Une période critique pour stabiliser la Côte d’Ivoire
Une période critique pour stabiliser la Côte d’Ivoire
Table des matières
  1. Synthèse
The Challenges Ahead for Côte d’Ivoire
The Challenges Ahead for Côte d’Ivoire
Report / Africa 4 minutes

Une période critique pour stabiliser la Côte d’Ivoire

Contraint à une épreuve de force pendant cinq mois pour conquérir un pouvoir que son élection en novembre dernier aurait dû lui donner pacifiquement, le nouveau président de la Côte d’Ivoire doit maintenant relever de nombreux défis urgents pour empêcher le pays de se fragmenter.

  • Share
  • Enregistrer
  • Imprimer
  • Download PDF Full Report

Synthèse

L’arrivée au pouvoir du président élu Ouattara ne doit pas masquer la réalité. La Côte d’Ivoire reste un pays fragile et instable. Les atrocités commises après le second tour de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010 et la tentative de confiscation par tous les moyens du pouvoir perdu dans les urnes par Laurent Gbagbo ont renforcé les tensions communautaires déjà très vives. Les prochains mois seront cruciaux. Il appartient au nouveau gouvernement de ne pas sous-estimer les menaces qui pèseront pendant longtemps sur la paix et de rompre avec la légèreté et l’ivresse du pouvoir qui ont conduit le pays à des choix désastreux au cours des deux dernières décennies. La communauté internationale doit maintenir un regard attentif sur la période actuelle de transition et jouer sa partition dans les domaines de la sécurité, de l’économie et de la coordination de la réponse humanitaire. Le président doit prendre des décisions courageuses dans les registres de la sécurité, de la justice, du dialogue politique, du redémarrage économique et intégrer un élément de réconciliation dans chacun de ces domaines.

Le premier défi pour le nouveau pouvoir est celui de la sécurité. Les évènements meurtriers qui se sont déroulés entre décembre 2010 et avril 2011 ont fait voler en éclats l’appareil de sécurité. La hiérarchie des forces armées a été divisée entre défenseurs acharnés et violents de l’ancien président Gbagbo, partisans moins zélés de ce dernier, partisans discrets de Ouattara et calculateurs opportunistes dans un contexte de suspicion généralisée. Pour le moment, la création des nouvelles forces armées le 17 mars 2011, baptisées Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), reste un projet aux contours très flous. Fusionner l’armée régulière et plusieurs milliers d’éléments des Forces Nouvelles (FN) au sein de ce nouvel appareil de sécurité doit être la priorité.

L’ex-rébellion des FN, qui a aidé le président Ouattara à prendre le pouvoir par la force à Abidjan, a pris une place disproportionnée dans les FRCI. Les hommes du mouvement politico-militaire du Premier ministre Guillaume Soro contrôlent désormais Abidjan et l’Ouest du pays, en plus de la moitié nord qu’ils dirigent de fait depuis huit ans. Ils sont mal formés, désordonnés et commandés par des chefs de guerre qui sont très mal placés pour apporter à la Côte d’Ivoire l’état de droit qu’elle mérite. Si le gouvernement n’arrive pas à rétablir totalement l’ordre dans les mois à venir, et avant les élections législatives, et à prendre l’ascendant sur les commandants de zone des FN, l’autorité du nouveau président et sa crédibilité seront fortement et irrémédiablement diminuées. Enfin, la crise a laissé derrière elle des tonnes d’armes à feu qu’il est impératif de neutraliser. Cet arsenal est une menace immédiate et grave pour la Côte d’Ivoire, le Liberia, le Ghana et pour tous les pays membres de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dont l’actuelle discrétion est préoccupante.

Dans un pays où plus de 3 000 personnes ont été tuées en cinq mois, souvent de manière atroce et hors combats, la réconciliation et la justice sont des impératifs et constituent la seconde priorité du nouveau pouvoir. Promise par le président Alassane Ouattara même avant le conflit postélectoral, la Commission dialogue, vérité et réconciliation a été formellement créée le 13 mai 2011 et sa présidence confiée à l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny. Les consultations entamées par ce dernier avec différents acteurs sociaux du pays, la passion qui l’anime et l’essai de clarification des missions et des modalités de fonctionnement de la commission par une ordonnance présidentielle signée le 13 juillet dernier n’ont pas levé les doutes sur le degré d’indépendance de cette commission à l’égard du pouvoir politique et sur les risques d’une trop forte personnalisation de l’institution. Des corrections doivent être rapidement apportées pour en asseoir la crédibilité.

