Briefing / Africa 5 minutes

Pour un déploiement de l’ONU au Darfour

L’impossibilité d’envoyer une force de maintien de la paix des Nations unies au Darfour est le résultat direct de l’échec de la communauté internationale depuis trois ans à exercer une pression diplomatique et économique efficace sur le gouvernement soudanais et ses plus hauts responsables.

Synthèse

L’impossibilité d’envoyer une force de maintien de la paix des Nations unies au Darfour est le résultat direct de l’échec de la communauté internationale depuis trois ans à exercer une pression diplomatique et économique efficace sur le gouvernement soudanais et ses plus hauts responsables. À moins d’une action concertée à l’encontre du Parti du Congrès national (PCN) au pouvoir, Khartoum poursuivra sa campagne militaire, dont les conséquences sont terribles pour les populations civiles, tout en faisant semblant de tenir les nombreuses promesses qu’il a faites sur le désarmement de ses milices Janjaweed et sa coopération en général. Personne ne peut prédire ce qui marchera avec un régime aussi fort et impénétrable que le régime soudanais mais on a vu que la diplomatie, la patience et la confiance dans la bonne foi de Khartoum se sont avérées un échec patent. La communauté internationale a accepté la responsabilité de protéger les civils contre des crimes atroces lorsque leur propre gouvernement ne peut ou ne veut pas les protéger. Il faut désormais prendre de nouvelles mesures importantes pour pousser à la réflexion et provoquer un changement de politique à Khartoum.

La résolution 1706 du Conseil de sécurité de l’ONU du 31 août 2006 étendait au Darfour le mandat de la mission des Nations unies au Soudan, la MINUS, qui compte actuellement 10 000 hommes dans le pays pour contrôler l’application de l’accord de paix global Nord/Sud: elle “invitait” le gouvernement soudanais à consentir au déploiement d’une force de maintien de la paix de 20 600 hommes. Cette force élargie devait en fait prendre le relais de la mission africaine au Soudan de l’Union africaine (l’AMIS) qui, bien que menacée d’expulsion en septembre, a vu son mandat prolongé jusqu’à la fin du mois de décembre et dont les effectifs sur le terrain devraient passer à 11 000 hommes.

Le PCN continue à rejeter l’idée d’un déploiement de l’ONU. Il semble craindre de perdre le contrôle sur la région si la sécurité s’améliore. Les hauts responsables qui ont orchestré le conflit depuis 2003 semblent aussi craindre qu’une importante force de l’ONU au Darfour ne mette en œuvre les inculpations de la Cour pénale internationale (CPI), encore qu’il ne soit pas évident que ce risque soit plus grand avec une MINUS au mandat élargi plutôt qu’avec la mission actuelle.

En réponse à ce rejet, une intervention militaire de large envergure qui ne bénéficierait pas d’un consensus est à ce stade une option indéfendable et irréaliste. Mais il serait possible de persuader le PCN de modifier ses politiques et de consentir au déploiement d’une mission de l’ONU au Darfour en recourant maintenant à des sanctions ciblées contre les dirigeants du régime et leurs intérêts et en prévoyant immédiatement la création et le respect d’une zone de non-survol du Darfour qui s’appuierait sur l’interdiction non effective qui frappe les vols militaires offensifs imposée par le Conseil de sécurité en 2005. La communauté internationale devrait encore une fois clairement annoncer son soutien au rôle de la CPI et cette dernière devrait à son tour déclarer son intention de se concentrer dès à présent sur tous les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis durant l’actuelle offensive gouvernementale.

