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Somaliland: À l’Union africaine de montrer le chemin

Le 18 mai 2006, la République autoproclamée du Somaliland a célébré le quinzième anniversaire de son indépendance de la Somalie. Bien qu’aucun autre état n’ait encore reconnu cette république, le fait qu’elle soit une démocratie constitutionnelle fonctionnelle la distingue des autres entités séparatistes en Afrique.

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Synthèse

Le 18 mai 2006, la République autoproclamée du Somaliland a célébré le quinzième anniversaire de son indépendance de la Somalie. Bien qu’aucun autre état n’ait encore reconnu cette république, le fait qu’elle soit une démocratie constitutionnelle fonctionnelle la distingue des autres entités séparatistes en Afrique. Des gouvernements africains et occidentaux, de plus en plus nombreux, ont fait preuve de solidarité envers la cause du Somaliland. La paix et la stabilité qui règnent sur son territoire offrent un contraste saisissant avec la majeure partie du sud de la Somalie, en particulier avec la capitale, Mogadiscio, qui est plongée dans l’anarchie et où des affrontements entre milices rivales ont récemment fait des dizaines de victimes. Mais le gouvernement fédéral transitoire (GFT), en proie à des luttes internes et qui s’efforce d’établir son autorité dans le sud de la Somalie, revendique également la souveraineté de ce territoire. La tension monte autour de cette question. L’Union africaine doit s’engager dès maintenant dans des actions de diplomatie préventive et préparer le terrain en vue de la résolution de ce différend avant qu’il n’aboutisse à une véritable confrontation à laquelle chacun des deux côtés ne voie d’autre issue que la violence. 

En décembre 2005, le président Dahir Rayale Kahin a présenté la candidature du Somaliland au statut de membre de l’Union africaine (UA). Cette revendication du statut d’État repose d’une part sur le fait que ce territoire avait, pendant la période coloniale, un statut distinct de ce qui est depuis devenu la Somalie, et d’autre part sur son existence en tant qu’État souverain durant une courte période après son indépendance de la Grande-Bretagne en juin 1960. Après avoir délibérément formé une union avec la Somalie en vue d’atteindre le rêve irrédentiste d’une “Grande Somalie” (incluant une partie de l’Éthiopie, du Kenya et de Djibouti), le Somaliland recherche désormais la reconnaissance des frontières dont il a hérité au moment de l’indépendance. Malgré la crainte que cette reconnaissance pourrait mener à la fragmentation de la Somalie et d’autres états membres de l’UA, une mission d’information de l’Union africaine en 2005 a conclu que la situation était suffisamment “unique et auto-justifiée dans l’histoire politique africaine” et que “cette affaire ne devrait pas mener à ‘l’ouverture d’une boîte de Pandore’”. Elle a recommandé à l’UA de “trouver une méthode spécifique pour traiter ce problème en souffrance” aussitôt que possible. Le 16 mai 2006, Rayale a rencontré le président de la Commission de l’UA, Alpha Oumar Konare, pour discuter de la candidature du Somaliland.

Le Somaliland a fait des progrès notables pour établir la paix, la sécurité et la démocratie constitutionnelle à l’intérieur de ses frontières de fait. Des centaines de milliers de personnes déplacées et réfugiés sont rentrés chez eux, des dizaines de milliers de mines antipersonnel ont été retirées et détruites, et les milices claniques ont été intégrées au sein de la police et des forces armées unifiées. Un système politique multipartite et une succession d’élections concurrentielles ont fait du Somaliland une rareté dans la Corne de l’Afrique et le monde musulman. Cependant, le GFT continue à opposer une résistance farouche à l’indépendance du Somaliland.