Une justice de vainqueur semble par ailleurs se mettre en place. Plusieurs proches de Laurent Gbagbo ont été inculpés et la justice enquête sur les crimes économiques commis par son clan. Il n’y a aucun doute sur l’extrême gravité des actes posés avant et pendant la crise postélectorale par les principaux alliés militaires et civils de l’ancien président et sur la nécessité d’enquêter sur ces crimes. Mais, alors que des crimes graves ont été également perpétrés par des membres des forces favorables au nouveau président, aucune mise en accusation n’a été jusque-là annoncée. Les déclarations du président Ouattara en Côte d’Ivoire comme à l’étranger – notamment aux États-Unis le 27 juillet – indiquent clairement une volonté d’assurer une justice impartiale. Le moment est venu de faire suivre ces déclarations d’intention d’actes politiquement risqués mais nécessaires.

Le troisième défi d’Alassane Ouattara est de résister à la tentation d’un pouvoir trop fort qui ne laisserait aucune place à une opposition politique. Défait électoralement puis militairement après avoir imposé la guerre au camp vainqueur de l’élection, le Front populaire ivoirien (FPI), le parti de Laurent Gbagbo, est en état de choc. Le nouveau président doit créer les conditions d’une normalisation progressive de la vie politique en ménageant un espace d’expression pour ceux qui, anciens partisans de Gbagbo ou non, voudraient s’inscrire résolument dans l’opposition. Toutes les forces politiques, y compris celles qui entendent porter l’idéologie du parti de Gbagbo, à condition qu’elles renoncent à la violence et aux propos haineux, doivent pouvoir s’organiser en vue des élections législatives prévues avant la fin de 2011.

La relance d’une économie qui a durement souffert de la crise postélectorale est le quatrième défi du président. Sur le papier, il semble plus simple que les précédents. Les bailleurs de fonds sont prêts à aider un pays au potentiel conséquent, premier producteur mondial de cacao depuis des décennies, plus récemment producteur de pétrole et disposant d’une base d’infrastructures et de ressources humaines intéressante. Alassane Ouattara est réputé économiste et gestionnaire rigoureux. Mais il n’est pas seul et son entourage doit abandonner les pratiques anciennes de corruption qui freinent depuis plusieurs décennies le développement économique du pays et alimentent les frustrations de ceux qui ne sont pas invités au banquet. Il ne devrait pas par ailleurs compter exclusivement sur sa politique économique et sociale et sur une nouvelle gouvernance pour gagner le pari de la réconciliation nationale.

La communauté internationale doit aider la Côte d’Ivoire à traverser sans heurts la délicate période actuelle. L’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), dont le mandat a été renouvelé pour un an par la résolution 2000 du Conseil de sécurité (27 juillet), doit assister le gouvernement à combler momentanément le vide sécuritaire à Abidjan et dans l’Ouest. Le maintien des effectifs militaires et policiers de l’ONUCI, qui comprennent les renforts autorisés pendant la crise postélectorale, et l’ouverture de nouveaux camps militaires à la lisière de la frontière du Liberia sont bienvenus.

Mais ces deux décisions doivent être accompagnées d’une augmentation effective des patrouilles, d’un engagement aux côtés des autorités civiles et des populations locales et d’une coordination entre le déploiement des casques bleus et celui des agences humanitaires conformément aux principes d’intégration des missions de maintien de la paix. Enfin, les Nations unies doivent travailler conjointement avec les partenaires internationaux de la Côte d’Ivoire et le gouver-
nement sur la remise sur pied rapide des forces de police et de la gendarmerie.

Sur le plan politique, les Nations unies doivent apporter leurs bons offices pour instaurer un environnement politique favorable à la tenue des élections législatives en favorisant le dialogue politique entre toutes les parties ivoiriennes. Le représentant spécial du secrétaire général devra définir de nouveaux critères pour assumer son mandat de certification des élections législatives reconduit par la résolution 2000 du Conseil de sécurité. Il peut aussi œuvrer à la prévention et à la modération des conflits locaux en tenant à cœur ce rôle de médiation, de facilitation et de conseil au gouvernement ivoirien. Enfin, sur le plan économique, les Nations unies, les organisations africaines, et les bailleurs de fonds internationaux doivent en priorité encourager et appuyer, à court terme, des projets de développement qui coïncident avec un choix politique de réconciliation, en privilégiant les régions et les communautés les plus affectées par le récent conflit.

