Côte d’Ivoire : désamorcer les tensions électorales malgré la polarisation politique
Côte d’Ivoire : désamorcer les tensions électorales malgré la polarisation politique
Retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire : une nouvelle occasion de réconciliation
Retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire : une nouvelle occasion de réconciliation
Commentary / Africa 14 minutes

Côte d’Ivoire : désamorcer les tensions électorales malgré la polarisation politique

L’élection présidentielle prévue en octobre en Côte d’Ivoire risque de raviver les tensions politiques profondément ancrées du pays. Dans cet extrait de notre Watch List 2020 Édition Printemps pour les responsables Européens, Crisis Group encourage l'UE et ses États membres à promouvoir un dialogue continu entre les différents partis et à développer des structures d'observation électorale.

Ce commentaire fait partie de notre Watch List 2020 - Édition Printemps

À l’approche de l’élection présidentielle prévue en octobre, les tensions en Côte d’Ivoire se matérialisent le long de lignes de fracture politiques et ethniques qui perdurent depuis de nombreuses années.

Même si le président Alassane Ouattara a contribué à désamorcer une crise potentielle lorsqu’il s’est officiellement retiré de la course à la présidence en mars, évitant ainsi un différend majeur sur la constitutionnalité de sa candidature pour un troisième mandat, les responsables politiques de l’opposition accusent maintenant son gouvernement de les empêcher de se mesurer au nouveau candidat du parti au pouvoir, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly. Ils se plaignent d’un climat de harcèlement et d’intimidation et du fait que les autorités œuvrent par l’intermédiaire des tribunaux à les mettre, eux et leurs partisans, derrière les barreaux pour des motifs fallacieux. Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), principal parti d’opposition, boycotte en outre la participation à la Commission électorale indépendante – l’organe chargé de l’administration des élections – qui, selon lui, est trop fortement dominée par des individus politiquement proches du président. Les tensions continuent à s’exacerber alors que des responsables politiques du gouvernement et de l’opposition débattent de l’opportunité de reporter l’élection en raison de la pandémie de Covid-19.

As the quarrelling escalates, political leaders are likely to rely further on firing up their ethnic and regional base.

Tandis que les querelles prennent de l’ampleur, les dirigeants politiques (y compris les membres du PDCI et d’autres qui se sont séparés de l’ancienne coalition au pouvoir de M. Ouattara après sa décision de n’en faire qu’un seul parti au début de 2019) pourraient s’appuyer sur leurs bases ethniques et régionales en les opposants à celles de leurs adversaires, une tactique à laquelle les responsables politiques ivoiriens ont eu recours depuis la mort de Félix Houphouët-Boigny, fondateur de la nation, il y a 27 ans. De violents affrontements dans le centre du pays en 2019 entre deux communautés aux allégeances politiques différentes laissent présager de nouveaux troubles. Il est particulièrement inquiétant de constater que les tensions ethniques et sociales pourraient rompre l’équilibre fragile au sein de l’armée nationale divisée en factions, où les différents groupes doivent allégeance aux dirigeants qui les ont placés à leurs postes au cours des deux dernières décennies. Il y a seulement trois ans, d’anciens rebelles intégrés dans l’armée se sont mutinés, exposant la fragilité de l’institution.

Surmonter les profondes divisions politiques de la Côte d’Ivoire, qui ont dégénéré en violence ouverte lors de la crise postélectorale de 2010 et 2011 et n’ont jamais été complètement apaisées, prendra des années et ne pourra certainement pas être réalisé avant l’élection prévue en octobre. Le défi immédiat pour la nation et ses soutiens extérieurs est de piloter la période actuelle sans enflammer des dynamiques ethniques et politiques hautement combustibles.

Pour ce faire, l’UE et ses Etats membres devraient concentrer leurs efforts sur la maximisation des chances d’une élection crédible menée dans des conditions acceptables pour toutes les parties, et sur le désamorçage des litiges au fur et à mesure qu’ils surviennent, notamment :

  • En incitant le gouvernement et l’opposition politique à dialoguer en vue de convaincre cette dernière de mettre un terme au boycott de la Commission électorale indépendante et de trouver un accord sur l’opportunité de reporter l’élection si les préparatifs sont encore retardés en raison du Covid-19. L’UE devrait coordonner ses efforts avec la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest et le Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel ;
     
  • Dans la mesure du possible pendant la pandémie, en mettant en place une mission d’observation électorale dynamique, qui soit aussi proche que possible en termes de ressources et d’effectifs de la mission qui a surveillé l’élection présidentielle de 2010 ;
     
  • En investissant dans la formation des agents électoraux pour éviter des irrégularités techniques telles que des urnes non scellées ou des procès-verbaux des procédures officielles mal rédigés dans les bureaux de vote, qui ont suscité des litiges lors d’élections précédentes ;
     
  • En soutenant la décision d’avril 2020 de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, qui a recommandé la libération de dix-neuf personnes proches de l’ancien Premier ministre et figure de l’opposition, Guillaume Soro, qui sont en détention depuis décembre 2019.
     

