A ranger stands guard on top of a vehicle during an elephant collaring exercise at Pendjari National Park, near Tanguieta on January 10, 2018.
A ranger stands guard on top of a vehicle during an elephant collaring exercise at Pendjari National Park, near Tanguieta on January 10, 2018. STEFAN HEUNIS / AFP
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Contenir l’insurrection jihadiste dans le Parc W en Afrique de l’Ouest

Des insurgés se sont implantés dans une importante réserve naturelle partagée entre le Bénin, le Burkina Faso et le Niger. Ils représentent un danger croissant pour les écosystèmes locaux et pour les populations qui vivent autour du parc. Les trois pays devraient collaborer plus étroitement afin de contenir cette menace.

Que se passe-t-il? Des groupes d’insurgés se sont installés dans le Parc W, une vaste zone protégée transfrontalière, partagée entre le Bénin, le Burkina Faso et le Niger. Leur présence met en péril les efforts de protection de la biodiversité dans le parc ainsi que les moyens de subsistance des populations alentour.

En quoi est-ce significatif? Si rien n’est fait, les insurgés pourraient consolider leur emprise sur le parc et l’utiliser comme base pour infiltrer d’autres pays d’Afrique occidentale. Ils pourraient également exacerber les différends concernant les ressources naturelles, alimentant ainsi les conflits intercommunautaires.

Comment agir? Les trois pays qui abritent le parc devraient améliorer leur collaboration pour juguler la présence des insurgés, assurer la sécurité des résidents et maitriser les problèmes de concurrence pour les terres et l’eau.

Synthèse

Les jihadistes sahéliens se sont implantés dans le Parc W, une vaste réserve naturelle transfrontalière partagée entre le Bénin, le Burkina Faso et le Niger, qu’ils utilisent comme base pour lancer leurs incursions dans la savane ouest-africaine. Leur présence dans le parc met à mal près d’un siècle d’efforts de protection du site, mais aussi les moyens de subsistance des populations locales en alimentant les conflits entre agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades pour la terre et l’eau. Elle risque également d’aggraver l’insécurité dans les pays côtiers avoisinants. Les autorités des trois pays, soutenues par leurs partenaires étrangers, ont fait de gros efforts pour arrêter l’avancée des insurgés. Mais leurs efforts n’ont pas suffi, pas davantage que les tentatives visant à améliorer la protection et à atténuer les conflits autour des ressources naturelles dans le parc et aux alentours. Les trois pays devraient mieux coordonner leurs actions militaires et s’entendre sur une stratégie commune de protection des populations, passant, le cas échéant, par une offre de dialogue avec les insurgés. Ils devraient également envisager des réformes pour mieux gérer la compétition pour les ressources dans les environs du parc.

Le Parc W fait partie du complexe W-Arly-Pendjari (WAP), l’une des plus grandes aires protégées d’Afrique de l’Ouest, qui abrite des éléphants, des lions et d’autres espèces dont les habitats disparaissent progressivement ailleurs. Depuis ses débuts à l’époque coloniale, en 1937, l’effort de protection du Parc W a suscité des conflits entre les défenseurs de la nature, qui souhaitaient protéger un site précieux pour la biodiversité, et les habitants, qui considéraient le parc comme une zone de cultures, de chasse et de récolte de fourrage pour leur bétail. Les trois gouvernements qui se partagent la juridiction ont manqué d’argent et de main-d’œuvre pour préserver l’intégrité du parc. A partir des années 1970, des sécheresses récurrentes ont poussé les populations des zones arides du Sahel vers le pourtour du parc, alimentant la concurrence autour de l’accès à l’eau et aux pâturages.

Les jihadistes ont profité de ces griefs pour s’implanter. En 2018, deux groupes – la Katiba Ansarul Islam et la Katiba Serma – ont pénétré dans le parc et en ont quasiment pris le contrôle à la fin du mois d’août de la même année. Les insurgés ont utilisé différentes méthodes pour attirer de nouvelles recrues. Au début, ils ont recruté des brigands qui vivaient dans la forêt et des jeunes en difficulté. Avec le temps, ils ont tissé des liens avec des éleveurs qui, comme eux, vivent dans la brousse.

Ces deux dernières années, le Park W est devenu une importante base pour les insurgés.

Ces deux dernières années, le Parc W est devenu une importante base pour les insurgés. Ils tirent des revenus en prélevant des taxes sur les mines d’or artisanales, en vendant le bétail qu’ils y gardent et en faisant de la contrebande de divers produits. A la périphérie du parc, les jihadistes tentent d’imposer leur interprétation brutale de la Charia, notamment aux femmes, à qui ils interdisent de sortir seules en public. Ils s’immiscent dans les relations entre femmes et hommes et ont parfois forcé de jeunes filles mineures à se marier. Ils ont également tenté de mettre fin à ce qu’ils considèrent comme des pratiques non islamiques, y compris dans des endroits où les animistes et les chrétiens constituent la majorité de la population.

Les jihadistes causent bien d’autres problèmes. Depuis leurs repaires dans le parc, ils lancent des opérations pour tenter de conquérir de nouveaux territoires dans l’ouest du Niger, le nord du Bénin et l’est du Burkina Faso.

Les autorités des trois pays travaillent en collaboration avec les partenaires étrangers pour reprendre le contrôle du Parc W et de ses environs. Elles mettent l’accent sur trois axes d’intervention : sécuriser le parc par des actions militaires, améliorer les mécanismes de surveillance et de lutte contre le braconnage, et traiter de la question des conflits pour les ressources. Elles ont consolidé les actions de protection grâce à une réforme juridique, un renforcement des capacités du personnel de gestion du parc et des programmes concertés visant à impliquer les communautés locales. Elles prennent des mesures pour mettre un terme à l’extension des terres agricoles sur le parc et pour délimiter les aires de pâturage, les couloirs de transhumance et les zones de repos du bétail.

Pourtant, toutes ces mesures ne suffiront pas à rétablir la sécurité dans le Parc W et ses alentours. Au niveau militaire, il faudra une coordination plus solide entre le Bénin, le Burkina Faso et le Niger – même si, par souci d’efficacité, les trois armées devraient continuer à opérer en tant que commandements séparés plutôt que dans un cadre unique. Mais le terrain est difficile, et le cout humain et environnemental d’une action militaire sera probablement élevé. C’est pourquoi, plutôt que de miser sur une reconquête du parc, les trois pays devraient plutôt se concentrer sur une stratégie d’endiguement des groupes armés – notamment autour de Niamey, la capitale du Niger, qui se trouve à seulement 150 kilomètres du parc et sous la menace des avant-postes des insurgés – et rester disposés à engager des négociations discrètes avec les jihadistes lorsque cela est nécessaire.

En parallèle, les trois pays devront s’attaquer aux facteurs de tensions sociales dans les environs du parc, notamment la compétition autour des ressources. Les réponses risquent d’être très controversées. Les autorités pourraient, par exemple, envisager de déclassifier certaines parties des zones tampons du parc pour permettre aux éleveurs de faire paître leur bétail et donner aux agriculteurs des terres à cultiver, même si cette mesure s’éloigne des objectifs de protection. A terme, les trois pays – et d’autres Etats de la région – pourraient également se pencher sur la question difficile, mais de plus en plus incontournable, de savoir s’il faut encourager les nomades à adopter un mode de vie sédentaire.

Dans cette situation où les jihadistes contrôlent des pans entiers du Parc W et où les populations vivant à proximité subissent des pressions économiques et environnementales, les trois gouvernements qui partagent la responsabilité du parc ont fort à faire. Une action militaire coordonnée, qui laisse la place à des stratégies civiles complémentaires, conjuguée à des réformes de moyen et long terme soutenues par les bailleurs de fonds pour remédier à la pénurie de ressources, pourrait contribuer à sécuriser cette partie de l’Afrique de l’Ouest en proie à de nombreux troubles. Cette approche aiderait également à préserver les trésors naturels et les écosystèmes qui apportent de nombreux moyens de subsistance aux populations locales.

Ouagadougou/Cotonou/Niamey/Bruxelles, 26 janvier 2023

Contenir l’insurrection jihadiste dans le Parc W en Afrique de l’Ouest

I. Introduction

Les parcs et les forêts sont devenus des zones de transit pour les groupes jihadistes qui s’étendent du Sahel vers le sud en direction des zones de savane ouest-africaine. Les pays du Sahel et leurs voisins côtiers consacrent des millions d’hectares aux réserves naturelles destinées à protéger la faune, prévenir la désertification, développer une économie verte locale et, plus récemment, contribuer aux efforts mondiaux de sauvegarde de la biodiversité et de l’équilibre écologique.[1] Au cours des dernières années, des groupes jihadistes ont empiété sur plusieurs de ces zones protégées. Les parcs et les forêts offrent des repaires inaccessibles aux forces de sécurité, où les insurgés peuvent recruter des combattants au sein des populations locales et planifier des attaques sur de nouveaux territoires.[2] (Voir la carte à l’annexe A.[3])


[1] Le Bénin, le Burkina Faso et le Niger ont affecté respectivement 25 pour cent, 14 pour cent et 15 pour cent de leur territoire à des zones protégées. Consultez les données sur le site de Protected Planet, « Explore Protected Areas and OECMs ». Alors que les activités humaines augmentent partout, ces zones protégées deviennent les seuls espaces où la biodiversité est préservée.

[2] La situation n’est pas l’apanage de l’Afrique de l’Ouest. D’après les recherches dans ce domaine, pratiquement la moitié des conflits dans le monde se déroulent dans les forêts. Les zones boisées offrent un refuge, de la nourriture et de l’eau, tout en entravant les attaquants potentiels. Voir Wil de Jong, Deana Donovan et Ken-Ichi Abe, Extreme Conflict and Tropical Forests (New York, 2007), p. 1.

[3] D’autres réserves ont subi des attaques jihadistes significatives, notamment celles d’Arly au Burkina Faso, de la Pendjari au Bénin et de la Comoé en Côte d’Ivoire.

Les insurgés sahéliens étendent désormais leur présence à de nouveaux territoires.

Les insurgés du Parc W, une réserve transfrontalière partagée entre le Bénin, le Burkina Faso et le Niger, constituent un groupe particulièrement préoccupant. Ils sapent les efforts de protection de la biodiversité engagés de longue date, compromettent les moyens de subsistance des populations locales et aggravent une situation sécuritaire déjà désastreuse. Les armées nationales ont eu du mal à les contenir, faute d’équipement et d’expérience dans le combat en zones forestières. Les insurgés sahéliens étendent désormais leur présence à de nouveaux territoires. Ils sont parvenus, en utilisant les forêts et les zones boisées protégées, à s’ouvrir un accès aux pays de la côte du golfe de Guinée, notamment le Bénin, le Togo et la Côte d’Ivoire. Contrairement aux pays du Sahel ravagés par la violence jihadiste depuis au moins une décennie, leurs voisins du sud, notamment le Bénin et le Togo, n’ont commencé à en souffrir que récemment.[1] Les insurgés ont mené un nombre sans précédent d’attaques dans ces deux pays en 2022, ce qui montre qu’ils sont en train de s’implanter.

Ce rapport retrace l’histoire de la protection dans le Parc W et ses alentours tout en documentant l’empiètement des jihadistes et ses implications à la fois pour les communautés voisines et pour la protection de l’environnement. Il analyse également les efforts des trois pays frontaliers pour protéger le parc et les populations voisines, et formule des recommandations pour rendre ces efforts plus efficaces. Il examine ainsi la manière dont les jihadistes ont profité des politiques de protection de l’environnement dans le Parc W et ses alentours et dans quelle mesure leur présence a saboté les efforts de protection de l’environnement et de préservation de la biodiversité.

Ce rapport est basé sur plus de 70 entretiens avec des responsables gouvernementaux et des officiers militaires de haut rang, des défenseurs de l’environnement, des éleveurs, des agriculteurs, des représentants des communautés et d’anciens otages détenus par les jihadistes dans le Parc W. Les recherches reposent sur des entretiens à Ouagadougou et Fada N’Gourma au Burkina Faso ; Cotonou et Kandi au Bénin ; et Niamey, Say et Torodi au Niger. Le rapport s’appuie également sur de nombreuses informations supplémentaires, notamment des images satellites, des données provenant de l’organisation « Armed Conflict Location Event Data » et d’autres sources secondaires.


[1] Des pays côtiers du Golfe de Guinée, comme le Nigéria et le Cameroun, ont subi depuis des années les attaques de Boko Haram. La Côte d’Ivoire a connu sa première attaque en 2016 à Grand-Bassam. Pourtant le Bénin n’a connu d’attaque jihadiste qu’en 2019 et le Togo a enregistré sa première attaque officiellement reconnue en mai 2022. Voir le briefing Afrique de Crisis Group N°149, L’Afrique de l’Ouest face au risque de contagion jihadiste, 20 décembre 2019.

