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Côte d'Ivoire: Les demi-mesures ne suffiront pas

Les Ivoiriens n’iront pas élire leur futur Président le 30 octobre 2005, comme ils auraient dû le faire. Le Gouvernement de réconciliation nationale (GRN) n’a réconcilié personne. Il a encore moins préparé le terrain pour une élection présidentielle crédible au terme du mandat constitutionnel du Président Laurent Gbagbo.

Résumé

Les Ivoiriens n'iront pas élire leur futur Président le 30 octobre 2005, comme ils auraient dû le faire. Le Gouvernement de réconciliation nationale (GRN) n'a réconcilié personne. Il a encore moins préparé le terrain pour une élection présidentielle crédible au terme du mandat constitutionnel du Président Laurent Gbagbo. Ce dernier avait signifié son intention de rester en place jusqu'à l'élection de son successeur. Les partis d'opposition et l'ex-rébellion des Forces Nouvelles (FN), toujours en armes, exigeaient son départ. La confrontation semblait programmée pour dégénérer en affrontements de rue sanglants. L'adoption par le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine (UA) d'un plan de transition pour l'après 30 octobre, même combinée à l'effet revigorant de la qualification de l'équipe nationale ivoirienne pour la Coupe du monde de football, ne suffiront pas à sortir de l'impasse. Si le Conseil de sécurité des Nations Unies (ONU) ne renforce pas, le 13 octobre, les mesures prises par l'UA et n'impose pas un plan de sauvetage ambitieux sur douze mois, le désastre pointera toujours à l'horizon.

Lorsque la guerre a éclaté au Liberia en décembre 1989, personne n'imaginait qu'une fenêtre d'opportunité vers une paix durable ne s'ouvrirait que seize ans plus tard, avec les élections historiques de ce mois. Le risque de voir la Côte d'Ivoire emprunter la voie libérienne d'autodestruction n'a pas suffi à ramener les protagonistes du conflit ivoirien à la raison. Les partisans du Président Gbagbo et ses ennemis jurés semblent prêts à mettre Abidjan à feu et à sang pour le pouvoir. Les messages de haine ont été si bien distillés par les hommes politiques que, pour nombre d'Ivoiriens, "l'autre", défini par son groupe ethnique, son origine nordiste ou sudiste et ses préférences politiques, est une menace mortelle. Dans les régions de l'ouest, les tensions intercommunautaires se sont déjà maintes fois dénouées à la machette. Quant aux forces de sécurité, les divisions en leur sein, restées jusqu'à maintenant sans conséquences, pourraient connaître un épilogue violent.

Même renforcées, les forces internationales -- qui comprennent les casques bleus de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) et le dispositif français Licorne -- auront les plus grandes difficultés à protéger les populations civiles en cas de déflagration. Le temps d'imposer un plan global de sauvetage de la Côte d'Ivoire est venu.

Sur la base des recommandations de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et de ses propres délibérations, le Conseil de paix et de sécurité de l'UA a décidé de maintenir le Président Gbagbo comme chef de l'État pendant un an au maximum, à compter du 31 octobre, de lui demander de nommer un nouveau Premier ministre de consensus acceptable par toutes les parties signataires de l'Accord de Linas-Marcoussis de 2003 et de créer un Groupe international de travail (GIT) qui devra être plus réactif à l'évolution du processus de paix que les mécanismes de suivi existants. Il incombe maintenant au Conseil de sécurité de l'ONU de prendre les actions suivantes pour donner à la paix une dernière chance:

  • Annoncer que les institutions actuelles - la présidence, le Gouvernement de réconciliation nationale, le Premier ministre, l'Assemblée nationale, et Conseil constitutionnel, seront dissoutes le 31 octobre 2006 et que, si le scrutin présidentiel n'a pas eu lieu à cette date, le Conseil de sécurité des Nations Unies, en concertation avec le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine, mettra en place une nouvelle équipe de transition. Cette dernière sera composée exclusivement de membres de la société civile ayant participé au Forum de dialogue national et qui n'auraient fait partie d'aucun des gouvernements précédents.
     
  • Étendre le mandat du Haut représentant des Nations Unies pour les élections et mettre à sa disposition les ressources humaines et financières nécessaires pour organiser des élections crédibles et présider également à l'application des nouvelles lois récemment promulguées sur la nationalité, les naturalisations et l'identification des populations par une équipe mixte de fonctionnaires ivoiriens et internationaux.
     
  • Appliquer les sanctions individuelles prévues par la résolution 1572 (2004) pour contraindre les signataires de l'Accord de Pretoria du 6 avril et de la Déclaration du 29 juin 2005 à respecter leurs engagements, notamment le désarmement des FN et le démantèlement des milices loyalistes.
     
  • Publier le rapport de la commission d'enquête internationale sur les violations des droits de l'homme depuis 2002, et encourager le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) à suivre attentivement la situation pour décider de l'ouverture éventuelle d'une enquête formelle, et à effectuer à cette fin une mission en Côte d'Ivoire avant la fin de l'année 2005.
     