Les alternatives à une telle action (radicales en comparaison avec les offres peu énergiques du Conseil de sécurité jusqu’à présent) consisteraient à consacrer quelques mois de plus à essayer d’inciter le PCN à adopter une position plus ouverte, comme sont toujours en train de le faire certains dirigeants, ou se concentrer exclusivement à tenter d’étendre et renforcer la mission existante de l’Union africaine, comme certains politiques ont appelé à le faire. Crisis Group s’inquiète de ce que ces approches arrivent trop tard et ne soient pas suffisantes étant donné la façon dont la sécurité, les droits humains et la situation humanitaires se sont progressivement détériorés depuis la signature de l’accord de paix du Darfour (APD) du 5 mai 2006 à Abuja:

  • Le PCN a lancé une offensive d’envergure en août et a proposé à l’ONU son propre “plan de sécurité”, qui prévoit l’envoi de plus de 22 000 soldats gouvernementaux au Darfour pour assurer une victoire militaire;
     
  • Avec le soutien du Tchad et de l’Érythrée, les éléments des groupes rebelles qui n’ont pas signé l’APD se sont regroupés au sein du Front de rédemption national (NRF) et ont lancé une série d’attaques depuis la fin juin;
     
  • Les violences contre les femmes ont augmenté, avec plus de 200 cas d’agression sexuelle en cinq semaines rien que dans les environs du camp de Kalma dans le sud Darfour;
     
  • Le seul rebelle à avoir signé l’ADP, la faction de l’Armée de libération du Soudan de Minni Minawi (ALS/MM), agit de plus en plus comme une branche paramilitaire de l’armée soudanaise;
     
  • Alors qu’une solution politique est en fin de compte le seul moyen de mettre fin à la guerre et de créer les conditions qui permettraient à des millions de personnes déplacées de rentrer chez elles, il est devenu évident que l’ADP est tout sauf mort: il faut absolument que l’Union africaine (UA) et ses partenaires reconstituent un processus de paix viable et inclusif sur les fondations de cet accord et remédient à ses défauts mais il ne semble pas qu’elle soit prête à aller dans cette direction.

Des divisions ont désormais émergé au sein de la communauté internationale concernant l’abandon de la proposition d’une mission de l’ONU en faveur d’une mission de l’UA renforcée. Si ces divisions ne sont rapidement réconciliées, le PCN les exploitera pour neutraliser la pression internationale. La priorité est de rendre l’AMIS aussi effective que possible mais cette mission, dont la crédibilité au Darfour est en baisse, ne peut se substituer à une force de l’ONU plus robuste qui serait susceptible d’attirer des ressources physiques et financières plus importantes. La situation au Darfour exige la réponse la plus efficace possible. Celle-ci ne peut venir que par le déploiement de l’ONU, et surtout, ce déploiement doit être aussi rapide que possible.

Le PCN a habilement utilisé la confrontation avec la communauté internationale pour réduire au silence des médias indépendants et une opposition de plus en plus méfiants ainsi qu’un chœur de critiques de plus en plus présent au sein même de ses rangs, inquiets de la corruption et de la décadence morale du régime. Changer les politiques au Darfour pour permettre une transition vers l’arrivée d’une mission de l’ONU serait de toute évidence traumatisant et aurait des répercussions politiques et sociales dans le pays. Le PCN ne le fera que s’il calcule que les répercussions internationales de son refus sont plus importantes que les répercussions en interne de sa coopération. L’histoire nous pousse pourtant à croire qu’il agira s’il est soumis à une véritable pression. Mais ceci exige un changement de stratégie de la part de la communauté internationale qui, contrairement à sa rhétorique en général musclée, n’a que rarement exercé une pression significative sur le gouvernement soudanais. Ceci a donné l’impression à l’élite soudanaise qu’elle pouvait agir en quasi-impunité au Darfour.

