La guerre et la décomposition planent sur le Soudan d’Al-Bachir
La guerre et la décomposition planent sur le Soudan d’Al-Bachir
What’s Left of Sudan After a Year At War?
What’s Left of Sudan After a Year At War?
Op-Ed / Africa 4 minutes

La guerre et la décomposition planent sur le Soudan d’Al-Bachir

Le Soudan, coupé en deux Etats depuis l’été, est sous tension constante. D’un côté, la guerre menace toujours entre Nord et Sud. De plus, le Nord d’Al-Bachir est en pleine déliquescence. Etat des lieux et analyse d’Alain Délétroz.

Tandis que toute l’attention du monde est focalisée sur les révolutions arabes, le Soudan continue à s’enfoncer dans un climat de guerre et de violence que rien ni personne ne semble capable d’enrayer. L’ancien président sud-africain, Thabo Mbeki, à la tête du groupe de haut niveau de l’Union africaine pour le Soudan, vient de rassembler à nouveau les parties pour une reprise des négociations à Addis-Abeba. Ces discussions seront longues et complexes, tant la liste des sujets à traiter s’est allongée depuis juillet. Mais au-delà des dangers d’une reprise de la guerre entre le Nord et le Sud, c’est également la décomposition du nouvel Etat du Nord qui pourrait replonger ce pays dans une guerre généralisée.

L’indépendance du Sud, proclamée le 9 juillet de cette année, avait été pourtant entérinée par le pouvoir de Khartoum qui, face à l’inéluctable, avait fait le pari de se montrer grand seigneur. La question de la nouvelle frontière restait toutefois largement ouverte avec encore des désaccords sur plus de 20% de son tracé. Au-delà de la question centrale du partage de la manne pétrolière, c’est également tout le problème des migrations de bétail à travers la nouvelle frontière qui est restée en suspens. Il s’agit de plusieurs millions de vaches et de taureaux qui migrent chaque année entre les territoires des deux nouveaux Etats. La mise en place de mécanismes simplifiés pour le passage de ces migrations annuelles contribuerait fortement à éviter des incidentes inutiles. Les tribus de la Miseriya ou les Bagarras ont déjà prouvé qu’elles n’attendraient pas l’arme au pied que leur bétail se meure devant une nouvelle frontière trop compliquée à franchir…

Dans ce climat délétère, insuffler un minimum de confiance entre les parties à Addis représente un défi de premier ordre pour Thabo Mbeki. Khartoum accuse Juba de soutenir le SPLM-Nord, tandis que Juba accuse Khartoum de soutenir les rebelles du Sud. Malheureusement, les deux ont raison. Ce jeu de soutien mutuel selon le principe «l’ennemi de mon ennemi est mon ami» risque de coûter cher aux deux Etats. Cette question, essentielle pour l’établissement d’une paix durable entre les deux Etats soudanais, devra être abordée directement par les deux gouvernements. D’autant que Khartoum avait annoncé, quelques jours avant la reprise des pourparlers, qu’il serait prêt à reprendre les armes contre le Sud si celui-ci continuait à soutenir la rébellion du SPLM-Nord.

Ce mouvement rassemble en ses rangs des anciens combattants du SPLA des Montagnes des Noubas et du Blue Nile censés se redéployer au sud de la frontière, mais qu’un accord-cadre négocié en juin aurait dû permettre de rester, accord finalement rejeté par le président Al-Bachir. Ces combattants peuvent compter sur le soutien des populations du Sud du Kordofan et de l’Etat du Blue Nile mécontentes de s’être retrouvées «coincées» dans un Etat du Nord-Soudan, alors que leurs préférences culturelles, religieuses et politiques allaient au Sud… Les Montagnes des Noubas, dans lesquelles les efforts de négociateurs suisses avaient contribué à ramener la paix il y a dix ans, se retrouvent déjà à nouveau au cœur d’un feu croisé entre l’armée du Nord et le SPLM-Nord.

Face à un Sud qui incarne désormais les espoirs d’un Soudan nouveau, le Nord et ses citoyens doivent continuer à vivre dans l’ancien Soudan: le Soudan peu attractif du président Al-Bachir, toujours sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, et celui de son parti, le tout puissant NCP. Aucun geste d’ouverture envers les populations non arabes et non musulmanes du nouvel Etat du Nord n’est venu du pouvoir en place après l’indépendance du Sud. La charia reste en vigueur pour tous les citoyens du Nord, le Darfour n’a obtenu aucun statut spécial et surtout pas un vice-président à Khartoum qui représenterait les populations non arabes, hostiles au NCP. Ajoutons à cela le fait que, désormais, la seule force politique capable de faire contrepoids au NCP dans l’ancien Soudan unifié s’en est allée construire son nouvel Etat indépendant au Sud… Pour tous les mécontents du NCP au Nord dominent un sentiment d’abandon et la conviction que seules les armes pourront faire entendre raison au NCP. Que ce soit au Darfour, dans le Sud du Kordofan ou dans l’Etat du Blue Nile, tous les mécontents ne croient plus que leur avenir puisse être lié à celui du NCP et qu’une sortie politique de cette crise soit encore envisageable. Le départ du Sud et du SPLM les a laissés orphelins d’un mouvement politique dont ils partageaient les buts pour se retrouver dans un nouvel Etat qui leur reste étranger, sinon hostile.

Ces questions internes à l’Etat du Nord ne sont pas au menu des négociations d’Addis. Les premiers jours de discussions se sont concentrés sur la question du partage des revenus pétroliers. Khartoum est sous pression financière et le Sud refuse d’entrer en matière sur la totalité du montant des rentes demandées par le Nord. Juba semble tabler sur le fait que la Chine trouvera bientôt son intérêt à travailler directement avec un Sud politiquement stable, plutôt qu’avec un Nord en proie aux dissen­sions internes. Sur la démarcation de la frontière, les pourparlers semblent avancer très lentement entre ces deux parties aux priorités si divergentes.

Il demeure pourtant essentiel que ces négociations entre les deux Etats se poursuivent et que Thabo Mbeki et son groupe de haut niveau soient soutenus par l’ensemble des acteurs internationaux au Soudan. Sans quoi c’est tout le Soudan qui court le risque de s’embraser à nouveau.
 

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