En travaillant au sein de l’UE et avec les Etats africains et d’autres pays ayant des liens étroits avec la Côte d’Ivoire pour insister sur l’importance d’élections crédibles et transparentes, souligner l’importance de la résolution pacifique des différends politiques et exercer une pression concertée pour dissuader les saboteurs potentiels de fomenter des troubles.

Plusieurs figures politiques mises sur la touche

Les enjeux des élections présidentielles en Côte d’Ivoire sont particulièrement élevés dans la mesure où la constitution ivoirienne donne au chef de l’Etat et à son entourage une part énorme du pouvoir exécutif et économique. Les partis politiques en sont donc venus à assimiler la défaite électorale à une marginalisation économique et politique, tant pour leurs dirigeants que pour les communautés qu’ils représentent.

Dès 2018, en préparation de la prochaine période électorale, les caciques de la mouvance présidentielle et les militants les plus proches du président sortant Ouattara ont tenté de lui assurer une victoire quasi certaine en imposant une fusion entre son parti, le Rassemblement des républicains, et cinq autres partis qui, avec lui, ont formé une coalition nationale appelée le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). S’ils avaient réussi, le nouveau parti aurait été bien placé pour obtenir une majorité absolue au premier tour du scrutin présidentiel. Cependant, la fusion n’a pas fait l’unanimité parmi les partenaires de la coalition, certains affirmant qu’elle avait livré le pouvoir à Ouattara à deux reprises en 2010 et 2015, et qu’il était temps que le chef d’un autre parti prenne la barre. Lorsque M. Ouattara a néanmoins décidé d’imposer la fusion, son principal partenaire dans la coalition, le PDCI, dirigé par l’ancien président Henri Konan Bédié, a fait sécession en août 2018.

La fusion a bien été réalisée et a donné lieu à la création d’un nouveau parti en janvier 2019, qui, comme la coalition à laquelle il a succédé, est appelé le RHDP mais est bien loin de la puissance électorale qu’espérait l’entourage de M. Ouattara. Sa faiblesse s’explique d’une part par le désengagement du PDCI et d’autre part par la décision de Ouattara, en mars 2020, de se retirer de la course. Si cette dernière mesure a finalement contribué à atténuer les tensions entre le parti au pouvoir et l’opposition, elle a accentué les divisions au sein du nouveau parti au pouvoir.

La désignation, le 12 mars, du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly comme candidat probable du parti au pouvoir n’a pas mis un terme à ces divisions. Beaucoup de membres de son parti doutent qu’il bénéficie du poids politique nécessaire ou d’une popularité suffisante pour mener le parti à la victoire. La santé de Gon Coulibaly est également source de préoccupations : il a été évacué à Paris le 2 mai pour des raisons médicales non divulguées. En outre, dans le cadre des retombées de la fusion de la coalition, une autre composante du RHDP, l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire, un petit parti régional ayant une forte empreinte électorale dans l’ouest montagneux du pays, est maintenant divisé entre les pro et anti-RHDP.

Les groupes d’opposition affirment que le gouvernement de M. Ouattara compte sur les tribunaux pour l’aider à écarter les rivaux du parti.

Les groupes d’opposition affirment que le gouvernement de M. Ouattara compte sur les tribunaux pour l’aider à écarter les rivaux du parti, dont le parti de l’ancien président Laurent Gbagbo, le Front populaire ivoirien, qui s’est allié au PDCI de Bédié. Cette nouvelle alliance représente une menace politique importante pour les chances de victoire du RHDP. Même si Gbagbo a été acquitté des charges retenues par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) dans le cadre de violences perpétrées en 2010-2011 suite à l’élection présidentielle – un acquittement dont le procureur de la CPI a fait appel – il reste soumis à une condamnation par contumace de 2018 et à une peine de vingt ans de réclusion prononcée par un tribunal national ivoirien pour « braquage » de la banque centrale suite à sa défaite électorale en 2010. L’ancien ministre et allié de Gbagbo, Charles Blé Goudé, qui a également été acquitté par la CPI mais avec un recours en appel, a lui aussi été condamné par contumace, dans son cas pour « actes de torture, homicide et viol », par un tribunal ivoirien.