Dakar/Bruxelles, 1er août 2011

Synthèse

The coming to power of the elected President Ouattara should not mask reality. Côte d’Ivoire remains fragile and unstable. The atrocities after the second round of the presidential elections on 28 November 2010 and Laurent Gbagbo’s attempt to retain power by all means despite losing exacerbated already acute tensions. The next months are crucial. The new government must not underestimate the threats that will long jeopardise peace and must avoid the narcotic of power that has caused so many disastrous decisions over recent decades. The international community must keep careful watch during the transition and stay involved with security, the economy and humanitarian aid. The president must make courageous decisions on security, justice, political dialogue and economic revival, imbuing each with a spirit of national reconciliation.

Related Content

L’arrivée au pouvoir du président élu Ouattara ne doit pas masquer la réalité. La Côte d’Ivoire reste un pays fragile et instable. Les atrocités commises après le second tour de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010 et la tentative de confiscation par tous les moyens du pouvoir perdu dans les urnes par Laurent Gbagbo ont renforcé les tensions communautaires déjà très vives. Les prochains mois seront cruciaux. Il appartient au nouveau gouvernement de ne pas sous-estimer les menaces qui pèseront pendant longtemps sur la paix et de rompre avec la légèreté et l’ivresse du pouvoir qui ont conduit le pays à des choix désastreux au cours des deux dernières décennies. La communauté internationale doit maintenir un regard attentif sur la période actuelle de transition et jouer sa partition dans les domaines de la sécurité, de l’économie et de la coordination de la réponse humanitaire. Le président doit prendre des décisions courageuses dans les registres de la sécurité, de la justice, du dialogue politique, du redémarrage économique et intégrer un élément de réconciliation dans chacun de ces domaines.

Le premier défi pour le nouveau pouvoir est celui de la sécurité. Les évènements meurtriers qui se sont déroulés entre décembre 2010 et avril 2011 ont fait voler en éclats l’appareil de sécurité. La hiérarchie des forces armées a été divisée entre défenseurs acharnés et violents de l’ancien président Gbagbo, partisans moins zélés de ce dernier, partisans discrets de Ouattara et calculateurs opportunistes dans un contexte de suspicion généralisée. Pour le moment, la création des nouvelles forces armées le 17 mars 2011, baptisées Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), reste un projet aux contours très flous. Fusionner l’armée régulière et plusieurs milliers d’éléments des Forces Nouvelles (FN) au sein de ce nouvel appareil de sécurité doit être la priorité.

L’ex-rébellion des FN, qui a aidé le président Ouattara à prendre le pouvoir par la force à Abidjan, a pris une place disproportionnée dans les FRCI. Les hommes du mouvement politico-militaire du Premier ministre Guillaume Soro contrôlent désormais Abidjan et l’Ouest du pays, en plus de la moitié nord qu’ils dirigent de fait depuis huit ans. Ils sont mal formés, désordonnés et commandés par des chefs de guerre qui sont très mal placés pour apporter à la Côte d’Ivoire l’état de droit qu’elle mérite. Si le gouvernement n’arrive pas à rétablir totalement l’ordre dans les mois à venir, et avant les élections législatives, et à prendre l’ascendant sur les commandants de zone des FN, l’autorité du nouveau président et sa crédibilité seront fortement et irrémédiablement diminuées. Enfin, la crise a laissé derrière elle des tonnes d’armes à feu qu’il est impératif de neutraliser. Cet arsenal est une menace immédiate et grave pour la Côte d’Ivoire, le Liberia, le Ghana et pour tous les pays membres de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dont l’actuelle discrétion est préoccupante.

Dans un pays où plus de 3 000 personnes ont été tuées en cinq mois, souvent de manière atroce et hors combats, la réconciliation et la justice sont des impératifs et constituent la seconde priorité du nouveau pouvoir. Promise par le président Alassane Ouattara même avant le conflit postélectoral, la Commission dialogue, vérité et réconciliation a été formellement créée le 13 mai 2011 et sa présidence confiée à l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny. Les consultations entamées par ce dernier avec différents acteurs sociaux du pays, la passion qui l’anime et l’essai de clarification des missions et des modalités de fonctionnement de la commission par une ordonnance présidentielle signée le 13 juillet dernier n’ont pas levé les doutes sur le degré d’indépendance de cette commission à l’égard du pouvoir politique et sur les risques d’une trop forte personnalisation de l’institution. Des corrections doivent être rapidement apportées pour en asseoir la crédibilité.

