Au Darfour, la diplomatie limitée
Au Darfour, la diplomatie limitée
What’s Left of Sudan After a Year At War?
What’s Left of Sudan After a Year At War?
Op-Ed / Africa 5 minutes

Au Darfour, la diplomatie limitée

Malgré la récente visite du ministre français des affaires étrangères, Michel Barnier, les villages du Darfour continuent à brûler, les cadavres entassés dans les puits pour polluer les eaux s'accumulent, les réfugiés jetés en pâture à la faim, à la soif et à la maladie crèvent nos écrans.  Et tout ce que la communauté internationale a réussi à obtenir de Khartoum se résume en promesses vides.

Le gouvernement du Soudan a, depuis l'indépendance, conduit des guerres systématiques contre presque tous les groupes ethniques non arabes du pays, la plus longue étant celle avec le SPLA (Armée de libération des peuples du Soudan), dans le Sud.

Au Darfour, en réaction à une insurrection locale, les Janjawids ont instauré un règne de terreur. Ils tuent, violent et brûlent en toute impunité avec le soutien actif des forces armées du Soudan, qui leur offrent un appui aérien sans lequel les pertes civiles seraient bien moins élevées.

Les bombardements de villages par des Antonov militaires montrent l'engagement direct de Khartoum dans une politique d'épuration ethnique qui vise à supprimer le plus de monde possible afin de priver la rébellion d'une population dans laquelle elle peut trouver des appuis.

Après avoir vidé des centaines de villages de leurs habitants, les miliciens poursuivent leurs victimes jusqu'aux alentours des camps de réfugiés au Tchad et harcèlent les déplacés internes restés au Darfour. Devant les yeux de travailleurs humanitaires et de policiers soudanais d'une nonchalance complice, ils rançonnent leurs victimes et violent les infortunées qui s'aventurent hors des camps à la recherche de quoi nourrir leurs enfants. Plus inquiétant encore, pour donner l'impression d'un retour à la normale, Khartoum semble déterminé à forcer le retour des déplacés dans leurs villages, sans prendre de précautions pour garantir leur sécurité ni leur fournir les moyens de survie.

Quelques mois après les cérémonies commémorant le dixième anniversaire du génocide rwandais, l'ampleur de la catastrophe au Darfour fait frémir : plus de 30 000 personnes massacrées, plus d'un million de déplacés internes, plus de 200 000 réfugiés dans des camps de fortune au Tchad. Et peut-être plus de 300 000 personnes menacées de mourir de faim et de manque de soins si rien n'est fait d'ici à la fin de l'année.

Dans ce contexte, les discussions de couloir à New York paraissent surréalistes. Et l'attitude de la communauté diplomatique internationale, qui consiste à se boucher les yeux et les oreilles comme elle le fait face à la volonté manifeste de Khartoum de laisser les Janjawids massacrer et violer et de les appuyer militairement, se traduira en milliers de victimes.

Les visites du secrétaire général des Nations unies et du secrétaire d'Etat américain, l'un et l'autre "promenés" dans la plus pure tradition des régimes totalitaires (la visite par Kofi Annan d'un camp de réfugiés "vidé" avant son arrivée aura marqué le mépris de Khartoum face aux préoccupations internationales) ont toutefois amené le gouvernement du Soudan à s'engager à nouveau publiquement à faire cesser immédiatement toute exaction contre les populations du Darfour.

L'Union africaine semble s'inquiéter de sa crédibilité en tant qu'organe régional pour le maintien de la paix et de la sécurité du continent. Sa décision d'envoyer 300 observateurs au Darfour est à saluer, comme celle de l'Union européenne de financer cet effort africain à hauteur de 12 millions d'euros. Khartoum semble avoir pris l'annonce de l'UA comme un "moindre mal", comparé à une intervention mandatée par le Conseil de sécurité de l'ONU.

