Report / Africa 4 minutes

Côte d’Ivoire : faire baisser la pression

La coalition du président Alassane Ouattara semble reproduire les erreurs du passé, au risque d’entretenir un dangereux climat de polarisation et de provoquer, à terme, une nouvelle crise en Côte d’Ivoire.

  • Share
  • Enregistrer
  • Imprimer
  • Download PDF Full Report

Synthèse

En Côte d’Ivoire, la sortie de crise est menacée par une situation sécuritaire volatile et des blocages politiques. Le dernier trimestre a été marqué par une série d’attaques meurtrières qui ont visé un commissariat de police, l’un des principaux camps militaires du pays, plusieurs positions de l’armée et une centrale électrique. Ces incidents ont été précédés par d’autres violences à l’Ouest. Même si ces évènements ne constituent pas une menace immédiate pour la stabilité, ils indiquent que, pour certains, la guerre n’est pas terminée. Lenteur de la réforme du secteur de la sécurité, gel du dialogue politique, fragilité de la coalition au pouvoir, retour de la violence verbale, révélation de projets de coup d’Etat, doutes sur la réalité d’une volonté de réconciliation nationale, sont autant de signes préoccupants. Le président Alassane Ouattara et son nouveau gouvernement formé le 22 novembre ne doivent pas compter exclusivement sur la relance économique et le verrouillage sécuritaire pour consolider la paix. La communauté internationale ne doit pas détourner son regard d’un pays dont la stabilisation est d’autant plus cruciale pour l’Afrique de l’Ouest que le Mali voisin a basculé dans une crise profonde et durable.

Dix-huit mois après la fin d’un conflit postélectoral qui s’est soldé par la mort de plus de 3 000 personnes et qui ne constituait que l’épilogue d’une crise politico-militaire de plus d’une décennie, nul ne devait s’attendre à une situation totalement normalisée. La Côte d’Ivoire est confrontée aux problèmes classiques que connaissent les Etats qui sortent d’une guerre civile. L’appareil de sécurité peine à se remettre en ordre. En dépit de quelques progrès, les forces ivoiriennes restent déséquilibrées et divisées entre membres des anciennes Forces de défense et de sécurité (FDS), sous la présidence de Laurent Gbagbo, et éléments provenant des Forces armées des forces nouvelles (FAFN), l’ancienne rébellion. Ni leur comportement, ni les modalités de leur intégration au sein de la nouvelle armée, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), ne favorisent la réconciliation. Les anciennes FAFN y occupent toujours une place dominante tandis que la police et la gendarmerie restent les parents pauvres.

Déployés sur l’ensemble du territoire, plus de 18 000 chasseurs traditionnels, les Dozos, participent à la sécurisation du pays, jouant un rôle pour lequel ils n’ont ni légitimité, ni compétence. Cette configuration de l’appareil militaire et milicien au service du pouvoir est mal acceptée, notamment par les partisans de l’ancien président Gbagbo, détenu à la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, aux Pays-Bas et qui pourrait être rejoint prochainement par son épouse Simone Gbagbo après l’annonce le 22 novembre de l’émission d’un mandat d’arrêt contre elle. La configuration actuelle du secteur de la sécurité exacerbe les tensions, en particulier dans l’Ouest, où les problèmes fonciers intercommunautaires s’accumulent. La lenteur de la réinsertion dans la vie civile des dizaines de milliers de jeunes hommes qui ont participé au conflit augmente leur frustration et les encourage à conserver les armes comme garanties de survie économique.

Volet crucial de la réconciliation, le dialogue entre le pouvoir et l’opposition est gelé et ne va pas au-delà des déclarations d’intention. Le Front populaire ivoirien (FPI), parti de l’ancien président Gbagbo, a choisi l’isolement en se retirant du processus électoral et en posant des conditions irréalistes à son retour effectif dans le jeu politique. Son aile modérée n’arrive pas à se démarquer d’une branche dure en exil qui nourrit l’espoir d’une reconquête militaire du pouvoir. La révélation, en juin, septembre et octobre 2012, de projets de déstabilisation qui seraient orchestrés depuis le Ghana par des anciens ministres de Gbagbo, des membres de sa famille et des officiers supérieurs qui lui étaient proches, a paralysé le dialogue politique et les perspectives de réconciliation. Il a convaincu les durs de l’autre bord, membres du Rassemblement des républicains (RDR), le parti présidentiel, et des Forces nouvelles, l’ancienne rébellion, de la nécessité de consolider la victoire militaire obtenue sur leurs adversaires politiques et de maintenir une position répressive à l’égard de l’ensemble des représentants de l’ancien régime, modérés ou non.

