Briefing / Africa 4 minutes

Côte d’Ivoire : les impératifs de sortie de crise

Le 4 mars 2007, les deux principaux protagonistes de la crise ivoirienne signaient l’accord politique de Ouaga­dougou (APO). Ce compromis a, dans un premier temps, apporté un environnement de paix en Côte d’Ivoire.

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Synthèse

Le 4 mars 2007, les deux principaux protagonistes
de la crise ivoirienne signaient l’accord politique de Ouaga­dougou (APO). Ce compromis a, dans un premier temps, apporté un environnement de paix en Côte d’Ivoire. La ligne de démarcation entre les deux protagonistes a été démantelée. Un nouveau gouvernement a été formé et les bases ont été jetées pour apporter une réponse aux deux questions-clés du conflit : l’identité et la citoyenneté ivoiriennes et la légitimité du pouvoir. Mais, plus de deux ans après son adoption, l’APO va mal. Une sortie de crise sera possible uniquement si les engagements pris dans la capitale burkinabé sont enfin suivis d’effets. Sortir la Côte d’Ivoire de sa décennie de crise ne nécessitera pas seulement l’organisation d’élections crédibles mais impliquera également des progrès significatifs dans le processus de désarmement ainsi qu’une véritable réunification de l’administration. Ceci demandera la remobilisation de la facilitation burkinabé et une pression accrue des partenaires internationaux sur les acteurs du conflit.

Les responsables ivoiriens sont aujourd’hui au pied du mur. Ils disposent d’un semestre pour organiser des élections libres et transparentes et procéder au désarmement de plusieurs milliers de combattants. Un nouveau report du scrutin serait fatal à l’APO. L’absence d’un démantèlement des groupes armés, au moins partiel, laisserait planer la menace de graves troubles postélectoraux.

Les opérations d’enrôlement et d’identification se sont officiellement achevées le 30 juin sans atteindre leur but initial. Entamée en septembre 2008, ces opérations complexes et mal conçues ont souffert de la mauvaise gestion de leurs organisateurs. Le financement de leurs structures techniques a été volontairement ralenti par le clan présidentiel qui estime dans son intérêt de retarder au maximum les élections. Après un nouveau report le 30 novembre dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU a demandé en janvier 2009 aux protagonistes ivoiriens de fournir rapidement un calendrier électoral réaliste. Une nouvelle date a finalement été annoncée en mai. Cette date pour ce qui sera probablement le premier tour de la présidentielle, le 29 novembre 2009, reste cependant hypothétique. Pour être au rendez-vous, les structures chargées de l’organisation de l’élection devront s’acquitter d’une tâche considérable et dramatiquement améliorer leurs procédures de travail.

Les deux autres grandes priorités de l’APO accusent aussi un retard inquiétant. Le désarmement des combattants s’est borné à quelques opérations médiatisées de destruction d’armes légères. Chacun des deux camps maintient en place des forces significatives et continue de faire entrer du matériel militaire sur le territoire ivoirien, en violation de l’embargo sur les armes de l’ONU. Ceci représente une menace réelle pour le processus électoral, et permettra aux deux parties d’inti­mider physiquement les électeurs, de manipuler les résultats du scrutin ou même de les contester violemment. Du coté des rebelles des Forces nouvelles, 5 000 combattants attendent toujours leur intégration dans la nouvelle armée et les commandants de zones (« com’
zones ») de l’ancienne zone nord sont toujours entourés de gardes rapprochées comptant parfois plusieurs centaines d’éléments. Les milices loyalistes de Laurent Gbagbo, fortes de 20 000 hommes, n’ont pas été démantelées ni les groupements de « Jeunes patriotes » à Abidjan dissouts.

Le redéploiement de l’administration n’a été opéré que partiellement sur l’ensemble du territoire. Le 26 mai, les « com’zones » ont certes remis leurs pouvoirs administratifs aux préfets. Cette décision très symbolique doit cependant être suivie rapidement par la dotation des moyens logistiques et financiers leur permettant de travailler. On peut aussi s’inquiéter du fait que les « com’zones », qui ne respectent plus les ordres de Premier ministre Guillaume Soro, qui tente de préserver l’unité des Forces nouvelles, aient été dépouillés de leurs fonctions administratives mais pas de leur mission sécuritaire.

