encontre des civils début 2020. En outre, la CAE n’a encore jamais déployé d’opération de maintien ou d’imposition de la paix, et encore moins cherché à mettre en place des garanties pour la protection de la population civile. Cette situation génère de grandes inquiétudes quant à de potentielles violations des droits humains par les troupes de la force conjointe.

Le déploiement des troupes burundaises montre malgré tout que les pays de la CAE sont disposés à aller de l’avant. Quelle est la meilleure façon d’atténuer les risques et de contribuer au succès de la mission ?

Tout d’abord, si la CAE décide de procéder à un déploiement complet, la coordination avec la force de maintien de la paix des Nations unies (MONUSCO) sera cruciale pour donner aux deux forces les meilleures chances de succès. S’adressant aux médias après son discours au Conseil de sécurité en juin, Bintou Keita a insisté sur le fait que les rôles et les responsabilités de chaque force devraient être clairement définis. Alors que la MONUSCO est chargée de protéger les civils, la force est-africaine ciblera spécifiquement les rebelles. Les forces de sécurité peinant souvent à faire la distinction entre insurgés présumés et résidents locaux, la force régionale devra coordonner étroitement ses actions avec celles de la MONUSCO pour ne pas entraver ses efforts de protection des civils.

Ensuite, des garanties solides seront nécessaires pour dissuader les forces sur le terrain de commettre de graves abus sur les civils. D’autres forces régionales africaines, comme le G5 Sahel, ont notamment mis en place des cellules spéciales qui surveillent et rendent compte de la conduite des troupes pendant les opérations, en particulier lorsqu’il s’agit de manœuvres militaires touchant les civils. La CAE pourrait envisager des mécanismes similaires. Par ailleurs, la CAE chercherait également à obtenir l’aval du Conseil de paix et de sécurité de l’UA, ce qui donnerait à la force une couverture politique. Cet appui devrait être subordonné à l’engagement de la force à respecter les politiques de diligence raisonnable de l’UA en matière de droits humains, y compris les protocoles de protection des civils pendant les opérations de paix. Si la CAE reçoit l’aval de l’UA, cette dernière devra surveiller de près son respect des droits humains. La CAE devrait également demander à l’UA des conseils techniques sur les bonnes pratiques à adopter en matière de protection des civils dans ce type d’opération, que l’UA devrait s’engager à lui fournir.

Par ailleurs, compte tenu du bilan très mitigé des opérations militaires précédentes dans l’est de la RDC en matière de sécurité, Félix Tshisekedi devrait également poursuivre le dialogue avec les groupes armés. Sur les plus de 120 milices actives dans l’est, seuls dix-huit ont participé au premier cycle de négociations, qui a été organisé à la hâte à Nairobi en avril et s’est avéré peu concluant. Certains des groupes les plus violents étaient absents, et les formations considérées comme étrangères, telles que les ADF et les FDLR, ont également été écartées des discussions.

Bien que les autorités congolaises se préparent à une deuxième série de dialogues, notamment en s’impliquant auprès des communautés touchées par la violence et en discutant avec plus de 50 groupes armés, aucune date n’a encore été fixée. Les voisins de la RDC devraient continuer à encourager le président congolais dans ce sens. Ils pourraient également partager leurs réflexions sur le cadre, le calendrier et la participation des groupes armés pour le prochain cycle de ces discussions. Même s’il ne sera probablement pas possible d’inclure tous les groupes, une approche plus réfléchie quant aux groupes à inclure et à l’optique de leur participation s’avérerait également utile avant le prochain cycle de pourparlers. La décision de la CAE, le 22 juillet, de nommer le président kényan Uhuru Kenyatta comme facilitateur des pourparlers de paix en RDC pourrait contribuer à remettre le processus sur les rails – et ce malgré l’opposition de Kenyatta à William Ruto, qui a depuis remporté l’élection présidentielle kényane.

La stratégie nationale de la RDC ... [vise] le retour des anciens combattants [chez eux, en fournissant] aux groupes armés une alternative et une incitation à quitter la brousse.

Enfin, les pays de la CAE devraient de toute urgence clarifier la contribution de la force régionale à la nouvelle stratégie de démobilisation du président Tshisekedi. Lancée en avril de cette année, la stratégie nationale de la RDC met l’accent sur le retour des anciens combattants dans leurs communautés plutôt que sur leur intégration dans l’armée, comme c’était le cas dans les programmes précédents. En outre, elle confie la mise en œuvre du programme à des coordinateurs provinciaux plutôt qu’aux autorités de Kinshasa. L’initiative n’a pas encore été lancée, mais pour arriver à une solution durable, il sera probablement crucial de fournir aux groupes armés une alternative et une incitation à quitter la brousse.

En théorie, l’effort de démobilisation est lié aux voies diplomatique et militaire lancées à Nairobi. Selon le projet opérationnel, la force conjointe devrait avoir pour mandat de soutenir la nouvelle stratégie de démobilisation de Tshisekedi. Il semblerait aussi que les groupes armés doivent soit suivre un processus de démobilisation lié au volet politique de Nairobi, soit devenir les cibles de la force régionale. Le projet n’apporte cependant pas de détails sur la mise en pratique de ces opérations. La RDC et ses partenaires devraient approfondir leur réflexion sur l’articulation de ces efforts, tant lors de la préparation du prochain cycle de négociations à Nairobi que pendant les discussions.

Les pays de la CAE ne devraient pas hésiter à mettre un terme aux opérations si elles ne parvenaient pas à atteindre les objectifs fixés, d’autant plus s’ils devaient constater qu’elles ne font qu’aggraver la situation sécuritaire dans l’est de la RDC au lieu de l’améliorer. Dans la mesure où elles apporteront leur aide, les organisations comme l’UA et l’UE devront suivre de très près la situation sur le terrain et être prêtes à réduire leur soutien si l’intervention tournait mal. Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait se montrer prudent dans son appui à la mission tant qu’elle n’a pas démontré qu’elle fait plus de bien que de mal. Les civils de l’est de la RDC subissent des épisodes successifs de violence armée depuis près de trois décennies. Si les efforts visant à mettre un terme à leur calvaire sont bien entendu louables en principe, ils doivent être réalisables dans la pratique pour mériter d’être poursuivis et soutenus.

Subscribe to Crisis Group’s Email Updates

Receive the best source of conflict analysis right in your inbox.