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Le Kenya en crise

Depuis l’annonce le 30 décembre 2007 des résultats contestés de l’élection présidentielle qui donnaient vainqueur le président sortant, Mwai Kibaki, le Kenya vit la crise politique la plus grave depuis son indépendance.

Synthèse

Depuis l’annonce le 30 décembre 2007 des résultats contestés de l’élection présidentielle qui donnaient vainqueur le président sortant, Mwai Kibaki, le Kenya vit la crise politique la plus grave depuis son indépendance. Plus de 1000 personnes sont mortes et 300 000 ont été déplacées dans des violences à caractère ethnique. Alors que l’ancien Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, mène des négociations en vue d’un règlement politique, le calme est partiellement revenu mais la situation reste explosive. Pour s’attaquer aux racines de cette crise, il ne suffira pas à l’équipe Annan d’encadrer la négociation d’un accord sur les mécanismes d’une transition entre opposants politiques et de prévoir des négociations sur les réformes à entreprendre. Parvenir à un règlement durable de la crise demandera d’examiner en détail un ensemble de questions – partage du pouvoir, réformes législatives et constitutionnelles, politiques économiques – afin de convaincre les auteurs des violences de déposer les armes. Pour que les négociations aboutissent, la communauté internationale doit augmenter la pression, notamment en imposant la conditionnalité de son aide, et en appliquant des sanctions ciblées contre les agitateurs.

L’autorité de l’État s’est effondrée dans les bastions politiques du Mouvement démocratique Orange (ODM). Les fidèles à son chef, Raila Odinga, sont descendus dans les rues pour manifester violemment contre le vol de la présidence par Kibaki et pour prendre une revanche sur les communautés kikuyu et lisii, qu’ils estiment partisanes de Kibaki. Les forces de sécurité ont réagi avec une grande brutalité et les membres des communautés qui soutiennent l’ODM ont été la cible d’attaques violentes de la part des supporters de Kibaki.

L’Union africaine (UA) a mandaté une équipe de dirigeants africains distingués sous la houlette de Kofi Annan pour assurer la médiation dans cette crise. Peu après leur arrivée sur place le 22 janvier, ils ont organisé une rencontre entre Odinga et Kibaki, dont ils ont obtenu la promesse de parvenir à une solution négociée. Les parties ont fait des concessions et discutent à présent d’un accord de transition qui pourrait aboutir à de nouvelles élections dans deux ans, des réformes constitutionnelles et judiciaire à entreprendre et de la mise en place d’une commission vérité, justice et réconciliation qui devrait aider à cicatriser les blessures.

Néanmoins, de sérieux obstacles demeurent. Les groupes armés poursuivent leur mobilisation dans les deux camps. L’ODM, qui a remporté une nette victoire lors des élections parlementaires de décembre, a cessé d’appeler à une action de masse et se sert des négociations en cours pour redorer son blason sur la scène internationale après avoir perdu de son prestige à l’occasion des violences. Ses plus fidèles partisans font pourtant pression sur lui pour qu’il exige rien moins que la présidence et ils pourraient facilement relancer des affrontements violents si la coalition du Parti de l’unité nationale (PNU) continue de camper sur ses positions.

La coalition de Kibaki essaie de gagner du temps pour épuiser la résistance de l’opposition aussi bien que pour entamer la fermeté de la communauté internationale. Elle bénéficie des pouvoirs considérables de la présidence, notamment d’un accès illimité aux ressources publiques. Cette coalition répète qu’elle contrôle la situation et qu’il n’y a pas de vide à la tête du pays ; elle a tendance à considérer la mission de l’équipe Annan comme accessoire et apporte son soutien à des processus alternatifs de réconciliation ; elle cherche à ce que les pays voisins reconnaissent l’élection de Kibaki et continue de résister à un véritable partage du pouvoir exécutif.

Alors que la médiation se concentre sur un accord de partage du pouvoir et sur un accord de transition qui conduira à de nouvelles élections, elle a reporté à plus tard des discussions tout aussi importantes concernant les réformes et la politique économique qu’un gouvernement transitoire efficace devrait adopter – ces discussions auraient lieu d’ici un an. Il s’agit là d’une approche risquée. L’équipe Annan devraient encourager les parties à aborder ces sujets immédiatement.

Trois séries de questions supplémentaires doivent faire l’objet de discussions pour pouvoir mettre au point les détails d’un accord de partage du pouvoir. La première concerne les réformes constitutionnelles et législatives qu’il sera nécessaire d’entreprendre durant la période de transition, notamment une réforme complète des lois électorales. La deuxième concerne les politiques économiques qui doivent être mises en œuvre pendant cette même période. La troisième concerne les détails concrets, notamment le calendrier de mise en œuvre et le cadre institutionnel, de la procédure à suivre pour mettre fin à la violence et faire face à la crise humanitaire. L’ODM et le PNU ne contrôlent pas les violences sur le terrain. Il n’existe une chance de restaurer l’autorité de l’État et d’empêcher une reprise des combats que si les dirigeants locaux comprennent que leurs revendications sont effectivement prises en compte et que des mesures concrètes seront mises en places rapidement. Les partenaires des milieux économiques et de la société civile devraient également être associés aux négociations portant sur les réformes institutionnelles et sur la politique économique.