Alors que la Cour a enjoint à Gbagbo et Blé Goudé de rester, respectivement, en Belgique et aux Pays-Bas en attendant la conclusion de leurs poursuites en justice devant la CPI, certains dirigeants de l’opposition font valoir que les condamnations ivoiriennes étaient motivées par des raisons politiques et visaient à les dissuader de rentrer chez eux avant l’élection, quelque soit le dénouement de leurs dossiers judiciaires à La Haye. Gbagbo et Blé Goudé continuent de clamer leur innocence.

Les procédures pénales ivoiriennes ont également mis sur la touche Guillaume Soro, un ancien allié de Ouattara, qui comme Bédié avait refusé de soutenir la fusion des partis de la coalition RHDP, et qui a annoncé son intention de se présenter à l’élection présidentielle d’octobre. Fin 2019, les autorités ivoiriennes ont émis un mandat d’arrêt contre Soro, soupçonné de complot de coup d’Etat, de blanchiment d’argent et de détournement de fonds, au moment même où il achevait une longue visite en Europe, ce qui l’a amené à reporter son retour. En avril, un tribunal national l’a condamné à vingt ans de prison pour détournement de fonds. En décembre 2019, les autorités ont également emprisonné dix-neuf des collaborateurs de Soro, dont plusieurs parlementaires et membres de sa famille.

La situation de Soro a été portée devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Quelques jours avant que le tribunal ivoirien ne le condamne, la Cour des droits de l’homme avait demandé la suspension de son mandat d’arrêt, arguant qu’il risquait de « compromettre gravement » ses « droits et libertés politiques ». Elle a également demandé la libération de ses dix-neuf collaborateurs détenus depuis décembre. La Côte d’Ivoire a réagi en se retirant de la Cour. Puis, le 5 mai, le procureur de la République Richard Adou a annoncé que quatorze militaires, dont deux officiers supérieurs, avaient été arrêtés en avril dans le cadre d’une enquête en cours sur la tentative de coup d’Etat présumée de Soro.

Entretemps, des responsables du PDCI ont déclaré à Crisis Group qu’ils étaient également soumis à un harcèlement permanent, allant d’arrestations de haut niveau à des pressions discrètes sur des cadres et des militants du parti visant à perturber ses activités. En décembre 2019, un tribunal a emprisonné le vice-président du PDCI, Jacques Mangoua, pour possession d’armes. La justice ivoirienne l’a libéré trois mois plus tard.

Cette évolution rappelle les manœuvres politiques de 1999 en Côte d’Ivoire, sous la présidence de Bédié, lorsque les autorités avaient émis un mandat d’arrêt contre Ouattara, alors membre de l’opposition, pour « faux et usage de faux », quelques semaines seulement avant que Bédié ne soit évincé par les militaires qui soutenaient Ouattara. En 2000, Bédié et Ouattara ont tous deux été exclus de la course à la présidence, un événement qui s’est avéré être la première étape d’une crise qui s’est rapidement aggravée et qui a abouti à la partition du pays deux ans plus tard.

Les lignes de faille

Dans un pays où les efforts de réconciliation entre des groupes ethniques et des factions politiques parfois en guerre ont échoué, les antagonismes entre les partis politiques restent puissants. Dans la mesure où les partis sont davantage des représentants d’intérêts régionaux ou ethniques que des vecteurs de manifestes ou d’idéologies, leur opposition mutuelle tend à se traduire rapidement par des violences intercommunautaires.

Les deux dernières années ont vu une résurgence inquiétante de ces violences liées à la contestation politique.

Les deux dernières années ont vu une résurgence inquiétante de ces violences liées à la contestation politique, reflétant des tensions ethniques et politiques qui pourraient presque certainement être exacerbées par l’élection. Après les élections municipales de fin 2018, des violences ont éclaté en de nombreux endroits du pays, faisant au moins cinq morts. Quelques mois plus tard, en mai 2019, des affrontements dans la ville de Béoumi, au centre du pays, ont fait quatorze morts et plus d’une centaine de blessés. Les violences ont impliqué deux groupes ethniques : les Malinké, un groupe du nord qui tend à voter pour le RHDP, et les Baoulé, un sous-groupe des Akan ayant des racines au centre du pays et plutôt aligné sur le PDCI. Ils se battaient au sujet du contrôle de la mairie de la ville.

