Report / Africa 2 minutes

Côte d’Ivoire : le Grand Ouest, clé de la réconciliation

Il est impératif d’apaiser les tensions dans le Grand Ouest, une région troublée par des rivalités ethniques, politiques et économiques, afin de garantir la stabilité à long terme et faciliter la réconciliation nationale.

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Synthèse

Parce qu’il cumule les problèmes fonciers, sécuritaires et identitaires de la Côte d’Ivoire contemporaine, le « Grand Ouest » reste la zone la plus instable du pays. La réconciliation n’y a toujours pas été enclenchée et les tensions communautaires y demeurent très fortes. Deux régions administratives de ce vaste espace géographique frontalier du Libéria posent plus particulièrement problème : la Cavally et le Guémon. Ce sont les deux régions, en dehors d’Abidjan, où la crise postélectorale a fait le plus grand nombre de victimes et où les violences les plus graves qui ont suivi cette crise ont été enregistrées. Leurs problèmes n’ont pas fait l’objet d’un traitement politique et économique de la part du gouvernement actuel mais d’un verrouillage sécuritaire qui n’a pas réduit l’instabilité chronique. Celle-ci demeure un facteur potentiel de relance de la crise. Le gouvernement ivoirien, qui depuis le mois de décembre dernier a pris des mesures d’apaisement afin de faire baisser la tension politique, doit prolonger son action en incluant dès maintenant ces deux régions, favorables à l’ancien président Laurent Gbagbo, dans ses efforts actuels pour la réconciliation nationale.

Depuis l’indépendance, ces deux régions excentrées ont été oubliées par le pouvoir central dans le partage de la richesse nationale. Elles produisent pourtant une part non négligeable du cacao dont la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial et de grandes quantités d’autres matières premières végétales. Elles sont restées sous-développées, échappant aux effets bénéfiques du « miracle ivoirien ». La richesse de la Cavally et du Guémon, qui repose sur une terre exceptionnellement fertile, est en même temps son principal problème. Mal régulée et objet d’une compétition vive, l’accès à la propriété foncière est une cause récurrente de conflits. Cette richesse attire en outre une très forte immigration qui entraine chez les autochtones, devenus souvent minoritaires, un fort sentiment de dépossession. Pendant longtemps, ces conflits ont pu être réglés à l’amiable dans le cadre de systèmes d’arrangements locaux et coutumiers.

Mais ces systèmes n’ont pas résisté à la crise économique, à la pression démogra-phique et à l’expansion d’un discours politique xénophobe dans les années 1990. Exploité par les trois grands partis politiques qui se sont disputé la succession du président Félix Houphouët-Boigny, les conflits fonciers ont opposé, de plus en plus violemment, les propriétaires terriens autochtones aux immigrés de l’intérieur et de l’ex­térieur qui leur louaient la terre.

Ces conflits entre populations autochtones et immigrées, que le régime du président Henri Konan Bédié a tenté de faire taire en promulguant en 1998 un code foncier qui n’a jamais été appliqué, ont été considérablement accentués par la guerre de septembre 2002 et ses suites. Durant cette période, les violences qu’a connues le Grand Ouest ont été plus fortes que partout ailleurs en Côte d’Ivoire, avec des crimes de masse faisant des dizaines voire des centaines de victimes. Cette particularité a plusieurs causes.

La Cavally et le Guémon sont stratégiques, non seulement en tant que zones productrices de cacao mais aussi parce qu’elles se trouvent au centre du réseau d’ache­minement de cette matière première vers le littoral depuis lequel elle est exportée. Qui est maitre de ces deux régions est aussi maitre de la principale source de devises du pays. La proximité du Libéria voisin a constitué un facteur aggravant. Des mercenaires en provenance de ce pays ont exporté les comportements brutaux hérités des guerres du fleuve Mano et continuent de faire des incursions meurtrières et régulières en territoire ivoirien, profitant des faiblesses des forces armées libériennes et ivoiriennes.