II. Un parc menacé

Le Parc W s’étend sur près de 10300 km², aux confins du Bénin, du Burkina Faso et du Niger.[1] La réserve fait partie du complexe W-Arly-Pendjari (complexe WAP), un ensemble de plusieurs parcs qui constituent l’une des plus grandes aires protégées d’Afrique de l’Ouest. Il abrite certaines des dernières populations viables de grands mammifères de la région, comme les lions, les éléphants et les guépards. Comme son nom l’indique, le WAP comprend le parc national d’Arly au Burkina Faso et le parc national de la Pendjari au Bénin, ainsi que plusieurs réserves et zones de chasse voisines.[2] En 2017, l’UNESCO a ajouté le complexe WAP à sa liste du patrimoine mondial, citant sa taille, ses écosystèmes, sa biodiversité et son importance en tant que refuge pour la faune qui a disparu ailleurs en Afrique de l’Ouest. [3]


[1] Le Parc W doit son nom à la forme que le fleuve Niger trace à la limite orientale du parc.

[2] Le complexe WAP couvre un total d’environ 5 millions d’hectares. En plus des trois parcs nationaux – W, Arly et la Pendjari – il comprend des zones tampons où certaines activités humaines sont autorisées, comme la Réserve totale de faune de Tamou (72345 hectares), la Réserve partielle de faune de Dosso (538456 hectares) au Niger, la concession de chasse de Tapoa-Djerma (28736 hectares) au Burkina Faso et la réserve de chasse de Djona (118947 hectares) au Bénin.

[3] Le parc national W du Niger a été ajouté à la liste du patrimoine mondiale de l’UNESCO dès 1996. Le complexe WAP abrite des centaines d’espèces végétales et animales rares et constitue le dernier refuge en Afrique de l’Ouest pour une série de mégafaunes charismatiques telles que les éléphants, les buffles et les lions. Elle abrite également des animaux dont les habitats sont gravement menacés ailleurs dans la région, notamment des lamantins, des addax et des oryx. Voir Philippe Bouché, Howard Frederic et Edward Kohl, « Inventaire aérien de l’écosystème W-Arly-Pendjari, Juin 2015 », décembre 2015.

A. Un siècle d’efforts de protection

Le Parc W a toujours été sujet à controverse, de sa création il y a un siècle, pendant l’ère coloniale, jusqu’à aujourd’hui. En 1937, l’administration coloniale française l’a déclaré réserve protégée de faune, y a imposé des politiques de protection très strictes tout en commençant par expulser les résidents avec comme objectif déclaré, la protection de la faune contre les activités humaines, notamment l’agriculture, l’élevage, la pêche et le braconnage.[1] Aujourd’hui encore, le déplacement forcé de ces villageois conforte l’idée, bien ancrée au niveau local, selon laquelle les efforts de protection sont menés aux dépens des populations autochtones qui sont privées de leurs terres agricoles, de leurs forêts sacrées et de leurs sources de revenus.[2]

Après leur indépendance en 1960, les trois pays qui ont hérité du parc ont perpétué les politiques de protection de l’ère coloniale afin de préserver la biodiversité et empêcher la désertification.[3] Des unités paramilitaires spéciales, les agents des eaux et forêts, patrouillaient dans le parc et ses environs pour faire appliquer ces politiques. Ils y parvenaient malgré le peu de ressources dont ils disposaient car la région était, à l’époque, peu peuplée.

Cependant, à partir de la fin des années 1970, la compétition autour des ressources naturelles aux alentours du parc s’est faite plus pressante avec la croissance démographique rapide et a provoqué un déclin environnemental progressif, mais irréversible (voir la sous-section suivante). Aucun des trois gouvernements ne disposait du personnel ou des fonds nécessaires pour protéger efficacement le parc contre les braconniers, le ramassage de bois de chauffage, le pâturage du bétail ou les agriculteurs à la recherche de nouvelles terres à cultiver.[4] D’autre part, il s’est avéré impossible de gérer l’intégralité de cette vaste réserve alors que chaque pays disposait de mécanismes institutionnels et de politiques de protection différents.[5] Globalement, jusqu’à la fin des années 1990, moins de 15 pour cent du Parc W étaient véritablement surveillés par les autorités des pays concernés.[6]


[1] Les critiques qualifient cette approche de la conservation de « colonialisme vert », affirmant qu’elle place la faune au-dessus des humains. Voir Maano Ramutsindela, Frank Matose et Tafadzwa Mushonga, The Violence of Conservation in Africa: State, Militarization and Alternatives (Cheltenham, 2022), p. 10.

[2] Pour en savoir plus sur les griefs locaux, voir Alexis Kaboré, « Brousse des uns, aire protégée des autres », thèse de doctorat, Institut de hautes études internationales et du développement, Genève, 2010.

[3] La portion béninoise du parc est la plus grande, elle représente 56 pour cent de la superficie du parc (577235 hectares). La portion burkinabé en couvre 23 pour cent (235543 hectares), tandis que la portion nigérienne représente 21 pour cent de la superficie (221142 hectares).

[4] Entretien de Crisis Group, ancien garde forestier du Parc W, Ouagadougou, mars 2022.

[5] Au milieu des années 80, les trois pays ont commencé à discuter de l’alignement de leurs politiques de protection afin de traiter le parc comme une seule entité. Depuis lors, les responsables de la protection de l’environnement se sont réunis à de nombreuses reprises afin de mieux se coordonner.

[6] Voir Agnès Michelot et Ouédragogo Boubacar, « Aires protégées transfrontalières : le cadre juridique de la réserve de biosphère transfrontalière du W (Bénin, Burkina Faso, Niger) », UICN-EPLP, 2009.

La plupart des projets des bailleurs de fonds ont encouragé une approche de la conservation centrée sur les communautés locales.

Cette approche de la protection en demi-teinte a considérablement changé au début des années 2000, lorsque les bailleurs de fonds étrangers ont commencé à s’intéresser aux questions environnementales. L’Union européenne et l’agence de développement allemande GTZ (renommée GIZ à partir de 2011) ont commencé à injecter des fonds dans le complexe WAP, en finançant des projets de lutte contre le braconnage et en renforçant les capacités de surveillance des gardes forestiers.[1] La plupart des projets des bailleurs de fonds ont encouragé une approche de la conservation centrée sur les communautés locales.[2] Leur principale motivation était la prise de conscience de plus en plus généralisée du fait que la protection de la nature sauvage devait aller de pair avec des mesures incitant les populations locales à préserver les ressources naturelles dont elles dépendent. Un projet de ce type dans le Parc W, par exemple, a accompagné la mise en place d’associations villageoises qui collaborent à la gestion du parc.[3] Jusque-là, les autorités avaient fait peu d’efforts pour impliquer la population locale ou pour lui expliquer qu’elle tirerait des avantages matériels de la protection de l’environnement.[4]

L’implication des communautés locales a porté ses fruits. Les villageois vivant à proximité du parc sont aujourd’hui moins sceptiques vis-à-vis de la protection depuis qu’ils ont constaté que leurs moyens de subsistance s’amélioraient.[5] Le tourisme est devenu une importante source d’emplois et les habitants pouvaient travailler dans le parc comme gardes forestiers, éco-gardes, guides ou responsables de l’entretien des pistes.[6] Les femmes ont développé diverses activités économiques associées au parc, notamment la vente de produits forestiers tels que le beurre de karité, le miel sauvage et les fruits du baobab.[7] Des scientifiques et des chercheurs ont commencé à s’intéresser au parc et des organisations non gouvernementales ont ouvert des bureaux dans les villes voisines, embauchant du personnel local. Les autorités locales n’étaient pas en reste puisqu’elles percevaient des taxes sur les activités dans le parc et ses environs.

Même si de nombreux habitants en dépendent depuis plusieurs années pour leur subsistance et leur bien-être, le parc reste au cœur des controverses. Certains, en particulier les jeunes, reconnaissent les avantages de la protection.[8] Cependant, l’interdiction d’accès à de nombreuses ressources naturelles de grande valeur dans le parc, qui est en place depuis longtemps, continue d’alimenter le ressentiment d’une partie de la population locale. L’un des principaux défis de la protection a été de concilier le point de vue des défenseurs de l’environnement avec les besoins des agriculteurs et des éleveurs, qui ont tendance à considérer le parc comme une source de terres, de viande de brousse et de fourrage à haute valeur nutritive pour les animaux.


[1] Les principaux projets portant sur le complexe WAP ont été l’ECOPAS (Ecosystème protégé en Afrique sahélienne), qui a opéré de 2002 à 2008 ; le SAP/WAP (Système des aires protégées du W-Arly-Pendjari), entre 2010 et 2013 ; et le PAPE (Projet du programme d’appui aux parcs de l’entente), de 2013 à 2016. Le dernier projet en date, le RBT-WAP/GIP, a débuté en 2015 et doit se poursuivre jusqu’en 2023. Si tous ces projets visaient à améliorer les mécanismes de protection, ils ne partageaient pas la même portée, la même approche ou les mêmes objectifs.

[2] Entretiens de Crisis Group, ancien responsable de l’ECOPAS et acteurs impliqués dans le RBT-WAP/GIP, Niamey, Ouagadougou et Cotonou, février, mars et août 2022.

[3] Bénéficiant de l’appui de l’ECOPAS, ces associations étaient connues sous les acronymes français : Avigrefs au Bénin et Zovics au Burkina Faso. Entretiens de Crisis Group, membres d’Avigref et de Zovic, Fada N’Gourma et Kandi, mars et août 2022.

[4] Voir « Recherche sur les perceptions communautaires sur les forestiers et paysage sécuritaire le long des aires protégées dans la zone du Parc W, du fleuve Niger et la réserve de Koure », GREEF, janvier-avril 2022.

[5] La perception selon laquelle la protection est une priorité « occidentale » est renforcée par le fait que la plupart des touristes dans les réserves naturelles et ceux qui viennent chasser sont des étrangers fortunés. Le tourisme local est toutefois en hausse.

[6] Avant l’incursion des jihadistes, selon les autorités du Burkina Faso, les zones protégées accueillaient environ 15000 visiteurs par an et généraient jusqu’à 4 milliards de francs CFA (près de 6,3 millions de dollars) de revenus.

[7] Dans l’est du Burkina Faso, des centaines de femmes gagnent leur vie en vendant du beurre de karité, un corps gras extrait de la noix d’un arbre que l’on trouve à l’intérieur du parc et aux alentours. Au Niger, le miel est également une importante source de revenus pour les femmes. Entretiens de Crisis Group, responsables d’associations de femmes, Say et Fada N’Gourma, février et mars 2022.

[8] Entretiens de Crisis Group, villageois, Say, Fada N’Gourma et Kandi, février, mars et août 2022.

Végétation de savane près du Point Triple dans le parc national W. Saison des pluies. Marco Schmidt / Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0)

B. Sécheresses, migrations et augmentation de la population

Vu du ciel, le Parc W ressemble à une île verte dans une mer de végétation décimée et de terres cultivées qui gagnent du terrain. Les images satellites prises entre 1995 et 2020 montrent clairement la transformation du paysage, avec de moins en moins de végétation herbacée et arbustive et l’avancée de terres cultivées sur le pourtour du parc, notamment dans le nord du Bénin et l’est du Burkina Faso. Pour reprendre les termes d’un responsable burkinabè, « le parc ressemble aujourd’hui à un plat garni entouré de populations affamées ».[1]

Tel que mentionné plus haut, à partir de la fin des années 1970, des changements sociaux, environnementaux et politiques combinés ont exacerbé la compétition pour les terres et l’eau autour du parc. Dans les années 1970 et 1980, de nombreux épisodes de sécheresse dévastateurs ont poussé un grand nombre d’agriculteurs et d’éleveurs à quitter les zones arides du Sahel pour se déplacer vers le sud.[2] Nombre d’entre eux se sont installés dans les environs du parc, créant une nouvelle demande en terres agricoles. Le taux de natalité élevé n’a ensuite fait qu’augmenter la pression pour obtenir une parcelle suffisante sur des terres à la productivité limitée. Certaines communes des environs du parc ont vu leur population tripler et même quadrupler en moins de quatre décennies.[3] L’évolution des pratiques agricoles, comme le développement des cultures de rente, la mécanisation, l’utilisation d’herbicides et la privatisation de la propriété foncière, ont nourri la ruée vers les terres autour du parc.


[1] Entretien de Crisis Group, Ouagadougou, mars 2022.

[2] Le gouvernement nigérien a essayé d’atténuer l’impact de la sécheresse en transformant une partie de la réserve de Tamou en une zone agricole appelée Ayi Noma (« Cultiver la terre », en haoussa). La province de la Tapoa, au sud-est du Burkina Faso, qui était autrefois la région la moins peuplée du pays, a connu un afflux de Mossi et de Peul à partir des années 1980.

[3] Les populations des communes de Banikoara et de Karimama, dans le nord du Bénin, ont augmenté respectivement de 410 pour cent et 334 pour cent entre 1979 et 2013, en raison de taux de natalité élevés et de migrations principalement en provenance du Niger, du Burkina Faso et du Nigeria. Voir « Schéma directeur d’aménagement de la commune de Karimama, 2019-2034 », ministère de la Décentralisation et de la Gouvernance locale, 2018.