A cet ensemble de blocages s’ajoute un contexte économique très difficile, dû à l’absence de bonne gouvernance autant qu’au contexte actuel de crise économique mondiale. La Côte d’Ivoire se paupérise et la misère est pour des milliers de jeunes hommes une bonne raison de ne pas déposer les armes, ou pourrait en devenir une autre de les reprendre.

L’ensemble de la communauté internationale et l’ONU assistent à la fois impuissants et las à l’enlisement de l’APO. Ils ont été exclus d’un accord politique signé entre des dirigeants africains. Ils leur restent l’argent comme ultime moyen de pression. Le retard et les ratés du processus de sortie de crise ont même poussé certains à réfléchir sur l’utilité de leur présence dans le pays. La France a ainsi rapatrié prématurément une partie importante des troupes de l’opération Licorne. La facilitation burkinabé joue, quasiment seule, le rôle ingrat d’arbitre et d’aiguillon du processus. Jusqu’à maintenant, sa stratégie a été celle de la prudence. Le temps presse. Elle doit maintenant générer un nouveau momentum et adopter une attitude plus ferme, particulièrement à l’égard des « com’zones » et des milices loyalistes.

Pour que cet accord puisse enfin aller à son terme, les mesures suivantes doivent être prises :

  • Concernant le processus électoral. Les opérations de traitements des données doivent débuter au plus vite dans 68 centres de traitement informatique prévus à cet effet. Un plan détaillé de distribution des cartes d’électeurs doit rapidement être présenté par la Commission électorale indépendante (CEI) et l’opérateur technique privé partenaire, qui doit précéder leur distribution par une campagne d’infor­mation des populations ciblées leur indiquant précisément où et comment elles pourront retirer leurs cartes d’électeurs. Le Premier ministre doit assumer véritablement son rôle de « chef d’orchestre » du processus électoral, en s’entourant d’une équipe capable de coordonner l’ensemble des opérations qui conduiront aux élections.
     
  • Concernant le désarmement. Gbagbo et Soro doivent prendre la responsabilité d’accélérer l’inté­gra­tion de leurs forces respectives au sein des forces communes de police et de gendarmerie et de la nouvelle armée nationale, qui prévoit l’intégration de 5 000 ex-rebelles. Les deux protagonistes doivent enfin s’engager dans un désarmement réel en procédant à un abandon partiel et simultané de leurs stocks d’armes et de munitions.
     
  • Concernant l’administration. Le Premier ministre doit modifier en profondeur son cabinet actuel en choisissant des collaborateurs plus expérimentés et plus compétents. Une seule administration doit être présente sur l’ensemble du territoire au cours du semestre à venir. Dans la zone ultérieurement tenue par les rebelles, les préfets et les mairies doivent être dotés des moyens logistiques et nécessaires pour restaurer l’autorité civile de l’Etat. Le contrôle des frontières septentrionales du pays doit être assuré par des policiers et des douaniers de l’Etat ivoirien et non plus par des ex-rebelles.
     
  • Le Conseil de sécurité doit accentuer sa pression sur les responsables ivoiriens. Paris doit faire pression sur les responsables ivoiriens en conditionnant la reprise de l’ensemble de la coopération à la tenue d’élections libres et transparentes ainsi qu’à une période post-électorale pacifique. La facilitation burkinabé devrait être renforcée et, avec l’aide du Premier ministre Soro, engager une négociation directe avec chaque « com’zone » pour réussir leur intégration, et avec celle de Laurent Gbagbo le dés­armement des différentes milices loyalistes.

 

Dakar/Nairobi/Bruxelles, 2 juillet 2009

I. Overview

On 4 March 2007, the two main actors in the Côte d’Ivoire crisis signed the Ouagadougou Peace Agreement (OPA). The deal initially produced a peaceful atmosphere. The demarcation line between the armed forces was dismantled, a new government formed and the groundwork laid for addressing the conflict’s key questions: Ivorian identity and citizenship, and presidential legitimacy. Yet, more than two years later, the OPA is in deep trouble. The conflict will only be resolved if the commitments made in the Burkinabé capital are finally translated into action. Organising credible elections will not be enough to rescue Côte d’Ivoire from a decade-long crisis; substantial progress in the disarmament process and genuine reunification of the administration are also needed. President Compaoré’s facilitation needs to generate new momentum, and other international partners must increase their pressure.