La récente nomination d’Andrew Natsios en tant qu’Envoyé spécial des États-Unis au Soudan et le durcissement de ton de Washington sont les bienvenus mais il est probable que l’on pourrait obtenir davantage de résultats encore par la mise en œuvre et l’élargissement de la portée de certaines des mesures qui ont déjà été adoptées au Conseil de sécurité et dans d’autres instances. De même, les États-Unis, l’ONU, l’Union africaine et l’Union européenne, agissant ensemble autant que possible mais également, le cas échéant, en groupes plus petits voire de façon unilatérale, devraient maintenant:

  • appliquer des sanctions ciblées, comme le gel des avoirs et l’interdiction de voyager, aux principaux dirigeants du PCN qui ont déjà été identifiés par les enquêtes financées par l’ONU comme étant responsables d’atrocités commises au Darfour et encourager des campagnes de désinvestissement;
     
  • mandater par le biais du Conseil de sécurité une société comptable ou un panel d’experts afin d’enquêter sur les comptes offshore du PCN et les sociétés liées au PCN afin de préparer le terrain pour des sanctions économiques contre les entités commerciales liées au régime, qui sont le principal canal de financement les milices alliées au PCN au Darfour;
     
  • réfléchir à des sanctions concernant certains aspects du secteur pétrolier soudanais, principale source de revenu du PCN pour financer la guerre au Darfour, qui incluraient au moins des interdictions sur les investissements et sur l’approvisionnement en équipement et en expertise technique; et
     
  • commencer immédiatement à planifier la mise en application d’une zone de non-survol au-dessus du Darfour, dont le respect serait contrôlé par les troupes françaises et américaines dans la région avec le soutien de l’OTAN; obtenir le consentement du gouvernement tchadien au déploiement d’une force de réaction rapide à la frontière de ce pays avec le Soudan; et prévoir un plan pour l’éventualité d’un déploiement non consensuel au Darfour si les efforts politiques et diplomatiques ne permettent pas de modifier les politiques gouvernementales ou si la situation sur le terrain empire.

Nairobi/Brussels, 12 octobre 2006

I. Overview

The impasse over deploying a major UN peacekeeping force to Darfur results directly from the international community’s three-year failure to apply effective diplomatic and economic pressure on Sudan’s government and its senior officials. Unless concerted action is taken against the ruling National Congress Party (NCP), Khartoum will continue its military campaign, with deadly consequences for civilians, while paying only lip service to its many promises to disarm its Janjaweed militias and otherwise cooperate. No one can guarantee what will work with a regime as tough-minded and inscrutable as Sudan’s, but patient diplomacy and trust in Khartoum’s good faith has been a patent failure. The international community has accepted the responsibility to protect civilians from atrocity crimes when their own government is unable or unwilling to do so. This now requires tough new measures to concentrate minds and change policies in Khartoum.

UN Security Council Resolution 1706 (31 August 2006) extended to Darfur the mandate of the UN Mission in Sudan (UNMIS), which presently has 10,000 personnel in-country monitoring the North-South Comprehensive Peace Agreement: it “invited” the consent of the Sudanese government to the deployment of 20,600 UN peacekeepers. This expanded UN force was in effect to take over the African Union’s overstretched African Mission in Sudan (AMIS), which – although threatened with expulsion in September – has now been extended to the end of December, with its numbers on the ground expected to grow to 11,000.

The NCP continues to strongly reject the proposed UN deployment. Its primary motive appears to be a fear that improved security would loosen its grip on the region. Officials responsible for orchestrating the conflict since 2003 also appear to fear that a major body of UN troops in Darfur itself might eventually enforce International Criminal Court (ICC) indictments, although it is not obvious why that risk should be decisively greater for them with an extended UNMIS deployment than it is with the present one.

In responding to this rejection, full-scale non-consensual military intervention by the international community is not at this stage a defensible or realistic option. But it may be possible to persuade the NCP to alter its policies and consent to the UN mission in Darfur by moving now to targeted sanctions against regime leaders and their business interests – and immediately planning for the establishment and enforcement of a no-fly zone over Darfur that builds on the ineffective ban on offensive military flights the Security Council imposed in 2005. International support for the role of the ICC should be again clearly expressed, with the Court in turn declaring its intention to focus immediately on any war crimes or crimes against humanity committed during the current government offensive.