Les éleveurs nomades ont dû ... s’adapter à un environnement en pleine mutation.

Les éleveurs nomades ont dû, parallèlement, s’adapter à un environnement en pleine mutation. Pendant des générations, les éleveurs, pour la plupart de l’ethnie peul de l’ouest du Niger, du nord et de l’est du Burkina Faso et du nord-ouest du Nigéria, se déplaçaient dans le périmètre de la ceinture sahélienne au nord du parc.[1] Cependant, ces dernières années, l’érosion des sols, l’envasement du fleuve Niger, la disparition des eaux de surface et la dégradation de la végétation ont réduit la superficie des pâturages. Les éleveurs migrent désormais plus au sud, dans les savanes et les forêts, commencent la transhumance plus tôt qu’auparavant – souvent avant la fin de la récolte dans les fermes de la région – et reviennent plus tard, lorsque la saison des semailles a commencé. L’évolution des modèles d’élevage nomade – par exemple la transhumance – a non seulement provoqué des conflits plus fréquents liés aux dégâts causés aux cultures, mais elle menace également les écosystèmes du Parc W. Les éleveurs se tournent de plus en plus vers les prairies du parc pour trouver des pâturages et de l’eau, en particulier au pic de la saison sèche, entre mars et mai.[2] Ils cherchent souvent à justifier le pâturage illégal en invoquant la rareté de plus en plus flagrante d’herbe et de sources d’eau ailleurs que dans le parc qu’ils perçoivent, en effet, comme un espace inoccupé.


[1] Les pasteurs sahéliens déplacent leur bétail principalement pendant la période dite de soudure, qui commence en janvier et se termine lorsque les premières pluies arrivent, généralement en juin.

[2] En général, pendant la période de soudure, de nombreux animaux meurent de faim ou de soif.

C. Conflits aux abords du parc

La demande croissante de terres aux abords du parc a engendré des conflits meurtriers ces dernières années. Les tentatives des agriculteurs d’empiéter sur les zones pastorales désignées et les couloirs de transhumance endommagent souvent les cultures et conduisent parfois à des affrontements violents entre agriculteurs et éleveurs.[1] La compétition croissante pour les terres menace également les pactes fonciers établis de longue date avec les premiers arrivants qui se considèrent comme les propriétaires légitimes et les nouveaux venus dont les revendications sont juridiquement plus fragiles. Les résidents de longue date considèrent notamment les éleveurs en majorité peul et récemment arrivés dans les environs du parc comme des étrangers n’ayant aucun droit sur les terres. Le nord du Bénin est le théâtre d’affrontements récurrents entre éleveurs et agriculteurs, qui ont tenté à plusieurs reprises d’expulser ceux qu’ils considèrent comme de nouveaux arrivants.[2]

En parallèle, l’effondrement de l’appareil policier du Burkina Faso en 2014, à la suite d’un soulèvement populaire contre le président Blaise Compaoré, a aggravé le vide sécuritaire dans les zones rurales, en particulier dans les forêts reculées de l’est.[3] Les braquages, les extorsions à des barrages routiers improvisés et les vols de bétail ont augmenté à mesure que les bandits se regroupaient dans les zones boisées. En 2016, les villageois des deux côtés de la frontière entre le Niger et le Burkina Faso ont commencé à mettre en place des groupes d’autodéfense, connus sous le nom de Koglweogo (« gardien de la brousse », en mooré), pour assurer leur sécurité.[4] Ces groupes, connus pour avoir infligé des châtiments corporels sévères aux criminels présumés, ont réussi à chasser les bandits les plus notoires de la région, mais nombre d’entre eux sont revenus lorsque les insurgés se sont implantés dans le parc. Plus généralement, les faiblesses de l’Etat de droit autour du Parc W ont incité de nombreux habitants à s’armer, d’abord de fusils de chasse, puis d’armes plus sophistiquées, ce qui a aggravé la violence des conflits.[5]


[1] Au Burkina Faso, la région Est est de loin la plus touchée par les conflits entre agriculteurs et éleveurs, en partie à cause des nombreuses activités pastorales dans la région, notamment autour des parcs. Entre 2009 et 2014, les autorités ont enregistré 1044 incidents de ce type dans la région, soit 27 pour cent des cas enregistrés pendant cette période à l’échelle nationale. Direction générale des espaces et aménagements pastoraux. Voir également Kelguingale Illy, « Etude sur le conflit foncier en milieu rural au Burkina Faso », Konrad Adenauer Stiftung, p. 12.

[2] En 2004, les autorités béninoises ont affecté une zone aux agriculteurs, aux éleveurs et aux médecins traditionnels dans la zone tampon du Parc W. Mais les agriculteurs considèrent que toutes les terres leur appartiennent, ce qui a entraîné des affrontements avec les éleveurs à Karimama, Guéné et Kandi. Voir Kars de Bruijn, «Law of Attraction: Northern Benin and Risk of Violent Extremist Spillover», Rapport du Clingendael’s Conflict Research Unit (CRU), juin 2021.

[3] Voir Antonin Tisseron, « Une boîte de Pandore : le Burkina Faso, les milices d’autodéfense et la loi sur les VDP dans la lutte contre le jihadisme », Friedrich-Ebert-Stiftung, avril 2021.

[4] Au Niger, les bandits utilisaient principalement des forêts telles que Kodjoga Beli et Cellol Bolol (à la frontière entre le Niger et le Burkina Faso) comme repaires. Entretiens de Crisis Group, habitants d’Ouro Gueladjo et de Torodi, février 2022.

[5] Dans le nord du Bénin, un pistolet pourrait ne coûter que 50 000 francs CFA (80 dollars), tandis qu’un fusil d’assaut AK-47 coûterait à peine 200 000 francs (322 dollars), selon son état et les munitions fournies. Entretien de Crisis Group, résident de Kandi, août 2022.

III. Les jihadistes prennent le contrôle

Les insurgés sont arrivés début 2018 dans les environs du Parc W. [1] La Katiba Ansarul Islam, basée dans le nord du Burkina Faso, et la Katiba Serma, basée du côté malien du Liptako Gourma, le territoire qui borde la zone des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, sont les principaux responsables des débordements violents.[2] Les katibas (« bataillons », en arabe) ont emprunté deux itinéraires pour rejoindre le parc. Le premier les a conduits du Liptako-Gourma vers le sud, où elles ont occupé plusieurs forêts le long de la frontière entre le Niger et le Burkina Faso, dont Kodjoga Beli et Tapoa-Boopo, qui jouxtent le Parc W. L’autre itinéraire traversait le sud-est du Burkina Faso, en passant par la forêt de Kabonga et le parc d’Arly (voir la carte en annexe A). La présence des katibas dans le parc a des répercussions désastreuses sur les efforts de protection de la biodiversité et des moyens de subsistance des populations. Elle risque également d’aggraver l’insécurité, plus au sud, dans les pays côtiers.


[1] Les données de l’Armed Conflict and Event Location Data (Acled) ainsi que les informations de Crisis Group indiquent que des jihadistes sont arrivés dans la région en 2018. Les autorités nigériennes ont documenté l’arrivée du premier groupe de jihadistes dans la forêt de Kodjoga Beli à Torodi le 17 janvier 2018. Entretien de Crisis Group, ancien officier de sécurité, Niamey, juillet 2022. Du côté du Burkina Faso, la première attaque contre un poste de garde forestier près du Park W, à Nassoungou, a également eu lieu cette année-là. Entretien de Crisis Group, garde forestier, Fada N’Gourma, mars 2022.

[2] On ne sait pas qui commande les insurgés du Parc W. Les habitants qui ont été en contact avec les jihadistes indiquent que le chef de la Katiba Macina, Hamadoun Koufa, et le chef d’Ansarul Islam, Jaafar Malam Dicko, seraient aux commandes, mais compte tenu de la position hiérarchique de ces deux hommes, il est peu probable que l’un d’entre eux soit physiquement présent dans la région. Les responsables de la sécurité ont mentionné des hommes portant des pseudonymes tels que Muslimu, Abu Tamim et Abu Issa comme étant les principaux chefs dans l’est du Burkina Faso, et Cheikh Albani dans le nord du Bénin. Du côté nigérien, certains des noms qui circulent sont Abu Hanifa, Belco Alhadj Kiyya (probablement tué), Sadio Korcel (arrêté) et Bouba Alhassane (récemment libéré de prison). Entretiens de Crisis Group, Ouagadougou, Cotonou et Niamey, mars, août et septembre 2022. Crisis Group n’a pas été en mesure de vérifier ces affirmations.

A. Arrivées, recrues et alliés

Les premiers insurgés arrivés dans les environs du Parc W étaient des étrangers parlant principalement le jelgoji, un dialecte fulfulde couramment utilisé dans la région du Liptako-Gourma et dans le nord du Burkina Faso.[1] Dans l’ouest du Niger, ils étaient souvent accompagnés de locaux, principalement d’anciens élèves des centres d’études islamiques des villes sahéliennes de Mopti, Djibo ou Dori.[2] Des diplômés de ces écoles ont même demandé aux insurgés de venir dans leur village, car – selon le témoignage d’un habitant – ils estimaient que « la pratique de l’islam devait être aussi redynamisée dans leur communauté ».[3]

Les insurgés ont employé plusieurs tactiques de recrutement auprès des populations vivant autour du parc.[4] Au début, ils ont surtout recruté des bandits opérant dans les forêts.[5] De jeunes hommes ayant des antécédents de délinquance, de toxicomanie ou de problèmes familiaux se sont également portés volontaires.[6] Dans certains cas, les recrues sont retournées dans leur village natal pour agresser des proches ou voler des biens, du bétail le plus fréquemment.[7] Le recrutement ponctuel dans les villages impliquait souvent la promesse d’aider les habitants à prendre le contrôle total des forêts.[8] Les insurgés ont également tiré parti des conflits autour de la chefferie dans certains villages et des contentieux relatifs à la propriété foncière.[9] Le recrutement de force existe aussi, mais plus rarement.

Le recrutement massif intervient généralement à un stade ultérieur, souvent à la suite d’opérations antiterroristes. Lorsque l’arrivée de jihadistes est annoncée dans une zone, les autorités prennent des mesures de sécurité supplémentaires autour des villages environnants. Au fur et à mesure que l’armée s’installe, les insurgés commencent à convaincre les habitants de ne pas coopérer avec les autorités. Pris entre l’étau des jihadistes, d’une part, et les forces de sécurité, d’autre part, les villageois sont confrontés à un choix difficile. S’ils restent chez eux, les forces de sécurité risquent de les soupçonner de collaborer avec les jihadistes ; s’ils partent, ils risquent de tout perdre, y compris leurs villages et leurs biens.[10] Ce choix difficile a souvent conduit des villageois à se ranger du côté des jihadistes pour obtenir une protection ou se venger des abus commis par les forces de sécurité.


[1] Entretiens de Crisis Group, villageois vivant près du Parc W et éleveurs nomades qui font paître leur bétail à l’intérieur du parc, Say, Fada N’Gourma et Kandi, février, mars et août 2022. Les Jelgoji sont un sous-groupe peul originaire du nord du Burkina Faso et du centre-sud du Mali.

[2] Mopti, Djibo et Dori sont réputées pour être des centres d’études islamiques en langue fulfulde. Les jeunes Peul qui ont suivi une formation coranique initiale dans les villages du Sahel s’inscrivent dans ces centres pour y suivre un enseignement supérieur. Les étudiants risquent d’être la proie du discours insurrectionnel des groupes jihadistes établis autour de ces centres. Entretiens de Crisis Group, anciens étudiants à Mopti, Dori et Djibo, Niamey et Ouagadougou, février et mars 2022.

[3] Entretien de Crisis Group, villageois, Say, février 2022.

[4] Les personnes vivant dans les environs du parc ont souvent entendu parler des insurgés avant leur arrivée.

[5] Les villages de Cellol Bollol et de Bontolare à la frontière entre le Burkina Faso et le Niger, ainsi que la forêt de Kodjoga Beli, ont connu une recrudescence de la criminalité dans les années 2000. La prolifération des bandes criminelles a incité le gouvernement nigérien à autoriser les groupes d’autodéfense (unités Koglweogo) dans des villages comme Makalondi, Torodi et Tamou. Entretiens de Crisis Group, élus à Makalondi et Tamou, janvier-février 2022 ; autorités traditionnelles à Torodi, septembre 2022.

[6] Ces jeunes en difficulté rejoignent rarement les groupes d’insurgés pour des raisons idéologiques ; leur conscience politique ne s’éveille qu’après avoir été exposée au discours jihadiste. Entretiens de Crisis Group, villageois du département de Say au Niger, de la province de la Tapoa au Burkina Faso et du département de Kandi au Bénin, février, mars et août 2022.

[7] Les villageois de l’est du Burkina Faso ont rapporté des cas de fils qui ont attaqué des membres de leur famille ou se sont emparés du bétail de la famille après avoir rejoint un groupe d’insurgés. Entretiens de Crisis Group, personnes déplacées des environs du parc, Fada N’Gourma, août 2022.