Jusqu’à présent, les artisans de la paix ont opté pour un traitement des problèmes par étapes: ils ont d’abord essayé de mettre sur pied un gouvernement pour la Somalie et après seulement de s’attaquer au problème du Somaliland. Des diplomates européens ont mis en garde Crisis Group contre le danger d’une déstabilisation du processus de paix dans le sud par la simple évocation à ce stade de la question du Somaliland. Cette approche risque de pousser les deux camps à s’ancrer dans leurs positions et de rendre le différend sur l’unité somalienne encore plus difficile à régler. Si le GFT étend son autorité, il est probable que le différend concernant le statut du Somaliland devienne une source de friction de plus en plus importante, comportant un danger sérieux de conflit violent. Le GFT a appelé à la levée de l’embargo sur les armes imposé à la Somalie par l’ONU pour pouvoir lui-même s’armer. Le Somaliland a réagi avec colère et a menacé d’accroître sa puissance militaire si cette levée était mise à exécution. La perspective d’un retour à une situation de violence comme à la fin des années 1980 n’est ni imminente ni inévitable mais elle est assez concrète pour mériter de toute urgence l’attention de l’Union africaine.

Pour les deux camps, le sujet de la reconnaissance n’est pas simplement politique ou juridique. Il est existentiel. La plupart des somaliens du sud sont viscéralement attachés à la notion d’une République somalienne unie, alors qu’au Somaliland, nombreux sont ceux qui, marqués par l’expérience de la guerre civile, la fuite et l’exil, ne parlent d’unité qu’au passé. Pour toute une génération de jeunes somalilandais, qui n’a aucun souvenir de la Somalie unie à laquelle les jeunes somaliens du sud sont si attachés, la souveraineté du Somaliland est une question d’identité.

La résolution du statut du Somaliland n’est pas simple. Une minorité bruyante de somalilandais, y compris certaines communautés le long de la frontière troublée avec le Puntland voisin (nord-est de la Somalie), et un réseau violent du Jihad islamique sont favorables à l’unité. Certains observateurs craignent que la relation entre les deux voisins, en l’absence d’une séparation négociée, devienne éventuellement aussi incertaine et explosive que celle qui a prévalu entre l’Éthiopie et l’Érythrée avant la guerre qui les a opposées sur leur frontière commune de 1998 à 2000.

Quatre questions essentielles se posent:

  • le Somaliland devrait-il être récompensé pour avoir créé stabilité et gouvernance démocratique dans une partie de ce chaos qu’est l’État failli de Somalie?
     
  • récompenser le Somaliland soit par l’indépendance soit par une autonomie significative compromettrait-il les chances de la Somalie d’accéder à la paix ou mènerait-il à des affrontements territoriaux?
     
  • quels sont les perspectives d’une préservation pacifique de la République somalienne unifiée? et 
     
  • quelles seraient les implications de la reconnaissance du Somaliland sur les autres conflits séparatistes sur le continent?

Ces questions doivent être traitées fermement, à travers un débat ouvert et une analyse dépassionnée des problèmes et options disponibles, plutôt que d’être ignorées dans l’espoir qu’elles disparaîtront (politique de l’autruche). “L’Union africaine ne peut faire comme s’il n’y avait pas problème”, a déclaré un diplomate de la région à Crisis

Group. “On ne peut pas continuer à tirer ce problème en longueur indéfiniment. Il faut trouver une solution”. La candidature du Somaliland à l’UA offre un point d’entrée pour la diplomatie préventive. Face à la demande de reconnaissance du Somaliland, l’UA devrait saisir cette occasion de s’engager en tant que tierce partie neutre, indépendamment de la décision finale qui sera prise concernant le statut du Somaliland.

Hargeisa/Addis Abeba/Bruxelles, le 23 mai 2006

Executive Summary

On 18 May 2006, the self-declared Republic of Somaliland marked fifteen years since it proclaimed independence from Somalia. Although its sovereignty is still unrecognised by any country, the fact that it is a functioning constitutional democracy distinguishes it from the majority of entities with secessionist claims, and a small but growing number of governments in Africa and the West have shown sympathy for its cause. The territory’s peace and stability stands in stark contrast to much of southern Somalia, especially the anarchic capital, Mogadishu, where clashes between rival militias have recently claimed scores of lives. But Somalia’s Transitional Federal Government (TFG), which is still struggling to overcome internal divisions and establish its authority in southern Somalia, also claims sovereignty over the territory, and the issue is becoming an increasing source of tension. The African Union (AU) needs to engage in preventive diplomacy now, laying the groundwork for resolution of the dispute before it becomes a confrontation from which either side views violence as the only exit.

