Agir d'urgence au Darfour
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Sudan’s Calamitous Civil War: A Chance to Draw Back from the Abyss
Sudan’s Calamitous Civil War: A Chance to Draw Back from the Abyss
Op-Ed / Africa 4 minutes

Agir d'urgence au Darfour

L'ONU doit signifier au gouvernement soudanais qu'il lui incombe de faire cesser les massacres.

Au Darfour, dans l'ouest du Soudan, qu’aucun village ne soit plus en mesure d'être dépouillé et détruit ne signifie pas qu'il ait été mis un terme à la barbarie déployée à l'égard de la population ravagée de la région. Les Janjaweed, milices soutenues par le gouvernement, poursuivent leurs carnages ciblés et leurs campagnes de viols collectifs à l'encontre des tribus noires africaines. L'appui dont ils bénéficient de la part du gouvernement soudanais est en fait loin de se limiter au simple octroi de fonds ou d'armement : Khartoum contribue de manière bien plus directe aux massacres en facilitant les raids par ses bombardements aériens.

Les Janjaweed ont isolé la population civile dans des camps que certains qualifient très justement de «camps de concentration». Confrontée aux épidémies et à la malnutrition, cette population se trouve à présent condamnée à une mort lente. Les habitants n'ont pu semer leurs récoltes, les réserves de grain, qui ont constitué la cible des destructions, sont anéanties et le gouvernement continue d'empêcher l'aide humanitaire de parvenir à la plupart des déplacés. Finalement, ceux qui n'ont pas été massacrés sont condamnés à mourir de faim.

Ces campagnes sauvages ont fait des dizaines de milliers de victimes. Plus d'un million de Soudanais ont été déplacés et 110 000 autres ont fui vers le Tchad. Les conséquences de l'attitude désastreuse de Khartoum se propagent ainsi, mettant la paix et la stabilité régionale en péril.

Le gouvernement soudanais mène une campagne ravageuse, voire génocidaire, à l'encontre de ses propres citoyens. La plupart de ces agissements sont familiers au gouvernement soudanais, qui a essentiellement procédé de la sorte dans le sud du pays au cours des longues décennies de guerre civile. La stratégie de la terre brûlée est une caractéristique de la politique de Khartoum, lorsqu'il s'agit de supprimer une rébellion. Pendant de nombreuses années, le Soudan n'a cessé de s'en prendre à sa propre population, dans le cadre du conflit interne l'ayant opposé à l'armée populaire soudanaise de libération (APSL). Au cours de ces derniers mois cependant, le gouvernement soudanais semble avoir concentré ses attentions funestes sur les habitants du Darfour, accusés du soutien de deux groupes rebelles : l'ASL , Armée soudanaise de libération, et le MEJ, Mouvement de l'égalité et de la justice.

La perspective récente d'une avancée des négociations de paix entre le gouvernement et l'APSL a vraisemblablement contribué à la chute du Darfour. Cet accord de paix bipartite, perçu par l'ASL, puis par le MEJ, comme un arrangement les mettant à l'écart, les a incités à prendre les armes, remportant par la suite quelques rapides victoires contre des cibles gouvernementales. La colère de Khartoum ne s'est pas fait attendre et s'est traduite par le recrutement des Janjaweed. On soupçonne Khartoum d'avoir tergiversé au cours des négociations avec l'ASL dans le simple but de gagner du temps et de redéployer ses forces militaires au Darfour. Quoi qu'il en soit, il est quasiment incontestable que Khartoum ait anticipé, très justement d'ailleurs, le fait que la communauté internationale serait peu disposée à se prononcer sur ses agissements aussi longtemps que des négociations semblaient être sur le point d'aboutir entre le gouvernement et l'APSL.

Le temps de l'immobilisme et de l'espoir est à présent révolu. Les atrocités commises au Darfour, qui bénéficient du soutien du gouvernement, sont bien trop terrifiantes pour pouvoir être ignorées. Après avoir longtemps brillé par son silence, la Ligue arabe a récemment reconnu en ces massacres une violation des droits de l'homme. L'Union européenne ne s'est pas mieux distinguée par son attitude et n'a su, dans le meilleur des cas, qu'employer des expressions timides pour qualifier la situation. La présidence irlandaise de l'UE s'est par exemple contentée le mois dernier, lors d'une déclaration bien intentionnée, de souligner qu'il est essentiel que le gouvernement s'implique en vue de contrôler les forces irrégulières connues sous le nom de Janjaweed. Cette position est intervenue une semaine après que le président Bush a affirmé que le Soudan devait «intervenir immédiatement afin d'empêcher les milices de commettre des actes d'atrocités contre la population locale», et que le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, après avoir fait référence au terme de «nettoyage ethnique», eut ouvertement évoqué l'éventualité d'une intervention militaire si nécessaire.

L'Europe doit vite se rattraper, prendre conscience de la gravité de la situation et user de son influence au sein du Conseil de sécurité. Cette influence est d'ailleurs relativement considérable. Outre les sièges permanents occupés par la France et la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Espagne ainsi que la Roumanie ­ candidate à l'entrée de l'UE ­ comptent parmi les membres temporaires du Conseil. Ensemble, les Etats de l'UE doivent exhorter le Conseil de sécurité des Nations unies à se réunir en session extraordinaire et à agir en faveur du Darfour dans le cadre d'une résolution. Il s'agit d'indiquer très clairement au gouvernement soudanais qu'il lui incombe de mettre un terme aux massacres, de faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire et de remédier aux conséquences du nettoyage ethnique. Le Conseil de sécurité doit immédiatement appliquer l'ensemble des sanctions autorisées contre le régime soudanais et formellement le mettre en garde contre le recours à une force d'intervention militaire internationale s'il ne venait pas à modifier son comportement. Cet ultimatum, franc et direct, représente le seul moyen de prouver que «plus jamais» signifie que la communauté internationale n'a pas l'intention de rester inactive et d'attendre que d'autres massacres se déroulent devant ses yeux.

Il est peut-être trop tard pour sauver les villages ravagés, mais il est encore temps de sauver des centaines de milliers de vies.

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