[8] Les jihadistes ont l’habitude de dire des choses comme : « Dieu a créé les humains et a fait les forêts pour les aider à satisfaire leurs besoins. Par conséquent, les forêts appartiennent au peuple ». Entretiens de Crisis Group, habitants de la province de la Tapoa au Burkina Faso, août 2022.

[9] Les conflits de chefferie sont devenus plus fréquents dans l’est du Burkina Faso et dans l’ouest du Niger, en partie à cause de changements dans les procédures électorales. Dans le village nigérien de Kodjeri, les partisans d’un homme en lice pour la chefferie ont rejoint les insurgés lorsque leur candidat a perdu l’élection, apparemment pour se venger. Entretien de Crisis Group, ancien agent de sécurité, Torodi, juillet 2022.

[10] Entretiens de Crisis Group, villageois des environs du Parc W, Fada N’Gourma, août 2022.

Les insurgés ont développé des liens étroits avec les éleveurs nomades.

Les insurgés ont développé des liens étroits avec les éleveurs nomades, qui, comme eux, sont souvent des Peul, musulmans et habitants de la brousse.[1] Au départ, la méfiance régnait dans les deux groupes – les jihadistes craignaient que des informateurs du gouvernement se soient infiltrés parmi les éleveurs, tandis que les éleveurs rechignaient à payer l’impôt islamique (ou zakat) – mais aujourd’hui ils collaborent dans leur intérêt mutuel.[2] Les jihadistes donnent aux éleveurs un accès libre aux abondantes prairies du parc, tandis que leur présence à l’intérieur du parc dissuade les militaires d’intervenir à cause du risque élevé de pertes civiles.[3] Les éleveurs font souvent des achats sur les marchés ruraux pour assurer le ravitaillement quotidien des insurgés.[4] Ces derniers prêchent aussi leur version de l’islam dans les camps d’éleveurs, en vue de faire de nouvelles recrues.[5]

Néanmoins, la plupart des personnes qui vivent à la périphérie du parc sont terrifiés par les insurgés. Lorsqu’on apprend qu’un parent a rejoint leurs rangs, la nouvelle est généralement accueillie avec beaucoup de tristesse, et on craint des représailles de la part des forces de sécurité. Les communautés du nord et du centre du Mali ont parfois bien accueilli les insurgés pour leur capacité présumée à assurer la sécurité, la justice et une gouvernance efficace, mais les insurgés du Parc W – alors même qu’ils remplissent certaines de ces fonctions (voir ci-dessous) – ne sont pas vraiment perçus de cette manière. De nombreux parents peul qui craignent l’influence des insurgés, évitent désormais d’envoyer leurs enfants dans les centres d’études islamiques du Burkina Faso ou du Mali, et préfèrent les orienter vers des écoles coraniques à Niamey ou au nord du Nigéria.[6]


[1] Entretiens de Crisis Group, villageois des environs du Parc W, Say et Fada N’Gourma, février et mars 2022.

[2] Entretiens de Crisis Group, éleveurs ayant fréquenté des jihadistes dans le Parc W, Say, février et août 2022.

[3] Un officier militaire de l’est du Burkina Faso a déclaré : « Le problème auquel nous sommes confrontés dans le parc est que nous ne pouvons pas faire la distinction entre un éleveur et un terroriste. (...) Vous pouvez tuer quelqu’un que vous pensez être un terroriste mais qui s’avère être un éleveur. Et vous pouvez épargner quelqu’un que vous croyez être un éleveur et qui vous tire dessus ». Entretien de Crisis Group, Ouagadougou, mars 2022.

[4] Entretiens de Crisis Group, éleveurs, Say, février 2022.

[5] Entretiens de Crisis Group, éleveurs, Niamey, août 2022.

[6] Certains parents parmi les éleveurs ont interdit à leurs fils de s’approcher du Parc W. Entretiens de Crisis Group, éleveurs, Say et Niamey, février 2022.

B. Quartier général local

Pour les insurgés, le Parc W sert à la fois de refuge et de base opérationnelle. Ils ont saboté des infrastructures clés dans le parc, notamment des tours de guet, des forages, des panneaux solaires, des points d’eau et des antennes de réseaux de téléphonie mobile. La plupart des camps de jihadistes sont cachés sous un épais couvert végétal qui les rend invisibles pour les drones et autres avions militaires.[1] Ils sont généralement situés à proximité de points d’eau, mais étant donné que ceux-ci sont rarement permanents, les insurgés sont obligés de se déplacer régulièrement.[2] Les insurgés ont également mis en place une sorte de tribunal chargé de juger les violations présumées de la loi islamique et de sanctionner la collaboration avec les autorités de l’Etat. Ils emprisonnent les coupables présumés à l’intérieur du parc.[3] Le tribunal règle également les différends entre les villageois. Jusque-là, seuls les combattants masculins vivaient dans les camps. Mais lorsque le Burkina Faso a transformé sa partie du parc en zone militaire spéciale en juin 2022, des femmes et des enfants ont quitté les villages voisins pour se réfugier dans le parc, cherchant la protection des jihadistes contre l’armée, selon certaines sources.[4]

Le Parc W est une importante source de revenus pour les insurgés. Les jihadistes utilisent tout d’abord l’important réseau de pistes et de rivières du parc pour faire passer clandestinement de la nourriture, du carburant, des armes et des motos à travers les trois frontières.[5] Ils profitent ensuite de sa superficie pour stocker le bétail qu’ils ont volé ou accumulé grâce à la zakat, avant de le vendre parfois sur les marchés voisins.[6] Enfin, ils prélèvent des taxes sur les orpailleurs dans la région et utilisent des intermédiaires, dont certains pourraient être basés à Niamey, pour négocier la revente de l’or.[7]

La présence des jihadistes a nui à l’économie locale, privant de nombreux habitants d’un revenu stable.[8] Le tourisme a été anéanti. Même si la partie béninoise du parc est encore ouverte aux visiteurs, les attaques contre les forces de sécurité et les enlèvements y sont devenus une menace constante.[9] Dans les villages du Niger et du Burkina Faso, les insurgés essaient d’imposer leur contrôle sur la société, et tentent d’obliger les populations à se comporter conformément à leur interprétation très stricte de la Charia.[10] Ils ont interdit la vente et la consommation d’alcool, la culture du tabac et l’élevage de porcs.


[1] Ils utilisent souvent des morceaux de tissus pour se protéger du soleil et de la surveillance aérienne. Entretien téléphonique de Crisis Group, personne qui a été détenue par des jihadistes à l’intérieur du Parc W, février 2022.

[2] Le projet ECOPAS a foré plusieurs puits à l’intérieur du parc. Les officiers disent que la pénurie d’eau entrave les opérations militaires. Entretien de Crisis Group, officier anciennement en service dans le Parc W, Niamey, septembre 2022.

[3] Ils gardent les prisonniers à l’air libre sous des arbres hors de portée de voix des camps jihadistes. Ils sont souvent ligotés et ont les yeux bandés pendant la journée. Entretien de Crisis Group, personne qui a été détenue par des jihadistes dans le Parc W, Say, février 2022.

[4] Les autorités burkinabé ont donné aux résidents un ultimatum pour évacuer la zone militaire spéciale. Les jihadistes, cependant, ont fait comprendre aux villageois qu’ils devaient rester ou risquer de ne plus jamais être autorisés à rentrer. Entretiens de Crisis Group, éleveurs nomades, Say, janvier 2022 ; anciens détenus, Niamey, février 2022.

[5] Les insurgés acheminent du carburant vers le Parc W via la rivière Mekrou. Entretiens de Crisis Group, gardes forestiers nigériens, septembre 2022.

[6] Certains marchands de bétails et chefs de file des éleveurs – connus sous le nom de Rugga – participeraient aussi au commerce du bétail en achetant à bas prix aux jihadistes du bétail volé. Les forces de sécurité burkinabé ont arrêté certains d’entre eux. Entretien de Crisis Group, Rugga de la commune de Diapaga, qui a ensuite été arrêté et accusé d’avoir revendu du bétail acheté aux jihadistes, Fada N’Gourma, mars 2022.

[7] Il y a plusieurs mines d’or artisanales près du côté burkinabé du parc. Les villages qui possèdent de telles mines sont Tchiapagri (à Tansarga), Bayantori (à Tambaga), Mardaga, Boungou, Kankandi, Bamouanti et Boujouani (dans la commune de Partiaga), et Koriombo et Douptchari (à Diapaga). Les mines d’or artisanales du Niger sont situées dans les districts de Tamou, Torodi et Makalondi. Selon la rumeur, certains insurgés seraient eux-mêmes orpailleurs. Entretiens de Crisis Group, villageois dans les zones occupées par les jihadistes dans l’est du Burkina Faso et l’ouest du Niger, Fada N’Gourma et Say, mars et février 2022.

[8] Certains anciens employés du parc sont au chômage, tandis que d’autres ont déménagé dans les villes à la recherche d’un emploi. D’autres encore ont rejoint les groupes d’autodéfense locaux, notamment les Volontaires pour la défense de la patrie, que le gouvernement burkinabé a recrutés pour participer à la lutte contre le terrorisme, et les Koglweogo. Les plus chanceux sont employés comme gardes forestiers par les nouveaux gestionnaires du parc, notamment African Parks et Wild Africa Conservation. Plusieurs ONG ont également quitté la région. Entretiens de Crisis Group, villageois, Say et Fada N’Gourma, février et mars 2022.

[9] Plusieurs étrangers ont été enlevés autour du parc, notamment un prêtre italien à Torodi en septembre 2018 (libéré en octobre 2020) et deux touristes français dans le parc de la Pendjari, au nord du Bénin, en 2019. Lorsque les forces de sécurité ont libéré les touristes, elles ont découvert deux autres otages – une ressortissante des Etats-Unis et une Sud-Coréenne – qui pourraient avoir été enlevées dans la même zone. Thiam Ndiaga et Richard Lough, « Hostages rescued from Burkina Faso “hell” praise fallen French commandos », Reuters, 11 mai 2019.

[10] Les jihadistes du nord du Bénin sont restés discrets par rapport à ceux du Niger et du Burkina Faso. Les insurgés sortent rarement du parc pour se rendre dans les villages voisins. Jusqu’à présent, ils n’ont attaqué que des cibles militaires, même si en octobre 2022, des insurgés sont venus à Mamassi-Peul, juste à l’extérieur du parc, et ont arrêté le chef du village. Entretien téléphonique de Crisis Group, villageois, octobre 2022.

Les femmes ont été les plus affectées par l’ingérence des jihadistes.

Les femmes ont été les plus affectées par l’ingérence des jihadistes. Les insurgés leur ont interdit de faire des achats sur les marchés ruraux et de laver la vaisselle dans les rivières ou près des puits. Ils interviennent également dans les mariages. Les habitants ont signalé des cas de mariages d’enfants et de mariages forcés, les insurgés poussant les parents à marier leurs filles mineures sous prétexte de prévenir l’adultère.[1] Les insurgés menacent parfois les parents d’avoir recours à des sévices physiques s’ils n’obtempèrent pas ou s’ils refusent d’arranger un mariage, que la fille ou ses parents y consentent ou non.[2]

Une importante population d’animistes et de chrétiens, notamment au Burkina Faso et au Bénin, vit dans les environs du parc.[3] Les jihadistes s’en sont rarement pris physiquement à ces non-musulmans, mais ils ont souvent prêché contre les pratiques religieuses locales et, dans certains cas, ont tenté d’interrompre les messes, affirmant que les hommes et les femmes ne devaient pas se réunir dans un même espace.[4]

Les jihadistes ont également mis en péril l’éducation. Ils ont fermé et même parfois brûlé des écoles francophones. Ils ont également interdit une pratique traditionnelle dans les écoles coraniques, qui consiste pour les élèves à mendier pour se nourrir et soutenir le marabout (enseignant) auquel leurs parents les ont confiés. De nombreux marabouts de la zone frontalière entre le Burkina Faso et le Niger ont fui avec leurs élèves pour s’installer dans les villes, notamment à Niamey.[5]


[1] Certains de ces cas concernent de jeunes filles âgées de quatorze ans seulement. Ces pratiques anéantissent quelques progrès réalisés récemment pour réduire les mariages d’enfants dans les zones rurales, et sapent les campagnes de sensibilisation de la population à l’âge légal du mariage, qui est de dix-huit ans. Entretien de Crisis Group, habitant de Diapaga, Fada N’Gourma, mars 2022.

[2] Entretiens de Crisis Group, villageois vivant près du Parc W, Say et Fada N’Gourma, février et mars 2022.

[3] Dans la province de la Tapoa au Burkina Faso, 57 pour cent de la population se déclarent animistes, 21 pour cent chrétiens et 19 pour cent musulmans. Voir « Rapport général de la population et de l’habitat 2006 », ministère de l’Economie et des Finances, 2008.