In December 2005 President Dahir Rayale Kahin submitted Somaliland’s application for membership in the AU. The claim to statehood hinges on the territory’s separate status during the colonial era from the rest of what became Somalia and its existence as a sovereign state for a brief period following independence from Great Britain in June 1960. Having voluntarily entered a union with Somalia in pursuit of the irredentist dream of Greater Somalia (including parts of Ethiopia, Kenya and Djibouti), it now seeks recognition within the borders received at that moment of independence. Despite fears that recognition would lead to the fragmentation of Somalia or other AU member states, an AU fact-finding mission in 2005 concluded the situation was sufficiently “unique and self-justified in African political history” that “the case should not be linked to the notion of ‘opening a pandora’s box’”. It recommended that the AU “should find a special method of dealing with this outstanding case” at the earliest possible date. On 16 May 2006, Rayale met with the AU Commission Chairperson, Alpha Oumar Konare, to discuss Somaliland’s application for membership.

Somaliland has made notable progress in building peace, security and constitutional democracy within its de facto borders. Hundreds of thousands of refugees and internally displaced people have returned home, tens of thousands of landmines have been removed and destroyed, and clan militias have been integrated into unified police and military forces.  A multi-party political system and successive competitive elections have established Somaliland as a rarity in the Horn of Africa and the Muslim world. However, the TFG continues strongly to oppose Somaliland independence.

Peacemakers have so far opted to tackle the issues sequentially: first trying to establish a government for Somalia and only then addressing the Somaliland question. European diplomats warn Crisis Group that even raising the Somaliland issue at this time could destabilise the peace process in the South. This approach risks both sides becoming more entrenched and the dispute over Somali unity more intractable. If the TFG’s authority expands, the dispute over Somaliland’s status is likely to become an ever-increasing source of friction, involving serious danger of violent conflict. Somaliland has reacted angrily to the TFG’s calls for the UN arms embargo on Somalia to be lifted so it could arm itself and has threatened to increase its own military strength if this happens. The prospect of a return to the major violence of the late 1980s is neither imminent nor inevitable but it is genuine enough to merit urgent AU attention. 

For both sides, the issue of recognition is not merely political or legal – it is existential. Most southern Somalis are viscerally attached to the notion of a united Somali Republic, while many Somalilanders – scarred by the experience of civil war, flight and exile – refer to unity only in the past tense. For a generation of Somaliland’s youth, which has no memories of the united Somalia to which young Southerners attach such importance, Somaliland’s sovereignty is a matter of identity. 

Resolving Somaliland’s status is by no means a straightforward proposition. A vocal minority of Somalilanders, including some communities along the troubled border with neighbouring Puntland (North East Somalia) and a violent network of jihadi Islamists favour unity. Some observers fear that, in the absence of a negotiated separation, the relationship between the two neighbours could potentially become as ill-defined and volatile as that which prevailed between Ethiopia and Eritrea prior to their 1998-2000 border war.

There are four central and practical questions:

  • should Somaliland be rewarded for creating stability and democratic governance out of a part of the chaos that is the failed state of Somalia?;
     
  • would rewarding Somaliland with either independence or significant autonomy adversely impact the prospects for peace in Somalia or lead to territorial clashes?;
     
  • what are the prospects for peaceful preservation of a unified Somali Republic?; and
     
  • what would be the implications of recognition of Somaliland for separatist conflicts elsewhere on the continent?

These questions need to be addressed through firm leadership, open debate and dispassionate analysis of the issues and options – not ignored, ostrich-like, in the hope that they will disappear. “The AU cannot pretend that there is not such an issue”, a diplomat from the region told Crisis Group. “The issue cannot be allowed to drag on indefinitely. It must be addressed”. Somaliland’s application to the AU offers an entry point for preventive diplomacy. The AU should respond to Somaliland’s request for recognition by seizing the opportunity to engage as a neutral third party, without prejudice to the final determination of Somaliland’s sovereign status.

Hargeysa/Addis Ababa/Brussels, 23 May 2006

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