Durant la crise postélectorale de 2011, les régions de la Cavally et du Guémon ont été marquées par de nouveaux massacres. A l’exception d’Abidjan, ja ville de Duékoué a connu pendant cette période le plus grand carnage de toute la longue crise ivoirienne, avec plusieurs centaines de victimes tuées en quelques jours. Puis en juillet 2012, plus d’un an après la fin de cette crise, d’autres crimes violents se sont déroulés dans le camp de déplacés de Nahibly, situé en périphérie de Duékoué. En 2013, plusieurs incursions de miliciens libériens et ivoiriens depuis la frontière du Libéria ont fait de nouvelles victimes et entrainé le déplacement de milliers de personnes. Ces évènements récents sont la preuve de la volatilité de ces deux régions, que la violence y couve toujours et qu’en cas de retour de tensions politiques fortes, elles seront sans doute les premières à s’embraser.

A ce jour, les graves crimes qui ont touché des membres de groupes ethniques considérés comme favorable au président Gbagbo n’ont pas été jugés, apportant des arguments à ceux qui dénoncent l’existence d’une justice des vainqueurs. Pour stabiliser les régions de la Cavally et du Guémon, le pouvoir en place à Abidjan doit en priorité faire la lumière sur ces crimes de masse tout en adoptant d’autres mesures importantes.

Executive Summary

Western Côte d’Ivoire’s land, security and identity problems make this vast border territory the country’s most unstable area. Reconciliation has yet to begin there and communal tensions remain acute. Two administrative regions are especially problematic: Cavally and Guémon. Outside Abidjan, these are the two regions where the post-electoral crisis claimed the most victims and which saw the gravest violence. The Ivorian government’s preference for a security clampdown there, rather than measures to address political and economic problems has done little to address instability, which could provide the spark that reignites the crisis. Since December, the government has taken some steps nationally to lower political tension and promote national reconciliation: these should be immediately extended to these two regions, which remain strongholds of former President Laurent Gbagbo.

Since independence, the central government has ignored Cavally and Guémon when distributing the nation’s wealth. These two outlying regions produce a significant proportion of the cocoa that makes Côte d’Ivoire the world’s biggest producer, as well as large quantities of other plant-derived raw materials. Yet they missed the “Ivorian miracle” and have remained undeveloped. Their exceptionally fertile land is both a source of wealth and their main problem. Poorly regulated and subject to fierce competition, land ownership is a recurring cause of conflict. Land is a magnet for migrants, both from other parts of the country and from abroad, who often outnumber those “native” to the area and leave them with a strong sense of dispossession.

For a long time, conflicts have been resolved peacefully through local and customary dispute resolution systems. However, the economic crisis, demographic pressures and the spread of a xenophobic political discourse in the 1990s have exhausted these systems. Land conflicts, exploited by the three major political parties that disputed the succession to President Félix Houphouët-Boigny, have increasingly provoked violence between “native” landowners and migrants.

The government of then-President Henri Konan Bédié tried in 1998 to resolve the situation by introducing a land code that was never enforced. The war in September 2002 and its aftermath then considerably worsened the conflicts. During this period, the violence that affected the west was worse than anywhere else in Côte d’Ivoire, bar the capital Abidjan, with large-scale criminality claiming dozens, even hundreds, of victims.

This was partly due to Cavally’s and Guémon’s strategic location, not only because they produce cocoa but also because they are at the centre of the transport network that takes the raw material to the coast for export. Whoever controls these two regions also controls the country’s main source of foreign currency. Liberia’s proximity is another aggravating factor. Mercenaries from that country have exported the brutal behaviour that characterised the Mano River wars and make regular, deadly incursions into Ivorian territory, taking advantage of the weakness of Liberian and Ivorian armed forces.

During the 2011 post-electoral crisis, further massacres took place in Cavally and Guémon. The gravest, with a death toll of hundreds in just a few days, took place in the town of Duékoué. Then, in July 2012, more than one year after the end of the crisis, other violent crimes were committed at the Nahibly camp for the internally displaced, just outside Duékoué. In 2013, several incursions into Côte d’Ivoire by Liberian and Ivorian militia from Liberia claimed further victims and displaced thousands. These recent events proved just how volatile these two regions are, and showed they are likely to be the first to boil over if political tensions increase.

At the moment, serious crimes against members of ethnic groups considered to be supporters of former President Gbagbo remain unpunished, which lends credibility to allegations of a two-tiered justice system. The government in Abidjan must shed light on these crimes and take other significant measures to stabilise Cavally and Guémon.

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