[4] Selon un prêtre nigérien, les insurgés ont d’abord tenté de rassurer les chrétiens locaux en leur disant (à juste titre) que l’islam considérait Jésus comme un prophète, mais ils ont ensuite changé de discours, insistant sur le fait que Mohamed est le seul prophète qui compte aujourd’hui. Entretien de Crisis Group, Say, février 2022.

[5] Entretien de Crisis Group, marabout de Ouro Gueladjo qui s’est réfugié à Niamey, mars 2022.

Le marché au bétail de Fada N’Gourma est l’un des plus grands de la région du Sahel. CRISIS GROUP / Ibrahim Yahaya Ibrahim

C. Bases annexes et pistes forestières

Les jihadistes utilisent les bases à l’intérieur du parc pour lancer des attaques dans de nouvelles directions. Au nord, ils ont construit une série de bases annexes qui relient le Parc W à leurs autres bastions, notamment dans la forêt de Kodjoga Beli, le long de la frontière entre le Niger et le Burkina Faso, et de là jusqu’au nord du Burkina Faso et au Liptako-Gourma. Sur la rive droite du Niger – le territoire situé entre le fleuve Niger et la frontière du Burkina Faso – les insurgés ont mis en place des bases annexes dans les communes de Ouro Gueladjo, Torodi, Makalondi et Say.[1] La plupart des combattants de ces bases d’appuis sont des recrues locales qui font régulièrement des allers-retours dans le parc.

Cette expansion est particulièrement inquiétante au Niger. Il semblerait que des insurgés liés aux groupes du Parc W vivent dans plusieurs banlieues de Niamey. Les jihadistes se rapprochent d’ailleurs de la capitale depuis début 2022, comme le prouve une attaque menée à seulement 15 km de Niamey.[2]


[1] Les insurgés ont souvent arrêté ceux qu’ils accusent de contrevenir à ces règles, détenant certaines personnes pendant des mois. De nombreuses personnes prises en otage par les jihadistes dans les communes voisines, dont Tamou, Ouro Gueladjo et Torodi, sont emprisonnées dans le Parc W ou à Kodjoga Beli, et parfois déplacées entre les deux forêts. Pendant leur détention, les prisonniers sont obligés d’écouter des sermons sur la version de l’islam prônée par les insurgés. Entretiens de Crisis Group, villageois des districts de Makalondi et Torodi, Niamey, janvier 2022.

[2] Les habitants de la périphérie de Niamey déclarent constater une circulation de plus en plus suspecte de motos sur le plateau de Bougoun, qui borde les limites ouest de la ville jusqu’à la zone du Parc W. Entretiens de Crisis Group, janvier 2022. Les jihadistes sont connus pour leur utilisation des motos, et le Niger a émis à plusieurs reprises des interdictions de circulation des motos comme mesure de sécurité dans certaines communes. On pense également que des recrues jihadistes vivent dans des villages de la commune de Bitinkodji et dans des banlieues telles que le quartier Sagia.

Les insurgés ont ... élargi leur présence au Togo et au Ghana en passant par plusieurs forêts interconnectées.

Les insurgés ont également élargi leur présence au Togo et au Ghana en passant par plusieurs forêts interconnectées. Le Parc W jouxte la réserve de la Pendjari au Bénin et sa réserve de chasse de l’Atacora, ainsi que la réserve d’Arly au Burkina Faso, toutes deux situées à la frontière avec le Togo et le Burkina Faso.[1] Les jihadistes se déplacent dans toute cette vaste zone de forêts et de réserves protégées et sont ainsi difficiles à localiser pour ceux qui les combattent.[2] Les mouvements des jihadistes à travers ces trois frontières et jusqu’au nord du Ghana sont bien documentés.[3]

Enfin, plus au sud, les insurgés ont tenté d’atteindre les forêts du Bénin. La région du nord du Bénin compte de nombreux parcs qui sont proches les uns des autres. Le côté béninois du Parc W est relié à d’autres aires protégées, notamment la réserve de chasse de Djona et les forêts classées de Sota, Goungoun et Trois Rivières.[4] Les preuves d’incursions jihadistes dans ces réserves s’accumulent, et on craint que les insurgés ne tentent de se rapprocher des bandes criminelles dans le parc national de Kainji, juste de l’autre côté de la frontière, dans le sud-ouest du Nigéria.[5]


[1] Voir « Catégorisation des aires protégées de la République du Bénin », PAPE et CENAGREF, décembre 2013, p. 18.

[2] Voir Leif Brottem, « Jihad Takes Root in Northern Benin », Acled, 23 septembre 2022.

[3] Pour en savoir plus sur l’expansion de la violence jihadiste dans le nord du Togo et du Ghana, voir « The Jihadist Threat in Northern Ghana and Togo: Stocktaking and Prospects for Containing the Expansion», Promediation et Konrad Adenauer Stiftung, avril 2022.

[4] Voir « Catégorisation des aires protégées de la République du Bénin », op. cit.

[5] Entretiens de Crisis Group, fonctionnaires béninois, Cotonou, août 2022 ; ancien habitant de Segbana, un village proche de la frontière nigériane dans le nord-ouest du Bénin, Dakar, octobre 2022.

D. Saboter la protection

La présence des jihadistes dans le Parc W, en dehors des problèmes de sécurité qu’elle pose, sape les efforts de conservation de la nature entrepris de longue date. Les trois pays ont retiré la plupart de leurs gardes forestiers de leurs postes dans le parc.[1] Du côté burkinabè de la réserve, les gardes ont abandonné les trois principales bases forestières, tandis que ceux du Niger et du Bénin patrouillent principalement à la périphérie du parc.[2]

Le fait que les insurgés aient rendu le parc accessible a attiré des éleveurs, des braconniers, des agriculteurs et des orpailleurs. Une prise de vue aérienne dans le cadre d’une enquête réalisée en 2021 a dénombré environ 63 000 têtes de bétail à l’intérieur du Parc W.[3] Elle a également observé que la population d’éléphants était tombée à 4 056 contre 8 938 en 2015, date de l’enquête précédente. On assiste donc à une recrudescence du braconnage.[4] Un autre indicateur est la baisse des prix de la viande de brousse et des autres produits de la faune sauvage sur les marchés ruraux.[5] Dans la périphérie du parc, les agriculteurs ont défriché de nouveaux espaces de culture tandis que l’orpaillage (qui utilise de grandes quantités de produits chimiques dangereux) a pris de l’ampleur.[6] Toutes ces activités accélèrent le déclin environnemental de la plus grande réserve naturelle d’Afrique de l’Ouest. Seul point positif, les jihadistes ont interdit la coupe de bois.[7]


[1] Les bases forestières du Niger comprennent la Tapoa (base principale des agents des eaux et forêts du Niger), Perelegou et Kary Kopto, tandis que les principales bases du Bénin sont Alfa Koara, Karimama, Kompa-Monsey et Founougo. Les gardes forestiers des trois pays se réunissent souvent au Point Triple, à la jonction des trois frontières.

[2] African Parks dispose d’environ 600 personnes pour la Pendjari et le Parc W, dont d’anciens gardes et rangers du gouvernement. Un fonctionnaire d’African Parks a déclaré à Crisis Group que la Pendjari était « plus facile à gérer » car moins de personnes vivent à sa périphérie. D’autres membres du personnel d’African Parks ont déclaré que leur zone d’intervention s’était réduite au cours des derniers mois. Entretiens de Crisis Group, Kandi, août 2022 ; Johannesburg, septembre 2022.

[3] L’enquête de 2021 a été menée par African Parks en collaboration avec les agences des trois pays en charge des zones protégées. Une enquête similaire réalisée en 2003 a dénombré 36 363 têtes de bétail. Il est toutefois important de noter que le nombre de bovins a fluctué au fil des ans. Par exemple, une autre enquête réalisée en 2015 a évalué à 152 486 le nombre de bovins paissant à l’intérieur du parc. Voir « Inventaire aérien de la grande faune et du bétail W-Arly-Pendjari : Bénin-Burkina Faso-Niger 2021 », African Parks, 2021.

[4] Le braconnage n’est probablement pas la seule cause de ce déclin. Il pourrait être dû également à la migration en dehors du parc à cause du bétail qui empiète sur le parc et des maladies infectieuses introduites par le bétail.

[5] Par exemple, la peau d’un lion, appréciée localement pour ses supposées propriétés mystiques, se vend 200 000 francs CFA (185 dollars) depuis que les jihadistes ont autorisé les braconniers à entrer dans le parc, contre 500 000 francs (750 dollars) auparavant. Entretiens de Crisis Group, éleveur qui fait souvent paître son bétail dans le parc et ses environs, Say et Niamey, février et septembre 2022.

[6] A Kaabougou, un village de la commune de Tansarga, dans l’est du Burkina Faso, les jihadistes ont toléré que les agriculteurs s’approprient de nouvelles terres dans la zone tampon du parc. Des appropriations de terres similaires ont eu lieu dans la réserve totale de Tamou au Niger. Entretiens de Crisis Group, habitants de Kaabougou et Tamou, Fada N’Gourma et Say, février et mars 2022.

[7] En janvier, des jihadistes ont arrêté un véhicule transportant du bois près de Tiela Fulbé dans la commune de Tamou au Niger. Ils ont brûlé le véhicule et fouetté le conducteur. Entretien de Crisis Group, ancien élu d’une commune proche du parc, Niamey, septembre 2022.

Les éleveurs ont ... confié à Crisis Group qu’ils s’inquiétaient pour la survie du parc.

Comme nous l’avons déjà expliqué, les principaux bénéficiaires de cette politique d’ouverture sont les éleveurs, dont les animaux semblent désormais paître sans restriction à l’intérieur du parc. Paradoxalement, les éleveurs ont cependant confié à Crisis Group qu’ils s’inquiétaient pour la survie du parc.[1] Ils craignent que l’afflux de bétail et de braconniers conjugué au défrichement des terres par les agriculteurs ne détruisent progressivement les ressources du parc, et pour eux l’une des dernières grandes zones de pâturages verts et d’eau disponible en Afrique de l’Ouest. Le contact avec la faune sauvage transmet également des agents pathogènes au bétail, ce qui augmente le risque de contagion. Plusieurs éleveurs qui font régulièrement paître leur bétail dans le parc ont déclaré avoir perdu de nombreux animaux malades.[2]

Le Parc W risque donc de subir un sort similaire à celui de la forêt de la Sambisa, une réserve de gibier autrefois florissante dans le nord-est du Nigéria, où l’insurrection islamiste de Boko Haram a établi sa base au milieu des années 2010. Au fil des années, la Sambisa est devenue une plaque tournante de contrebande pour les insurgés et une forteresse imprenable pour les forces de sécurité, qui ont tenté de déloger le groupe à l’aide de bombardements aériens. Aujourd’hui, la forêt est complètement décimée et sa faune et sa flore rares ont disparu.[3]


[1] Entretiens de Crisis Group, éleveurs et Rugga du Niger et du Burkina Faso, Say, Fada N’Gourma, février et mars 2022.

[2] Entretiens de Crisis Group, Say et Niamey, février et septembre 2022.

[3] Pour en savoir plus sur l’occupation de la forêt de la Sambisa par Boko Haram, voir Azeez Olaniyan, « Once Upon a Game Reserve: Sambisa and the Tragedy of a Forested Landscape », Arcadia, 2018. Pour plus d’éléments de contexte, voir les briefings Afrique de Crisis Group N°120, Boko Haram sur la défensive?, 4 mai 2016 ; N°180,  Après Shekau: faire face aux jihadistes dans le nord-est du Nigéria,  29 mars 2022 ; et N°184, Rethinking Resettlement and Return in Nigeria's North East, 16 janvier 2023 ; ainsi que le rapport Afrique de Crisis Group N°273, Facing the Challenge of the Islamic State in West Africa Province, 16 mai 2019.

IV. Sauvegarde du Parc W

Les autorités du Bénin, du Burkina Faso et du Niger, en collaboration avec des partenaires étrangers, s’efforcent de reprendre le contrôle du Parc W et de ses environs. Elles mettent l’accent sur trois axes d’intervention : premièrement, sécuriser le parc par des actions militaires ; deuxièmement, améliorer les efforts de conservation ; et, enfin, traiter la question des conflits pour les ressources.

A. Sécuriser le Parc W

Les forces armées des trois pays ont tenté d’empêcher les jihadistes d’empiéter sur le Parc W et, plus tard, de les en déloger, mais ces tentatives sont restées vaines. En 2016, alors que des rumeurs sur la présence des jihadistes commençaient à circuler, les forces de défense et de sécurité du Burkina Faso ont ratissé le parc. Deux ans plus tard, le Niger a déclaré l’état d’urgence dans trois départements proches de la frontière burkinabè, dont sa partie du Parc W, conférant à l’armée des pouvoirs supplémentaires pour poursuivre les personnes soupçonnées d’être impliquées dans les insurrections.[1] En 2020, les autorités nigériennes ont chargé une unité militaire spéciale de sécuriser le camp forestier de la Tapoa à l’intérieur du parc.[2] Cette unité s’est toutefois retirée après que des insurgés présumés ont tué deux gardes forestiers lors d’une attaque en décembre de la même année.[3]

De même, bien qu’il ait réagi tardivement, le gouvernement béninois a fait des efforts pour contenir la violence jihadiste provenant des pays sahéliens voisins. Le gouvernement a défini une stratégie consistant à diviser sa région nord en deux zones d’opération : le secteur ouest, qui couvre la région de l’Atacora le long de la frontière avec le Burkina Faso et le Togo, et le secteur est, qui englobe le Parc W. Il tente également de se procurer des équipements militaires tels que des drones. Parallèlement à l’action militaire visant à chasser les jihadistes du parc, le Bénin a renforcé sa collecte de renseignements au niveau communautaire, ce qui pourrait expliquer pourquoi, jusqu’à présent, les jihadistes ont été plus lents à s’infiltrer dans les villages béninois que dans ceux du Burkina ou du Niger.