D’autres lignes de fracture pourraient également être amplifiées. L’exclusion de Gbagbo et de Blé Goudé, dont les partisans sont surtout originaires de l’ouest du pays et de certaines régions du sud, devrait continuer à creuser le fossé entre eux et les habitants du nord et les partis qui leur sont le plus étroitement associés. Dans le nord du pays, l’exclusion de Soro, qui a soutenu Ouattara contre Gbagbo lors de la crise postélectorale de 2010-2011, risque de raviver les frictions entre les rebelles des Forces nouvelles, autrefois dirigés par Soro et aujourd’hui disparus, et les pro-Ouattara, notamment dans les municipalités, où les deux camps se sont disputés ressources locales et recette fiscales pendant la période de partition du pays (2002-2012).

L’appareil de sécurité du pays n’a pas encore été impliqué dans la course électorale de cette année, mais cela pourrait changer. L’armée est essentiellement un patchwork de groupes recrutés par les régimes successifs, qui, à différents moments, ont favorisé différentes ethnies. Ces groupes doivent leur allégeance à divers décideurs politiques auxquels ils restent fidèles et présentent donc un risque élevé de fragmentation en fonction des lignes partisanes si la crise politique devait s’envenimer. Parmi les personnalités politiques qui jouissent d’une certaine loyauté au sein des forces armées, on trouve Soro, qui a occupé le poste de Premier ministre de 2007 à 2012, et qui bénéficie encore d’une certaine forme d’allégeance des commandants de l’armée. Dans le cadre de sa propre campagne, le PDCI a nommé à sa vice-présidence le général à la retraite Michel Gueu, qui a dirigé le cabinet militaire de Soro lorsqu’il était Premier ministre et qui a toujours des liens avec les forces armées.

The country’s security apparatus has yet to be drawn into this year’s electoral politics, but that might change.

The country’s security apparatus has yet to be drawn into this year’s electoral politics, but that might change. The army is essentially a patchwork of cohorts recruited by successive regimes, which at different times have favoured different ethnic groups. These cohorts lack cohesion and owe their allegiance to various political operators, creating a high risk that the military could fragment along partisan lines if there is a prolonged political crisis. Among political figures who enjoy a measure of loyalty from within the armed forces is Soro, who held the post of prime minister from 2007 to 2012 and still benefits from some residual allegiance of army commanders. As part of its own separate campaign, the PDCI appointed retired general Michel Gueu, who directed Soro’s military cabinet when he was prime minister and still enjoys ties to the armed forces, as its new vice president.

Risques de contestation

Avec les tensions politiques qui couvent, la gestion contestée de l’élection présidentielle pourrait être l’élément déclencheur d’un conflit amené à perdurer. Dans les circonstances actuelles, il est très difficile d’envisager une élection pacifique et un résultat qui serait accepté par tous si, dès le départ, les parties prenantes ne s’entendent pas sur certaines questions fondamentales relatives à l’élection. Un report de l’élection dû au Covid-19 pourrait également être source de désaccords s’il n’est pas géré avec précaution. Au moment où nous écrivons ces lignes, plus de 2 150 cas et 28 décès ont été enregistrés.

La Commission électorale indépendante, qui est chargée d’organiser et de superviser l’élection, pourrait être un forum important pour désamorcer les tensions, mais seulement si tous les partis acceptent d’assumer leurs positions à ce sujet. Trois des sièges de la commission sont attribués à des partis politiques proches du président Ouattara, un autre est attribué par le président et un autre par le ministre de l’Intérieur, six vont à des membres de la société civile qui sont censés être indépendants (bien que les responsables de l’opposition aient des doutes quant à leur indépendance) et quatre sont attribués à des partis d’opposition. Le gouvernement a accordé un siège supplémentaire à l’opposition le 4 mars pour répondre à ses plaintes concernant la partialité de la commission. Ce geste n’a toutefois pas encore convaincu le PDCI d’y adhérer. La nomination d’un président de commission originaire du nord du pays, le fief du parti au pouvoir, est également perçue par l’opposition comme un signe supplémentaire de la partialité de l’institution.

La crise du Covid-19 risque également de retarder les préparatifs électoraux.