Les remous politiques s’accompagnent d’un retour des propos haineux et dangereux relayés par une presse partisane aux ordres d’un camp ou de l’autre. Dans ce climat de polarisation, le gouvernement prend des décisions qui l’éloignent peu à peu de ses promesses électorales de gouvernance moderne et de rupture avec le passé qui ont permis à Ouattara de remporter l’élection présidentielle en novembre 2010. Le système judiciaire fonctionne toujours à sens unique. Pas un seul élément des FRCI n’a été inculpé, ni pour les crimes commis durant la crise postélectorale, ni pour ceux perpétrés depuis lors. Des arrestations arbitraires ont lieu dans les milieux pro-Gbagbo, notamment effectuées par la toute puissante Direction de la surveillance du territoire (DST) et la police militaire.

Dans l’administration et les entreprises publiques, des nominations régionalistes ou politiques sont effectuées au nom d’une politique de « rattrapage » peu en phase avec la modernité promise. De son côté, la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) peine à commencer un nécessaire travail de fond. La mise en place de ses comités locaux est laborieuse. Plus inquiétant, elle ne semble pas franchement soutenue par le pouvoir politique qui l’a mise en place l’an dernier avec force médiatisation. Le gouvernement tarde à mettre à sa disposition les ressources financières nécessaires à son fonctionnement tandis qu’est toujours critiquée la gestion très personnalisée de son président, Charles Konan Banny.

C’est dans ce contexte que la coalition au pouvoir a montré des signes de fragilisation jusqu’à la dissolution le 14 novembre dernier du gouvernement, un révélateur des dissensions croissantes entre le RDR et son principal allié, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Mais la nomination le 21 novembre d’un nouveau Premier ministre, Daniel Kablan Duncan, issu comme son prédécesseur Jeannot Ahoussou-Kouadio du PDCI, devrait désamorcer la crise en ressoudant davantage une équipe gouvernementale, qui n’a en réalité que peu changé, derrière le président. Le nouveau Premier ministre qui avait déjà occupé ce poste entre 1994 et 1999 et était ministre sortant des Affaires étrangères, est à la fois un cadre respecté du PDCI et un ami de longue date du président Ouattara, économiste comme lui. L’accent résolument mis sur la recherche d’une croissance économique forte capable de réduire le chômage et la pauvreté est salutaire mais il ne saurait être un substitut à des actes politiques visant exclusivement la réconciliation nationale.

La classe politique ne semble pas avoir tiré toutes les leçons de la crise postélectorale et reproduit les comportements qui ont conduit le pays au bord du gouffre. Il est urgent pour le président Ouattara, la nouvelle équipe gouvernementale et l’ensemble de la classe politique dirigeante de ne pas céder à la tentation naturelle de l’arrogance du pouvoir, qui en Côte d’Ivoire, a déjà fait de nombreuses victimes. Il est temps pour les organisations africaines et la communauté internationale dans son ensemble de dénoncer publiquement et fermement les dysfonctionnements du régime ivoirien actuel.

Dakar/Bruxelles, 26 novembre 2012

Executive Summary

The volatile security situation and political tensions are threatening Côte d’Ivoire’s recovery. The last few months have seen a series of deadly attacks against a police station, one of the main military bases of the country, several army positions and a power station. Violence also broke out in the west. Although these incidents do not pose a direct threat to stability, they show that, for some segments of the population, the war is not yet over. Some signs are particularly worrying: slow security sector reform, stalled political dialogue, a weak ruling coalition, a return to violent discourses, uncovered coup plots, and an apparent lack of political will to promote national reconciliation. President Alassane Ouattara and his new government should not rely solely on economic recovery and the tightening of security measures to consolidate peace. International attention should remain focused on Côte d’Ivoire’s stabilisation, which is all the more crucial as its neighbour, Mali, has descended into a deep and lasting crisis.

