L'insupportable complicité des Arabes avec Khartoum
L'insupportable complicité des Arabes avec Khartoum
Sudan’s Calamitous Civil War: A Chance to Draw Back from the Abyss
Sudan’s Calamitous Civil War: A Chance to Draw Back from the Abyss
Op-Ed / Africa 4 minutes

L'insupportable complicité des Arabes avec Khartoum

Les dirigeants arabes, tout comme les médias, ferment les yeux sur les exactions commises au Darfour, dénonce Al-Hayat. Plus grave encore, ils ont accordé un soutien actif au gouvernement soudanais.

La Ligue arabe a exprimé son inquiétude face aux violences au Darfour. Ainsi, malgré le peu de place accordé par les médias arabes à la crise du Darfour, qui a éclaté début 2003, une commission d'enquête de la Ligue arabe a été instituée en 2004 et a condamné explicitement et publiquement les agressions contre les populations civiles, qualifiées de "violations graves des droits de l'homme". Et puis, très vite, à la suite de la réaction négative du gouvernement soudanais, le communiqué en question a été retiré du site Internet de la Ligue.

Depuis cette date, en dépit des quelque 200 000 personnes massacrées au cours d'une stratégie militaire mise en oeuvre par le gouvernement soudanais et visant systématiquement les populations civiles, l'organisation panarabe adopte une position minimaliste. Elle répète que la force de l'Union africaine qui se trouve sur place - aux effectifs notoirement insuffisants en hommes et en équipement - est la seule réponse viable susceptible de garantir la sécurité des populations de cette région. Dans la pratique, l'organisation panarabe calque sa politique sur la position officielle du gouvernement de Khartoum, qui rejette toute présence au Darfour d'une force internationale.

En marge du sommet de Khartoum de mars 2006, dans un geste où elle semblait décidée à sortir de trois ans d'un immobilisme de plus en plus critiqué, la Ligue s'est engagée à verser une contribution de 150 millions de dollars [112,55 millions d'euros] à l'Union africaine. Aujourd'hui encore, seuls 15 millions [11 millions d'euros] ont été effectivement versés, soit 10 % du montant promis. Quant aux membres arabes de l'Union africaine, ils expriment haut et fort dans les instances internationales leur solidarité avec l'organisation panafricaine. Mais, au-delà des mots, aucune action réelle.

Résultat : la force africaine au Darfour est financée en grande partie par l'Union européenne. Depuis 2004, celle-ci a versé plus de 520 millions de dollars [390 millions d'euros]. Et le Canada à lui seul y a apporté un soutien humain et financier plus important que tous les pays arabes réunis. Au sein de la force africaine, sur un effectif total de 7 000 membres, seul 76 sont arabes. S'y ajoutent 34 observateurs fournis par l'Egypte, 20 par la Mauritanie, 13 par l'Algérie et 9 par la Libye... pour surveiller un territoire grand comme la France !

On ne peut nier que les pays arabes ont été très actifs aux Nations unies. A ceci près que leurs efforts ont surtout visé à entraver les travaux du Conseil de sécurité. Depuis 2004, dans leurs discours comme dans leurs votes, les deux pays arabes qui se sont succédé au Conseil de sécurité comme membres non permanents, à savoir l'Algérie [de 2003 à 2005] et le Qatar [actuellement], ont tout fait pour adoucir les résolutions concernant Khartoum ou pour réduire la portée de toute décision en faveur des victimes civiles.

La Ligue maintient à ce jour son soutien au refus du gouvernement soudanais de toute force de paix neutre sous l'égide des Nations unies. Parce que, précise-t-elle, la présence d'une telle force au Darfour constituerait une menace pour la souveraineté du Soudan. C'est exactement la position de Khartoum. Le Qatar s'est abstenu lors du vote, en août dernier, de la résolution 1706, qui préconise le déploiement de forces de l'ONU au Darfour. Ainsi, l'ambassadeur du Soudan à l'ONU a pu se permettre d'exhorter la communauté internationale à apporter son soutien au "Soudan frère" et à l'aider dans ses efforts...

La Ligue arabe est donc franchement hostile à toute idée d'intervention extérieure dans la crise du Darfour. Cela s'est manifesté encore récemment, lorsque l'acteur américain George Clooney s'est rendu au Darfour dans le cadre d'une action destinée à susciter une prise de conscience quant aux agissements inhumains perpétrés contre les populations civiles, à savoir viol des femmes musulmanes, torture des enfants et exactions systématiques contre les réfugiés, qui, déjà, vivent dans les camps dans des conditions inhumaines. Commentaire sarcastique d'un représentant de la Ligue : "Quand on est malade, on fait appel à un médecin compétent pour diagnostiquer son mal et prescrire le remède... Pas à un acteur de cinéma !"

Soit. Force est de reconnaître, cependant, que les pays arabes sont restés systématiquement sourds au diagnostic de ceux qui se sont penchés sur la crise du Darfour. En 2005, par exemple, Kofi Annan, alors secrétaire général des Nations unies, a nommé une commission d'experts chargés d'examiner la situation dans cette région du Soudan. Son rapport secret, remis en 2006, mettait en cause 17 Soudanais, accusés de crimes contre l'humanité. Le rapport soulignait également que le gouvernement soudanais violait systématiquement l'embargo sur les armes à destination de cette région, qu'il fournissait les milices en différents armements et qu'il les poussait à l'escalade dans leurs exactions contre les populations civiles. Les pays arabes n'ont rien trouvé de mieux à faire que de bloquer toute décision concernant les sanctions préconisées par la commission onusienne contre les responsables soudanais impliqués et les chefs des milices.

Alors qu'elle représentait les pays arabes au Conseil de sécurité, l'Algérie s'est opposée à la création même de cette commission onusienne. Elle a justifié sa position par son "souci d'efficacité et par le caractère urgent et dangereux de cette crise". Abdallah Baali, alors ambassadeur de l'Algérie au Conseil de sécurité, se contentait de reprendre pour le compte des pays arabes les positions de Khartoum. En fait, depuis la résolution 1556, le "bon sens" utilisé par Khartoum a eu pour seule conséquence la multiplication des victimes innocentes au Darfour, dont bon nombre ont péri à la suite du bombardement des villages civils par l'aviation militaire soudanaise. Les pays arabes, eux, continuent imperturbablement d'apporter leur appui aux coupables de massacres plutôt qu'aux victimes civiles.

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