L’action militaire des trois Etats a permis des avancées à court terme. En 2019, l’armée burkinabè a lancé l’opération Otapuanu, qui a temporairement perturbé les activités jihadistes et réduit la fréquence des attaques majeures dans l’est du Burkina Faso.[4] De même, entre 2019 et 2020, les forces armées nigériennes ont mené l’opération Saki, qui a chassé les insurgés de la majeure partie de la rive droite.[5] Les autorités béninoises ont établi un certain nombre de postes de police dans les villes à proximité du Parc W qui, jusqu’à récemment, avaient permis d’améliorer la sécurité des populations.[6]


[1] L’état d’urgence interdit notamment l’utilisation de motos. « Terrorisme : Niamey décrète “l’état d’urgence” dans trois départements proches de Burkina Faso », Le Monde/AFP, 1er décembre 2018.

[2] En 2018, le Niger a lancé l’opération Saki 1. Il a continué cette opération avec l’opération Saki 2, puis les opérations Taanli 1, 2 et 3, ainsi que Niyya. Ces opérations se sont concentrées sur la lutte contre les jihadistes dans la rive droite du fleuve Niger le long de la frontière du Burkina Faso et dans le Parc W.

[3] Moussa Aksar, « Niger : 2 morts et 2 portés disparus suite à une attaque terroriste à la Tapoa », L’Évènement Niger, 4 décembre 2020.

[4] Voir le rapport Afrique de Crisis Group N°287, Burkina Faso : sortir de la spirale des violences, 24 février 2020.

[5] Entretien de Crisis Group, officier militaire, Niamey, septembre 2022.

[6] Ces postes de police sont devenus la principale cible des insurgés dans le nord du Bénin. Au moins quatre postes de police (à Keremou, Monsey, Dassari et Birni Lafia) ont été attaqués.

Ni le Burkina Faso, ni le Niger, ni le Bénin n’ont été en mesure de déloger les insurgés ou d’établir des positions militaires permanentes à l’intérieur du parc.

Pourtant, ni le Burkina Faso, ni le Niger, ni le Bénin n’ont été en mesure de déloger les insurgés ou d’établir des positions militaires permanentes à l’intérieur du parc. De façon générale, les troupes manquent d’entraînement et d’équipement adaptés aux opérations militaires dans des forêts denses et pleines d’animaux sauvages.[1] En outre, les armées des trois pays ont de sérieux problèmes d’effectifs. Au Burkina Faso, les forces de défense et de sécurité sont dispersées sur plusieurs fronts de lutte contre les insurgés, dont les priorités absolues sont ceux du nord et du centre, très peuplés.[2] Au Niger, les officiers se plaignent également de devoir envoyer des troupes sur d’autres fronts, affirmant que la rotation des unités rend les victoires sur le champ de bataille de courte durée.[3] Quant à l’armée béninoise, elle est petite, mal équipée et inexpérimentée dans les opérations de lutte contre le terrorisme.[4]

Les trois pays ont également tenté de stimuler la coopération militaire entre eux, ainsi qu’avec les pays voisins ouest-africains et les alliés étrangers. En 2017, le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo ont lancé l’Initiative d’Accra pour freiner les attaques jihadistes en provenance du Sahel, s’engageant notamment à mieux partager le renseignement. Ce pacte a donné lieu à plusieurs opérations militaires conjointes, dont des incursions dans le Parc W.[5] En octobre 2018, des hauts gradés du Bénin, du Burkina Faso, du Niger et du Togo se sont réunis à Cotonou pour discuter des moyens de coordonner la lutte contre les jihadistes dans le complexe WAP. Ces pourparlers étaient toujours en cours au moment de la rédaction de ce rapport.

Si la collaboration régionale a donné peu de résultats, c’est notamment parce qu’un grand nombre d’unités militaires et policières différentes – dont des gendarmes, des gardes forestiers et des agents de la garde nationale – sont impliquées dans la sécurisation du parc et de ses environs. La coordination est difficile au niveau national et encore plus compliquée dans le cas de collaborations transfrontalières.[6]

Les trois pays étudient les possibilités d’une aide militaire extérieure. Le Niger et le Burkina Faso ont collaboré avec la France, d’autres alliés européens et les Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme. Au Bénin, le gouvernement a demandé à la France, au Rwanda et à des sociétés de sécurité privées américaines, de contribuer à la formation militaire, tandis que l’Union européenne envisage d’accroître son soutien, notamment en fournissant du matériel létal aux militaires. Les Etats-Unis, par l’intermédiaire de leur commandement pour l’Afrique (Africom), se sont également engagés à aider le gouvernement béninois à endiguer la menace jihadiste, notamment par le partage du renseignement. L’Africom utilise des drones pour recueillir des informations sur les activités jihadistes dans le Parc W, ce qui pourrait être utile aux trois pays dans leurs efforts de lutte contre le terrorisme.

Parallèlement, les commandants militaires des trois pays évaluent la meilleure façon de sécuriser les frontières. Alors que le Niger et le Burkina Faso n’ont pas encore déployé de troupes dédiées à la lutte contre les insurgés dans le parc W, le Niger prévoit de former un bataillon spécial pour intervenir dans le parc et d’autres forêts. Mais il pourrait s’écouler un certain temps avant que ce bataillon ne soit en mesure de se déployer. En juin 2022, les autorités burkinabè ont désigné le Parc W et ses environs comme des zones d’intérêt militaire, signalant ainsi leur intention de lancer une opération importante.[7] Mais peu après, des divisions au sein de l’armée ont déclenché le deuxième coup d’Etat du pays en huit mois, ramenant momentanément l’attention des militaires vers le siège du pouvoir à Ouagadougou.


[1] Des responsables militaires nigériens et béninois ont raconté que le rugissement des lions terrifiait les soldats. Ils ont également déclaré que le parc était extrêmement difficile à parcourir avec des véhicules militaires. Entretiens de Crisis Group, Cotonou et Niamey, août et septembre 2022.

[2] Un représentant burkinabé a déclaré que le parc n’était pas une priorité car « les humains passent avant la faune ». Entretien de Crisis Group, Ouagadougou, mars 2022.

[3] Entretiens de Crisis Group, officiers militaires, Niamey, septembre 2022.

[4] Le Bénin compterait environ 5000 agents de police et son armée compterait 7000 soldats en service actif. Voir « Benin », CIA World Factbook, sans date. Les soldats ont peu d’expérience du combat, à l’exception de ceux qui ont participé à des missions de maintien de la paix de l’ONU. Entretien de Crisis Group, officier militaire, Cotonou, août 2022.

[5] Dans le cadre de l’Initiative d’Accra, les pays ont mené une série d’opérations militaires appelées Koudanlgou I, II, III et IV entre mai 2018 et décembre 2021. Les membres de l’Initiative préparent une autre opération qui devrait avoir lieu en 2023. Le Bénin et le Burkina Faso sont des Etats membres, tandis que le Niger est membre observateur. Pour plus de détails sur l’Initiative d’Accra, voir « Mapping African Regional Cooperation », European Council for Foreign Relations, sans date.

[6] Les autorités des capitales peuvent prendre plus de deux mois pour répondre à une demande de renseignement d’un pays voisin. En revanche, les officiers militaires ou les soldats sur le terrain partagent des renseignements par téléphone ou WhatsApp. Entretien de Crisis Group, officier supérieur du renseignement, Cotonou, août 2022.

[7] Le haut commandement du Burkina Faso a identifié deux zones d’intérêt militaire dans le pays : l’une dans le nord de la province du Soum et l’autre dans l’est, près des zones protégées du complexe WAP. Les autorités ont demandé aux résidents de quitter ces zones pour éviter d’être pris dans les tirs croisés. Voir « Burkina Faso: 14 days to evacuate before vast military operation », Reuters, 14 juin 2022.

B. Améliorer les efforts de protection du site

Les jihadistes se sont implantés dans le parc à un moment où les trois pays, avec l’aide de partenaires étrangers, intensifiaient leurs efforts de protection du site. Ils tentaient de remédier au manque de cohérence de leurs cadres juridiques et institutionnels respectifs, à la faible capacité du personnel de gestion du parc et à la faible participation des communautés locales aux efforts de protection.

Les trois pays ont tenté à plusieurs reprises d’aligner leurs politiques de protection du site, sans grand succès. Une série d’accords tripartites signés au cours des 40 dernières années – notamment en 1984, 2003, 2008 et 2019 – visaient à harmoniser les pratiques de gestion des parcs dans les régions transfrontalières, mais aucun de ces accords n’a fondamentalement changé la tendance des trois pays à gérer chacun sa portion du parc de manière unilatérale.[1] La pression en faveur de cette harmonisation reçoit peu d’écho au niveau local, car elle provient en grande partie de partenaires étrangers.[2]

En 2019, les ministres des Affaires étrangères des trois pays ont convenu de créer quatre mécanismes institutionnels pour mieux aligner les politiques de protection, notamment par l’établissement d’un conseil ministériel, d’un comité technique et d’évaluation, d’un conseil scientifique et par la nomination d’un secrétaire exécutif chargé de superviser les politiques du complexe WAP.[3] Trois ans plus tard, aucun de ces mécanismes n’est opérationnel. Les pays ne s’entendent pas sur la personne à nommer au poste de secrétaire exécutif.


[1] L’idée d’une gestion concertée du Parc W ne date pas d’hier. En 1984, les trois pays ont décidé d’unir leurs efforts pour lutter contre le braconnage. De nombreuses réunions ministérielles ont eu lieu pour discuter de mesures de protection plus efficaces. En 2008, les trois pays ont à nouveau signé un accord de coopération en matière de gestion. Ces accords ont donné peu de résultats.

[2] L’ECOPAS et le programme RBT-WAP/GIP, susmentionnés, tous deux financés par des bailleurs de fonds étrangers, notamment l’Union européenne et la GIZ, ont fait pression auprès des autorités des trois pays pour harmoniser les politiques de conservation. Entretiens de Crisis Group, représentants gouvernementaux et responsables de la mise en œuvre de projets, Niamey, juillet 2022 ; Cotonou, août 2022.

[3] Documents en possession de Crisis Group.

Les pays bénéficiant du soutien des bailleurs de fonds s’efforcent d’améliorer la gestion des parcs.

En ce qui concerne le renforcement des capacités, les pays bénéficiant du soutien des bailleurs de fonds s’efforcent d’améliorer la gestion des parcs. Au cours des vingt dernières années, les bailleurs de fonds ont financé de nombreux projets visant à améliorer la gestion du complexe WAP.[1] Mais les projets n’ont pas répondu aux attentes, et le soutien des bailleurs de fonds a été irrégulier. Même lorsque les projets permettent d’obtenir quelques avancées, celles-ci sont rarement maintenues après la fin du financement. Néanmoins, les pays et leurs partenaires travaillent d’arrache-pied afin de garantir un financement continu et à long terme pour la protection du site. En août, la Fondation des savanes ouest-africaines – un fonds fiduciaire pour l’environnement créé au Bénin en 2012 – a signé un accord avec les autorités du Burkina Faso et du Niger qui pourrait mobiliser près de 20 milliards de francs CFA (30 millions de dollars) pour financer les efforts de protection du site. Les responsables affirment qu’il s’agit d’un grand pas vers la garantie d’un financement durable pour la protection du complexe WAP.[2]

Enfin, les trois gouvernements et les partenaires étrangers ont essayé de promouvoir des mesures de protection reposant sur la participation des communautés résidant à proximité du parc. Plusieurs projets financés par des bailleurs de fonds tentent d’améliorer le dialogue entre les défenseurs de l’environnement et les populations résidant autour du parc, afin d’instaurer la confiance et de promouvoir de meilleurs moyens de résoudre les conflits fonciers et intercommunautaires.[3] Cependant, même si la population locale participe de plus en plus à la gestion du parc, la compétition autour des ressources s’est également intensifiée.