The alternatives to such action – radical by contrast with the limp offerings from the Security Council so far – would be additional months of trying to entice the NCP into a more forthcoming position, as some leaders are still trying to do, or total concentration on trying to extend and reinforce the existing African Union AMIS mission, as has increasingly been urged by various policymakers. Crisis Group’s concern is that either of these approaches will be too little too late, given the way the security, human rights and humanitarian situation has steadily deteriorated since the Darfur Peace Agreement (DPA) was signed on 5 May 2006 in Abuja:

  • The NCP launched a major offensive in August and offered the UN its own “security plan”, involving sending more than 22,000 government troops to Darfur to secure a military victory.
     
  • With support from Chad and Eritrea, elements of the rebel groups that did not sign the DPA have regrouped as the National Redemption Front (NRF) and since late June have launched a series of attacks.
     
  • Violence against women surged, with more than 200 instances of sexual assault in five weeks around Kalma camp in South Darfur alone.
     
  • The lone rebel signatory – the Sudan Liberation Army faction of Minni Minawi (SLA/MM) – increasingly acts as a paramilitary wing of the Sudanese army.

It has become clearly apparent that, while a political solution ultimately is the only way to end the war and create the conditions allowing millions of displaced persons to go home, the DPA is all but dead: there is a desperate need for the African Union (AU) and its partners to reconstitute a viable, inclusive peace process that builds on its foundations while addressing its flaws, but there is no sign of that happening.

Divisions have now emerged within the international community over whether to drop the UN mission proposal in favour of a strengthened AU-led mission. Unless these divisions are quickly reconciled, the NCP will exploit them to neutralise international pressure. It is an immediate priority to make AMIS as effective as it can be, but that mission, whose credibility in Darfur is decreasing, is not a substitute for the more robust UN force, which would be able to call upon greater physical and financial resources. The situation in Darfur demands the most effective response possible. That can only come through the full UN deployment, and efforts need to be concentrated to bring it about as rapidly as possible.

The NCP has skillfully used the confrontation with the international community to silence an increasingly defiant opposition and independent media and a rising chorus of critics from within its own ranks who are upset with the regime’s corruption and moral decay. Changing policies in Darfur and allowing the transition to a UN mission would clearly be traumatic, with serious domestic political and security repercussions. The NCP will only do so if it calculates that the international repercussions for non-compliance outweigh the domestic costs of cooperation. History does offer grounds for belief, however, that it will respond if confronted with genuine pressure. But that requires a change of strategy for the international community, which, in contrast to its generally strong rhetoric, has only rarely brought meaningful pressure to bear on the Sudanese government. This has given Sudan’s ruling elite the belief it can act with virtual impunity in Darfur.

The recent appointment of Andrew Natsios as U.S. Special Envoy for Sudan and tougher talk out of Washington is welcome, but it is likely that even more could be achieved by implementing and expanding the reach of some of the measures that have already been agreed in the Security Council and elsewhere. Accordingly, the U.S., UN, African Union and European Union, acting together to the greatest extent possible but as necessary in smaller constellations and even unilaterally, should now:

  • apply targeted sanctions, such as asset freezes and travel bans, to key NCP leaders who have already been identified by UN-sponsored investigations as responsible for atrocities in Darfur and encourage divestment campaigns;
     
  • authorise through the Security Council a forensic accounting firm or a panel of experts to investigate the offshore accounts of the NCP and NCP-affiliated businesses so as to pave the way for economic sanctions against the regime’s commercial entities, the main conduit for financing NCP-allied militias in Darfur;
     
  • explore sanctions on aspects of Sudan’s petroleum sector, the NCP’s main source of revenue for waging war in Darfur, to include at least bars on investment and provision of technical equipment and expertise; and
     
  • begin immediate planning for enforcing a no-fly zone over Darfur by French and U.S. assets in the region, with additional NATO support; obtaining consent of the Chad government to deploy a rapid-reaction force to that country’s border with Sudan; and planning on a contingency basis for a non-consensual deployment to Darfur if political and diplomatic efforts fail to change government policies, and the situation on the ground worsens.

Nairobi/Brussels, 12 October 2006

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