Political leaders have been pushed to the wall, with less than a half-year left to organise free and transparent elections as agreed and proceed with disarming thousands of combatants. Another postponement of elections would be a death blow to the OPA. If armed groups are not at least partially dismantled, there will be a severe risk of new unrest.

Electoral registration and identification were officially closed on 30 June, but the operation did not reach its initial aim. Launched in September 2008, the complex operation has been ill-conceived and mismanaged, its financing deliberately hampered by President Gbagbo, who has a vested interest in delaying the elections as much as possible. Following yet another postponement on 30 November 2008, the UN Security Council in January 2009 demanded that Ivorian leaders provide a realistic electoral timetable. In May, a new date for what is likely to be the first round of presidential elections was finally announced. But that date – 29 November 2009 – is still uncertain. To meet it, the institutions in charge of organising the vote still have a great deal to do and must dramatically improve their procedures.

Delays in the OPA’s other priorities also give cause for concern. Disarmament has been limited to a few instances of small arms destruction. Both sides maintain significant forces and continue to import military equipment, in violation of the UN arms embargo. This poses a real threat to the electoral process, since they can intimidate voters and possibly manipulate results or violently contest them. 5,000 Forces Nouvelles ex-rebel combatants are still awaiting integration into the new army, and the military zone commanders (“com’
zones”) in the formerly insurgent north retain personal protection units with hundreds of fighters. A 20,000-strong militia of Gbagbo loyalists is yet to be dismantled, and his “young patriots” networks in Abidjan have not been dissolved.

There has been only partial unification of the government administration throughout the country. On 26 May, the “com’zones” relinquished their administrative powers to government-appointed prefects, a symbolic step that needs to be followed up by giving the prefects adequate financial and logistical means to restore genuine civilian state authority. It is worrying that the “com’zones” have only lost their administrative responsibilities, while retaining their security powers, particularly since they no longer take orders from Prime Minister Guillaume Soro, the former insurgent leader, who is struggling to preserve the unity of his fractious movement. Moreover, Côte d’Ivoire’s economy is in bad shape, due to poor governance as much as the global crisis. As poverty increases, thousands of young men are inclined to keep their weapons or even tempted to start a new insurgency.

The wider international community and the UN are weary and nearly helpless witnesses of these challenges. Excluded from the negotiation of the OPA – signed exclusively by African leaders – financial support is their only leverage. In view of the extensive delays and remaining difficulties of the peace process, some have started to question their continued involvement. France, for example, has already begun to repatriate a significant part of the troops it deployed under “Operation Licorne”. The Burkinabé facilitation is in the thankless position of being almost alone to arbitrate disputes and create new momentum. With a rapid countdown to elections required, it must be firmer, particularly towards the “com’zones” and the ruling party’s militias.

The following measures must be taken to advance peace in 2009:

  • On the electoral process. Data processing, including opening the planned 68 data processing centres, must start as soon as possible. The Independent Electoral Commission and the commercial technical body that has been hired must present a detailed plan for distributing polling cards and launch an information campaign to give people precise information on where and how to get them. The prime minister must supervise the electoral process and surround himself with a more competent team able to coordinate it.
     
  • On disarmament. Gbagbo and Soro must take responsibility to speed up the integration of their respective forces into the joint police and gendarmerie and to start reform of the national army, which is supposed to take in 5,000 ex-rebels. Both sides must finally engage in real disarmament by registering and giving up their weapons and ammunition in parallel.
     
  • On administrative reunification. Prime Minister Soro should strengthen his cabinet with more experienced and competent staff. A single administration is needed in the entire country by year’s end. Prefects and mayors must receive adequate financial and logistical means to restore civilian state authority in former rebel zones. The northern boundary should be secured by state police and customs officers, rather than former rebels.
     
  • The UN Security Council should increase pressure on Ivorian leaders and France make resumption of full cooperation conditional on free and transparent elections and a peaceful post-electoral period. The Burkinabé facilitation should be reinforced and, with Soro’s help, negotiate directly with each “com’zone” over their integration and work with Gbagbo to dismantle his various militias.

 

Dakar/Nairobi/Brussels, 2 July 2009

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