  • Organiser, avant le 1er février 2006, le Forum de dialogue national préconisé par le Conseil de paix et de sécurité de l'UA sous forme d'une plateforme de libre expression pour la société civile ivoirienne plutôt qu'une nouvelle réunion de la classe politique qui a montré ces failles, et encourager les pays donateurs à fournir un soutien politique, financier et logistique à cette initiative.

Ce plan peut paraître trop ambitieux et difficile à mettre en œuvre, mais les demi-mesures ont échoué. C'est, en partie, le manque d'audace de la communauté internationale qui a coûté des millions de vies humaines au Rwanda, en République Démocratique du Congo et au Soudan durant la dernière décennie. Les dirigeants des États de la CEDEAO savent que leurs propres ressortissants risquent d'être ciblés par de nouvelles violences en Côte d'Ivoire qui entraîneraient un mouvement massif de réfugiés et d'immigrés sur le retour. Si le Conseil de sécurité de l'ONU ne profite pas de la période transitoire de douze mois pour imposer une thérapie de choc, les machettes et les AK-47 reprendront assez vite du service.

 

I. Overview

The Ivorian people will not elect a new president, as they should have done, on 30 October 2005. The government of national reconciliation has neither reconciled anyone nor prepared credible elections for the end of President Laurent Gbagbo's constitutional mandate. Gbagbo had stated his intention to stay in office until election of a successor. Opposition parties and the Forces Nouvelles (FN) ex-rebels, still armed, demanded his departure, and the confrontation seemed headed toward bloody street battles. The African Union (AU) Peace and Security Council's 6 October adoption of a post-30 October transition plan (even when combined with the national team's morale-building qualification for football's World Cup) is not enough to break the impasse. Unless the UN Security Council on 13 October strengthens the AU measures and mandates an ambitious twelve-month rescue plan, disaster remains on the horizon.

When war broke out in Liberia in December 1989, no one guessed the window of opportunity for durable peace would take sixteen years -- until this month's historic elections -- to open. The risk that Côte d'Ivoire could follow the same self-destructive path has not been enough to bring the principal actors in the conflict to their senses.  President Gbagbo's supporters and sworn enemies appear ready to destroy Abidjan in their quest for power. The political class has distilled the rhetoric of hate to the point where many believe the "other", defined by ethnic group, regional origin or political affiliation, is a mortal enemy. Inter-communal tensions have already played out with machetes in the West. Internal divisions in the security forces, muted until now, could soon turn violent.

Even a reinforced, combined peacekeeping force from the UN (UNOCI) and the French "Licorne" contingent would be hard pressed to protect civilians if the explosion comes. It is time to impose a collective rescue strategy in Côte d'Ivoire.

On the basis of the recommendations of the Economic Community of West African States (ECOWAS) and its own deliberations, the AU has left Gbagbo as head of state for a maximum of one year from 31 October, and required him to name a new prime minister acceptable to all parties that signed the 2003 Linas-Marcoussis Accords and to create an International Working Group (IWG) more responsive to the peace process than prior follow-up mechanisms. The UN Security Council now needs to adopt the following reinforcing measures to give peace a last chance:

  • Announce that the existing institutions -- the presidency, government of national reconciliation, prime minister, National Assembly and Constitutional Council -- will be dissolved by 31 October 2006 and that if there has been no presidential election, the Security Council in consultation with the AU will appoint a new government composed exclusively of members of civil society who will have participated in a National Forum and not been part of the preceding government.
     
  • Extend the mandate of the UN High Representative for Elections, furnish all human and material resources necessary to organise credible elections, and charge him with overseeing the application of all laws recently promulgated regarding nationality, naturalisation and the identification of the population by a mixed team of Ivorian civil servants and international experts.
     
  • Apply individual sanctions authorised by Resolution 1572 (2004) to ensure that all signatories respect the 6 April 2005 Pretoria Accord and the 29 June declaration, including FN disarmament and dismantling of loyalist militias.
     
  • Publish the report of the International Commission of Inquiry on human rights violations since 2002 and encourage the prosecutor of the International Criminal Court to monitor the situation closely for purposes of deciding whether to open a formal investigation and, as part of that exercise, conduct a mission to Côte d'Ivoire before the end of 2005.
     
  • Organise by 1 February 2006 the National Forum conceived by the AU Peace and Security Council as a platform for the free expression of Ivorian civil society, rather than another meeting of the old, failed political class, and encourage donors to provide political, financial and logistical support.

This plan may appear overly ambitious and difficult to apply, but halfway measures have not worked. It was partly the lack of international audacity that cost millions of lives in Rwanda, the Congo and Sudan in the past decade. ECOWAS states realise that their own citizens would be targeted in new Côte d'Ivoire violence, which could start a mass movement of refugees and returnees. If the UN Security Council does not use the twelve-month transition to impose shock therapy, the machetes and AK-47s will soon be put to use again.

Dakar/Brussels, 12 October 2005

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