Ces objectifs ne pourront être atteints sans la pression de la communauté internationale. En plus d’imposer une solution négociée à la crise en tant que condition à une aide financière bilatérale et multilatérale, les acteurs internationaux devraient adopter une politique générale de restriction sur les visas et de gel des avoirs à l’encontre de ceux qui ont soutenu et organisé les violences ou qui ont bloqué le processus politique d’une façon ou d’une autre. Certains extrémistes du camp Kibaki ont besoin d’une certaine crédibilité au niveau international pour continuer à faire prospérer leurs affaires, aussi la perspective d’en faire des parias peut-elle s’avérer efficace pour les encourager à faire des concessions dans le cadre des négociations et à faire preuve de bonne foi dans la mise en œuvre de l’accord auquel celles-ci devraient aboutir.

Les enjeux de cette crise s’étendent bien au-delà du seul Kenya, dont la santé politique et économique est un élément essentiel à la sécurité et à la prospérité de l’Afrique centrale et de l’est et influe également sur la façon dont les investisseurs évaluent l’avenir du continent dans son ensemble. La stabilité du Kenya est déterminante pour l’accès de la région aux ressources énergétiques et aux fournitures de base et garantit un environnement relativement sûr pour des centaines de milliers de réfugiés somaliens et soudanais. Mais il ne suffira pas de se concentrer sur un accord de partage du pouvoir entre l’ODM et le PNU pour restaurer la situation.

Nairobi/Bruxelles, 21 février 2008

Executive Summary

Since the announcement of the contested presidential election results on 30 December 2007 giving a second term to Mwai Kibaki, Kenya has been in its worst political crisis since independence. Over 1,000 people have died and 300,000 have been displaced in violence with a serious ethnic character. As former UN Secretary-General Kofi Annan conducts negotiations for a political settlement, calm has partly returned, but the situation remains highly volatile. To address the causes of the crisis, it will not be enough for the Annan team to broker a deal on the mechanics of a transitional arrangement between political opponents and schedule negotiations on a reform agenda. A sustainable settlement must address in detail a program of power sharing, constitutional and legal reform and economic policies that convinces the drivers of violence to disarm. For negotiations to succeed, the international community must enhance its pressure, including aid conditionality and threats and application of targeted sanctions against spoilers.

State authority collapsed in the political strongholds of the opposition Orange Democratic Movement (ODM). Supporters of its leader, Raila Odinga, took to the streets in violent protest against the theft of the presidency and to seek revenge on the Kikuyu and Kisii communities perceived to be loyal to Kibaki. The security forces reacted with great brutality and members of the communities supporting ODM were violently targeted by Kibaki supporters.

Kofi Annan and a distinguished team of other African leaders have been mandated by the African Union (AU) to mediate the crisis. Soon after their arrival on 22 January, they arranged a meeting between Odinga and Kibaki and obtained pledges to negotiate a settlement. The parties have conceded some ground and are discussing a transitional arrangement which could lead to new elections after two years, legal and constitutional reforms, and a truth, justice and reconciliation commission to assist in healing wounds.

Serious obstacles remain, however. Armed groups are still mobilising on both sides. ODM, which won a clear parliamentary plurality in December, has put on hold its calls for mass action and is using the talks to restore prestige it lost internationally in the violence. It is under pressure from its core constituencies, however, to demand nothing less than the presidency, and its supporters could easily renew violent confrontations if Kibaki’s Party of National Unity (PNU) coalition remains inflexible.

The Kibaki coalition is buying time to wear down both the opposition and the international community’s resolve. It benefits from the presidency’s extensive powers, including unlimited access to public resources. It insists the situation is under control and there is no power vacuum, tends to treat Annan’s mission as a sideshow while sponsoring alternative reconciliation processes, seeks to have Kibaki’s election recognised by neighbouring countries and continues to resist genuine sharing of executive power.

While the mediation concentrates on a power-sharing agreement and a transitional arrangement leading to new elections, it has postponed equally important talks on the reform agenda and economic policy that an effective transitional government should adopt. A further year is envisaged for these talks. This is a risky approach. The Annan team should engage the two sides immediately on these topics.

Three complementary sets of issues must be addressed to finalise a detailed power-sharing agreement. The first are the legal and constitutional reforms needed during the transition period, including a complete overhaul of the electoral framework. The second are the economic policies to be implemented during the transition. The third are the concrete details of the process to be followed to end the violence and to deal with the humanitarian crisis, including the institutional framework and timelines. The ODM and PNU do not control the local violence. There is a chance to restore state authority and prevent renewed major fighting only if local leaders understand that their grievances are being addressed and concrete measures are being rapidly implemented. Civil society and economic stakeholders should also be associated with the negotiations on institutional reforms and economic policy.

International pressure is critical to achieving these objectives. The conditioning of multilateral and bilateral financial help for a negotiated settlement should be reinforced by a general travel ban and asset freeze policy against those who support and organise the violence or otherwise block the political process. Some hardliners in Kibaki’s camp depend on international credit-worthiness to keep their enterprises prosperous. The prospect of making individuals pariahs can be used to encourage concessions in the negotiations and good faith in implementation of an agreement.

The stakes go beyond Kenya, whose political and economic health is an essential ingredient for the security and prosperity of eastern and central Africa and indeed for how the entire continent’s future is assessed by investors. Kenya’s stability determines regional access to energy supplies and basic commodities and guarantees a relatively safe environment for hundreds of thousands of Somali and Sudanese refugees. But concentrating on a power-sharing arrangement between ODM and PNU will not be enough to restore the situation.

Nairobi/Brussels, 21 February 2008

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