Eighteen months after the end of a post-election conflict which caused over 3,000 deaths and was merely the epilogue of a decade-long political and military crisis, no one could have expected a complete return to normalcy. Côte d’Ivoire has to cope with challenges commonly faced by post-war countries. The security apparatus is struggling to get back in order. Despite some progress, the Ivorian forces remain unstable and divided between former members of the Gbagbo-era Forces de défense et de sécurité (FDS) and former rebels of the Forces armées des forces nouvelles (FAFN). Their attitude, as well as the modalities of their integration within the Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), are an impediment to reconciliation. The former FAFN are still the dominant forces, while the police and gendarmerie remain sidelined.

Over 18,000 traditional hunters deployed across the territory, the so-called Dozos, helped secure the country, thus playing a role for which they have neither legitimacy nor skills. This military and militia apparatus working for the government is not well accepted, especially by supporters of former President Laurent Gbagbo, who is being detained at the International Criminal Court (ICC) in The Hague, in the Netherlands. He could soon be joined by his spouse, Simone Gbagbo, against whom the ICC unsealed an arrest warrant on 22 November. The configuration of the security sector aggravates tensions, particularly in the west, where intercommunal land issues are adding up. Slow reintegration into civilian life of tens of thousands of youths who participated in the conflict increases their frustration and encourages them to keep their weapons as a guarantee of their economic survival.

Dialogue between the government and the opposition – which is a vital component of reconciliation – is stalled and does not go beyond statements of intent. The Front populaire ivoirien (FPI), former President Gbagbo’s party, has chosen isolation by withdrawing from the electoral process and imposing unrealistic conditions to its effective return in the political game. The FPI’s moderate wing has not been able to distance itself from the exiled hardliners who nourish hope of regaining military power. Political dialogue and reconciliation prospects are paralysed since the revelation in June, September and October 2012 of coup plots orchestrated from Ghana by former ministers of Gbagbo, his family members and close associates. These plots have convinced hardliners on the other side – including members of the Rassemblement des républicains (RDR), the presidential party, and the Forces nouvelles, the former rebellion – of the need to consolidate their military victory and maintain a repressive stance toward all representatives of the old regime, may they be moderate or not.

Political turmoil is accompanied by a return of hateful and dangerous discourses relayed by a partisan press, loyal to one side or the other. In this climate of polarisation, the government is making decisions that gradually move it away from its campaign promises of better governance and a break with the past, which allowed Ouattara to win the presidential election in November 2010. The judicial system remains biased: not a single FRCI member has been charged, either for crimes committed during the post-election crisis or for those committed since. Arbitrary arrests have been taking place in the pro-Gbagbo media and have been widely carried out by the powerful Direction de la surveillance du territoire (DST) and military police.

In the administration and public companies, some appointments were made on regional or political criteria, in the name of an “adjustment policy” – a form of reverse discrimination – that contradicts promises of improving governance. The Dialogue, Truth and Reconciliation Commission (CDVR) is still struggling to start its work. The establishment of its local committees is difficult. More worrying still, the commission does not seem to be supported by the political power that established it last year with wide media coverage. The government still has not provided it with the necessary financial resources, and the personalised management style of its president, Charles Konan Banny, remains under sharp criticism.

In this context, the ruling coalition has been showing signs of fragility, culminating in the dissolution of the government on 14 November, a decision which exposed the cleavages between the RDR and its main ally, the Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). The appointment on 21 November of a senior PDCI member, Daniel Kablan Duncan, as prime minister replacing Jeannot Ahoussou-Kouadio, who is also from that party, should abort the crisis within the coalition and ensure stronger unity. Kablan Duncan, who held the same position from 1994 to 1999 and was the incumbent foreign minister, is a respected member of his party, a personal friend of President Ouattara and, like him, an economist. The clear priority given to the promotion of strong economic growth to reduce unemployment and poverty is welcome, but it cannot be a substitute for political gestures toward national reconciliation.

The political class does not seem to have learned all the lessons from the post-electoral crisis, and is repeating the very attitudes that have led the country to the brink. It is urgent for President Ouattara, the new government and the entire ruling political class to resist the temptation of abusing power, which has already cost many lives in Côte d’Ivoire. It is time for the African organisations and the international community to publicly and firmly denounce the current Ivorian regime’s dysfunctions.

Brussels/Dakar, 26 November 2012

Subscribe to Crisis Group’s Email Updates

Receive the best source of conflict analysis right in your inbox.