Mais 300 observateurs déployés sur un territoire de la taille de la France n'arrêteront pas le massacre si Khartoum n'est pas mise dans l'obligation de cesser sa campagne militaire immédiatement. Or, sur ce plan, rien n'a changé. Seule une résolution musclée du Conseil de sécurité l'appelant à respecter ses engagements et explicitant clairement les conséquences en cas de refus pourrait l'amener à appliquer une politique conforme au droit international.

Face à la catastrophe, il ne s'agit plus seulement de proposer des sanctions ciblées contre certains chefs janjawids ou quelques dirigeants soudanais responsables de crimes contre l'humanité, mais de menacer Khartoum de sanctions militaires. Si les bombardements de civils ne cessent pas immédiatement, le Conseil de sécurité devrait instaurer une zone d'interdiction de vol dans le ciel du Darfour, comme cela avait été fait au-dessus du Kurdistan irakien dans les années 1990.

Si les massacres, les destructions de villages et les viols devaient se poursuivre, et si les agences humanitaires devaient continuer à être empêchées de faire leur travail, le Conseil devrait immédiatement créer une zone de sécurité pour les réfugiés, protégée par une force internationale formée essentiellement par des troupes de pays de l'Union africaine.

Malgré "les messages forts" de nos diplomaties et l'appel à une résolution de l'ONU brandissant des sanctions envers Khartoum lancé le 26 juillet par les ministres des affaires de l'Union européenne, il reste navrant de voir à quel point les membres du Conseil de sécurité se sont repliés sur une attitude attentiste. Comme s'ils espéraient que le gouvernement de M. El-Bashir tienne enfin des promesses qu'il ne s'est pourtant pas empressé d'honorer depuis dix-huit mois. Et, tandis que l'adoption à l'unanimité par le Congrès américain d'une résolution qualifiant de "génocide" les atrocités au Darfour suscite bien des émois, rien sur le terrain ne s'est amélioré à ce jour.

Après les cérémonies émouvantes autour du génocide rwandais à l'occasion desquelles d'aucuns se sont écriés : "Plus jamais ça !", la situation au Darfour place la communauté internationale et le Conseil de sécurité face à leurs responsabilités. Le sacro-saint principe de la souveraineté des Etats dans une situation où un gouvernement commet des monstruosités est devenu caduc dans un monde où prévaut "la responsabilité des Etats de protéger" les populations sous leur administration.

S'il faut se féliciter de l'effort de solidarité annoncé par la France et des déclarations de l'UE, cela ne suffira pas à assurer la sécurité des gens dans le Darfour. Michel Barnier ne voudrait pas "braquer inutilement le Soudan". Mais, avec chaque jour qui passe, il devient de plus en plus difficile de ne pas "braquer", de ne pas menacer de sanctions précises, ciblées et concrètes les membres d'un gouvernement qui se rendraient complices d'horreurs inacceptables.

Le Quai d'Orsay doit s'employer activement à faire comprendre à Khartoum que, sans changement radical de politique au Darfour, il se retrouvera isolé face à une communauté internationale dont les positions ne cesseront de se durcir. Il est bon que M. Barnier ait insisté sur le rôle prépondérant de l'Union africaine. Les premiers observateurs africains sur le terrain ont déjà témoigné d'un trouble profond face aux horreurs dont ils ont été témoins.

Khartoum mise sur la frilosité du système international après le fiasco irakien et calcule que nul pays n'envisagerait, en cette période, une résolution forte du Conseil de sécurité, soutenue par des menaces militaires concrètes. La France est en excellente position pour promouvoir un texte clair allant dans ce sens. Le Rwanda flotte dans toutes nos mémoires et son souvenir avait motivé le président de la République à agir courageusement dans l'Ituri congolais l'an dernier.

Un courage politique similaire sur le Darfour nous éviterait d'avoir à nous retourner pour contempler des cadavres qu'un peu de courage et quelques actions musclées auraient pu éviter.

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