L'Europe pusillanime au Darfour
L'Europe pusillanime au Darfour
What’s Left of Sudan After a Year At War?
What’s Left of Sudan After a Year At War?
Op-Ed / Africa 4 minutes

L'Europe pusillanime au Darfour

Alors que la tragédie du Darfour entre dans sa quatrième année, il est difficile de croire que la réponse de l'Union européenne ait été si timide. L'Europe n'a pris aucune mesure efficace pour faire pression sur Khartoum afin qu'il mette fin aux crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis par ses troupes et par les milices dans l'ouest du Soudan. Pendant ce temps, plus de 2 millions de personnes ont dû quitter leurs maisons et plus de 200 000 civils sont morts dans la campagne soutenue par le gouvernement.

Bien sûr, si la simple expression du malaise européen face à la situation au Darfour était efficace, il y a longtemps que le nettoyage ethnique en cours au Darfour aurait été stoppé. Depuis avril 2004, les ministres des affaires étrangères européens ont adopté au sein du Conseil de l'UE 19 conclusions sur le Darfour - la plus récente en date du 5 mars - dans lesquelles le Conseil déclarait pas moins de 53 fois être "préoccupé", " vivement préoccupé" ou "profondément préoccupé" par la situation dans la région.

Comme on pouvait s'y attendre, Khartoum n'a pas vraiment été impressionné par la préoccupation des Européens. Dès qu'il s'agit d'aller au-delà des mots, l'UE ne se montre pas à la hauteur et elle n'a, dans les faits, sanctionné que quatre individus : un ancien commandant des forces aériennes soudanaises, un dirigeant des milices janjawids et deux rebelles. Elle a également imposé aux parties en conflit un embargo sur les armes dont l'efficacité reste à démontrer et que toutes ces parties ont aisément pu contourner.

La réticence de l'UE à agir de façon plus vigoureuse ne tient pas à une quelconque objection philosophique concernant l'emploi de sanctions. L'Europe s'est montrée, par exemple, décidée à geler les avoirs des dirigeants biélorusses et à leur imposer des interdictions de visa parce qu'ils étaient responsables d'"atteintes aux normes électorales internationales" et de "répression à l'égard de la société civile".

L'UE a également imposé des interdictions de visa à des séparatistes moldaves à la suite d'une campagne que ceux-ci avaient menée contre des écoles de langue latine et aux dirigeants ouzbeks après le massacre d'Andijan. Gel des avoirs et interdictions de visa sont des sanctions qui ont encore été employées contre des agitateurs au Congo, au Liberia et en Côte d'Ivoire. Mais si ceux-ci méritaient effectivement d'être condamnés, leurs actions font pâle figure comparées à la campagne de dévastation systématique menée avec la bénédiction de l'Etat au Darfour.

Personne en Europe ne peut non plus contester l'implication active de Khartoum dans les atrocités commises au Darfour. Si des doutes avaient subsisté, ils auraient été balayés le mois dernier lorsque le procureur de la Cour pénale internationale a présenté des preuves substantielles contre deux individus accusés de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, dont un ministre du gouvernement, Ahmad Haroun. Sur le rôle joué par celui-ci, le procureur a déclaré : "Parmi ses tâches de coordination, la plus importante était sa gestion, et son implication personnelle, dans le recrutement, le financement et l'armement des milices janjawids." Les preuves présentées sont sans doute l'élément le plus parlant quant au rôle central joué par le gouvernement soudanais (et ce au plus haut niveau) dans la planification et l'exécution des atrocités au Darfour.

Aujourd'hui, la dévastation continue et, sur le terrain, la situation, qui était déjà effroyable, s'est encore détériorée ces derniers mois. A la mi-janvier, les agences d'aide présentes au Darfour avertissaient qu'elles ne pourraient poursuivre leurs opérations si la situation sécuritaire ne s'améliorait pas. D'autre part, Khartoum apporte un soutien actif à des groupes rebelles en République centrafricaine et au Tchad malgré le risque de propagation de terribles conséquences humanitaires que cela entraîne pour ces pays voisins.

Plutôt qu'exprimer leur préoccupation une 54e fois, les ministres des affaires étrangères européens devraient s'employer lors de leur prochaine réunion mensuelle, en avril, à écouter l'appel du Parlement européen qui les exhorte à utiliser des sanctions à l'encontre de Khartoum. Ils devraient imposer des interdictions de visa et le gel des avoirs de tous les individus nommés dans les rapports de la Commission d'enquête et du groupe d'experts des Nations unies.

Ils devraient également envisager de prendre des mesures ciblées, d'une part, sur les revenus générés par le secteur pétrolier soudanais et, d'autre part, sur l'approvisionnement en biens et services ainsi que sur l'investissement étranger dans ce secteur et dans d'autres secteurs associés. Ils devraient enfin autoriser l'ouverture d'une enquête sur les comptes offshore des entreprises soudanaises liées au parti au pouvoir à Khartoum, le parti du Congrès national, ce qui ouvrirait la voie à des sanctions contre les entreprises commerciales du régime, qui sont le principal canal de financement des milices janjawids à l'origine de tant de malheurs au Darfour.

Les déclarations ne suffiront certainement pas pour faire réfléchir à deux fois le gouvernement soudanais. Khartoum est à plusieurs reprises revenu sur les engagements qu'ils avaient pris en vue de désarmer les janjawids, de mettre en application les divers accords de cessez-le-feu et de permettre le déploiement d'une force de maintien de la paix plus robuste, le tout dans une impunité absolue. Et tant qu'on ne lui impose pas un prix à payer significatif, Khartoum n'a aucun intérêt à écouter les dirigeants européens ou à modifier son comportement.

Enfin, ce qui est sans doute le plus mal compris dans tout cela est l'historique du régime de Khartoum face à la pression internationale. Tout particulièrement, s'il a signé l'accord de paix global en janvier 2005 qui mettait fin à une guerre civile de vingt ans dans le sud du pays, c'est en partie en raison des exigences de la communauté internationale qui s'accompagnaient de certaines mesures vigoureuses. Le régime soudanais est peut-être meurtrier, mais cela ne l'empêche pas de se soucier de sa propre survie et il détermine son action en fonction de la coercition internationale.

La "préoccupation" de l'Europe ne suffira pas. Il est temps d'adopter une série de sanctions sévères qui pourraient effectivement faire réagir Khartoum et convaincre les dirigeants soudanais que poursuivre la campagne de violence qu'ils mènent contre leurs propres citoyens a des coûts réels.

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