Les trois pays et leurs partenaires étrangers prennent également des mesures importantes pour déléguer la gestion du parc à des acteurs non gouvernementaux. Perdant confiance dans la gestion étatique, ils s’orientent vers des partenariats avec des organisations privées qui ont plus d’expérience et de moyens financiers.[4] En 2020, le Bénin a demandé à l’organisation sud-africaine à but non lucratif African Parks Network (APN) de reprendre la gestion de sa partie du Parc W.[5] African Parks gère le Parc national de la Pendjari depuis 2017. APN indique qu’elle compte désormais environ 600 employés, pour la plupart issus de la population locale, dont des rangers et des gardes forestiers qui ont déjà travaillé dans les réserves naturelles du complexe WAP.[6]

Les résultats obtenus par APN au parc de la Pendjari, décrits ci-dessous, sont largement salués par les responsables gouvernementaux et les bailleurs de fonds étrangers, bien que le style de gestion strict de l’organisation ait parfois suscité la colère des résidents.[7] Jusqu’à présent, APN a eu du mal à reproduire son succès dans le Parc W, dont la superficie est deux fois supérieure à celle du parc de la Pendjari, et qui est situé dans une zone dont la population est nettement plus dense, ce qui implique une compétition autour des ressources accrue le long de ses frontières.

Le partenariat du Bénin avec African Parks pourrait améliorer nettement la gestion de sa partie du Parc W. Disposant de ressources considérables et d’une vaste expérience dans la restauration de réserves naturelles dégradées, African Parks a déjà démontré sa capacité à renforcer la surveillance et à endiguer le braconnage.[8] Elle a également tiré d’importantes leçons de sa gestion du parc de la Pendjari, en mettant en place une « commission des zones périphériques » pour établir un canal de communication direct avec les résidents. African Parks a recruté du personnel qui interagit directement avec la population locale pour discuter des préoccupations mutuelles et expliquer les réglementations relatives à la protection du site. La commission sert désormais de mécanisme efficace de résolution des conflits. [9]

Ces résultats semblent avoir convaincu les bailleurs d’encourager les autorités du Burkina Faso et du Niger à envisager des partenariats similaires. En janvier 2022, avant le premier des deux coups d’Etat survenus dans le pays cette année-là, les autorités burkinabè ont manifesté leur intérêt pour une collaboration avec African Parks, demandant à l’organisation de réaliser une étude de faisabilité pour leur partie du Parc W. Cependant, rien n’indique qu’un partenariat réel verra le jour. Au Niger, une organisation non gouvernementale appelée Wild Africa Conservation (WAC), un partenaire local d’African Parks, mène une étude similaire dont les résultats pourraient déboucher sur un nouveau modèle de gestion pour la partie nigérienne du Parc W.[10]

Le modèle de partenariat public-privé pour la gestion des zones protégées présente aussi des difficultés. Les organisations vouées à la conservation comme African Parks ou WAC n’ont ni le mandat ni la capacité de combattre les insurgés. Les deux ONG et les forces de défense et de sécurité se sont engagées à partager des renseignements et à travailler ensemble dans le parc.[11] Mais ces interventions concertées ont eu du mal à démarrer, en raison de la réticence de l’armée à travailler avec des défenseurs de l’environnement étrangers et de l’incapacité à résoudre les problèmes de commandement entre les officiers militaires, les gardes forestiers des Etats, et les gardes d’African Parks et de WAC. De nombreux gardes forestiers des trois pays s’opposent à la délégation de gestion du parc à des organisations non gouvernementales. Certains y voient une critique injustifiée de leurs compétences en matière de gestion des parcs, et affirment que leur possible manque de performances est dû au manque de ressources. D’autres critiquent le gouvernement pour avoir privatisé un bien public et craignent que les pays ne perdent leur souveraineté sur le parc.[12]


[1] Voir la note de bas de page 14.

[2] Voir « Pour un financement harmonieux de la conservation de la biosphère du WAP », Le Leader du Jour, 19 août 2022.

[3] USAID et la GIZ financent des projets à cet effet dans les trois pays.

[4] Déléguer la gestion du parc à une entité privée signifie que cette dernière accepte la gestion du parc pendant une période déterminée. Toutes les prérogatives de gestion appartiennent à l’entité privée, en consultation avec un conseil consultatif composé de représentants du gouvernement, du secteur privé, et de résidents de la région.

[5] Le Bénin a délégué la gestion du parc de la Pendjari à l’organisation, mais l’Etat reste responsable du parc et ses représentants participent aux réunions du comité.

[6] Entretiens de Crisis Group, responsables béninois de la protection de l’environnement et employés d’African Parks, Cotonou et Kandi, août 2022 ; Johannesburg, septembre 2022.

[7] Voir de Bruijn, « Law of Attraction: Northern Benin and Risk of Violent Extremist Spillover », op. cit.

[8] African Parks réhabilite et gère une vingtaine de parcs nationaux à travers l’Afrique, à la demande des autorités nationales.

[9] De nombreux éleveurs ont fait l’éloge de la manière dont African Parks traite les problèmes d’utilisation des terres à la périphérie du parc, en particulier dans les zones tampons de l’est. Entretiens de Crisis Group, Kandi, août 2022.

[10] Il est peu probable que le Niger revienne à l’ancien système de gestion publique. Le projet pilote de gestion déléguée s’est déroulé en 2018 avec la réserve de Termit et de Tin-Toumma, qui a été reprise par Noé, une ONG créée pour attirer des bailleurs de fonds. L’Union européenne a explicitement exigé qu’un partenariat public-privé gère au moins une partie de ses financements pour la protection de la biodiversité. Cette demande découle de l’expérience acquise avec les projets de conservation, en particulier le projet ECOPAS et le programme PAPE. Entretiens de Crisis Group, représentants du ministère de l’environnement, Niamey, janvier 2022.

[11] Au Niger, des représentants des ministères de la Défense et de la Protection de l’environnement travaillent sur un protocole d’accord qui devrait ouvrir la voie à une collaboration entre les militaires, les gardes forestiers et les agents de WAC pour sécuriser le parc et améliorer la protection de la biodiversité. Cependant, le protocole n’a pas encore été ratifié, en partie à cause de la réticence de l’armée à coopérer avec les responsables de l’organisation WAC, perçus comme des étrangers. Entretiens de Crisis Group, responsables impliqués dans des initiatives de protection de l’environnement, Niamey, janvier 2022.

[12] Entretiens de Crisis Group, gardes forestiers, Niamey, février 2022 ; Ouagadougou, mars 2022 ; Cotonou, août 2022.

C. Traiter de la question des conflits pour les ressources

Depuis le début des années 2000, les autorités et leurs partenaires ont eu du mal à concilier les efforts de protection avec les besoins des populations locales. Alors que les agriculteurs empiétaient sur la périphérie du parc et que les éleveurs laissaient leur bétail paître à l’intérieur, les gestionnaires du parc et leurs partenaires étrangers ont essayé de restaurer les terres et les pâturages à l’extérieur de la réserve.

Pour mettre un terme à l’expansion des terres agricoles autour du parc, les autorités et leurs partenaires ont mis en avant des mécanismes de restauration des terres tels que la fertilisation des sols dégradés et l’utilisation de semences produisant de meilleurs rendements. De même, les autorités ont travaillé à la délimitation de pâturages, de couloirs de transhumance et d’aires de repos pour le bétail.[1] Elles ont également construit des points d’eau et érigé des sites de vaccination. De nombreuses autres initiatives communautaires ont favorisé la résolution pacifique des conflits et ont sensibilisé non seulement les éleveurs aux objectifs de conservation, mais aussi les gardes forestiers aux besoins des éleveurs. Certaines de ces initiatives ont porté leurs fruits.


[1] Il existe de nombreuses aires de pâturage dans les environs du parc, notamment dans le département de Say au Niger et les zones de Tapoa-Boopo et de Kabonga dans l’est du Burkina Faso. Mais ces zones n’ont pas de limites claires et n’ont pas de points d’eau et de pâturages suffisants. En outre, certains couloirs menant aux pâturages sont obstrués par des terres agricoles.

Pendant la période de soudure, [les éleveurs] ne peuvent guère empêcher leur bétail errant d’aller paître dans les aires protégées.

La réglementation de la transhumance s’est avérée particulièrement compliquée. Les éleveurs se déplacent à la recherche de pâturages et d’eau en fonction des conditions météorologiques. Pendant la période de soudure, ils ne peuvent guère empêcher leur bétail errant d’aller paître dans les aires protégées. Les pays d’Afrique de l’Ouest ont signé de nombreux accords qui fixent les conditions dans lesquelles les éleveurs peuvent franchir les frontières, comme la possession d’un certificat de vaccination du bétail et l’obligation d’informer les autorités de leur itinéraire et de la taille de leur troupeau avant le départ. L’objectif était que les pays puissent ensuite se préparer à leur arrivée. Pourtant, jusqu’à présent, aucun pays n’a été en mesure de faire respecter ces règles, principalement parce que les éleveurs demandent rarement l’autorisation des autorités lorsqu’ils traversent une frontière. Ils ne suivent pas un itinéraire prédéterminé, car ils sont généralement guidés par les informations sur la disponibilité des ressources, notamment le sel (un minéral vital pour le bétail), qu’ils reçoivent en cours de route.

Le Bénin et le Togo ont souvent fermé leurs frontières aux éleveurs du Niger parce qu’ils ne respectaient pas la réglementation, mais aussi en raison des tensions accrues entre éleveurs et agriculteurs. Les autorités béninoises ont justifié la fermeture des frontières en invoquant les réformes pastorales et la nécessité d’évaluer le nombre de bêtes que les pâturages du pays peuvent nourrir.

De manière générale, le Bénin a obtenu de meilleurs résultats que ses pays voisins dans ce domaine. Les autorités ont lancé diverses initiatives pour atténuer le risque de conflit autour de l’utilisation des terres dans les départements du nord. Par le biais de l’Agence béninoise de gestion intégrée des espaces frontaliers, par exemple, le gouvernement finance de nombreux projets visant à améliorer les moyens de subsistance des populations locales. Il tente également de réformer le secteur de l’élevage, notamment en encourageant la sédentarisation des éleveurs et en demandant aux autorités départementales de désigner des aires de pâturage et de gérer les couloirs de passages des transhumants.

V. Recommandations politiques

La protection des réserves naturelles comme le Parc W est un impératif de sécurité, d’environnement et de développement. Il ne sera pas aisé d’en déloger les insurgés qui s’y sont installés. Dans tous les cas, cela nécessitera une stratégie sur plusieurs fronts. Alors que les autorités du Bénin, du Burkina Faso et du Niger se préparent à mieux faire face au problème jihadiste sur le plan militaire, elles devront simultanément envisager des réformes à moyen court et à long terme susceptibles de contribuer à relever les défis économiques et écologiques auxquels sont confrontées les communautés locales.

A. Une stratégie à trois niveaux

Les efforts de lutte contre le terrorisme ont peiné à atteindre leurs objectifs dans les étendues ouvertes du Sahel. Dans les forêts denses comme celles du Parc W, ces efforts seront confrontés à des difficultés accrues.[1] Pour réussir, les trois pays devront probablement combiner une série de stratégies – y compris la pression militaire, l’endiguement et même la négociation. Ils devront, en outre, coopérer sur le plan militaire, améliorer la collecte de renseignements et élaborer une stratégie commune à long terme.

Le Bénin est peut-être le mieux placé pour mener ces efforts. Il peut insister auprès du Burkina Faso et du Niger sur la nécessité de mettre en place des mécanismes militaires trilatéraux, notamment parce que ce pays est celui qui a le moins souffert des insurrections jihadistes jusqu’à présent. Plutôt que de mettre en place une mission conjointe lourde comme la force du G5 Sahel, que le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad ont créé en 2014, les forces armées trouveront probablement plus efficace de travailler au sein des commandements nationaux tout en s’appuyant sur une communication constante entre les commandants sur le terrain au niveau de chacune des frontières pour coordonner les interventions.[2]


[1] Pour en savoir plus sur les efforts de lutte contre le terrorisme au Sahel, voir le rapport de Crisis Group, Burkina Faso : sortir de la spirale des violences, op. cit. ; ainsi que les rapports Afrique de Crisis Group N°289, Court-circuiter l’Etat islamique dans la région de Tillabéri au Niger, 3 juin 2020 ; et N°299, Réordonner les stratégies de stabilisation du Sahel, 1er février 2021.

[2] Un officier haut-gradé nigérien ayant une expérience pertinente affirme que ce mécanisme simple est préférable. Entretien de Crisis Group, Niamey, septembre 2022. Crisis Group a déjà abordé les difficultés liées à la force du G5 Sahel. Voir le rapport Afrique de Crisis Group N°258, Force du G5 Sahel : trouver sa place dans l’embouteillage sécuritaire, 12 décembre 2017. La Force multinationale mixte dans le bassin du lac Tchad a connu un certain succès dans la lutte contre Boko Haram, mais des difficultés de coordination ont également limité son efficacité. Voir le rapport Afrique de Crisis Group N°291, Quel rôle pour la force multinationale mixte dans la lutte contre Boko Haram?, 7 juillet 2020.

[Le Bénin, le Burkina Faso et le Niger] devraient œuvrer ensemble à atténuer les conséquences néfastes d’une action militaire directe.