La crise du Covid-19 risque également de retarder les préparatifs électoraux. Initialement prévue entre le 18 avril et le 2 mai, la révision de la liste électorale par la commission électorale a été reportée et devrait maintenant avoir lieu entre le 10 et le 22 juin, la liste devant être affichée avant la fin du mois de juillet, comme le prévoit la loi. Sous sa forme actuelle, la liste électorale compte à peu près le même nombre d’électeurs qu’en 2010, même si la population du pays a entretemps augmenté d’environ 30 pour cent. La commission doit également fournir une carte complète des bureaux de vote et élaborer un plan global pour la distribution du matériel électoral et la centralisation des résultats. Les partis politiques doivent également trouver un consensus pour choisir l’entreprise qui transmettra et traitera les données électorales et procédera au décompte des résultats. Le nouveau code électoral, adopté par décret le 8 avril dernier en raison de l’impossibilité de réunir le parlement pour un débat en pleine crise du Covid-19, n’a toujours pas été entériné par le PDCI qui, le 18 mai, a déclaré refuser « de ratifier des lois confligènes ».

Même si un éventuel report de l’élection pourrait contribuer à la finalisation des préparatifs électoraux et donner plus de temps au gouvernement et aux partis d’opposition pour aplanir leurs divergences, la décision unilatérale des autorités de reporter le vote pourrait être considérée par l’opposition comme une volonté du président de rester au pouvoir et risquerait de provoquer une réaction violente. Il sera donc important qu’une telle décision soit prise d’un commun accord, grâce à des négociations entre les partis au pouvoir et l’opposition.

Quel rôle pour l’UE et les Etats membres ?

L’Union européenne et ses Etats membres, en étroite collaboration avec la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest et le Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, devraient encourager le dialogue entre les partis politiques de Côte d’Ivoire. Dans le même ordre d’idées, ils devraient insister sur l’importance de construire un large consensus politique autour des modalités d’un éventuel report de l’élection d’octobre.

Il serait également utile de convaincre le PDCI de commencer à participer activement à la commission électorale. Son rôle actif est important, à la fois pour se donner, ainsi qu’à ses électeurs, une voix concernant le déroulement de l’élection, mais aussi pour assurer un contrôle des activités de la commission. Si la participation du PDCI à la commission n’est pas une garantie que les partis d’opposition ne contesteront pas les résultats définitifs de l’élection, les risques de litige seraient considérablement plus élevés si le PDCI continuait à boycotter la commission, remettant ainsi en question la légitimité de ses actions avant même que les électeurs ne se rendent aux urnes.

L’UE peut également contribuer à atténuer les risques de contestation de l’élection en déployant un solide système d’observation électorale dans le pays.

L’UE peut également contribuer à atténuer les risques de contestation de l’élection en déployant, dans la mesure du possible compte tenu de la pandémie, un solide système d’observation électorale dans le pays. Etant donné l’importance de cette élection et le risque que les résultats soient contestés, la mission devrait être au moins aussi importante en termes de personnel et de ressources que celle que l’UE avait déployée lors de l’élection de 2010, qui s’est déroulée dans des conditions très tendues. Dès que la crise du Covid-19 le permettra, l’UE et ses Etats membres devraient également investir dans la formation des agents électoraux. Ces agents peuvent contribuer à réduire le nombre d’irrégularités, comme des urnes mal scellées ou des procès-verbaux mal rédigés alors qu’ils sont censés indiquer si un bureau de vote donné a bien suivi des procédures électorales correctes. Ce genre d’irrégularités peut faire naître des soupçons de fraude et déclencher des conflits locaux potentiellement violents.

L’UE et ses Etats membres devraient également soutenir la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples en demandant la libération des dix-neuf collaborateurs de Soro qui sont en détention depuis décembre. Leur libération serait un geste important qui pourrait contribuer à limiter la montée des frictions entre les partisans de Ouattara et ceux de Soro, en particulier dans le nord du pays.

Enfin, l’UE devrait encourager ses Etats membres, ses partenaires africains et les autres pays ayant des liens avec la Côte d’Ivoire, d’une part, à délivrer un message commun sur la nécessité pour les forces politiques antagonistes de régler pacifiquement leurs différends et de coopérer à la conduite d’une élection crédible et transparente et, d’autre part, à exercer une pression concertée sur les individus et les groupes qui pourraient mettre ces efforts en péril.

Comme l’a montré la période électorale de 2010, ni une élection transparente ni la pression internationale ne sont une garantie suffisante pour protéger la Côte d’Ivoire d’un nouveau cycle de violence politique. Mais sans elles, les risques d’une reprise des conflits, déjà importants, seront encore plus élevés.

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