Une justice de vainqueur semble par ailleurs se mettre en place. Plusieurs proches de Laurent Gbagbo ont été inculpés et la justice enquête sur les crimes économiques commis par son clan. Il n’y a aucun doute sur l’extrême gravité des actes posés avant et pendant la crise postélectorale par les principaux alliés militaires et civils de l’ancien président et sur la nécessité d’enquêter sur ces crimes. Mais, alors que des crimes graves ont été également perpétrés par des membres des forces favorables au nouveau président, aucune mise en accusation n’a été jusque-là annoncée. Les déclarations du président Ouattara en Côte d’Ivoire comme à l’étranger – notamment aux États-Unis le 27 juillet – indiquent clairement une volonté d’assurer une justice impartiale. Le moment est venu de faire suivre ces déclarations d’intention d’actes politiquement risqués mais nécessaires.

Le troisième défi d’Alassane Ouattara est de résister à la tentation d’un pouvoir trop fort qui ne laisserait aucune place à une opposition politique. Défait électoralement puis militairement après avoir imposé la guerre au camp vainqueur de l’élection, le Front populaire ivoirien (FPI), le parti de Laurent Gbagbo, est en état de choc. Le nouveau président doit créer les conditions d’une normalisation progressive de la vie politique en ménageant un espace d’expression pour ceux qui, anciens partisans de Gbagbo ou non, voudraient s’inscrire résolument dans l’opposition. Toutes les forces politiques, y compris celles qui entendent porter l’idéologie du parti de Gbagbo, à condition qu’elles renoncent à la violence et aux propos haineux, doivent pouvoir s’organiser en vue des élections législatives prévues avant la fin de 2011.

La relance d’une économie qui a durement souffert de la crise postélectorale est le quatrième défi du président. Sur le papier, il semble plus simple que les précédents. Les bailleurs de fonds sont prêts à aider un pays au potentiel conséquent, premier producteur mondial de cacao depuis des décennies, plus récemment producteur de pétrole et disposant d’une base d’infrastructures et de ressources humaines intéressante. Alassane Ouattara est réputé économiste et gestionnaire rigoureux. Mais il n’est pas seul et son entourage doit abandonner les pratiques anciennes de corruption qui freinent depuis plusieurs décennies le développement économique du pays et alimentent les frustrations de ceux qui ne sont pas invités au banquet. Il ne devrait pas par ailleurs compter exclusivement sur sa politique économique et sociale et sur une nouvelle gouvernance pour gagner le pari de la réconciliation nationale.

La communauté internationale doit aider la Côte d’Ivoire à traverser sans heurts la délicate période actuelle. L’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), dont le mandat a été renouvelé pour un an par la résolution 2000 du Conseil de sécurité (27 juillet), doit assister le gouvernement à combler momentanément le vide sécuritaire à Abidjan et dans l’Ouest. Le maintien des effectifs militaires et policiers de l’ONUCI, qui comprennent les renforts autorisés pendant la crise postélectorale, et l’ouverture de nouveaux camps militaires à la lisière de la frontière du Liberia sont bienvenus.

Mais ces deux décisions doivent être accompagnées d’une augmentation effective des patrouilles, d’un engagement aux côtés des autorités civiles et des populations locales et d’une coordination entre le déploiement des casques bleus et celui des agences humanitaires conformément aux principes d’intégration des missions de maintien de la paix. Enfin, les Nations unies doivent travailler conjointement avec les partenaires internationaux de la Côte d’Ivoire et le gouver-
nement sur la remise sur pied rapide des forces de police et de la gendarmerie.

Sur le plan politique, les Nations unies doivent apporter leurs bons offices pour instaurer un environnement politique favorable à la tenue des élections législatives en favorisant le dialogue politique entre toutes les parties ivoiriennes. Le représentant spécial du secrétaire général devra définir de nouveaux critères pour assumer son mandat de certification des élections législatives reconduit par la résolution 2000 du Conseil de sécurité. Il peut aussi œuvrer à la prévention et à la modération des conflits locaux en tenant à cœur ce rôle de médiation, de facilitation et de conseil au gouvernement ivoirien. Enfin, sur le plan économique, les Nations unies, les organisations africaines, et les bailleurs de fonds internationaux doivent en priorité encourager et appuyer, à court terme, des projets de développement qui coïncident avec un choix politique de réconciliation, en privilégiant les régions et les communautés les plus affectées par le récent conflit.

Dakar/Bruxelles, 1er août 2011

Subscribe to Crisis Group’s Email Updates

Receive the best source of conflict analysis right in your inbox.