Outre la planification de la coopération militaire transfrontalière, les trois pays devraient œuvrer ensemble à atténuer les conséquences néfastes d’une action militaire directe. D’une part, le fait d’avoir plus de soldats sur le terrain augmentera le risque d’abus contre les civils. Un comportement abusif alimente le ressentiment à l’égard des autorités centrales et sape la crédibilité de l’armée. Lors de précédentes opérations antiterroristes dans la région, les forces de défense et de sécurité béninoises ont procédé à de nombreuses arrestations au sein de la population locale, ciblant les hommes peul, dont certains ont rapporté qu’ils ont été maltraités et leur bétail abattu.[1]

Il existe également un risque élevé d’atteinte à l’environnement. Le déploiement d’un grand nombre de troupes à l’intérieur du parc pourrait endommager la flore et la faune, ce qui irait à l’encontre des efforts de protection du site.

Pour ces raisons, entre autres, les trois pays devraient se demander s’ils ne pourraient pas atteindre certains de leurs objectifs immédiats – au moins temporairement – en optant pour une approche complémentaire visant à tenter de contenir l’avancée des jihadistes plutôt que de les défaire par la force. Les trois pays pourraient établir des bases autour du parc ou intensifier les patrouilles dans la région afin d’endiguer les mouvements des groupes armés. Les communautés locales pourraient ainsi bénéficier d’un répit et les trois pays auraient le temps d’élaborer une stratégie à long terme. Cette stratégie irait particulièrement dans l’intérêt du Niger, compte tenu de la proximité du parc avec la capitale Niamey. Maintenant que les soldats burkinabè ont quitté la frontière, les troupes nigériennes qui s’y trouvent sont plus exposées aux attaques. Une stratégie d’endiguement impliquerait le déploiement urgent de troupes à des endroits stratégiques de la région. Par exemple, les soldats pourraient se rendre dans la commune d’Ouro Gueladjo, en périphérie de Niamey. Aucune garnison ne s’y trouve actuellement.

Le troisième élément de la stratégie pourrait passer par des pourparlers entre les représentants de l’Etat et les jihadistes qui occupent le Parc W – comme certains sont déjà disposés à le faire – afin d’examiner s’ils ne pourraient pas régler certains problèmes en engageant des négociations discrètes. Les autorités nigériennes et burkinabè se sont parfois entretenues avec des groupes armés locaux. Au Niger, de telles discussions dans la rive droite près du Parc W ont donné des résultats, notamment la libération d’une otage américaine et un cessez-le-feu temporaire. Les autorités béninoises n’ont pas parlé d’engager le dialogue avec les jihadistes, mais selon un haut représentant, elles ne s’y opposent pas catégoriquement.[2]


[1] En juillet 2022, les forces béninoises ont abattu des dizaines de bêtes qui paissaient aux abords du parc. L’incident a suscité un tollé chez les éleveurs, car African Parks avait autorisé le pâturage dans cette zone. Les autorités ont promis de dédommager les propriétaires.

[2] Pour en savoir plus sur le dialogue avec les groupes armés au Sahel, voir les rapports Afrique de Crisis Group N°276, Parler aux jihadistes du centre du Mali : le dialogue est-il possible?, 28 mai 2019 ; et N°306, Mali : créer les conditions du dialogue avec la coalition jihadiste du GSIM, 10 décembre 2021.

B. Déclassifier des zones tampons du parc

Alors qu’elles s’efforcent de faire face à la menace que représentent les jihadistes dans le parc, les autorités des trois pays devraient également envisager des mécanismes qui permettraient d’atténuer la compétition autour des ressources aux alentours du parc. Cette compétition a provoqué des tensions sociales et incité certaines personnes – principalement des éleveurs mais aussi quelques agriculteurs – à franchir le seuil du parc pour accéder aux pâturages, sur l’invitation des jihadistes.

Dans l’attente d’une solution de plus long terme, les autorités pourraient envisager la déclassification totale ou partielle des zones tampons autour du parc et d’ouvrir ces zones à une plus grande activité humaine. Elles pourraient même autoriser les éleveurs à laisser leur bétail paître dans certaines zones à l’intérieur du parc à des moments de la journée convenus pendant la période de soudure, entre janvier et mai, lorsque les pâturages et l’eau sont rares ailleurs.

Les autorités ont déjà déclassé des zones protégées dans la région.

Les autorités ont déjà déclassé des zones protégées dans la région. En 2004, le Bénin a déclassifié une bande de terre de 5 km de large en bordure du Parc W, qui a ensuite été mise à la disposition des agriculteurs, des éleveurs et des praticiens de médecine traditionnelle. De même, dans l’est du Niger, les services forestiers ont partiellement ouvert la réserve totale de faune de Gadabédji aux éleveurs pendant la période de soudure, ce qui a rapidement amélioré leurs relations avec les gardes forestiers et a finalement motivé les résidents à contribuer aux efforts de surveillance de la réserve.[1] African Parks teste actuellement cette approche dans le nord du Bénin. En 2022, l’organisation a désigné des zones en bordure du parc « zones de répression modérée », permettant aux éleveurs de faire entrer le bétail pendant la journée. Les éleveurs affirment que ce programme a atténué leurs difficultés.[2]

Cependant, cette solution présente aussi certains inconvénients. Les défenseurs de l’environnement peuvent considérer que le coût à payer pour de telles mesures est trop élevé – un calcul qui peut dépendre de la question de savoir si la mise à disposition de pâturage et de terres plus fertiles peut encourager les populations riveraines à mieux s’investir dans les efforts de protection globaux. Les autorités devraient également examiner les expériences de déclassement précédentes au Niger et au Bénin, dont certaines ont créé des tensions communautaires sur le long terme, afin d’en tirer des leçons. Enfin, le déclassement n’est qu’une solution temporaire aux tensions liées à l’utilisation des terres. Cette mesure ne remplace pas les solutions à long terme à la crise de sécurité qui sévit dans le parc ou aux défis de la gestion des ressources dans ses environs.


[1] Voir Mahamane Iro, « Rôle de la réserve totale de faune de Gadabédji dans le développement local au Niger », mémoire de maîtrise, Université d’Abomey Calavi, Bénin, juillet 2014.

[2] Entretiens de Crisis Group, porte-parole des éleveurs, Kandi, août 2022.

L’analyste de Crisis Group pour le Sahel, Ibrahim Yahaya Ibrahim, en entretien avec un résident d’un village voisin du Parc W. CRISIS GROUP / Ibrahim Yahaya Ibrahim

C. Transformer la production agricole : un projet à long terme

La présence de groupes armés dans le Parc W n’est pas la seule menace pour la sécurité et la stabilité de la région. Les dynamiques actuelles en matière de croissance démographique, de migration et d’utilisation des terres contribuent également à accroître les tensions. Si la dernière décennie a été la plus meurtrière jamais enregistrée dans la région, la prochaine risque d’être encore plus sanglante.[1] Les trois gouvernements et leurs partenaires étrangers devraient donc réfléchir à ce qu’il faudrait faire pour que l’économie agricole de la région repose sur des bases plus solides. Certains acteurs régionaux ont commencé à explorer l’idée d’encourager les nomades à se sédentariser, tout en aidant les éleveurs et les agriculteurs semi-nomades à adopter de nouvelles pratiques permettant d’augmenter le rendement des cultures.

Un tel projet est particulièrement ambitieux. Les autorités sahéliennes tentent de sédentariser les nomades depuis des décennies, sans grand succès. Le pastoralisme nomade est un mode de vie profondément enraciné qui fait vivre des millions de personnes dans la région et que certains pratiquent depuis des siècles. La sédentarisation des éleveurs nécessiterait d’énormes investissements sur une longue période. Elle serait en outre impossible à réaliser en l’absence d’un engagement politique soutenu de la part des responsables, ce qui pourrait être difficile, notamment au Niger et au Burkina Faso, d’où sont originaires la plupart des éleveurs nomades. Les puissantes associations d’éleveurs de ces pays s’opposeraient vigoureusement à toute mesure de ce type. Pour ces raisons et d’autres encore, l’idée de sédentariser les éleveurs nomades n’a pas fait l’objet de grand débat au Sahel, jusqu’à récemment.


[1] Ces trois pays ont connu une augmentation importante de la violence au cours de la dernière décennie, en raison de l’activité jihadiste, des conflits liés aux ressources, du banditisme ou d’une combinaison de ces phénomènes. Voir les données d’Acled.

De nombreux éleveurs prennent conscience que le pastoralisme nomade pourrait tôt ou tard avoir une fin.

Mais l’idée fait son chemin au sein des Etats et de la société. En 2020, le Bénin a lancé un programme ambitieux visant à sédentariser les éleveurs nomades et à modifier les pratiques de pastoralisme, en limitant, entre autres, les déplacements de bétail entre les régions.[1] Parallèlement, de nombreux éleveurs prennent conscience que le pastoralisme nomade pourrait tôt ou tard avoir une fin.[2] Au Burkina Faso, les dirigeants de l’influente organisation pastorale, l’Union nationale des Rugga du Burkina, soutiennent la sédentarisation en expliquant que la transhumance transfrontalière traditionnelle n’est pas viable à long terme.[3]

Tout en évaluant les perspectives de sédentarisation, les autorités et leurs partenaires devront se pencher sur la question tout aussi délicate de la réforme des méthodes agricoles afin que les agriculteurs puissent produire davantage et de façon plus efficace. Ils devront investir dans de nouvelles technologies capables d’accroître la productivité dans un espace limité. Par exemple, il est possible d’obtenir davantage de lait et de viande de bétail sans pour autant agrandir les troupeaux ou les exploitations.

L’agriculture est le pilier de l’économie au Niger, au Burkina Faso et au Bénin, et chaque pays est bien conscient du besoin urgent de transformer la production agricole, y compris la gestion du bétail, en partie pour réduire l’insécurité alimentaire. Le Bénin et le Niger, en particulier, ont élaboré des stratégies de grande envergure pour améliorer les rendements agricoles. De leur côté, les bailleurs de fonds et les institutions telles que la Banque africaine de développement sont de plus en plus intéressés à financer de telles initiatives, à mesure qu’ils réorientent leurs objectifs en Afrique en mettant davantage l’accent sur l’agriculture durable que sur les infrastructures. Ce changement est motivé, entre autres, par les problèmes de la chaîne d’approvisionnement mondiale et les changements climatiques qui aggravent les pénuries alimentaires sur le continent.

Les autorités des trois pays devraient continuer à tester des idées de politiques visant à mieux réglementer le pastoralisme transhumant et à encourager les nomades à se sédentariser, idéalement avec la contribution des associations professionnelles d’éleveurs et d’agriculteurs ainsi que des organisations locales de la société civile. Les bailleurs de fonds devraient être prêts à accroître leur aide à la réalisation de cette ambitieuse transformation, même si de nombreux projets de nature similaire existent déjà dans tous ces pays.


[1] Par exemple, le bétail n’est pas autorisé à circuler entre les départements de l’Atacora et de l’Alibori. Entretien de Crisis Group, président du Haut-commissariat à la sédentarisation, Cotonou, août 2022.

[2] Les dirigeants de Rugga ainsi que les éleveurs eux-mêmes s’accordent à dire que la transhumance ne peut continuer sous sa forme actuelle. Un nomade nigérien affirme qu’il va probablement continuer pendant des années encore, mais il ne s’attend pas à ce que ses enfants poursuivent son mode de vie. Entretien de Crisis Group, Say, février 2022.

[3] L’organisation note que les éleveurs sont confrontés à de plus en plus de difficultés avec les autorités et les agriculteurs, du fait de l’expansion des terres agricoles sur les pâturages et les couloirs de transhumance, et des menaces d’expulsion de plus en plus régulières formulées à l’encontre des éleveurs semi-nomades. Les affrontements avec les agriculteurs, les autres éleveurs et les forces de sécurité ont augmenté ces dernières années. La propagation de la violence jihadiste dans le Sahel a exacerbé ces problèmes, piégeant les éleveurs entre les insurgés, d’une part, et l’Etat, d’autre part. L’association estime que ces conflits vont s’aggraver si les éleveurs n’abandonnent pas leur mode de vie. Entretiens de Crisis Group, dirigeants syndicaux, Ouagadougou, mars 2022.

VI. Conclusion

Les problèmes du Parc W sont multiples et nécessiteront une solution à multiples facettes. Les trois gouvernements qui partagent la responsabilité du parc devront coordonner leurs efforts pour rétablir la sécurité – idéalement par une approche flexible qui conjugue action militaire et ouverture discrète au dialogue. Mais ils devront également travailler avec les bailleurs de fonds pour élaborer des solutions à court, moyen et long terme aux problèmes d’accès aux ressources qui ont suscité la rancœur des communautés entourant le parc. Ces efforts combinés constituent le meilleur espoir pour rétablir la sécurité et assurer une viabilité économique et un développement durable de cette région en proie à de nombreux troubles.

Ouagadougou/Cotonou/Niamey/Bruxelles, 26 janvier 2023

Annexe A : Carte des conflits violents et zones protégées au Sahel

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